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La collection Kledermann
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:49

Текст книги "La collection Kledermann"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Non !… Je vous en prie. J’aurais trop l’impression que ce baiser vient d’un autre !…

Un éclat de colère traversa les prunelles vertes de la marquise :

– C’est là votre réaction alors qu’à l’heure qu’il est il a peut-être cessé de vivre ? Je vous plains…

Sans se retourner, elle se dirigea vers la porte que Grindel ouvrit devant elle avec un large sourire :

– Cela devait arriver un jour, jubila-t-il. À force de tirer sur la corde elle se casse et ce bellâtre lui en a trop fait voir !

– Ne chantez pas victoire si vite ! Il est difficile à oublier, le « bellâtre » ! Je n’en dirai pas autant de vous !

Derrière elle Lisa, dans son lit, avait repris sa pose immobile, les bras le long du corps et le regard fixé au plafond.


3

Les surprises du voyage à Zurich

Dans le taxi qui les ramenait à leur hôtel, les deux femmes commencèrent par garder le silence. Prudent en ce qui concernait Marie-Angéline qui, son action d’éclat passée, se demandait si elle n’allait pas lui occasionner une verte mercuriale mais Mme de Sommières en était à cent lieues. Elle songeait à cette Lisa inconnue qu’elle venait de découvrir. Une Lisa que la nouvelle d’Aldo à deux doigts de la mort et peut-être déjà mort n’avait pas semblé émouvoir le moins du monde. Seule comptait la trahison…

– Ce n’est pas possible, conclut-elle enfin comme si elle se parlait à elle-même. On nous l’a changée. Que son époux soit mourant ne l’intéresse pas. En noircissant le tableau j’espérais susciter un mouvement spontané, un cri peut-être… mais non ! Elle avait plutôt l’air de considérer sa fin prochaine comme un châtiment mérité.

– Elle a lu la lettre de Mrs. Belmont ?

– Oui. J’ai au moins obtenu cela.

– Et qu’en a-t-elle dit ?

– Pas grand-chose ! Sinon qu’elle n’est absolument pas convaincue.

– Elle a pleuré pourtant ? J’ai entendu à travers la porte !

– Oui, mais il s’agissait de sa fausse couche… et surtout parce que cet accident l’a privée de tout espoir de fabriquer d’autres enfants…

– Trois ce n’est déjà pas si mal !

– C’est ce que je lui ai dit. Et puis le cousin Gaspard est arrivé… et vous savez la suite !

– Euh… oui ! J’espère seulement que mon geste… vengeur ne nous a pas trop contrariée ?

– Pas du tout ! Je dirai même au contraire que j’approuve puisque c’est lui qui a commencé…

– Il y a une chose à laquelle nous n’avons pas pris garde. J’ai trouvé bizarre cette clinique où l’on n’entend aucun bruit, surtout si elle est gynécologique. Pas de vagissements, pas de cris de bébés, pas de chariots qui roulent, pas d’allées et venues ! Dans la chambre de Lisa, en dehors de sa blancheur absolue, aucun signe médical ! Même pas de feuille de température ! Curieux, non ?

– En effet ! J’avoue ne pas y avoir prêté attention !

– Moi si puisque je n’avais rien d’autre à faire dans mon couloir…

On arrivait à l’hôtel dont le voiturier ouvrait déjà la porte du taxi pour aider la marquise à descendre tandis que Marie-Angéline payait. Mme de Sommières, elle, se dirigea droit sur la réception. Un bref dialogue avec le portier et elle rejoignit Plan-Crépin près des ascenseurs. Elle couvait visiblement une colère qu’elle ne jugea pas utile de faire partager au liftier. Ce ne fut que quand la porte de leur appartement se fut refermée qu’elle lâcha les vannes :

– Voulez-vous m’expliquer ce que Lisa fait dans une clinique psychiatrique ?

– Hein ?

– Vous avez bien entendu. Le docteur Morgenthal qui la dirige est un neurologue distingué. Il n’y reçoit que le dessus du panier. Et comme il se doit ses soins sont hors de prix !

– Une maison pour piqués de luxe, je vois ! Je commence à comprendre pourquoi, à Venise, Guy Buteau n’a pas pu obtenir le nom de l’établissement où Lisa a perdu son enfant ! Évidemment, après le voyage assez terrifiant qu’elle a accompli pour porter la rançon et les sévices qu’elle a subis quand elle a failli brûler avec Aldo, Pauline et Wishbone, la perte de l’enfant a pu agir violemment sur ses nerfs déjà malmenés par l’aventure de son époux.

– Oui… Pauvre Lisa ! Je me reproche à présent de lui avoir parlé comme je l’ai fait… Elle méritait plus de ménagements !

– Je n’en suis pas certaine. Souvenons-nous de sa quasi-indifférence quand nous avons évoqué la mort possible d’Aldo. De même pour les enfants : ils sont à Vienne donc tout est pour le mieux ! Nous sommes loin de cette Lisa qui aimait Venise au point de ne plus envisager de vivre ailleurs. Je me demande ce qu’elle répondra quand ils lui demanderont des nouvelles de leur père.

– Vous n’allez pas un peu loin ?

– Peut-être, pourtant je ne peux m’ôter de l’esprit une idée qui, j’en suis persuadée, n’a rien de saugrenu : la femme que nous venons de voir n’est plus cette Lisa que nous aimions tant. Et je me demande à présent si ce changement n’a pas un rapport avec cette clinique… neurologique ?

– Vous pensez qu’elle est en train de devenir folle ?

– Pas vraiment, mais Dieu seul sait quel genre de soins on lui donne et ce qu’on peut lui faire avaler sous le prétexte commode de soigner un choc nerveux – réel, je n’en doute pas ! – subi à la Croix-Haute !

– Vous pensez à quoi ? À une drogue ?

– Pourquoi pas ? Je n’ai jamais eu une confiance illimitée en ce genre d’établissement. N’aurait-il pas été préférable pour Lisa, après sa fausse couche, d’être conduite près de la grand-mère qu’elle adore ? À fortiori si les petits sont chez elle. Au lieu de cela on l’installe dans un univers aussi déprimant que possible ! Grand confort mais grand silence avec le seul cousin Gaspard comme chef d’orchestre ! Celui-là je le trouve plus qu’envahissant.

– Vous n’êtes pas la seule et je m’étonne que son père la laisse entièrement sous sa coupe. Il est à Londres, soit ! Mais pour combien de temps encore ? Les voyages d’un banquier de sa trempe dépassent rarement deux ou trois jours ! Rappelez donc la banque et demandez-leur quand Moritz Kledermann doit revenir.

Quelques minutes plus tard le secrétaire du banquier répondait, fort aimablement d’ailleurs,… qu’il l’ignorait.

– Dites, s’il vous plaît, à Mme la marquise de Sommières qu’à mon immense regret je ne peux lui répondre. M. Kledermann peut rentrer demain, la semaine prochaine ou dans quinze jours. Les affaires dont il s’occupe sont très importantes et, en ce qui me concerne, je ne l’attends guère avant une semaine. Cependant, comme il s’agit de sa famille, vous pouvez le joindre : il descend toujours au Savoy… mais pour le week-end il se rend volontiers à Hever Castle chez son ami lord Astor.

– Voilà ! conclut Plan-Crépin. Je ne sais pas ce que nous en pensons mais je nous vois mal discuter de tout cela au téléphone…

– Il ne peut pas en être question ! C’est beaucoup trop grave et je vous avoue, Plan-Crépin, que je me sens assez désorientée. Attendre un ou deux jours passerait encore, mais nous ne pouvons pas rester ici plus longtemps ! À quoi faire d’ailleurs ? À nous morfondre, car je suis à peu près persuadée que si nous retournons à cette fichue clinique on ne nous permettra pas de voir Lisa ! Ce n’est pas un cousin qu’elle a c’est un chien de garde qui m’a tout l’air d’être un brin trop sûr de lui ! N’oubliez pas qu’il est amoureux d’elle depuis l’adolescence, qu’il exècre Aldo et je le crois prêt à tout pour lui arracher sa femme… En outre, j’ai hâte de voir où en est notre blessé !

– Conclusion : nous rentrons à Tours ?

– Oui, nous rentrons ! Je voudrais parler de tout cela à Adalbert ! Cependant, et puisqu’il n’est pas possible de nous entretenir avec Kledermann, je vais lui laisser un mot.

– Pour lui raconter ce que nous avons vu à la clinique ?

– Non. Pour lui dire que je souhaite vivement avoir une conversation avec lui, donner des nouvelles d’Aldo et signaler qu’il va prochainement – du moins je l’espère ! – s’installer chez nous pour y passer sa convalescence. Pas davantage. Il y a des choses dont on ne peut s’entretenir que face à face. Vous irez vous-même porter cette lettre à son secrétaire, monsieur… ?

– Walter Leinsdorf, se hâta de compléter Marie-Angéline qui savait l’agacement que causaient à la marquise ses soudaines – et rares ! – pertes de mémoire.

– Merci. Avons-nous un train pour ce soir ?

– Il doit y en avoir un qui part en ce moment et un autre à vingt-deux heures trente. Mais si je peux me permettre ?

– Bien sûr que vous pouvez ! Comme si vous ne le saviez pas !

– Ne vaudrait-il pas mieux, après une aventure aussi éprouvante, essayer de nous détendre, passer une bonne nuit dans cet hôtel qu’Aldo apprécie particulièrement au lieu d’en vivre une mauvaise dans un sleeping où nous aurons toutes les peines du monde à dormir pour arriver à Paris rompue, filer à la gare d’Austerlitz, sauter dans un autre train et pour finir…

– Arrêtez avant de prédire que je m’écroulerai en larmes dans les bras d’Adalbert ! Ce n’est pas du tout mon genre mais vous pourriez avoir raison ! J’ai grand besoin de retrouver mon calme. Appelez pour que l’on serve mon champagne habituel après quoi j’écrirai cette lettre que vous irez remettre à M. Leinsdorf. Je vais la cacheter afin d’être sûre que personne ne l’ouvrira avant Moritz. Par la même occasion vous nous retiendrez des places dans le train… Après quoi vous nous ferez monter la carte pour que nous puissions dîner tranquillement ici. Je n’ai aucune envie de me montrer en public…

Une heure plus tard, Plan-Crépin revenait de la banque où elle avait accompli sa mission. En temps normal elle y serait allée à pied mais la nuit était tombée, ramenant la neige, et elle avait pris un taxi qui l’avait attendue pendant qu’elle remettait la lettre… Sa voiture se dirigeait vers l’entrée de l’hôtel quand une grosse Bugatti lui coupa le passage. Le chauffeur du taxi avait dû freiner pour l’éviter et dévida une collection d’injures qui n’eurent pas l’air d’affecter le pilote du bolide. Il les accueillit avec un haussement d’épaules, sortit de son véhicule, en donna les clefs au voiturier pour qu’il le lui gare et pénétra dans le hall en homme pressé. Le taxi de Marie-Angéline, loin d’être calmé, stoppa à son tour et prit sa cliente à témoin !

– Vous avez vu, madame ? Mais qu’est-ce qui m’a fichu un malappris pareil !

– Vous le connaissez ?

– Non, mais ce n’est pas difficile de deviner qui il est : l’un de ces crâneurs qui se croient tout permis parce qu’ils conduisent une voiture de luxe qu’ils ont dû payer les yeux de la tête ! Encore heureux que je ne l’aie pas touché ! Je vous parie que les torts auraient été pour moi.

– Sans aucun doute, mais, grâce à Dieu, vous maîtrisez magnifiquement votre automobile. Oubliez ce vilain bonhomme !

Pour l’y aider, elle le gratifia d’un généreux pourboire et entra à son tour dans l’hôtel suivie par de chaleureux remerciements qu’elle n’entendit pas. Son instinct lui soufflait qu’il lui fallait découvrir à tout prix ce que Gaspard Grindel venait faire.

En franchissant la porte, elle le vit se diriger vers le bar qui, à cette heure, était très animé. Elle hésita un instant à le suivre, craignant un peu de se faire remarquer parce qu’il devait y avoir surtout des hommes, mais la façon dont elle était habillée n’avait rien pour susciter les regards… pour une fois ! Son manteau d’épais lainage brun réchauffé de castor et le chapeau de même couleur au bord retroussé sur la nuque, l’ensemble du bon faiseur n’étaient pas de ceux qui attirent l’attention. Les mains au fond de ses poches – elle n’avait pas pris de sac –, elle risqua d’abord un œil prudent, avança d’un pas puis d’un autre. Il y avait en effet beaucoup de monde mais les conversations allaient bon train et personne ne la regardait. Alors elle fit un pas de plus, se hissa sur la pointe des pieds, tourna la tête à droite puis à gauche et enfin aperçut le dos de celui qu’elle cherchait. Il était assis à une table du fond parlant avec animation avec un homme dont le visage qu’elle put voir de face lui fit mettre précipitamment sa main devant sa bouche pour retenir un cri de stupeur. Un moment elle resta là, figée, puis, lentement, elle recula et alla s’asseoir dans un des fauteuils du hall afin d’y reprendre ses esprits. Elle n’était pas facile à surprendre, encore moins sujette aux pâmoisons, pourtant ses jambes tremblaient assez pour lui faire craindre de s’étaler au vu de tous ces gens…

Il fallait réagir et surtout se calmer. Elle prit quelques aspirations profondes le temps de permettre à son cœur de retrouver un rythme normal mais elle devait avoir une mine affreuse car un serveur s’approcha d’elle :

– Vous ne vous sentez pas bien, madame ?

Elle leva sur lui des yeux de noyée :

– Oh, ce n’est rien !… Un léger malaise qui va passer !

– Voulez-vous que je vous apporte quelque chose ? Un café peut-être ?

– Plutôt un whisky !… Un double !

S’il fut surpris il n’en montra rien comme il convenait dans une maison de cette classe et, trois minutes plus tard, Marie-Angéline signait la note en indiquant le numéro de la « suite », ajoutait un pourboire qui épanouit le visage du garçon et, sous ses yeux effarés, avala son verre d’un trait et retrouva le sourire :

– Merci ! dit-elle. Ça va infiniment mieux !

Elle allait quitter son fauteuil et le palmier qui l’abritait quand deux hommes passèrent auprès d’elle sans lui prêter attention : l’un était le cousin Gaspard et l’autre celui qui l’avait tant tourneboulée. Ils se dirigèrent vers la réception où « l’autre » laissa sa clef au portier et quittèrent l’hôtel.

Sans respirer, Plan-Crépin fonça sur ses pieds et bondit à la réception :

– Excusez ma curiosité, dit-elle à l’homme aux clefs d’or, mais il me semble avoir reconnu la personne qui vient de sortir en laissant sa clef. C’est bien le marquis della Valle ?

Elle arborait un grand sourire et en reçut un autre en échange :

– Oh non, c’est le comte de Gandia-Catannei…

– Vous êtes sûr ?

– Tout à fait, madame. C’est l’un de nos bons clients. Il ne peut y avoir d’erreur !

Elle brûlait d’envie de demander son adresse mais aucune excuse ne le justifierait. Il fallut bien en rester là.

– Tant pis ! soupira-t-elle. Je suis victime d’une ressemblance !

– Ce sont des choses qui arrivent, madame ! fit-il compatissant.

Négligeant les ascenseurs, bondés, Marie-Angéline se rua dans l’escalier. Elle n’y avait pas grand mérite car elles logeaient au premier étage. La marquise l’accueillit d’un :

– Vous en avez mis du temps !… Et vous avez l’air toute retournée ? Voulez-vous un peu de champagne ?

– Non merci ! J’ai bu un whisky en bas !

– Un whisky ? Vous ?… Qu’est-ce qui vous a pris ?

– Oh, j’en avais un besoin énorme comme nous allons bientôt le comprendre. En revenant de la banque, mon taxi a failli entrer en collision avec la Bugatti du cousin Gaspard. Il en est sorti en courant et s’est précipité au bar de l’hôtel où je l’ai naturellement suivi… et là je l’ai vu rejoindre... oh, c’est tellement inouï que je me demande encore si je n’ai pas fait un cauchemar…

– Accouchez, bon sang ! Qui a-t-il rencontré ?

– César Borgia… Je veux dire Ottavio Fanchetti !… qui se fait appeler maintenant le comte de Gandia-Catannei !

– Répétez-moi ça !

Le silence qui suit les cataclysmes s’installa quand Marie-Angéline eut bissé son coup de théâtre mais Mme de Sommières ne jugea pas utile de s’asseoir ni même de recourir à son élixir préféré. Les bras croisés sur la poitrine, elle se mit seulement à arpenter le salon, réfléchissant si visiblement que Plan-Crépin n’osa pas poser de question.

Tout de même, au bout d’un moment et la promenade s’éternisant, elle hasarda :

– Qu’allons-nous faire ?

– Rien pour l’instant sinon réintégrer d’abord Paris comme nous l’avions décidé…

– Mais enfin, on ne peut pas prévenir la police ? C’est un assassin en fuite…

– … et la Suisse – vous devriez le savoir vous qui savez tout – est un refuge pour les terroristes ou autres malfaiteurs pourvu qu’ils aient les moyens d’y subsister. N’oubliez pas que ce pays a le statut de neutralité. Ce que vous avez découvert n’en est pas moins important puisque nous savons maintenant que le cousin Gaspard a partie liée avec ce misérable, ce qui explique la facilité avec laquelle ce soi disant champion de la route a pu suivre les ravisseurs de Lisa. Vous êtes sûre qu’ils ne vous ont pas vue ?

– Là je suis formelle !

– C’est le principal. Demain donc nous rentrons mais au lieu de nous précipiter à Tours, nous prendrons le temps d’aller raconter notre histoire à Langlois. Ensuite Tours pour voir où en est Aldo que j’aimerais bien pouvoir ramener à Paris, et surtout retrouver Adalbert ! Que vous le vouliez ou non, Plan-Crépin, nous avons besoin de l’aide des hommes parce que l’affaire est trop grave ! Qui sait si Lisa et même son père ne sont pas en danger ?

– C’est ce que je redoute ! Puis jetant un coup d’œil à sa montre : J’ai encore le temps de télégraphier à Langlois pour le prévenir de notre arrivée et lui mettre la puce à l’oreille. Il ne manquerait plus qu’il soit absent !

– Ce n’est pas une mauvaise idée !

Non seulement le commissaire principal n’était pas absent mais il arpentait le quai de la gare de l’Est le lendemain en fin d’après-midi à l’arrivée du train de Zurich… Le wagon Pullman s’arrêta juste à sa hauteur et ce fut sa main qui se tendit pour aider celles qu’il venait chercher.

– Oh, vous vous êtes dérangé ? C’est vraiment trop gentil ! s’exclama la marquise tandis qu’il recoiffait son chapeau à bord roulé après l’avoir saluée.

– Vous voulez dire que je ne tenais plus en place depuis que m’est arrivé le télégramme de Mlle du Plan-Crépin. Aussi ai-je prié votre chauffeur de ne pas se déranger : je vous ramène chez vous !

– Alors vous dînez avec nous ?

– Une autre fois si vous le permettez, madame ! Pour ce soir je sens que je vais avoir du travail !

Une limousine noire et deux agents sur le siège avant – voiture de fonction sans doute ! – les attendaient dans la cour de la gare. Les dames prirent place sur la banquette arrière, le policier sur un strapontin adossé à la glace de séparation qu’il referma.

– Voilà ! fit-il en se retournant vers elles. Vous m’annoncez que vous avez fait une importante découverte. Aussi suis-je tout ouïe !

– Allez-y, Plan-Crépin ! Moi, je me sens trop nerveuse pour ne pas me perdre dans les détails ! Racontez-lui notre journée d’hier.

À mesure que se déroulait le récit – net et précis d’ailleurs ! – le visage de Langlois d’abord souriant s’assombrissait :

– Vous avez eu raison de m’appeler sur-le-champ, dit-il quand elle eut fini. Ce que vous m’apprenez est des plus grave ! Jamais je n’aurais imaginé une quelconque collusion entre les meurtriers de la Croix-Haute et la famille de la princesse Lisa ! C’est… c’est insensé !

– Cela me paraît plutôt regrettablement humain, mon cher ami. Gaspard Grindel est amoureux de Lisa depuis toujours, je crois, et il n’a jamais cessé de détester son époux… À propos, avez-vous de ses nouvelles ?

– J’en ai eu ce matin par Vidal-Pellicorne. L’amélioration se confirme et il commence à mener la vie dure à ses infirmières tant il a hâte de quitter l’hôpital ! Le silence de sa femme l’angoisse !

– Qu’est-ce que ce serait s’il connaissait la vérité ! On va lui parler de sa fausse couche, du fait qu’elle ne pourra plus avoir d’enfants, ce qu’elle n’arrive pas à admettre et il devrait se calmer au moins pour un temps : celui de sa convalescence chez nous par exemple ?

– Deux mois si mes renseignements sont exacts. C’est long ! Vous allez avoir du mal à le faire tenir tranquille !

– On s’y attend ! soupira Tante Amélie, mais cela nous laisse tout de même un peu de répit pour agir. Il est vrai que vous aurez certainement du fil à retordre si la tribu Borgia est réfugiée en Suisse. Vos pouvoirs prennent fin aux frontières de ce magnifique repaire.

– Les nôtres peut-être mais pas ceux d’Interpol !

– Qu’est-ce que c’est que ça ?

– Un organisme européen fondé en 1923 et dont le siège est dans la région parisienne, à Saint-Cloud, ce qui facilite les recherches en pays étrangers, même en Suisse, quoique plus difficilement si, comme je l’ai toujours pensé, nous avions plus ou moins maille à partir avec la Mafia. De toute façon, je vais informer Warren à Scotland Yard avec qui nous partageons le problème Torelli…

Quand on arriva rue Alfred-de-Vigny, Langlois sortit de la voiture juste le temps d’aider ses compagnes à descendre et les remettre à Cyprien, le vieux majordome.

– Je suppose, dit-il encore, que vous retournez à Tours ?

– Par le premier train que nous pourrons attraper ! répondit Mme de Sommières. Nous avons hâte de retrouver Aldo… et aussi Adalbert !

– Voyez aussi son toubib ! Plus tôt Aldo sera ici et plus je serai tranquille car, bien entendu, cette maison sera gardée jour et nuit en tâchant d’éviter qu’il s’en aperçoive…

– Et de lui-même, comment pensez-vous le garder ? Il aura vite compris que quelque chose ne va pas ? émit Plan-Crépin.

– Ça, ma chère demoiselle, c’est à vous que ce redoutable honneur va revenir. À vous, à cette maison et à Vidal-Pellicorne ! Naturellement, je vous tiendrai au courant !

Même nanties de ces assurances, les deux femmes n’étaient pas sans inquiétude en rejoignant Tours. Adalbert, que Langlois s’était chargé de prévenir, les attendait, si visiblement fébrile qu’il manqua s’étaler sur un chariot de bagages en courant à leur rencontre :

– Enfin vous voilà ! exhala-t-il en les embrassant à tour de rôle… Il était temps que vous reveniez : je ne sais plus quoi faire d’Aldo qui n’a pas cru longtemps – en admettant qu’il y ait cru un instant ! – à cette épidémie soudaine de coryza qui vous aurait fauchées toutes les deux à la fois !

– Comment va-t-il ?

– Ça s’arrange petit à petit mais je me demande ce que ça va donner quand il vous verra ! Langlois m’a appris que les nouvelles ne sont pas fameuses à Zurich, sans vouloir rien préciser.

– Commençons par regagner notre hôtel ! soupira Mme de Sommières… Ce genre d’événement n’est pas fait pour les courants d’air d’une gare… même de province !

– C’est si dramatique que ça ?

– Pire encore ! Rentrons vite ! Avec une tasse de café nous aurons l’esprit plus clair, conseilla Marie-Angéline.

– Je n’attendrai jamais jusque-là ! Dans ma voiture il n’y a pas d’oreilles qui traînent… et le café viendra après !

– Racontez-lui, Plan-Crépin ! Il est tellement agité qu’il est capable de nous envoyer dans le décor ! Ce n’est pas si long d’ailleurs !

À peine assise, en effet, celle-ci réitéra le récit de ce qu’avaient été ces deux jours passés à Zurich. À mesure qu’elle parlait, Adalbert semblait retrouver son calme mais quand elle en vint à ce qu’elle avait vu au bar de l’hôtel, il donna un brusque coup de volant, afin de se garer, et arrêta son moteur pour considérer la vieille fille avec stupeur :

– C’est incroyable ! lâcha-t-il. Ce Borgia de Carnaval aurait partie liée avec le cousin ?

– Pas aurait : il a ! J’ai de bons yeux tout de même ! Et ils avaient l’air de très bien s’entendre ! Une vraie paire d’amis !

– Mais comment est-ce possible ? Comment se sont-ils rencontrés ?

– Que voulez-vous que l’on vous réponde ? fit Mme de Sommières. Grindel habite à Paris et nous ignorons tout de sa façon de vivre !

– C’est juste !… et maintenant qu’il s’est posé en défenseur de la femme trompée on va avoir toutes les peines du monde à s’en débarrasser !… Sauf si on peut lui mettre sur le dos la tentative d’assassinat d’Aldo !

– Je crois qu’on peut faire confiance à Langlois pour suivre cette piste-là et, à présent, il en sait autant que nous. Laissons-le travailler en paix et occupons-nous d’Aldo ! On va faire un tour à l’hôtel pour se débarrasser des escarbilles de la SNCF…

– … et boire un café ou deux ! insista Marie-Angéline qui tenait à son idée première.

– Trois si vous voulez ! Ensuite vous nous emmenez à l’hôpital, Adalbert. Il est grand temps d’apporter un peu d’apaisement à notre blessé !

– Vous avez l’intention de tout lui dire ?

– Où serait l’apaisement ? Je vais seulement lui parler de l’accident de Lisa, de notre visite, en élaguant le maximum de ce qui pourrait augmenter sa peine : Gaspard, la clinique « neurologique », la guerre des roses, mais en insistant sur l’état de santé de Lisa sans l’affoler inutilement. Je lui parlerai de la lettre de Pauline sans lui cacher qu’elle n’a pas obtenu le succès escompté contre la rancune de Lisa ! Cela dit, redémarrez donc, Adalbert ! Nous n’allons pas finir la journée le long de ce trottoir !

– Avant que vous ne le voyiez, reprit-il en obtempérant, il y a un point que j’aimerais éclaircir : c’est l’absence de Moritz Kledermann. Qu’est-ce qu’il peut bien fabriquer en Angleterre alors que sa fille unique vient d’avoir un accident assez sérieux ? Je n’y connais pas grand-chose mais une fausse couche à plus de cinq mois ça s’appelle un accouchement prématuré et ça peut occasionner des séquelles ?

– Il est parti la veille de notre arrivée et sans doute pleinement rassuré sur l’état de sa fille, expliqua Mme de Sommières. Donc aucune raison de reporter à plus tard des affaires sûrement importantes. Et de toute façon, on sait qu’il descend au Savoy ou chez son ami lord Astor pour le week-end. Satisfait ?

– Pour le moment, oui !

Quand elle se retrouva assise au chevet d’Aldo avec Plan-Crépin en vis-à-vis, Tante Amélie put constater qu’il allait beaucoup mieux – ce qui était une bonne chose ! – et aussi qu’il récupérait ses facultés mentales à une allure record ! C’était sans doute très réconfortant mais ne lui facilitait pas la tâche. Même s’il avait accueilli les deux femmes avec un sourire radieux !

– Donnez-moi vite les nouvelles que vous apportez… car, bien entendu, je n’ai pas cru un mot de ce rhume affreux qui vous retenait au lit. Et d’abord d’où venez-vous ? Tout de même pas de Venise ?

– Non. De Zurich ! Un coup de téléphone de Guy Buteau nous avait appris qu’en arrivant là-bas, Lisa avait eu un accident… Pas gravissime, rassure-toi ! se dépêcha-t-elle d’ajouter en le voyant pâlir. Elle était enceinte d’un peu plus de cinq mois, elle a fait une chute et elle a perdu l’enfant !

– Mon Dieu, une chute ! Après ce qu’elle avait vécu dans ce château de malheur ? Comment va-t-elle ?

– Aussi bien que possible ! Elle est encore à la clinique mais nous pensons qu’elle ne tardera plus à en sortir.

Il y eut un petit silence, après quoi Aldo demanda :

– Vous lui avez parlé de moi ?

– Naturellement, et je ne te cacherai pas qu’elle n’envisage pas dans l’immédiat de te pardonner ! Cependant, elle a accepté de lire, devant moi, la lettre que je lui apportais. Pauline me l’avait remise avant de partir. Une très belle lettre où elle prenait à sa charge votre rencontre dans le train, avouait l’amour qu’elle te porte mais précisait qu’elle n’était pas payée de retour et qu’en réalité tu n’aimais qu’une seule femme : la tienne !

– Qu’a-t-elle répondu ?

– Rien. Elle a soigneusement replié la lettre et la mise sous son oreiller. Ce qui permet d’espérer qu’elle la relira…

– … ou l’aura déchirée après votre départ… murmura-t-il.

– Vous devriez essayer l’optimisme ! C’est meilleur pour la guérison ! assura Marie-Angéline.

– Pardonnez-moi ! Je vous paie bien mal de vous être imposé ce voyage dont vous n’aviez nul besoin. Avez-vous vu mon beau-père ?

– Non ! Il est parti pour Londres dès qu’il a été tranquillisé sur l’état de santé de sa fille. Son secrétaire nous a fait savoir qu’il comptait y rester quelques jours et nous ne pouvions pas nous permettre de nous attarder très longtemps.

– Ainsi elle est seule à Zurich ? Pourquoi n’est-elle pas allée à Vienne rejoindre les enfants et leur grand-mère ?

– C’est sans doute ce qu’elle fera quand elle sera moins fatiguée. C’est une véritable épreuve qu’elle vient de subir, tu sais ? Et te savoir si atteint n’a pas arrangé les choses !

– Je ne suis pas sûre que ce soit à ce propos, renchérit effrontément Marie-Angéline, mais je l’ai entendue pleurer… En effet, vous pensez bien que je n’ai pas pénétré dans la chambre et que j’ai attendu dans le couloir. Je suis persuadée, Aldo, qu’il vous faut prendre votre mal en patience ! Vous sortirez bientôt d’ici pour votre convalescence à Paris. Cela vous donnera à l’un comme à l’autre le temps de cicatriser…

– Je n’en suis pas certain. Vous oubliez que Langlois a l’intention de l’interroger ?

– Il ne va pas lui sauter dessus toutes affaires cessantes… Son état de santé demande des ménagements d’autant. – Tante Amélie prit un ultime temps de réflexion avant de lâcher – Il vaut tout de même mieux te le dire afin que tu accordes à ta femme quelques circonstances atténuantes…

– Tous les torts sont pour moi ! Pas pour elle ! J’ai la certitude qu’elle n’est pas impliquée dans ce qui m’est arrivé. Alors ?

– Elle ne pourra plus avoir d’enfants ! Tu me diras qu’avec trois réussis elle devrait en souffrir moins qu’une autre…

– Non ! Elle doit ressentir cela comme une blessure… se sentir amoindrie… Ma pauvre Lisa !

– On va se mettre à la recherche du docteur Lhermitte afin de savoir quand on peut te ramener !

– Le plus vite possible ! Sans vouloir me montrer ingrat, j’en ai par-dessus la tête de l’hôpital !

Elles allaient atteindre la porte quand il ajouta, subrepticement :

– Pendant que j’y pense, vous n’auriez pas, par hasard, aperçu le cousin Gaspard lors de votre visite ?

Elles n’échangèrent même pas un regard :

– Mon Dieu non ! répondit l’une.

– Absolument pas, confirma l’autre. Vous venez Plan-Crépin ?

Un dernier sourire, un petit geste de la main et elles étaient dehors.

– Vous mentez infiniment mieux que moi ! apprécia Mme de Sommières. Vous n’avez même pas rougi.

– Mais nous non plus sauf le respect que je nous dois ! Preuve que nous avons au moins de bonnes dispositions ! Cela dit si nous avions avoué l’épisode des roses et la suite, il serait déjà dans la rue en train de héler un taxi pour se faire conduire à la gare !

Elles auraient été fort déçues si elles avaient pu savoir que leur belle unanimité n’avait pas convaincu Aldo. Il les connaissait trop bien toutes les deux ! Mais il ne quitta pas son lit pour autant. Tout au contraire, il plongea dans une profonde réflexion d’où il n’émergea qu’à la venue de son dîner qu’apportait – par faveur spéciale ! – Mme Vernon :

– Oh, je vous ai dérangé, s’excusa-t-elle. Vous dormiez…


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