Текст книги "La collection Kledermann"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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– On dirait que la hache de guerre n’est pas encore enterrée entre vous deux ? Mais c’est vrai qu’il la déteste.
– Alors pourquoi ?
– Lisa ! Lisa elle-même qui poussait les hauts cris et jurait qu’elle partirait avec elle. Que ses soins lui étaient indispensables…
Le visage d’Aldo se durcit, le ton de sa voix aussi :
– Pardonnez-moi mais… les enfants dans cette histoire ? Mes enfants, appuya-t-il.
– Rassurez-vous ! Ils sont à Rudolfskrone dans leur « maison » et avec mon personnel qui les adore. Je les ai envoyés dès le retour de Lisa. Je ne voulais pas qu’ils voient leur mère dans l’état où on l’a mise. On leur a seulement dit qu’elle était malade et avait besoin d’un long repos… ce qui est plus vrai que jamais ! Et maintenant la mort de son père ! J’en redoute les conséquences !
– Peut-être seront-elles moins dramatiques si Frau Wegener est écartée définitivement… et je pense que c’est chose acquise ! Parlons à présent de Moritz. Évitez, je vous en supplie, toute réaction visible à ce que je vais vous confier !…
– Quoi donc ?
– Je ne suis pas certain que ce soit lui que l’on vient de porter en terre. Vidal-Pellicorne non plus…
Elle leva vers lui un regard effaré :
– Vous êtes sérieux ?
– On ne peut plus ! Peut-être avez-vous aperçu – ou peut-être pas car ils savent se faire discrets et il y avait beaucoup de monde – deux personnages assez remarquables d’ailleurs, deux hommes de haute taille en costume de voyage. Ils n’ont pas signé les registres et ne parlaient à personne… se contentant d’observer.
– Non. Qui étaient-ce ?
– Le Chief Superintendant Gordon Warren, de Scotland Yard, et le grand patron de la Sûreté française Pierre Langlois avec lesquels nous avons lié amitié, Adalbert et moi. Vous pensez bien que des hommes de cette envergure ne se déplacent pas aisément même pour une personnalité comme Kledermann.
– Et vous, comment en êtes-vous venu à… ce que vous venez de dire ?
Aldo raconta alors sa visite à l’institut médico-légal, l’impression ressentie en face de l’affreux cadavre, l’intervention de Grindel et comment il avait emporté la décision sur une « preuve irréfutable » que Lisa avait d’ailleurs confirmée par téléphone à Langlois…
– Bizarre en effet tout cela ! Et que comptez-vous faire à présent ?
– Essayer de retrouver mon beau-père et de confondre les assassins avec l’aide d’Adalbert… et de quelques autres ! Aussi ne désespérez pas, chère grand-mère !… et parlez-moi des petits ! Ils me manquent, vous savez ?
– Et vous leur manquez aussi ! Surtout aux jumeaux bien sûr ! Avec l’imagination qui commence à leur venir, ils voient en vous une sorte d’aventurier génial, un chasseur de trésors doublé d’un chevalier voué – Dieu sait pourquoi ! – à la protection de la veuve et de l’orphelin ! Antonio estime même que vous avez, cachée dans un endroit secret, une armure que vous revêtez avant de vous lancer à la chasse aux brigands. Ce qui exaspère sa mère en bonne Suissesse qui se respecte !
– Ne les détrompez pas ! Laissez-les rêver ! Et embrassez-les pour moi ! J’espère que vous allez ramener leur mère auprès d’eux ?
– Je le voudrais mais je ne sais pas quand ! Cela va dépendre un peu du testament ! Mon Dieu ! Je l’avais oublié celui-là ! Et après ce que vous venez de me dire cela paraît tellement absurde ! Enfin nous verrons bien !
– L’ouverture a lieu quand ?
– Demain après-midi, à la Résidence ! Vous avez dû recevoir une convocation ?
– Non, mais il est possible qu’elle m’attende à Paris ou à Venise si elle a été envoyée ces jours derniers… À quelle heure ?
– Trois heures ! Soyez exact ! Maître Hirchberg, le notaire, est très pointilleux là-dessus. Les portes seront fermées à trois heures cinq !
– Je n’en doute pas un seul instant !
Le souvenir qu’il gardait du notaire zurichois quand il était allé à Vienne pour la signature de son contrat de mariage avec Lisa… il y avait déjà quelques années, était celui d’un homme aussi peu récréatif que possible. Et qui n’avait pas dû beaucoup changer. De taille moyenne mais sec comme un sarment sous des cheveux poivre et sel taillés en brosse, des traits sévères, un grand nez chaussé d’un lorgnon derrière lequel il abritait la seule originalité de sa personne – des yeux vairons : un brun, un gris. Il suivait une mode qui n’avait pas bougé depuis le début du siècle : redingote noire, gilet noir barré d’une chaîne de montre grosse comme un câble d’amarrage. Sauf que la brosse grise était devenue blanche, c’était toujours le même personnage et, quand il l’avait vu pour la première fois, Aldo avait pensé qu’il était l’image même de la loi et que la robe de juge aurait dû lui convenir, mais quand le nouveau marié avait fait part de ses réflexions à celui qui devenait son beau-père, celui-ci s’était mis à rire :
– Je vous accorde qu’il n’est pas d’une franche gaieté mais il pourrait poser pour la statue de l’intégrité. Il ne badine ni avec le code ni avec l’argent des autres !
Aussi Aldo fut-il surpris quand, pénétrant dans le cabinet de travail de Moritz, maître Hirchberg lui avait serré la main avec quelque chose qui ressemblait à de la chaleur en disant :
– J’aurais préféré, prince, vous revoir en d’autres circonstances. Veuillez accepter mes condoléances attristées et prendre place !
– Merci, maître mais… devons-nous rester seuls ?
En effet, depuis son arrivée dans cette maison qu’il connaissait si bien, dans cette pièce où tout évoquait la personnalité de Kledermann, il n’avait rencontré que Grüber, le quasi britannique maître d’hôtel qui l’avait accueilli d’une voix enrouée, une larme discrète au coin de l’œil, et avait bien failli lui tomber dans les bras. Le notaire avait alors tiré sa grosse montre en or de son gousset.
– Non, rassurez-vous ! Il n’est que trois heures moins cinq !
Il la remettait en place quand Grüber introduisit Lisa que suivaient sa grand-mère et Gaspard Grindel. La jeune femme avait apparemment surmonté sa détresse de la veille. Elle salua d’un signe de tête son mari qui s’inclina avant de baiser la main de Mme von Adlerstein. Quant à Grindel, Aldo n’eut pas l’air de le voir. Ce qui était plus que préférable en la circonstance afin de mieux retenir une envie pressante de lui casser la figure.
Quand chacun eut pris place dans les fauteuils alignés devant le grand bureau Louis XV en bois précieux signé Roentgen, vierge de tout papier, le notaire adressa une courte mais délicate allocution à cette famille durement touchée par la perte d’un homme exceptionnel dont il s’honorait d’avoir été l’ami depuis de longues années. Après quoi il prit une serviette de cuir noir posée auprès de lui, l’ouvrit et en tira une épaisse enveloppe protégée par des cachets de cire qu’il brisa avant d’en sortir un dossier qu’il déposa devant lui :
– Je vais à présent procéder à la lecture du dernier testament. Il est rédigé tout entier de la main de Moritz Kledermann. Établi après la naissance de ses petits-enfants, il annule naturellement ceux écrits précédemment.
– Il me paraît bien épais ! remarqua Grindel en humectant nerveusement ses lèvres sèches.
– Cela tient à ce que le défunt y détaille tous les éléments d’une fortune imposante et d’une collection de joyaux qui ne l’est pas moins… Maintenant, veuillez, s’il vous plaît, ne plus m’interrompre !
À mesure que défilait l’énumération des biens composant la fortune de Kledermann, Aldo s’efforçait de ne pas montrer sa surprise. Il savait son beau-père fort riche mais ne l’imaginait pas à ce niveau et en vint à se demander s’il ne dépassait pas largement Cornélius B. Wishbone, le milliardaire texan. Outre la banque et le palais de la Goldenküste, il possédait des terres, des immeubles en Suisse, en France, en Angleterre et aux Pays-Bas. Il finit par se désintéresser de la nomenclature pour observer Grindel. Visiblement, il découvrait lui aussi l’ampleur du patrimoine et sa langue n’arrêtait plus d’humecter ses lèvres. Quant à Lisa, immobile et pour ainsi dire absente, elle ne semblait pas concernée.
Soudain le notaire fit une pause :
– Avant d’en venir à la collection, qui est à part, je vais vous donner lecture des bénéficiaires.
Il y en avait aussi pas mal. Moritz avait été un homme généreux s’intéressant à la misère d’autrui. Après l’énumération d’un certain nombre d’associations charitables, vint celle des serviteurs dont aucun n’était oublié, puis le neveu qui héritait de la succursale de Paris, d’un immeuble à Zurich et d’une maison sur le lac. Enfin tout le reste allait à Lisa qui ne bronchait toujours pas.
– Je suppose que je ne vous surprends pas beaucoup, ma chère princesse ? fit aimablement maître Hirchberg.
– Pas vraiment ! Je sais que mon père était la générosité même !
– Malheureusement, soupira Grindel avec âme, ces largesses ne compensent pas son absence !
– Sans doute ! Venons-en à la collection !
Dans le dossier, il prit une enveloppe cachetée de cire elle aussi, l’ouvrit et fit tomber sur le cuir du sous-main une feuille de papier pliée et une petite clef qu’Aldo reconnut aussitôt :
– Comment se fait-il qu’elle soit là, maître ? C’est la clef qu’il portait au cou et qui ne le quittait jamais…
– Non. C’est un double qu’il avait fait faire afin de la joindre à ses dernières volontés. Je ne l’ai même jamais vue car il me l’a remise toute cachetée !… Je dois vous apprendre qu’il y a un an environ, M. Kledermann a modifié ses dispositions testamentaires au sujet de sa collection… Auparavant elle vous était destinée, Lisa, en précisant qu’elle devait être gérée par le prince Morosini ici présent, et qu’au cas où vous la refuseriez – il pensait que vous n’éprouviez pas la même passion que lui pour ces étincelantes splendeurs – elle irait à vos enfants, leur père étant toujours désigné pour y veiller.
– Et qu’a-t-il changé ? demanda Mme von Adlerstein qui n’avait pas ouvert la bouche jusque-là.
– Il a pensé que cette clause était bien compliquée et que le plus simple était de la léguer directement au prince dont les enfants sont les héritiers naturels. Aussi…
– Un instant, maître ! coupa Lisa. Vous l’ignorez peut-être mais j’ai demandé le divorce.
– Le divorce n’existe pas en Italie et vous le savez parfaitement ! répliqua maître Hirchberg en fronçant le sourcil.
– Mais il existe chez nous et j’ai la double nationalité.
– Cela ne suffira pas. Si…
– Je demande aussi l’annulation en cour de Rome ! Et je suis prête à me convertir au protestantisme !
– Lisa ! s’offusqua sa grand-mère ! Comment oses-tu alors que nous venons juste de porter ton père en terre ! Ton père qui était catholique comme moi, comme ta mère, comme tes enfants ! Sache que je m’y opposerai de toutes mes forces ! Et vous, Aldo, c’est tout ce que vous trouvez à dire ?
Pensant qu’elle ne devait pas être au courant de ce dernier détail il lui sourit :
– Je le savais !… Tout ce que je peux répondre c’est que je ferai tout pour garder mes enfants ! Ils portent mon nom et cela Lisa n’y peut rien !
– Aucun juge ne les confiera à un débauché comme toi ! hurla celle-ci hors d’elle. Tu oublies que j’ai la preuve de ta trahison ! La lettre que ta maîtresse m’a écrite pour me demander pardon ne laisse aucun doute sur ta conduite ! Je l’ai conservée !
Aldo regarda sa femme et ne la reconnut pas. Elle était semblable à ce qu’elle était pourtant : les traits fins, la bouche bien dessinée dont il aimait tant les baisers, les immenses yeux violets, la peau claire, l’épaisse chevelure d’un blond ardent, mais le teint était blême, les yeux sans éclat, la bouche serrée, le corps raide. En fait, il ne manquait que les grosses lunettes cerclées d’écaille et le tailleur gris taillé en cornet de frites pour que ressuscite « Mina Van Zelden », la secrétaire hollandaise qui avait été son assistante pendant deux ans. À cette différence près que Mina avait le sens de l’humour…
– Tu ne feras pas cela ! articula-t-il lentement. Tu ne te serviras pas d’une lettre douloureuse pour t’en faire une arme contre moi.
– Crois-tu ?… C’est néanmoins ce que tu verras !
– Lisa ! s’écria sa grand-mère alarmée. Aldo a raison. Tu ne feras pas cela !
– En voilà assez ! trancha maître Hirchberg en se servant du dossier pour frapper sur le bureau. Dans l’état actuel des choses, rien de ce que vous annoncez, madame, ne peut intervenir dans mon office. Le testament doit être appliqué selon les volontés de votre père. Et je vais, à présent, remettre la collection au prince Morosini !
Allant jusqu’à la porte du cabinet de travail, il la ferma soigneusement en expliquant :
– La chambre forte ne peut être ouverte que si le bureau est fermé.
Cela fait, il traversa la grande pièce après avoir pris la clef contenue dans l’enveloppe sans oublier le papier plié qui l’accompagnait, l’introduisit dans une moulure de la bibliothèque occupant le mur du fond : une épaisse porte doublée d’acier tourna lentement sur d’invisibles gonds entraînant avec elle son habile décor de faux livres et éclairant du même coup la chambre forte.
Celle-ci devait être presque aussi vaste que le cabinet de travail mais l’espace en était réduit par la douzaine de coffres alignés le long des murs.
– Chacun d’eux possède une combinaison différente, continua le notaire. Elles sont indiquées sur ce feuillet que je ne regarderai pas, ajouta-t-il en le tendant à Aldo.
Ce ne fut pas sans émotion que ce dernier pénétra dans ce lieu aussi sacré qu’un sanctuaire pour lui, dont son beau-père, un jour, lui avait fait les honneurs. Chaque détail de ce moment magique était gravé au burin dans sa mémoire. Et aussi son émerveillement devant les trésors qu’il avait découverts. Ainsi il entendait encore la voix précise de Kledermann disant, indiquant le premier coffre à main droite :
– Celui-ci renferme une partie des bijoux de la Grande Catherine et quelques joyaux russes de provenances diverses.
Aldo revoyait nettement les longs doigts manipulant les deux grosses molettes. Il l’imita, après un coup d’œil au code et commença à tourner : à droite, à gauche, encore et encore, à droite deux fois et encore à gauche. Le lourd battant s’ouvrit dévoilant une pile d’écrins dont il prit le premier frappé de l’aigle impériale russe. Il savait qu’il avait entre les mains la célèbre parure d’améthystes et de diamants de la Sémiramis du Nord…
Sa passion des pierres reprenant le dessus, il eut pour le noble écrin un geste caressant puis l’ouvrit… et, avec un cri, le lâcha comme s’il l’avait brûlé…
Il était vide.
7
Le testament
Un profond silence salua la découverte comme si chacun retenait son souffle.
Aldo se reprit le premier, saisi d’une sorte de frénésie, il sortit les écrins l’un après l’autre, les ouvrit, passa au coffre suivant pour faire la même affolante constatation. Vides ! Ils étaient tous vides !
Envolés les bracelets de Marie-Antoinette, et cet autre composé de diamants provenant du fameux collier de la Reine, envolée la parure de saphirs de la reine Hortense, envolés les nœuds de corsage de la Du Barry, envolées les fantastiques émeraudes d’Aurengzeb, le grand sautoir de la Reine Vierge, les girandoles de diamants de Marie Leczinska, le diadème de l’impératrice Eugénie, les trois diamants de Mazarin, le cimier de rubis de Charles le Téméraire et tant d’autres merveilles patiemment rassemblées par trois générations de collectionneurs aussi patients que riches…
Et soudain, Gaspard Grindel émit une sorte de gloussement :
– Ça, c’est amusant ! Voilà une collection qui ne sera pas difficile à protéger !
Il aurait été mieux inspiré de se taire. Le poing d’Aldo partit comme une catapulte et l’envoya au tapis trop étourdi pour se relever. Lisa poussa un hurlement et voulut se précipiter à son secours mais sa grand-mère la retint avec une force inattendue chez une femme que l’âge aurait dû fragiliser :
– Non, dit-elle. C’est une affaire d’hommes et tu n’as pas à t’en mêler ! D’ailleurs nous allons sortir toutes les deux si maître Hirchberg n’y voit pas d’inconvénient et n’a plus besoin de toi !
– Non, allez vous reposer ! approuva le notaire occupé à aider la « victime » à se relever avant de l’asseoir dans un fauteuil. Nous nous reverrons plus tard pour les signatures. Pour l’heure présente, la parole est à la police que nous attendrons ici après avoir refermé cette chambre forte… dont on pourrait dire qu’elle ne l’était pas tant que ça ! À moins que vous ne désiriez continuer l’inventaire des autres coffres, prince ?
Celui-ci refusa, il serait bien temps d’y procéder tout à l’heure avec les flics. On referma donc afin de débloquer la porte du bureau. Ce qui permit à Mme von Adlerstein d’emmener Lisa sur les pas de laquelle Grindel soudain ressuscité se précipita après avoir jeté un coup d’œil venimeux à son rival en lui prédisant qu’il le lui « paierait avec le reste ! ». Aldo resta seul en compagnie du notaire qui s’était emparé du téléphone.
Avisant le cabaret de laque posé sur un meuble d’appui, il l’ouvrit, prit deux verres ballons après avoir interrogé Hirchberg du regard, y versa une honnête ration de fine Napoléon hors d’âge, revint poser l’un d’eux sur le bureau, s’assit, huma un instant l’arôme exceptionnel en le réchauffant entre ses mains, en but une gorgée… et se sentit revivre. Amusé d’ailleurs de constater que le notaire se livrait au même cérémonial en y ajoutant un :
– Tudieu ! Cela réchoupille !
Puis sans lâcher son verre :
– Que pensez-vous de cette histoire ? Comment une collection de cette importance a-t-elle pu se volatiliser ? Et sans laisser de traces…
– Son importance ne fait rien à l’affaire… dès l’instant où l’on possède la clef du trésor. Et vous savez peut-être que Kledermann ne s’en séparait jamais et la portait à son cou attachée par une chaîne d’or. L’assassin n’a eu qu’à la cueillir… et venir une belle nuit se servir !
– C’est aussi mon sentiment mais il ne suffisait pas d’ouvrir la chambre forte. Les codes des coffres étaient les principaux obstacles. Et il n’est pas possible que ce soit chez moi qu’on se les soit procurés ! Le mien n’a pas été violé et vous avez pu constater que l’emballage du testament était intact.
Il avala une copieuse gorgée de cognac et Aldo comprit que lui était venue la crainte qu’on ne lui mette sur le dos une quelconque complicité.
– Personne n’en doutera, maître ! fit-il rassurant. Vous l’ignorez sans doute, mais celui que nous avons porté au tombeau hier avait peut-être été torturé. Ses mains n’étaient plus que des lambeaux. La résistance d’un homme à la douleur, même celle de mon beau-père, a ses limites. Et puis on a eu la faculté d’user de chantage en menaçant la vie de sa fille et de ses petits-enfants !
Le notaire laissa échapper un énorme soupir de soulagement… et vida son verre :
– J’ignorais cela ! En ce cas vous devez avoir raison !
– Mais bien sûr que j’ai raison !
Il trouva même un sourire pour appuyer cette affirmation mais, dans son for intérieur, la question restait entière. Que l’on eût pris la clef au cou de Moritz était plus que probable, les codes c’était différent ! Les lui avait-on arrachés d’une façon ou d’une autre ?… Si l’on acceptait cette hypothèse, pourquoi la substitution, à laquelle il croyait de plus en plus à mesure que passait le temps ?
La venue de la police apporta une diversion.
Ce fut assez bref. À l’officier qui se présenta en excusant son patron occupé ailleurs, maître Hirchberg fit le récit de ce qui venait de se passer. On rouvrit la chambre forte, puis cette fois on ouvrit tous les coffres. Pour arriver chaque fois à la même constatation navrante : la collection avait disparu, ne laissant que des écrins vides. Les policiers chargés des empreintes en emportèrent quelques-uns, photographièrent pratiquement tout dans la chambre forte, sans oublier les listes des joyaux fixées à l’intérieur de chaque coffre, ce qui permit à Aldo désolé de constater que la collection était encore plus fabuleuse qu’il ne le croyait – « sa » collection depuis peu, du moins officiellement –, ce qui le faisait trembler à la fois d’excitation et de colère. Et tandis que le travail se poursuivait, il recopia les listes avec l’aide obligeante de maître Hirchberg.
Quand ce fut fini, il déposa une plainte contre X en tant que propriétaire, après quoi les policiers se retirèrent. Aldo referma tout et mit clef et codes dans la poche intérieure de sa veste.
– Qu’allez-vous faire maintenant ? demanda le notaire.
– Dans l’immédiat rentrer à l’hôtel. Je ne crois pas que ma femme souhaite ma présence plus longtemps. Pour aujourd’hui tout au moins ! Puis-je vous poser une question avant de vous quitter ?
– Mais je vous en prie !
– La banque ? Qui va la diriger ? J’ai noté que mon beau-père avait fait don à son neveu de sa succursale française mais qu’en est-il du siège social et du reste ?
– Le Conseil d’administration demeure sous la direction du fondé de pouvoir qui va devenir directeur général. La princesse Morosini n’aura qu’une présidence honoraire. Chez nous, ajouta-t-il avec l’ombre d’un sourire, on ne saurait confier à une femme des affaires d’hommes.
– Grindel y siégera-t-il ?
– Il pourra… S’il se maintient dans le groupe en étant propriétaire il lui est loisible de se détacher mais je ne vois pas où serait son intérêt.
– Pourquoi Moritz ne lui a-t-il pas confié la direction générale ? Il est son neveu.
– Il était, corrigea maître Hirchberg qui tenait aux détails… Au point où nous en sommes, je crois pouvoir vous faire une confidence : il ne l’aimait pas, même s’il lui reconnaissait une certaine valeur professionnelle ! Voulez-vous que je vous ramène à l’hôtel ? J’ai ma voiture en bas ! proposa-t-il en remettant en place la montre qu’il venait de consulter.
– Volontiers ! Le temps de saluer cette grande dame qui est devenue ma grand-mère et que j’aime infiniment. Je suppose qu’elle ne va pas s’éterniser à Zurich et j’espère de tout mon cœur que Lisa l’accompagnera.
– Vous pourriez l’y obliger ! En dépit de cette délirante demande en divorce, elle est toujours votre femme légitime et comme telle vous doit obéissance !
– Je sais, mais c’est un droit qu’il me déplairait d’exercer. Elle ne me le pardonnerait pas !
– Hum !… Ne m’en veuillez pas de ma franchise mais je me demande si vous n’avez pas un peu trop tendance à inverser les rôles !
En sortant du cabinet de travail, ils trouvèrent Mme von Adlerstein sur le seuil de la porte, visiblement très soucieuse :
– Savez-vous que Frau Wegener est encore ici et que Lisa s’oppose formellement à son renvoi ? fit-elle d’une voix que la colère faisait trembler.
Aldo échangea un regard avec le notaire dont les sourcils se relevèrent de façon significative.
– Attendez-moi un instant, maître… ou plutôt venez avec moi. Où est-elle ?
– Dans la bibliothèque avec cette femme. J’ajoute que Grindel y est aussi !
– Allons nous joindre à la réunion !
Il bouillait intérieurement mais s’efforça au calme… Jamais encore il n’avait fait preuve d’autorité depuis qu’ils étaient mariés et il détestait y recourir mais il n’y avait vraiment pas d’autre moyen !
La première chose qu’il vit en pénétrant dans la pièce fut la Wegener qui s’apprêtait à lui injecter on ne sait quoi. Elle avait relevé un côté de la jupe de la jeune femme dans l’intention de planter l’aiguille dans le gras de la cuisse au-dessus du bas de soie noire.
– Lâchez ça ! ordonna-t-il en fonçant sur elle.
Surprise, elle émit un glapissement et abandonna la seringue qu’Aldo tendit au notaire en lui disant de l’emballer dans ce qu’il trouverait aux fins d’analyse. Mais déjà Lisa réagissait violemment !
– De quoi vous mêlez-vous ? Sortez ! Vous n’avez rien à voir ici !
Il nota au passage l’emploi nouveau du « vous » mais ne le souligna pas. Il se contenta de hausser les épaules :
– Croyez-vous ? riposta-t-il. Il me semble, à moi, qu’il est largement temps de remettre les choses en place entre vous et moi !
– Il n’y a rien à remettre en place ! Vous avez tout brisé, tout sali…
– Une minute, voulez-vous ? Accordez-moi de faire un peu de ménage… Sortez ! intima-t-il à l’infirmière puis à Gaspard qui, debout devant une fenêtre, regardait dehors à son entrée.
Naturellement celui-ci protesta :
– Pourquoi sortirais-je alors que vous amenez le notaire sans même demander à Lisa si cela lui convient ?
– Maître Hirchberg a bien voulu consentir à servir de témoin… et vous n’avez aucun profit à l’indisposer ! Alors prenez la porte bien gentiment ! Et embarquez votre… acolyte !
– Reste, Gaspard ! s’écria Lisa. Si quelqu’un doit s’en aller ce n’est pas toi. Je suis ici chez moi et j’y reçois qui je veux !
– Pas si je m’y oppose ! Je n’aurais jamais cru qu’un jour viendrait où je devrais vous le rappeler mais je suis votre époux…
– Plus pour longtemps et…
– Si vous voulez ! Il n’en demeure pas moins que jusqu’à ce que soient tranchés entre nous les liens civils et religieux – en admettant que vous y parveniez un jour, ce dont je doute fort ! – vous êtes « ma » femme et comme telle vous m’avez juré obéissance…
– Vous osez ?
– Oui, j’ose ! Et ne vous en prenez qu’à vous-même ! En conséquence de quoi vous priez votre cousin d’aller à ses affaires et d’emmener avec lui cette Wegener dont votre grand-mère ne supporte plus la présence chez elle et que moi je ne veux plus autour de vous !
Elle eut un petit rire qui passa comme un fer rouge sur les nerfs d’Aldo puis, le dédaignant, elle s’en prit à Mme von Adlerstein :
– Grand-mère ! Je ne vous aurais jamais crue capable de vous plaindre de moi à ce débauché !
– Jamais je ne me suis plainte de toi ! Et tu le sais parfaitement, mais tu sais aussi que cette femme m’est odieuse…
– Mais j’en ai besoin !
– Non ! On a réussi à t’en persuader… et c’est un désastre ! Tu n’es plus la même, Lisa ! Ce qui me navre ! Bien sûr tu es sous le coup de deux douleurs immenses auxquelles on ne peut que compatir : la perte de cet enfant et surtout celle de ton père mais ces blessures-là ce n’est pas à coups de drogue qu’on les soigne. C’est en les confiant à ceux qui nous aiment… On les laisse vous envelopper de leur tendresse… et de leur amour !
– Leur amour ? fit-elle avec amertume. Si vous faites allusion à celui de cet homme il y a longtemps déjà que je l’ai perdu ! Croyez-vous que je ne sache pas ce qu’il vaut, moi qui le regarde vivre depuis des années ? Je sais tout de lui : les noms de ses maîtresses, la durée de ses liaisons…
Un discret grincement de porte se fit entendre mais aucun des trois protagonistes de la scène n’y fit attention : le notaire, un doigt sur la bouche, avait entraîné Grindel par le bras avec fermeté et l’évacuait hors de la pièce ainsi que Wegener. Lisa d’ailleurs poursuivait :
– … mais la plus dangereuse était à venir : cette Pauline Belmont qui l’aime passionnément, qui a eu le culot de me l’écrire…,
– … et de t’en demander pardon, coupa la vieille dame. Elle t’a écrit aussi qu’il ne l’aimait pas et qu’en cette malheureuse affaire de train, elle lui avait tendu un piège…
– … dans lequel il s’est laissé prendre avec bonheur !
– Non, Lisa, corrigea Aldo. Je l’ai regretté aussitôt… Je n’ai pas cessé de t’aimer !
– Et moi je ne vous aime plus ! Allez-vous-en ! Nous nous reverrons au tribunal !
Elle avait dit cela du ton qu’elle aurait pris pour congédier un domestique indélicat. La colère d’Aldo s’enflamma :
– Ne me poussez pas à bout ! Si nous devions nous retrouver devant des juges vous pourriez vous en repentir car jamais je ne permettrai que mes enfants…
– Laissez-les tranquilles, ils sont à moi !
– Croyez-vous ? Que vous ne vouliez plus être une Morosini cela vous regarde après tout mais eux le resteront… et aussi catholiques ! Comme mes pères… et le vôtre dont vous faites si bon marché ! Comment pensez-vous qu’il réagirait s’il était présent à cette heure ?
– J’ai toujours fait ce que j’ai voulu !
– Peut-être mal et il y a une fin à tout et cette fin c’est moi ! Quant à ce tribunal que vous réclamez à si grands cris, sachez bien qu’il ne confiera pas mes enfants à une malade – car vous l’êtes que vous l’admettiez ou non !… Tombée au pouvoir de je ne sais quelle drogue et en passe de devenir complètement cinglée !…
– Vous osez ?
– Oui, j’ose ! Mais, bon Dieu, regardez-vous ! Le chagrin que vous éprouvez n’explique pas tout ! À commencer par ce changement qui pourrait laisser supposer qu’il y a en vous deux femmes : celle que j’ai aimée… et que je continue à aimer avec sa beauté chaleureuse, son rire, son cœur immense, son charme que je ne reconnais plus ! Et une autre, froide, dure, butée à la limite de la stupidité… un visage de glace, des yeux vides, et j’ai grandement peur de savoir où cette femme-là est née…
– S’il vous plaît, Aldo, pria la comtesse Valérie. Un peu de pitié ! Songez à ce qu’elle a souffert !
– Mais j’y songe, grand-mère, j’y songe, soyez-en sûre ! Je connais mes fautes et j’étais prêt à tomber à ses pieds ! Aux pieds d’une Lisa blessée, douloureuse, plus proche de vous qu’auparavant alors que…
Un sanglot réprimé cassa sa voix. Il se détourna, toussa, chercha d’une main fébrile une cigarette qu’il alluma puis éteignit après seulement une ou deux bouffées en l’écrasant dans un cendrier. Impassible et comme absente, Lisa se contentait de le regarder comme s’il était transparent. Il eut alors un haussement d’épaules découragé…
– Je vous l’abandonne, grand-mère ! Essayez d’obtenir qu’elle comprenne ce que je m’efforce en vain de lui dire. Je reviendrai demain. À présent, je vais rejoindre maître Hirchberg pour qu’il fasse le nécessaire en ce qui concerne la Wegener ! Qu’au moins vous soyez délivrée d’elle !… Cela n’empêche, fit-il plus bas, que Lisa ait besoin de soins… mais pas de n’importe qui !…
– Oh, j’en suis consciente !… Sortons un instant, voulez-vous ? ajouta-t-elle après un coup d’œil vers Lisa qui était allée s’asseoir à côté de la fenêtre et regardait au-dehors comme s’ils avaient cessé d’exister.
Dans la galerie ils retrouvèrent maître Hirchberg qui faisait les cent pas et vint à leur rencontre :
– Ça y est ! annonça-t-il satisfait. Cette femme est partie en disant qu’elle allait en référer au docteur Morgenthal ! Je crains qu’elle ne revienne avec lui. Vous devriez faire garder cette maison par la police. Vous en avez d’autant plus le droit que la collection dont vous êtes à présent propriétaire a été volée !