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La collection Kledermann
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:49

Текст книги "La collection Kledermann"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– De qui parle-t-il ? demanda Zehnder qui n’avait pas perdu une miette de la conversation… Si toutefois je ne suis pas indiscret ?

– Pas du tout ! répondit Aldo. C’est en vérité un phénomène : Marie-Angéline du Plan-Crépin, qui est à la fois ma cousine et celle de la marquise de Sommières, ma grand-tante, auprès de qui elle exerce les fonctions aussi diverses que multiples de lectrice, demoiselle de compagnie, âme damnée – encore qu’elle soit d’une piété à toute épreuve ! –, agent de renseignements, l’ensemble servi par une mémoire photographique, la connaissance de six ou sept langues, sans oublier quelques talents annexes allant de l’escalade des toitures à une culture incroyable et à l’art d’exécuter en trois coups de crayon un portrait frappant !

– Impressionnant ! J’aimerais bien la connaître !

– On vous la présentera demain à midi si vous voulez nous faire le très grand plaisir de déjeuner avec nous au Baur ?

– Ma foi, j’en serais enchanté !

Quand on rejoignit la voiture, Aldo prit le volant tandis que les deux autres s’installaient à l’arrière. Sachant qu’à la Résidence la comtesse Valérie ne pourrait dormir avant de connaître le résultat de l’exhumation, on avait décidé de s’en remettre à Oscar Zehnder dont, fût-elle droguée jusqu’aux oreilles, Lisa ne mettrait jamais la parole en doute. Cela impliquait de le mettre au courant de l’état actuel de la situation, de ce qui l’avait déclenchée et, pour Aldo, d’une confession totale. À laquelle il consacra le trajet.

Ladite confession s’achevait juste quand Adalbert stoppa la voiture devant les marches du perron où les deux policiers étaient à leur poste.

Oscar Zehnder qui avait écouté sans le moindre commentaire et les yeux clos – au point qu’un moment Aldo s’était demandé s’il ne dormait pas – s’extirpa des coussins et sourit :

– Pas de quoi fouetter un chat ! Une histoire comme celle-là survenant dans un ménage du petit peuple se réglerait par quelques saines paires de claques, une grosse engueulade et quelques nuits passées dos à dos à remâcher ses griefs, elle se transforme dans les sphères éclairées de notre société en une parodie de tragédie grecque où chacune des parties s’efforce d’atteindre au sublime !

– Vous êtes sévère, monsieur le professeur. Il arrive aussi que l’on s’entretue chez l’ambassadeur comme chez le balayeur !

– Nettement moins chez les gens du peuple parce que l’on n’a pas les moyens de s’offrir un avocat et qu’on a les soucis de la vie quotidienne ! Ou alors on règle la question en se faisant sauter soi-même… Peut-être pour que l’infidèle n’aille pas, dans l’au-delà, batifoler avec le premier chérubin venu ! Une petite question, si vous le permettez, avant que je n’aille me mêler de ce qui ne me regarde pas. Êtes-vous sûr d’aimer toujours votre femme ?

– Oui. Sans hésitation !

– Et cette si séduisante Pauline ?

– … Un très joli souvenir qui en restera un… mais je vous ferai remarquer que cela fait deux questions !

– Et moi j’aurais préféré qu’il n’y ait pas eu dans votre voix ce léger chevrotement ! Quoi qu’il en soit, allons faire de notre mieux pour recoller les pots cassés !…

Dans le hall ils trouvèrent Grüber qui les débarrassa de leurs manteaux en essayant de contenir sa curiosité et, sur le grand palier, Mme von Adlerstein qui ne dit rien mais dont l’être tout entier brûlait d’impatience.

Zehnder monta vers elle quatre à quatre les marches en demandant si Lisa pouvait le recevoir en dépit de l’heure tardive.

– Quelle question ! Venez vite !

Ils disparurent tandis qu’Aldo et Adalbert s’asseyaient prosaïquement sur les marches de l’escalier pour attendre avec le soutien du café dont Grüber les munit presque instantanément.

Brève attente d’ailleurs ! Douze minutes plus tard, le chirurgien et la vieille dame les rejoignaient, mais les réponses aux questions qu’ils se posaient s’inscrivaient clairement sur le visage décrispé de cette dernière et le sourire de son compagnon.

– Elle vous a écouté ? demanda Aldo.

– Mais oui ! Et à présent elle va enfin se reposer au lieu de vivre constamment sur ses nerfs, partagée entre la colère et le désespoir.

– Pourrais-je la voir ?

Ce fut grand-mère qui répondit :

– Non, Aldo… il est trop tôt ! Il faut comprendre. Elle a désormais l’espérance de revoir son père… et le professeur ne lui a rien caché des doutes sérieux qui pèsent sur son cousin. Alors elle m’a priée de la ramener à Rudolfskrone… elle veut la paix… et jusqu’à preuve du contraire, la paix ne passe pas vraiment par vous !

– Non, vous avez raison ! Je dois me consacrer à retrouver Moritz… et sa collection. Et nulle part Lisa ne sera mieux que dans vos montagnes !… Mais faites en sorte que Grindel ne puisse plus l’approcher ! Je sais qu’il est dans le collimateur de la police mais je le crois très capable d’y échapper…

Tout en parlant, il remontait l’escalier…

– Eh bien, où vas-tu comme ça ? s’enquit Adalbert. Tu pourrais au moins dire « bonsoir » ?

– Je ne vais pas me coucher ! Je vais seulement reprendre ma trousse de toilette et les quelques affaires que j’ai apportées. Je rentre avec toi à l’hôtel. Si je connais bien Lisa, elle n’aura de cesse, dès qu’elle sera réveillée, de repartir avec sa grand-mère et de rejoindre les enfants. Je ne veux pas lui faire prendre le risque de me rencontrer au détour d’un couloir !


8

Le nez de Plan-Crépin

– Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud ! déclara Marie-Angéline en déposant sur le lit de Mme de Sommières le plateau de laque où elle avait mis le paquet de lettres privées dont elle avait préalablement fendu les enveloppes et qui s’étaient entassées pendant leur absence ; elle-même se chargeant du reste du courrier.

– Comment l’entendez-vous, Plan-Crépin ? C’est votre messe matinale qui vous a inspiré cette pensée profonde ?

– Elle n’a contribué qu’à la renforcer, mais j’y ai songé tout le long de notre voyage de retour.

– Et alors ?

– Il faut profiter de l’absence de Gaspard Grindel pour visiter son appartement parisien. Le risque est inexistant puisque la police de Zurich l’a prié bien poliment de rester à sa disposition !

– Sans doute, mais qu’il n’y soit pas ne signifie pas qu’il n’y ait personne ! Un directeur de banque suisse doit avoir du personnel pour le servir. Surtout dans ce quartier où le moindre gratte-papier est nanti d’un valet ou au moins d’une bonne s’il ne veut pas être perdu de réputation !

– C’est ce que je saurai demain !

– Vous comptez sur le Saint-Esprit ?… Allons, ne faites pas cette tête-là ! Je plaisante ! Votre fameux service de renseignements a fonctionné, je suppose ?

– Oui. Eugénie Guenon, la cuisinière de la princesse Damiani…

– … qui nous a été si utile au moment de la mort de ce pauvre Vauxbrun ! Et elle habite avenue de Messine comme l’oiseau en question… seulement c’est au 9 si j’ai bonne mémoire et même si c’est en face – ce qui n’est pas certain –, l’avenue est plutôt large.

– La princesse a déménagé : elle est à présent au 12 où elle dispose de beaucoup plus d’espace.

Mme de Sommières se mit à rire :

– Avouez que c’est une personne bien accommodante !… ou alors vous avez de la chance !… Et, en admettant que vous réussissiez à vous introduire dans la place, qu’espérez-vous trouver ?

– En toute franchise, je ne sais pas… mais mon nez me dit qu’il pourrait y avoir anguille sous roche !

– Votre… nez ? émit la marquise, tellement suffoquée qu’elle ne trouva rien d’autre à ajouter.

Depuis qu’elle connaissait Marie-Angéline – et cela faisait un bail –, cet appendice, plus long que la normale et pointu, était aussi tabou que celui de Cyrano de Bergerac. Y faire référence équivalait à se condamner à plusieurs heures de bouderie, voire la journée entière. Et voilà que sa propriétaire elle-même en faisait état dans la conversation courante ?… Avec, en plus, une note de satisfaction tout à fait inattendue ?… À moins que…

L’esprit de Mme de Sommières s’évada, retournant à ce dernier déjeuner à l’hôtel Baur-au-Lac où Aldo leur avait présenté le professeur Oscar Zehnder qui venait de s’acquérir une place de choix dans la famille en faisant table rase des affirmations de Grindel – et de Lisa ! – concernant le corps de Moritz Kledermann. Il avait été tellement agréable ce repas pris dans la magnifique rotonde donnant sur les jardins ! Le personnage d’ailleurs était charmant. Sa voix douce sachant manier l’ironie sans cruauté, son sourire, ses manières parfaites, sa culture et son manque total de fatuité – alors qu’il pouvait espérer sans la moindre forfanterie recevoir un jour le prix Nobel ! – donnaient envie d’en faire un ami.

– J’aurais parié qu’il vous plairait ! lui avait chuchoté Aldo à l’oreille. Mais j’ai l’impression qu’il plaît encore plus à notre Plan-Crépin…

Ça, c’était sûr… mais le plus surprenant était que la réciproque se produisait ! Pendant toute la durée du repas, Aldo, Adalbert et elle-même avaient assisté médusés à une joute oratoire sur le mode aimable faisant assaut de culture aussi variée qu’étendue touchant l’histoire, la peinture impressionniste, la musique, les arts orientaux, les voyages, la cuisine, les vins, les jardins, l’opéra et une foule de sujets qui, en dépit de leur variété, semblaient ignorer tout de l’Égypte ancienne et des joyaux célèbres. En revanche, ils se découvraient, avec un visible plaisir, de nombreux goûts communs. Tant et si bien qu’en sortant de table, Aldo en offrant son bras à Tante Amélie avait murmuré :

– Vous croyez que ça va finir par un mariage ?

– Si je n’écoute que mon égoïsme, je t’avouerai que cela m’ennuierait beaucoup de perdre ma Plan-Crépin, mais en ce qui la concerne, elle pourrait tomber plus mal…

Adalbert non plus n’en revenait pas. D’autant qu’en raccompagnant leur invité à sa voiture, il avait nettement entendu Oscar confier à Aldo :

– … Vous savez qu’en remodelant légèrement son nez, elle serait charmante ? Elle a des yeux d’or, un joli teint, de belles dents, un sourire spirituel et des mains magnifiques ! Oui… en vérité, il faudrait une petite retouche quoique, avait-il ajouté d’une voix rêveuse, je me demande si elle ne perdrait pas une partie de sa personnalité ? Qui est exceptionnelle !

Or, quand Adalbert avait rapporté le propos à la marquise, l’intéressée n’était pas loin et, connaissant la portée exceptionnelle de ses oreilles, elle n’avait pas douté un instant qu’elle eût entendu. Sinon, pourquoi aurait-elle soudain souri au miroir du trumeau devant lequel elle arrangeait un vase de pivoines ?

Revenant à la conversation au point où elle en était quand Plan-Crépin avait fait cette glorieuse référence à son appendice nasal, Mme de Sommières demanda :

– Comment escomptez-vous réussir à vous introduire chez le sieur Grindel ?

– C’est ce que je ne sais pas encore, mais espère apprendre demain ou après-demain. J’ai pleinement conscience qu’il ne faut pas trop traîner au cas où le policier de Zurich déciderait de relâcher sa surveillance apparente pour voir où Grindel se rendrait.

– Ne vous serait-il pas plus judicieux d’attendre le retour d’Adalbert ? J’avoue que je serais plus tranquille si vous pouviez courir l’aventure en sa compagnie. Malheureusement il a suivi Aldo à Venise et on ignore quand il rentrera.

– Nous savons bien qu’il a juré de ne pas quitter notre Morosini d’une semelle jusqu’à ce qu’il soit sorti de cette affaire vaseuse… Je ferais mieux de dire que « nous » soyons sortis… soupira-t-elle.

Et impromptu, elle ajouta :

– Et surtout, ne téléphonons pas « discrètement » à ce cher Langlois pour le prier de m’adjoindre un de ses « petits jeunes » pour veiller à ma sécurité ! Il commencerait par m’interdire d’y aller et serait capable de m’attribuer un chien de garde pour être certain que je me tiendrais tranquille !

Cette fois Mme de Sommières se fâcha :

– Vous êtes sûre d’être dans votre état normal, Plan-Crépin ? Non seulement vous me prenez pour une idiote – et vous ne me l’envoyez pas dire !… – mais par-dessus le marché c’est vous qui donnez les ordres à présent ? Ce n’est pas parce que vous avez séduit un futur prix Nobel qu’il faut vous croire investie de la sagesse suprême !

Et, se levant avec agitation, la marquise alla s’enfermer dans la salle de bains en brandissant sa canne. Peut-être pour éviter la tentation de la casser sur le dos de l’audacieuse descendante des Croisés…

Si Marie-Angéline fut surprise de la manifestation d’humeur de sa cousine et patronne, celle-ci le fut plus encore quand, après avoir claqué la porte, elle se retrouva assise sur le bord de la baignoire. Était-ce assez ridicule !… Qu’est-ce qui avait bien pu lui prendre de faire cette sortie dans le style théâtre de boulevard ? Sans doute Plan-Crépin avait-elle quelque peu inversé les rôles en lui donnant un ordre… ou quelque chose d’approchant, mais il n’y avait quand même pas de quoi en faire une montagne ! Alors ?

Peut-être parce que depuis un an son univers s’était mis à tourner à l’envers avec l’entrée en scène de ce gentil milliardaire texan à la poursuite de la magnifique mais désastreuse Chimère des Borgia pour les beaux yeux d’une cantatrice aussi vénéneuse que douée. Puis il y avait eu l’arrivée des Belmont et surtout celle de Pauline plus amoureuse d’Aldo que jamais et qui avait éveillé chez lui un intempestif retour de flamme, leur nuit dans l’Orient-Express puis leur enlèvement, elle d’abord, lui ensuite… et puisqu’on en était aux jeux redoutables de l’amour, le coup de folie d’Adalbert pour ladite cantatrice qui l’avait mené au bord du suicide, et pour couronner le tout le drame de la Croix-Haute d’où Aldo n’était sorti que pour voir sa femme se jeter dans les bras de son cousin Grindel et de s’abattre une balle dans la tête…

Cela ne s’était pas arrangé, bien au contraire ! Lisa était parvenue au bord de la démence par les manigances d’une clinique douteuse et vouait à son mari une rancune maniaque entretenue par ledit cousin en qui elle s’obstinait à voir une sorte d’archange. Enfin la disparition de son père, le banquier Kledermann, que l’on venait d’enterrer en grande pompe… pour découvrir presque aussitôt que ce n’était sûrement pas lui mais qu’en revanche ce n’était pas une imitation de sa fabuleuse collection de joyaux chargés d’histoire qui s’était volatilisée ! Pour finir – cerise sur le gâteau ! – sa Plan-Crépin, qui barbotait au milieu de cette pagaille comme un canard dans sa mare, oubliait joyeusement qu’elle se croyait amoureuse d’Adalbert pour coqueter avec un as helvétique de la chirurgie réparatrice qui avait l’air de la trouver à son goût ! Et voilà qu’elle songeait plus ou moins à cambrioler l’appartement du cousin !

– J’ai grandement peur d’être trop vieille pour une vie aussi chaotique ! soupira-t-elle en se levant pour aller se regarder dans la glace au-dessus du lavabo. Il serait peut-être temps de songer à revenir aux bonnes habitudes d’antan ! À condition, évidemment, que choses et gens reprennent leur cours normal !…

Or, non seulement elle ne trouva ni une ride ni un cheveu blanc de plus, mais son œil que n’avait pas encore déserté un éclair de colère lui parut plus vert que de coutume et il lui sembla voir son image se dédoubler et prendre la parole :

– Les bonnes habitudes d’antan ? Les cures à Vichy pour faire semblant qu’on a mal au foie quand tu en as un en ciment armé ? Les séjours dans tel ou tel palace d’un pays chaud afin de chouchouter des os qui, évidemment, ne sont plus de première jeunesse mais se comportent encore vaillamment en se permettant une douleur par-ci par-là ? Les villégiatures dans les châteaux familiaux chez Prisca ou ailleurs ? Sans doute… mais à condition d’y transporter le cirque Morosini-Vidal-Pellicorne en état de marche et au complet ! Tu en veux encore ?

– Non ! Mais il y a trop de dégâts maintenant !

– Sauf la mort, il n’en est pas d’irréparables ! Alors laisse donc Plan-Crépin enfourcher son destrier ! Jusqu’à présent elle fait plutôt du bon boulot !

Ayant ainsi clos le débat, elle ouvrit les robinets pour faire couler son bain et rentra dans sa chambre, pensant que Plan-Crépin, offensée, s’était retirée sous sa tente comme Achille pour y digérer son algarade. À sa surprise, elle la trouva assise sur le lit et pleurant silencieusement…

C’était un spectacle positivement inattendu parce que rarissime ! Mme de Sommières se sentit touchée, vint s’asseoir à côté d’elle et passa un bras autour de ses épaules :

– Allons, Plan-Crépin ! Vous n’allez pas larmoyer parce que je vous ai un peu rudoyée ? Cela tient au mauvais sang que je me fais pour ce que Lisa appelle… ou appelait le « gang Morosini ». Je n’ai pas envie de vous voir vous lancer en aveugle dans une aventure… risquée ! Je sais ! Vous allez me dire « qui ne risque rien n’a rien »… Mais il se peut que le temps nous soit en effet compté ! Alors, allez donc mener votre croisade avec la cuisinière de la princesse Damiani ! C’est pour demain pensez-vous ?

Marie-Angéline se moucha, renifla et émit :

– Ce serait le mieux, non ? Il faut…

– Vous l’avez déjà dit ! Je vous préviens seulement que si, à sept heures du soir, vous n’êtes pas rentrée, j’appellerai Langlois ! Et maintenant filez et envoyez-moi Louise ! conclut-elle en lui appliquant un coup sec sur la tête…

Quand, le lendemain matin, elle la rejoignit à la messe de six heures, Marie-Angéline admira en connaisseur le plan ourdi par Eugénie Guenon parce qu’il était des plus enfantins et servi par une favorable circonstance : la princesse Damiani partait passer quelques jours dans le château d’une amie. Elle n’avait besoin que de sa femme de chambre et de son chauffeur, ce qui laissait du temps libre à Eugénie. Laquelle comptait en profiter pour descendre bavarder avec la concierge du 10, Élodie Branchu, respectable épouse d’un agent de police dont le péché mignon était la pâtisserie en général et, en particulier, certain gâteau à la frangipane et au chocolat que sa voisine réussissait à miracle.

– Je vais lui en préparer un ce matin et j’irai le lui porter sur le coup de quatre heures pour le déguster en sa compagnie et la tasse de thé qu’elle ne manquera pas de m’offrir. Au fond, de quoi avez-vous besoin ?

– De pouvoir entrer et sortir de l’immeuble sans me faire remarquer. Or…

– … on ne peut ouvrir le portail en fer forgé que de l’intérieur et chez la concierge, et une concierge qui monte bonne garde pour être digne de son époux ! Un vrai Cerbère ! Mais rassurez-vous, ma chère demoiselle : une fois entrée je repousserai la porte sans aller jusqu’au déclic et chez Mme Branchu je m’installerai de façon à boucher autant que possible la vue de la loge. Ça vous laissera entre une heure et une heure et demie. Ça vous suffira ?

– Je pense, oui… mais si quelqu’un de l’immeuble entre ou sort pendant ce temps ?

– Ça m’étonnerait : la dame indienne qui occupe deux étages avec sa smala de domestiques est en Angleterre. Quant au vieux général du quatrième il ne sort jamais de chez lui. Il n’y a que ses bouquins et ses soldats de plomb qui l’intéressent. Seulement vous n’allez pas pouvoir vous servir de l’ascenseur qui fait un bruit de tous les diables ! En outre, le grand escalier est très visible de la loge !

– De toute façon je prendrai celui de service. Je ne vous remercierai jamais assez madame Guenon…

– Pensez donc ! C’est tout naturel ! Vous savez, on n’aime pas beaucoup ce Grindel dans notre quartier sauf sa concierge, Dieu sait pourquoi ! qui lui trouve toutes les qualités.

– À ce point-là ?

– Vous n’avez pas idée ! Mais j’y pense : comment allez-vous faire pour entrer chez lui ?… Oh, je vous demande pardon, je ne voudrais pas être indiscrète !

– Pas du tout, voyons, et c’est la raison pour laquelle je vais prendre l’autre escalier.

– Le monte-charge peut-être ?

– Même pas ! J’ai de bonnes jambes et grimper cinq étages ne me fait pas peur… Et puis les portes des cuisines sont toujours plus faciles à ouvrir que les autres !

C’était on ne peut plus juste mais, surtout, Adalbert lui avait donné au retour d’Égypte deux ou trois leçons de serrurerie et lui avait même fait cadeau d’un fort utile passe-partout ! Mais cela il n’était pas indispensable de le confier à cette bonne Eugénie ! Qu’elle remercierait par ailleurs avec un petit présent et le récit de son aventure. Assaisonné à sa façon, bien entendu.

Dans l’après-midi de ce même jour, Marie-Angéline, assise sur un banc du côté impair de l’avenue de Messine et à l’ombre d’un marronnier, surveillait, mais sans en avoir l’air, le trottoir d’en face en faisant semblant de lire un livre dont, si on lui avait demandé ce qu’il contenait, elle eût été incapable de le dire tant le cœur lui battait fort dans la poitrine.

Elle était à ce poste depuis un quart d’heure quand elle vit Eugénie Guenon sortir du numéro 12 habillée comme pour l’église, un chapeau noir orné de myosotis et de roses pompon en équilibre sur son chignon et portant, tel le Saint-Sacrement, un plat sur lequel une serviette recouvrait le fameux gâteau qui, d’après son importance, devrait être suffisant pour six ou sept gourmands ! Apparemment le mari agent de police en aurait sa part ce soir…

Quand elle eut vu le tout disparaître derrière l’élégant portail, elle traversa la rue au passage clouté et rejoignit sans se presser le numéro 10, poussa la porte, se glissa dans l’ouverture, repoussa le battant, jeta un coup d’œil à la porte vitrée de la loge derrière laquelle le large dos d’Eugénie se silhouettait cependant que deux voix volubiles s’élevaient en duo. Puis se courbant pour franchir l’endroit délicat elle fila vers le fond de la voûte ouverte sur la cour intérieure. Au bas de l’escalier de service elle s’accorda de souffler un instant pour laisser à ses nerfs le temps de se calmer puis, d’un pas rapide, elle grimpa ses cinq étages…

Arrivée à destination, elle examina la porte et sourit. Comme toutes ses semblables c’était une porte solide, faite de bon bois, munie d’une serrure de bonne qualité : une grande pour la clef et une plus petite pour le verrou. Ce fut cette dernière qui posa un problème à l’apprentie cambrioleuse. Son passe-partout fonctionnait à merveille pour la première mais elle hésita à l’introduire dans la seconde de crainte de ne plus pouvoir le retirer. L’énervement la gagna : c’était trop bête aussi ! Échouer au but parce qu’un propriétaire plus méfiant que la normale avait jugé utile de défendre sa cuisine presque autant que son salon !

Elle examina l’idée d’aller prendre l’escalier principal pour tenter sa chance de l’autre côté quand lui revint en mémoire l’un des précieux enseignements d’Adalbert. Elle se releva – pour réfléchir elle s’était assise sur une marche ! –, alla passer sa main sur le dessus du chambranle de la porte… et retint une exclamation de joie : il s’y trouvait la clef adéquate grâce à quoi elle reprit confiance dans son entreprise. La minute suivante, elle pénétrait dans une vaste cuisine bien aménagée avec à gauche une resserre pour les provisions et à droite un office où l’on rangeait les nappes, l’argenterie, la verrerie et divers accessoires. Cet office donnait directement sur la salle à manger.

Elle allait s’y engager quand elle entendit le téléphone sonner dans deux endroits différents : la galerie d’entrée sans doute mais aussi dans les profondeurs de l’appartement. Une fois… deux fois… trois fois ! Elle luttait encore contre l’envie de répondre – au cas où ce serait quelque chose d’intéressant ? – quand elle perçut une voix masculine :

– Allô ?… Oui, oui, c’est moi !

Doux Jésus ! Gaspard Grindel ! Mais qu’est-ce qu’il fabriquait là ?… Elle remit à plus tard de s’interroger sur la question pour foncer sans bruit s’emparer de l’écouteur de l’entrée… et fit la grimace, l’oreille offensée par la voix furieuse et incontestablement italienne qui déversait dans l’appareil un chapelet d’injures que l’on n’endura pas longtemps :

– Ça suffit ! hurla celle de Grindel qui redescendit aussitôt de plusieurs décibels. Si c’est pour m’insulter que vous me dérangez, vous pouviez attendre ! Vous n’êtes pas un peu malade de m’appeler ici ?

– On appelle où on peut et je vous cherche partout ! Or, apparemment, vous n’êtes nulle part, et…

– Vous voyez que si puisque vous m’avez trouvé ! Que voulez-vous ?

– Vous devez vous en douter : je veux ma part du magot ! La moitié de la collection si vous préférez ! Si vous l’avez, c’est quand même grâce à moi qui ai fait le sale boulot !

– Parlons-en de votre « sale » boulot ! Qui est ce type que vous avez massacré à la place de mon oncle en prenant soin de préciser que je pourrais le reconnaître à la fraise qu’il avait sur une omoplate ?

Au bout du fil l’Italien se mit à rire :

– Il fallait que je vous donne un moyen de l’identifier ! La ressemblance de ce type avec Kledermann était… disons approximative. Il a donc été nécessaire de l’abîmer, ce qui laissait supposer la torture…

– Alors qui est ce type ?

– Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Les funérailles ont eu lieu, le testament a été lu, on a pu constater que la collection de joyaux avait disparu… cette collection fabuleuse dont je vous ai envoyé la clef et dont vous avez obtenu les codes par le bon vouloir de votre belle cousine ? Alors maintenant j’en exige ma part ! Sinon…

– Sinon quoi ? Me dénoncer serait vous passer la corde au cou à vous-même !

Au bout du fil l’autre se remit à rire :

– Vous me prenez vraiment pour un imbécile ! Il me suffira de remettre le vrai Kledermann dans la circulation !

– C’est vous qui le détenez ?

– Naturellement ! Et il est fort convenablement traité ! Ce qui ne durerait pas longtemps sans doute si vous ne me donniez pas ce qui me revient ! Voyez-vous, mon cher, je n’ai jamais eu confiance en vous et mon petit doigt me disait que vous étiez très capable de vouloir garder le pactole pour vous ! L’héritage, au fond, je m’en fichais ! Mais la collection m’intéresse passionnément ! Vous n’ignorez pas combien nous aimons les joyaux célèbres dans la famille ? Alors vous savez ce qu’il vous reste à faire ! J’ajoute que je me montre bon prince et vous pouvez vous estimer heureux que je ne réclame pas la totalité !

– Et quoi encore ? ricana Grindel. J’ai l’intention de disparaître, mon vieux, et vous aurez quelque peine à me retrouver !

– Croyez-vous ? Je suis tombé sur vous aujourd’hui, non ? Mais ne vous tourmentez pas trop ! Je ne veux pas la mort du pécheur et je vais vous accorder un délai… honnête pour vous retourner ! Disons… quinze jours ? Vous recevrez en temps voulu les indications pour l’heure de la remise !

– Qui vous dit que je n’y enverrai pas la police ?

– Vous me prenez pour un enfant de chœur ? Non seulement votre oncle ressusciterait, mais je ne pense pas que vous jouiriez éternellement des joies de l’existence ! Alors, soyez raisonnable ! Et d’ailleurs, si vous vous décidez à remplir votre part du marché, nous pourrions peut-être travailler de nouveau ensemble ?

– Vous n’êtes pas un peu fou ?

– Je suis très sensé au contraire !… Je viserais volontiers la collection de votre cher cousin Morosini ! Cela aurait l’avantage immense de faire une veuve de votre belle cousine. Réfléchissez-y !

Un déclic marqua la fin de la communication qui avait mis la sueur au front de l’espionne. Et qui reposa délicatement l’appareil sur son socle tandis qu’à quelques mètres d’elle Gaspard Grindel donnait libre cours à sa colère en fracassant un objet qui devait être en faïence ou en porcelaine.

Elle hésita un instant sur ce qu’elle allait faire : le cœur lui battait si rudement qu’il lui semblait remonté dans ses oreilles… De toute façon, il ne fallait pas s’attarder. Rapidement elle reflua vers l’office puis la cuisine où elle eut juste le temps de se jeter sous la table de chêne massif que recouvrait jusqu’aux pieds une toile cirée : Grindel arrivait vers elle. Elle pensa qu’il voulait peut-être sortir par l’escalier de service et retint sa respiration. Mais non ! Il s’arrêta près de son refuge. Elle eut soudain des jambes vêtues d’un pantalon gris à moins de cinquante centimètres d’elle et, simultanément, il laissa tomber sur le sol deux sacs de voyage en toile renforcée de cuir… Il n’avait tout de même pas l’intention de rester là ?

Mais elle eut à peine le temps de se poser la question : les jambes bougeaient, faisaient le tour de la table, s’immobilisaient près d’une armoire dont la porte grinça. Il y eut un bruit de verres, de bouteilles et Marie-Angéline comprit qu’il se cherchait un « remontant ». Elle craignit un instant qu’il ne veuille s’asseoir, auquel cas ses pieds entreraient en contact avec elle qui n’osait bouger pour s’écarter… Par bonheur, il resta debout. Peut-être était-il pressé, sinon pourquoi apporter les bagages dans la cuisine ?

Et, en effet, elle entendit un liquide couler dans un verre, avalé d’un trait et suivi aussitôt d’une seconde rasade après quoi Grindel exhala un soupir de satisfaction, marmotta quelque chose d’incompréhensible puis, beaucoup plus nettement :

– Allez ! Encore un petit coup pour la route !

Et un troisième verre fut avalé à la même allure. Ensuite les sacs opérèrent un mouvement ascendant, les chaussures de daim gris s’agitèrent allant vers la porte où elles stoppèrent net.

– Tiens ?

Il devait s’étonner de la trouver simplement repoussée mais après un instant de réflexion, cela dut lui paraître de peu d’importance et il referma tout derrière lui. Puis il y eut le bruit décroissant de ses pas descendant l’escalier. Il était parti…

Non sans difficulté, Plan-Crépin réussit à s’extraire de sous la table tant elle tremblait, avisa une chaise et se laissa choir dessus. Jamais elle n’avait eu aussi peur de toute son existence ! S’il l’avait débusquée ce… malabar habitué aux courses en montagne et taillé comme une armoire eût été capable de l’étrangler d’une seule main ! Pour mieux se convaincre qu’il n’en était rien, elle en passa une sur sa nuque en tournant la tête, ce qui lui permit d’arrêter son regard sur la bouteille restée sur la table à côté du verre et même pas rebouchée. Elle l’empoigna, constata que c’était du rhum – sans doute destiné à la cuisine – et, sans se fatiguer à dénicher un autre verre, s’en adjugea une lampée… au goulot.


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