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La collection Kledermann
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:49

Текст книги "La collection Kledermann"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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12

Une dette d’honneur

Obsédé par l’idée de voir ce qui se passait au juste à la villa Malaspina, Marie-Angéline consacrait la majeure partie de son temps à l’observer. Du haut de la tour dans la journée mais, le soir venu et le dîner expédié, elle donnait la préférence au mur mitoyen où, l’ayant suivi sur toute sa longueur, elle avait découvert une sorte de dépression à demi recouverte par les retombées d’une aristoloche accrochée au tronc d’un arbre voisin. L’ascension ne lui posant aucun problème, elle allait s’y installer armée de jumelles dès la dernière bouchée avalée et restait là jusqu’à minuit, laissant la fin de la nuit aux observateurs de la tour.

La connaissant, Mme de Sommières s’était bornée à lui demander si son point d’observation lui semblait meilleur que l’autre.

– Bien meilleur ! La villa est plus proche et, surtout, elle est moins de travers. Le soir, quand c’est éclairé et que les fenêtres sont fermées, je peux voir des silhouettes. Et quand c’est éteint j’entends plus distinctement les bruits.

– Et les chiens ne vous ont pas repérée ?

– Si, mais outre que mon odeur doit leur convenir, Boleslas a dû vous dire que les achats de viande ont fortement augmenté ?

– Nous n’effleurons même pas le sujet. C’est Wishbone qui assume les frais de la maison et ce genre de détail ne l’intéresse pas ! En attendant prenez garde à vous et, je vous en prie, ne vous aventurez jamais toute seule dans les jardins de cette fichue clinique !

Cette histoire de clinique, justement, Plan-Crépin y croyait de moins en moins. Certes, une ambulance avait fait son apparition trois jours plus tôt et à la nuit close, mais s’il y avait un arrivage, cela ne changeait strictement rien à Malaspina. Les malades devaient être à peu près au nombre de quatre à présent et cependant quand venait la nuit aucune nouvelle fenêtre ne s’éclairait. On ne les logeait tout de même pas à la cave ?

Idem pour les travaux annoncés par Gandia. Aucune trace ! Pas la moindre brouette de gravats ! Pas le moindre écho de ces chansons que tous les ouvriers du monde, singulièrement les Italiens, fredonnaient ou sifflaient en travaillant ! Devaient-ils envelopper leurs marteaux de chiffons pour ne pas troubler le repos des malades ? Cela non plus l’observatrice n’arrivait pas y croire. Elle y crut encore moins quand, deux nuits auparavant et alors qu’elle s’apprêtait à rentrer se coucher, elle avait recueilli des échos – trop faibles hélas pour y comprendre quelque chose ! – d’une violente dispute opposant un homme, à une femme ! Qu’est-ce que tout cela signifiait ?

À cette occasion, elle s’en ouvrit à Wishbone qui, après l’avoir écoutée attentivement, se déclara prêt à tenter d’élucider l’énigme que représentait la tanière de Gandia. Armés chacun de revolvers, de balles et de steaks premier choix, ils partirent se poster sous l’aristoloche et attendirent que, la ronde du maître-chien effectuée, la maison reprenne son visage nocturne : rez-de-chaussée éteint et seulement trois fenêtres allumées à l’étage. Encore un petit moment et les deux dobermans reparurent, filant droit sur Plan-Crépin à la quête de leurs gâteries quotidiennes. Mais ce soir, il s’agissait de viande hachée à laquelle on avait mêlé un somnifère… en espérant que leur flair ne le détecterait pas. Mais non ! Ils engloutirent le résultat obtenu sans état d’âme apparent et s’endormirent paisiblement…

– Parfait ! approuva Wishbone. On y va maintenant.

Étant donné l’espèce de familiarité qu’elle avait nouée avec les deux toutous et au cas où la dose de somnifère ne serait pas suffisante, Marie-Angéline voulut sauter la première mais Wishbone atterrit presque en même temps qu’elle. Cependant son attention était ailleurs :

– Regardez ! fit-il en désignant l’angle de la terrasse supportant la demeure où venait d’apparaître la silhouette d’un homme occupé à enjamber la balustrade puis, après avoir tenté de s’agripper aux moellons, se laisser tomber. Si celui-là n’est pas en train de s’enfuir je veux bien être changé en rat d’égout !

– Pouah ! Vous ne pourriez pas trouver une autre comparaison ? J’aurais préféré « changé en carton à chapeau », c’est moins répugnant.

– En attendant il n’a pas l’air de se relever ! Allons l’aider ! Ou plutôt je m’en occupe ! Inutile de s’exposer à deux ! Restez là !

Se glissant entre buissons fleuris et topiaires, il rejoignit l’homme qui tombé sur le doc ne s’était pas encore relevé, se contentant de se frotter le dos. Comme il ne l’avait pas entendu venir, il étouffa un cri quand Wishbone se pencha sur lui :

– Vous pensez vous être cassé un os en sautant ? demanda le Texan en anglais.

– Tiens ! Un Britannique… ou plutôt un Américain, dit l’autre pas particulièrement surpris. Pour répondre à votre question je suis seulement un peu étourdi. Étonnant qu’en tombant sur le derrière ça vous résonne dans la tête !

– Si vous êtes en train de vous sauver, il va falloir vous relever et escalader un mur… si toutefois et comme je l’imagine vous avez entrepris de vous enfuir !

– On ne peut rien vous cacher ! soupira l’homme en se remettant sur pied avec l’assistance du Texan. Mais vous-même, que faites-vous là ?

– Nous c’est le contraire. Je dis nous parce que je suis accompagné d’une amie. On serait heureux de visiter ce monument !

– Je ne vous le conseille pas ! D’où venez-vous ?

– D’à côté : la villa Hadriana !

– Ça me va ! Filons !

Tout en rejoignant les aristoloches, Cornélius ne put s’empêcher de faire remarquer à sa trouvaille que pour s’enfuir par une nuit d’été, des vêtements sombres eussent été plus adaptés qu’un chapeau et un pantalon clairs. Seule la veste était foncée.

– Quand on kidnappe les gens, grogna l’inconnu, il est rare qu’on leur laisse le temps de faire leurs malles !

Ils arrivèrent enfin dans l’ombre des arbres où Marie-Angéline trépignait.

– Vous en avez mis du temps ! Vous êtes blessé ? demanda-t-elle au rescapé.

– Non ! Mal au coccyx seulement mais…

Il s’approcha tout près d’elle afin de mieux la voir !

– Dieu me pardonne !… Vous êtes Mlle du Plan-Crépin ?

Elle aussi venait de le reconnaître :

– Le professeur Zehnder ? Vous ici ? Comment…

– Vous ne pensez pas qu’on serait plus à l’aise à la maison pour papoter ? intervint Wishbone impatienté. Et d’abord franchir le mur !

– On y va !

Marie-Angéline allait prendre son élan puis se ravisa :

– Un instant ! Il serait préférable de transporter les chiens plus loin ! Comme on ne sait pas combien de temps ils vont dormir, s’ils se réveillaient ne serait-ce qu’au jour, les gens de Gandia sauraient immédiatement où chercher quand ils s’apercevront de la disparition du professeur !

On les déposa presque au bas des jardins, là où l’enceinte n’était plus commune avec Hadriana mais avec une petite propriété inhabitée, sans oublier de laisser des traces de pieds. Ensuite on regagna le passage où au moyen de branches on s’efforça de tout effacer… Après quoi Plan-Crépin s’enleva la première, se mit à califourchon sur le faîte et se penchant aussi bas que possible tendit la main à Zehnder que le Texan poussa vigoureusement aux fesses sans se soucier de son arrière-train douloureux. En quelques instants, ils étaient de l’autre côté où ils trouvèrent Hubert et Boleslas pour les recevoir.

Aucune lumière n’était allumée. Seul le salon était éclairé, mais persiennes et doubles rideaux l’occultaient. Dans la villa Malaspina, le silence était total. L’évasion du célèbre chirurgien était parfaitement réussie…

Il en montra une joie de gamin qui vient de fausser compagnie à son école sans oublier de réclamer un morceau à manger… et surtout à boire ! Il y avait deux jours qu’on ne lui avait offert que de l’eau pour se sustenter en le prévenant qu’il serait privé de nourriture tant qu’il ne serait pas venu à composition…

– Mais enfin, observa Mme de Sommières tandis qu’il dévorait des œufs, du pain, du jambon et du fromage arrosé d’un capiteux Lambrusco. Vous nous avez dit qu’on vous avait enlevé ? Pourquoi ? Et d’abord comment ?

– En sortant de ma clinique dans une ambulance où m’attendait un tampon de chloroforme. Après un voyage dans ce véhicule où je ne voyais que la lumière du jour et où l’on m’a fait dormir plus souvent que veiller j’ai fini par reprendre pied sur terre dans une chambre somptueuse où se trouvait tout ce dont j’avais besoin mais dont les fenêtres grillées donnaient sur les pentes d’une montagne…

– Autrement dit, sur l’arrière de la Malaspina ! décréta Marie-Angéline. J’étais certaine que le plus intéressant devait se passer de ce côté-là ! Il y a…

– Et si vous vous taisiez pour une fois, Plan-Crépin ? trancha Mme de Sommières. Vous commenterez tout à votre aise quand le professeur Zehnder aura fini !

– Comme on avait préparé tout ce qu’il fallait dans ma « cellule », y compris un plateau agrémenté d’un dîner froid, qu’il faisait nuit et que je n’avais pas encore sommeil, j’avalai le contenu du plateau, me déshabillai, fis un peu de toilette et me couchai. Je n’avais pas d’autre occupation puisque avant de me laisser seul, on m’avait confié que je saurais le lendemain ce que l’on attendait de moi.

« Si j’avais craint un instant que l’on eût drogué la nourriture ou la boisson, je me trompais : tout était d’excellente qualité, bien préparé et sans le moindre piège et je m’éveillai aussi frais et dispos qu’à mon habitude. Je n’étais même pas de mauvaise humeur parce que cette espèce d’aventure que je vivais m’intriguait. C’était la première fois de ma vie que je m’entretenais avec un homme dont le visage disparaissait sous une cagoule noire !

– Comment était-il à part ce détail, demanda la marquise, devançant Plan-Crépin qui ouvrait déjà la bouche. Et la referma, un rien dépitée.

– Grand, bâti en athlète, dans la force de l’âge, une voix plutôt agréable, habillé même avec une certaine élégance dans le genre sport.

– Une sorte de gentleman, quoi ? ne put retenir Plan-Crépin narquoise.

– Si vous voulez… mais ce n’est pas lui qui est venu me chercher dans le milieu de la matinée. C’était une femme vêtue comme une infirmière. Je l’ai donc suivie à travers couloirs et escaliers de cette maison qui m’a paru immense et où le soleil entrait comme chez lui. Jusqu’à ce qu’enfin on s’arrête devant une haute porte aux moulures rechampies d’or qu’après avoir frappée, l’infirmière ouvrit sur ce qui me parut d’abord un trou noir mais mes yeux s’accoutumèrent rapidement et je vis que les volets était fermés, les rideaux tirés et qu’un chandelier était allumé devant le miroir d’une coiffeuse. Le seul miroir d’ailleurs qui n’était pas recouvert d’un voile.

« Une femme aux cheveux gris, portant un superbe déshabillé de satin et de dentelles, se tenait devant la coiffeuse mais à demi détournée.

Elle aussi portait un voile… qui lui cachait le visage.

« Un peu impressionné – moins par le décor que par le maintien fier de cette femme – je la saluai :

– Vous êtes bien le professeur Oscar Zehnder ? me demanda-t-elle.

– En effet, madame ! J’aurais volontiers ajouté « tout à votre service » si l’on ne m’avait amené ici de force ! Ce que je n’apprécie pas !

– Acceptez mes excuses, mais quand vous m’aurez entendue je pense que vous comprendrez ! assura-t-elle d’une voix enrouée où se mêlaient parfois, bizarrement, une ou deux notes claires. Puis elle ordonna que l’on laisse entrer le jour, se plaça face à la lumière et enleva son voile en fermant les yeux… Je découvris alors l’un des visages – et un cou ! – les plus dévastés qu’il m’ait été donné de voir ! Les cheveux gris avaient disparu mais ce n’était qu’une perruque recouvrant de beaux cheveux noirs dont une parcelle avait été… scalpée pour ainsi dire au-dessus d’un sourcil préservé par extraordinaire… Je lui demandai alors comment c’était arrivé.

– Un accident d’auto qui m’a éjectée au-travers d’un pare-brise avant de m’envoyer contre un rocher. Je n’ai échappé à la mort que par miracle… mais je l’ai souvent regretté. Jusqu’à ce que j’entende vanter votre talent ! « Le chirurgien aux mains fabuleuses » ! C’est pourquoi je vous ai fait chercher.

« J’ai répondu qu’elle aurait pu s’y prendre autrement et qu’il eût été préférable qu’elle vienne me voir à mon cabinet en toute discrétion, de nuit même mais qu’il m’était impossible de faire quoi que ce fût pour elle dans une demeure particulière. Elle m’apprit que l’on avait entrepris de transformer la villa en clinique et qu’une salle d’opération était déjà installée. À quoi je répondis que cela ne suffisait pas, que j’avais l’habitude de travailler avec une équipe exceptionnelle et rodée à la perfection dont je ne saurais me priver. D’autant moins dans son cas où il fallait prévoir plusieurs interventions afin de lui restituer un visage et un cou, disons… normaux ! Le mot l’a choquée.

– Normaux… Qu’entendez-vous par normaux ?

– Que l’on peut regarder sans s’apitoyer et sans déplaisir…

« J’ai vu ses yeux flamboyer, cependant elle a hésité avant de répondre, se contentant d’aller prendre dans le tiroir d’un précieux cabinet florentin une photographie encadrée d’or représentant une femme idéalement belle en robe Empire à taille haute, à demi étendue sur une méridienne, dans une pose pleine de grâce, style Mme Récamier, et portant des bijoux époustouflants. Elle me l’a tendue d’un geste impérieux :

– Voilà ce que j’étais et veux redevenir ! Vous entendez, professeur ? C’est ce visage-là que je veux revoir dans mon miroir… et que vous allez refaire pour moi ! Je ne saurais me contenter de votre « sans déplaisir » !

« Je ne vous cacherai pas que je l’ai regardée avec une stupeur horrifiée parce que je l’avais reconnue. C’était Lucrezia Torelli, la célèbre cantatrice dont vous avez sûrement entendu parler. Que vous avez peut-être même applaudie ?

– Nous l’avons en effet applaudie une fois, à l’Opéra de Paris, dit Mme de Sommières. Une seule fois ! Aussitôt après, elle a entrepris de démolir ma famille en laissant derrière elle de lourds dégâts ! Ainsi c’est elle notre mystérieuse voisine ? Vous a-t-elle avoué aussi qu’elle est une meurtrière recherchée par les polices française et anglaise ? Elle devrait être à cette heure attendant au fond d’un cachot un verdict en cour d’assises et non dans une luxueuse résidence entourée de fleurs et d’un paysage enchanteur !

– Moi je n’ai rien contre le cachot, émit Marie-Angéline, mais je trouve que le châtiment qu’elle subit est bien plus subtil ! C’est le doigt de Dieu qui a reproduit sur son visage la noirceur de son âme !… Mais comment s’est terminé votre entretien avec la « divine » Torelli ?

– Pas vraiment à sa convenance puisque vous m’avez aidé à m’échapper mais, en fait, comme ce devait l’être. J’ai répondu qu’elle demandait l’impossible et que même à Zurich et dans ma propre salle d’opération, entouré de mon équipe au complet, je ne pouvais recréer une telle beauté ! J’ai ajouté – assez maladroitement sans doute mais j’étais moi aussi en colère – qu’en admettant qu’elle eût vingt ans de moins, donc présentant la peau élastique de la jeunesse, je n’y parviendrais pas ! Elle est entrée alors dans une fureur folle, me traitant de charlatan et autres noms d’oiseaux avant de prononcer ma sentence : je resterais enfermé dans ma chambre sans aucune nourriture jusqu’à ce que je sois disposé à lui donner satisfaction ! Encore devrais-je m’estimer heureux qu’il y ait de l’eau courante dans ma salle de bains ! Si cela ne suffisait pas, au bout de quelques jours, on me transporterait dans une cave où évidemment je ne pourrais plus me laver ! Voilà, je vous ai tout dit ! soupira-t-il en tendant son verre pour qu’Hubert le lui remplisse de nouveau.

– Au fond, fit celui-ci après s’être adjugé une rasade, vous aviez un moyen bien simple de vous éviter ces… désagréments. C’était d’accepter puis, une fois votre bonne femme sous anesthésie, de bricoler ici ou là afin de réparer le plus gros et en annonçant qu’il faudrait peaufiner une semaine plus tard sur le chantier et, entre-temps, faire ce que vous venez de réussir : prendre la poudre d’escampette, rentrer chez vous et…

Il n’alla pas plus loin. Le petit Zehnder qui avait une tête de moins que lui venait de se dresser sur ses pieds et lui aboyait à la figure :

– Mais vous me prenez pour qui, dites donc ? Un charlatan comme prétendait la folle – car c’en est une ! –, un homme sans honneur capable de recourir au pire des subterfuges pour recouvrer sa liberté ? Susceptible de se servir de son art pour réduire une patiente à l’impuissance et faire ce qui m’arrange ? Et la déontologie ? Et le serment d’Hippocrate ? Qu’en faites-vous ?

– Ne vous fâchez pas ! Je disais cela… comme j’aurais dit n’importe quoi ! Ce genre de… patiente – drôle de mot d’ailleurs et que je n’ai jamais supporté ne l’étant absolument pas ! – ne mérite pas qu’on s’échine pour elle ! En outre, vous lui auriez malgré tout rendu service en améliorant sa physionomie !

– Vous n’oubliez que deux choses. Une : que pour « bricoler » comme vous dites, il me faut une installation  ad hoc et des gens compétents autour de moi…

– Ça, je peux comprendre ! Et l’autre ?

– L’homme à la cagoule, présent dans un coin, qui n’a pas perdu une miette de notre conversation. En me raccompagnant à ma chambre il ne m’a pas caché son point de vue si je me livrais à quelque manigance dans le genre de votre suggestion : il ferait en sorte de changer en enfer le peu de temps qu’il me resterait à vivre !

– C’est insensé ! s’insurgea Plan-Crépin. Il est attaché à cette monstruosité à ce point ?

– Je vais même vous dire mieux, mademoiselle ! Il était son amant et il l’aime toujours ! Et, naturellement, c’est lui qu’elle a envoyé me chercher en profitant d’une absence de son frère !

– Et il fera quoi le frère quand il reviendra ? s’enquit machinalement Wishbone.

– C’est ce que je ne sais pas.

Marie-Angéline prit le relais :

– Nous si, parce qu’on commence à le connaître, l’illustre descendant des Borgia, ce César de carnaval qui n’a même pas la grandeur sinistre de son soi-disant ancêtre ! Que vous acceptiez d’opérer ou que vous refusiez, il vous tuera !

Le Texan s’était soudain assombri. Ainsi ce qu’il avait entendu durant la première nuit à Hadriana, cette voix qui tentait de se libérer de ses chaînes et qui s’était brisée après deux notes, c’était bien celle de Lucrezia, la femme qu’il avait adorée et ne réussissait pas à oublier ! La sentir si proche lui causait une bizarre émotion. Il avait beau la savoir criminelle, menteuse et impitoyable, il n’en oubliait pas moins la terrible punition dont le ciel l’avait accablée parce qu’elle était une véritable œuvre d’art et que l’on n’avait pas le droit de détruire une pure merveille !

Mme de Sommières qui l’observait du coin de l’œil lisait en lui aussi facilement que dans un livre. Elle devinait ce qu’il éprouvait et voulut l’aider. Elle se tourna vers le rescapé :

– J’aimerais vous poser une question, professeur.

– Mais je vous en prie…

– Si elle était venue vous consulter, dans votre service hospitalier, s’en remettant de façon normale entre vos mains et celles de vos assistants, auriez-vous pu réaliser ce miracle qu’elle attendait de vous ?

– Non. Et je l’en ai informée – rappelez-vous ! – en spécifiant que même sur une toute jeune femme il me serait impossible d’atteindre la perfection d’origine. C’est ce qui a déchaîné sa colère… et ma condamnation !

– Il faut qu’elle soit réellement folle à lier ! s’exclama Plan-Crépin. Et idiote par-dessus le marché ! Comment ne comprend-elle pas que vous représentez son unique chance de revivre au grand jour ? Vous pouviez lui rendre un visage au moins acceptable ?

– Un peu plus peut-être car les yeux sont intacts et fort beaux. Elle ne se serait évidemment pas reconnue dans une glace, mais en prenant patience et avec les soins appropriés, elle pourrait vivre comme tout un chacun, sans plus se cacher. Je ne connais pas son âge mais elle a dépassé les quarante ans ?

– Quarante et un et des poussières. Vous êtes lié, naturellement, par le secret professionnel. Ce serait donc le meilleur moyen d’échapper définitivement à la police judiciaire, à Scotland Yard et aux services internationaux qui la traquent. Elle est riche ; se procurer de faux papiers n’est certainement pas un obstacle pour elle. Et pourtant elle refuse cette chance inouïe ?

– Formellement !

– Pour elle c’est tout ou rien ? Alors c’est qu’elle est idiote !

– Pas complètement, rectifia la marquise. Pour ce genre de femmes habituées à vivre sous les feux de la rampe et avoir à leurs pieds des foules délirantes, se retrouver dans l’anonymat, passer inaperçue, devenir madame Unetelle doit être intolérable !

– Si on laissait de côté les états d’âme de cette femme ? ronchonna Hubert. Quand elle et sa clique vont s’apercevoir que le professeur Zehnder s’est envolé, que croyez-vous qu’ils vont faire ? Le chercher, évidemment. Et je redoute que leurs regards ne se tournent automatiquement du côté le plus proche : le nôtre. Il me semble que c’est ainsi que je réagirais, moi ?

– Grâce à Dieu, le commun des mortels n’a pas votre brillant cerveau, cousin ! ironisa Marie-Angéline. Notre proximité ne signifie rien puisque nous nous sommes arrangés pour que l’évasion paraisse s’être produite en empruntant le mur du bas de la Malaspina ! Dans l’immédiat on ne peut qu’attendre et offrir un lit à notre invité pour qu’il s’y repose et retrouve ses forces. En outre appeler Langlois afin de le mettre au courant et se tenir prêts à toute éventualité. Au cas où les gens d’à côté tenteraient une offensive contre nous… eh bien, on les recevra… et qui vivra verra ! J’avoue cependant que je me sentirais beaucoup plus tranquille si Aldo et Adalbert étaient parmi nous…

Un moment plus tard, Oscar Zehnder pouvait enfin prendre, en toute quiétude, un repos durement gagné, et la villa Hadriana ses portes et ses persiennes hermétiquement closes semblait étendre sa protection innocente sur ses habitants. De l’autre côté du mur, la Malaspina, ignorant que son prisonnier lui avait échappé, avait tout à fait l’air de jouir de la même paix profonde cependant qu’au bas de ses jardins les deux dobermans continuaient paisiblement leur nuit… Il était plus d’une heure du matin…

Les deux cent quinze kilomètres séparant Zurich de Lugano allaient paraître à Aldo et Adalbert beaucoup plus longs et surtout plus pénibles que les six cents et quelque parcourus depuis Paris. Traversant le cœur de la Suisse, ils étaient presque entièrement montagnards. En outre, la petite pluie qui était apparue au moment du drame de Kilchberg s’était changée en averses rageuses qui noyaient le paysage et mettaient les essuie-glaces à rude épreuve. Ainsi que leurs nerfs. Et d’autant plus qu’en arrivant à Altdorf, à environ un tiers du parcours, ils n’avaient pas encore aperçu les feux arrière de Grindel. Aldo qui conduisait s’arrêta sur la place du village pour boire une tasse de café.

– On n’était pas si loin derrière et je n’ai pourtant pas mal roulé…

– Aucun doute là-dessus ! Je me demandais justement s’ils ne s’étaient pas planqués à l’écart de la route pour nous laisser passer. Après la fusillade ils doivent se douter qu’on s’est lancés à leurs trousses ?

– Alors on fait quoi ? On se met en embuscade pendant un moment pour vérifier ou on continue ?

– À mon avis, il vaut mieux continuer : le risque est trop grand d’arriver à la fumée des cierges. Mais si tu es fatigué je te relaie ! On n’est plus très loin du col du Saint-Gothard et par ce temps idyllique ça ne va pas être une partie de plaisir puisque l’hôtel nous a prévenus que le tunnel routier est fermé pour travaux !

– Tu veilles vraiment sur moi mieux qu’une nounou, sourit Aldo. Mais rassure-toi, ça va. Dès que j’en sens le besoin, tu reprends le volant !

On repartit et le cauchemar continua pour traverser quelques-uns des plus beaux paysages de là Suisse sans autre perspective que le ruban sinueux de la route éclairée par les phares sur laquelle la pluie ne cessait de tomber. Ce ne fut qu’en arrivant sur Airolo et au lever du jour qu’elle consentit enfin à lâcher prise et le soleil était bien présent quand, enfin, on aperçut Lugano…

Grâce à Dieu la rituelle – et heureusement l’unique – crevaison de pneu avait consenti à attendre que le jour soit venu et que l’on eût atteint la douceur du Tessin !

Il était neuf heures et Marie-Angéline en était à sa troisième tasse de café quand la cloche de la grille agitée par une main vigoureuse se fit entendre. Plan-Crépin se précipita mais Wishbone qui, pour s’occuper, maniait au jardin un râteau négligent l’avait devancée pour ouvrir les deux battants de fer forgé devant la voiture couverte de boue qu’Adalbert conduisit d’emblée au garage. À demi étranglée par la joie, elle sauta au cou d’Aldo avec une telle impétuosité qu’elle faillit le jeter à terre en criant :

– Merci, Seigneur ! Vous m’avez exaucée et les voilà !

Ce qui précipita tout le monde sur le perron. Ce fut un moment d’émotion intense, même de la part d’Hubert cependant peu porté aux effusions et même chez Oscar Zehnder qui se tint à quatre pour ne pas embrasser lui aussi les arrivants. Lesquels le reconnurent avec stupeur :

– Sacrebleu, professeur, qu’est-ce que vous faites là ?

– On va vous expliquer ! coupa Mme de Sommières. Mais d’abord rentrons dans la maison ! Nous allons finir par ameuter tout le quartier !

On se retrouva dans la vaste cuisine où Marie-Angéline et Boleslas s’affairèrent à réconforter les voyageurs et à nantir les autres d’un supplément de petit déjeuner, cependant que la joie des retrouvailles cédait peu à peu la place à l’inquiétude sur les heures à venir.

– Si je comprends bien, après l’arrivée du professeur Zehnder, vous avez cessé de surveiller la villa ? fit observer Aldo.

– Vous avez mal compris, cousin ! Boleslas et moi, on a fini la nuit dans la tour. À mon âge, on ne fréquente plus beaucoup le bon sommeil de la jeunesse. Ce que je compense par une petite sieste. En revanche, cela me permet de bouquiner, d’écrire… Mais passons ! Nous avons donc veillé, avec Boleslas qui, lui, possède le précieux privilège de s’endormir quand il veut et où il veut !

– Hubert ! gronda Mme de Sommières, quand perdrez-vous cette manie de répondre par une conférence quand on vous pose une question ! Vous n’avez rien vu d’inquiétant, sinon vous l’auriez déjà dit !

– En revanche, vers quatre heures du matin, on a entendu les chiens aboyer comme s’ils n’avaient jamais été drogués. Une voix d’homme leur a imposé silence… et point final ! Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

– Pourquoi pas ce que je me proposais si vous n’étiez pas arrivés, messieurs ? dit Zehnder. Aller à la police de Lugano et porter plainte pour enlèvement et mauvais traitements ? Je suis un compatriote, moi, et… quelqu’un d’un peu connu ! Je suppose que l’on prendrait mon histoire en considération ? Et d’ailleurs pourquoi ne le ferions-nous pas… hein ?

– Je ne crois pas qu’on en ait le temps ! dit Adalbert. Si nos deux assassins ne sont pas encore arrivés, ils ne vont pas tarder ! Si nous étions à Zurich ou à Berne ou à Genève, on se précipiterait chez les flics, mais ici on est plus italiens que suisses ! Et votre projet risque de déchaîner une série de palabres plus hasardeuses qu’efficaces ! Avec tout ça, vous êtes sûrs qu’aucune voiture ne s’est pointée à l’horizon depuis le lever du soleil ?

– Sûrs ! affirma Plan-Crépin. Le portier n’a pas bougé et il est improbable que Grindel ait les clefs !

– Bon ! Continuez à surveiller…

– Boleslas va retourner là-haut mais…

– Pas de mais ! On a assez perdu de temps ! Si les frères Grindel ne sont pas encore arrivés il faut en profiter ! Adalbert, donne-moi les clefs de ta voiture !

– Qu’est-ce que tu veux en faire ? Nous allons au-devant d’eux ?

– Non, pas toi ! Et je ne vais pas au-devant d’eux, je vais prévenir les gens de la Malaspina ! À y réfléchir, c’est la seule conduite intelligente à tenir…

– Si c’est tellement brillant, pourquoi rien as-tu pas parlé plus tôt ? protesta Adalbert après un moment de silence suffoqué.

– Parce que je n’avais pas encore entendu le professeur Zehnder ! Vous avez dit que c’était un certain Max qui vous avait amené et qui dirige la maison ?

– En effet.

– Alors ça vaut la peine de tenter le coup ! C’est lui que je vais voir et prévenir de ce qui va leur tomber dessus ! Vous ne le savez peut-être pas tous, mais je lui dois la vie, ainsi que Wishbone d’ailleurs… et sans compter Lisa et Pauline Belmont. C’est lui qui nous a évité de griller dans l’incendie du château de la Croix-Haute ! Ce qui n’est pas ton cas, Adalbert ! C’est pourquoi je préfère que tu restes ici auprès de Tante Amélie et de Marie-Angéline…

– Et nous on ne compte pas ? protestèrent Hubert et Zehnder d’une seule voix.

– Bien sûr que si, mais sous ne serez pas de trop au cas où mon idée tournerait au fiasco ! Et vous pourrez même prévenir la police ! Adalbert, je t’en prie, n’insiste pas ! Tu n’as pas eu affaire à Max et je suis pleinement convaincu que ce n’est pas un mauvais type !…

– En revanche, moi je le connais ! intervint Wishbone ! Et encore mieux que vous, Morosini ! Alors si vous m’acceptez, je pense que ma place est auprès de vous ! D’ailleurs, afin d’éviter les paroles inutiles, je sors la voiture.

– Je vous rejoins ! dit Aldo. N’oubliez pas dans votre enthousiasme de prendre une arme ! Ça peut être utile !

Le Texan qui se dirigeait déjà vers la porte s’arrêta, tira un colt de sa poche de pantalon, le présenta à plat sur sa main et sourit.

– Qu’est-ce que vous croyez ? Depuis qu’on est dans ce patelin, je suis toujours couvert ! Il ne faut pas me prendre pour un enfant de chœur !

– Rassurez-vous ! Cela ne me serait même pas venu à l’esprit !

Aldo, alors, se tourna vers Adalbert dont le visage fermé révélait clairement la colère rentrée.

– On ne va pas encore se brouiller ? Essaie de me comprendre !

– Quoi ? Après avoir couru cette aventure ensemble, tu me débarques au dernier moment ? Non, ça je ne comprendrai jamais.

– Et il a raison ! assena Marie-Angéline ! D’autant plus qu’avec les deux professeurs, Boleslas et votre servante, on est très capables de se débrouiller !


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