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La collection Kledermann
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:49

Текст книги "La collection Kledermann"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– On dirait que ça va mieux ! Si vous pouvez plaisanter…

– Nous autre Morosini avons l’habitude de plaisanter jusque sur l’échafaud ! Mais c’est vrai que je me sens moins abattu ! C’est bien la preuve que l’inaction m’est préjudiciable. Si je dois continuer à faire de la chaise longue je deviendrai fou…

Adalbert, cependant, revenait avec son trophée qu’il déposa sur une table. Marie-Angéline lui présenta une paire de ciseaux pour couper les ficelles. Ce qu’il fit avec un luxe infini de précautions. De même pour écarter le papier d’emballage car il avait raison sur un point : on entendait effectivement un inquiétant tic-tac.

– Tout le monde à l’abri, je vais faire sauter la soupape…

Il avait pris la canne d’Aldo et s’était emparé d’un fauteuil pour s’en faire un rempart. Celui-ci haussa les épaules et, repoussant son ami, ouvrit la boîte qui révéla son contenu : un gros réveil Jaz qu’il tendit à Adalbert :

– Tu avais raison pour le mouvement d’horlogerie !

– Voyons le reste !

Le reste, c’était un paquet enveloppé de papier blanc qu’il déballa vivement : il y avait là son passeport, son portefeuille tel qu’il était quand on l’en avait dépouillé, y compris l’argent et les photos de Lisa et de ses enfants, son carnet de chèques, son porte-cigarettes armorié en or, sa montre, son briquet, sa bague ancestrale à la sardoine gravée, enfin la petite mais forte loupe de joaillier qui ne le quittait jamais.

– Une plaisanterie de potache ! sourit-il, que je pardonne volontiers : je n’aurais jamais cru retrouver un jour tout cela !

– Il y a aussi un billet ! dit Plan-Crépin en le lui tendant.

Peu de mots mais qui suffirent à souffler la timide flamme de joie qui lui était venue :

« On ne vous restitue que ce qui vous appartient à l’exception de votre anneau de mariage. Vous n’en avez plus besoin… »

La douleur fut si vive qu’il ferma les yeux afin de retenir ses larmes. Il sentit alors la main d’Adalbert se poser sur son épaule :

– On te le rendra un jour, crois-moi ! C’est ce qu’il faut te dire et surtout ne donne pas à ces salauds la satisfaction de te voir souffrir !

– Tu en as de bonnes ! Il me semble que j’entends quelqu’un ricaner derrière mon dos.

Dans un mouvement de colère, il allait balayer de la surface de la table les emballages quand Marie-Angéline s’y opposa :

– Vous les avez assez tripotés tous les deux alors maintenant n’y touchez plus : je reviens !

Elle disparut un instant, revint équipée de gants de caoutchouc neufs empruntés à la cuisine et d’un sac en papier où elle fourra l’ensemble, y compris le malfaisant billet :

– On va confier ces machins à nos gardiens de nuit quand ils arriveront afin que l’un d’entre eux retourne au Quai des Orfèvres. Le laboratoire de la police repérera peut-être des empreintes digitales instructives !

– Quelle présence d’esprit ! admira Aldo. À ce propos, ne croyez-vous pas qu’il serait temps de leur rendre leur liberté ? Je me sens pleinement capable de me défendre. D’ailleurs on m’a accordé la grâce de me rendre mon passeport, ce qui me posait un sérieux problème et j’ai de plus en plus envie d’aller faire un tour en Suisse…

– Vous n’êtes pas un peu fou ? protesta Plan-Crépin.

– … juste un aller-retour à Zurich ! Une seule nuit au Baur-au-Lac pour échanger quelques mots avec Ulrich, le portier ! Je veux l’adresse des Borgia et, à moi, il la donnera !

Adalbert approuva :

– D’accord, mais je t’y conduis en voiture et on opère dans la discrétion. En outre, ce n’est pas le moment de nous séparer de tes anges gardiens, on va même s’entendre pour qu’ils nous donnent un coup de main et agissent comme si de rien n’était.

– Ne rêvez pas, Adalbert ! Ils n’accepteront jamais à moins qu’ils n’aient l’aval de leur patron, affirma Mme de Sommières. Une quelconque complicité avec vous pourrait leur coûter leur carrière.

– On ne peut être plus exact ! Dans ces conditions je n’entrevois qu’une solution, décida Plan-Crépin : le feu vert du grand chef ! J’y fonce !

– Mais ma pauvre petite, il va vous rire au nez !

– Je ne crois pas. Aldo, confiez-moi votre portefeuille, votre étui à cigarettes, votre briquet et votre carnet de chèques pour les ajouter aux emballages et je vais les lui porter moi-même ! Il va être si content que j’obtiendrai sa permission !

– Vous ne voulez pas aussi mon passeport ?

– Non. Il pourrait lui prendre envie de le garder ! Il ne faut rien négliger mais je pense que la perspective d’apprendre où niche son gibier devrait le séduire !

– À moins qu’il ne le sache déjà ! ronchonna Adalbert. Auquel cas il va nous planter un flic dans chaque pièce ! Qu’en dites-vous, Tante Amélie ? C’est de la folie, non ?

Elle regagna son fauteuil et se mit à jouer avec ses sautoirs puis sourit à son « fidèle bedeau » :

– À la réflexion, je me demande si cette idée est aussi délirante qu’elle le paraît. De tout façon, vous ne risquez rien d’essayer, Plan-Crépin. Il ne va pas vous jeter sur la paille humide des cachots ! Dites à Lucien de sortir la voiture.

– Pourquoi ne pas appeler un taxi ? proposa Adalbert. Ce serait moins… spectaculaire.

– Figurez-vous, mon garçon, que, depuis les derniers événements, je n’ai plus guère confiance dans la corporation. À l’exception, bien sûr, du colonel Karloff et de ses copains russes mais on ne sait jamais où les trouver. D’ailleurs notre Cosaque n’exerce plus !

Quelques minutes plus tard, la vénérable Panhard franchissait majestueusement le portail, emmenant Marie-Angéline et l’un des deux policiers qui avait fermement refusé de la laisser sortir seule alors que la nuit commençait à tomber... Deux précautions valant mieux qu’une, ce dernier avait aussi exigé que l’on appelle le « Quai » afin de s’assurer que le commissaire principal était à son bureau.

Deux heures après, elle était de retour, triomphante. Langlois l’avait félicitée de sa « brillante initiative » et, après les palabres obligatoires, avait accordé l’autorisation souhaitée. Il exigeait seulement que le départ s’effectue avec la discrétion nécessaire afin de ne pas donner l’éveil à d’éventuels veilleurs et la maison, bien entendu, conserverait ses gardiens comme d’habitude.

– Il a ajouté : « Dites seulement à Morosini que je suis d’accord pour la simple raison qu’à moins de l’enfermer il ira là-bas que cela me plaise ou non. Alors autant le laisser faire. Lui et son acolyte sont aussi têtus que des ânes rouges… »


5

Une voix dans la nuit…

En roulant en direction de la Suisse, le lendemain matin, Aldo se sentait revivre plus encore que lorsqu’il avait quitté l’hôpital. Il s’en fallait de près d’un mois que le temps imparti à sa convalescence fût terminé mais si elle l’avait d’abord catastrophé, la dramatique nouvelle apportée par Guy avait réveillé en lui le goût du combat… C’était tellement plus vivifiant que de regarder les heures du jour changer les couleurs du jardin d’hiver ou de bouquiner au coin du feu en ruminant trop d’idées noires pour accrocher vraiment au texte, si grand que soit le talent de l’auteur.

Le départ s’était opéré dans la discrétion avec la complicité des policiers de service – Sommier et Lafont – auxquels Langlois avait donné de nouvelles consignes… Tandis qu’Adalbert, dans la confortable voiture – qui l’avait mené en Touraine et qu’il avait fini par acheter « au cas où… » –, accompagnait Guy Buteau au train du retour vers Venise et que Lafont sous les vêtements d’Aldo effectuait une promenade vespérale dans le parc en compagnie de Plan-Crépin, Aldo sous l’imperméable et le chapeau du policier enfourchait sa moto, comme si ledit policier avait oublié quelque chose, faisait un tour pour atterrir finalement chez Adalbert où il avait passé la nuit avant le départ prévu au petit matin. La précaution apparemment n’était pas inutile car les promeneurs du parc avaient essuyé un coup de feu auquel l’un et l’autre avaient répondu avec célérité en se rabattant sur la maison côté jardin. Le premier surpris avait d’ailleurs été Lafont qui félicita chaudement la descendante des valeureux Croisés pour son sang-froid et son habileté.

– On dirait que l’ennemi ne désarme pas, avait confié l’égyptologue à son invité quand il l’avait rejoint après avoir dîné comme d’habitude chez Mme de Sommières.

– J’ajouterai même qu’il m’a tout l’air de s’impatienter. C’est la première fois qu’il tente de m’abattre au cours d’une promenade.

– Peut-être parce que tu as fait les autres au grand jour. Difficile de tirer sur quelqu’un au milieu des gamins qui jouent, des nurses, des promeneurs, gardiens et jardiniers à moins d’avoir le goût du massacre ! Quoi qu’il en soit, ils ont commis là une faute. Le quartier va être passé au peigne fin…

– Tu crois ? Langlois sait bien que si Grindel habite avenue de Messine, il ne doit pas être assez idiot pour y loger un ou plusieurs truands. Ils habitent peut-être Montmartre, Ménilmontant ou le boulevard Saint-Germain…

Il pensait à cela tandis que la puissante voiture s’attaquait aux quelque six cents kilomètres qui, par Provins, Troyes, Chaumont, Langres, Vesoul, Belfort et Bâle, leur feraient rejoindre Zurich aux approches de la nuit. Incontestablement, par ce joli printemps, encore un peu humide mais ensoleillé, le voyage était agréable et la campagne magnifique avec sa verdure toute neuve et ses arbres en fleurs. Comme lui-même, Adalbert n’aimait pas trop bavarder quand il conduisait. Son passager en profita pour étudier l’idée qui lui venait et qui se développait à mesure que le ruban de bitume glissait sous les roues.

Il était même à ce point silencieux, laissant la cigarette qu’il avait allumée s’éteindre toute seule, qu’Adalbert finit par s’en rendre compte :

– Tu dors ?

– Non, pourquoi ?

– Parce que je te trouve bien silencieux ! Tu es en train de te couvrir de cendres. Quelque chose qui ne va pas ?

– Non. Je réfléchissais seulement au côté mouvementé de notre départ… et je me demandais s’il ne vaudrait pas mieux que tu rentres sans moi afin que disparaisse la menace qui pèse sur la rue Alfred-de-Vigny. Une fois que l’ennemi me saura dans la nature il n’aura plus besoin de s’y intéresser.

– Erreur ! Il faut qu’il t’y croie encore, donc que la police poursuive et même renforce sa surveillance ! Sinon alors ce seraient les vies de Tante Amélie et de Plan-Crépin qui pourraient être en danger. Je pense qu’ils sont capables de tout !

– Moi aussi ! Ce serait tentant, une fois que nous saurons où loge l’ex-Fanchetti, d’aller y voir d’un peu plus près alors que rentrer au bercail n’a rien de très excitant. Et pour y faire quoi ? Attendre une attaque en règle ou l’arrivée de documents aussi déplaisants que celui dont mon pauvre Guy était chargé ? À ce propos, je lui ai rendu ce qu’il avait apporté avec pour consigne de le laisser sur mon bureau et d’y ajouter les éventuels courriers qui pourraient lui parvenir mais sans les ouvrir, comme s’il ignorait où me joindre mais attendait mon retour. Ce qui pourrait se passer quand je saurai où trouver César !

– Tu veux rentrer chez toi ?

– Pourquoi non ? Ce sera encore la meilleure façon de détourner le danger de nos Parisiennes dont tu pourrais, toi, t’occuper !

Adalbert donna un coup de volant à droite, ralentit, s’arrêta sur le bas-côté de la route et se tourna vers son passager qu’il considéra d’un œil sévère :

– Toi, mon vieux, tu cogites trop et ça risque de te jouer des tours ! On a tous les deux la même préoccupation : la sécurité de nos chères dames, mais on ne la voit pas de la même façon. Donc, afin d’éviter d’ergoter pendant des heures je vais te donner mon point de vue définitif. Un : si on découvre la retraite du Borgia on y va ensemble ! Deux : on prévient Langlois de ce qu’on a découvert et on attend sa réponse pour savoir ce qu’il veut faire mais en lui recommandant le quartier Monceau, y compris l’avenue de Messine…

– Si on lui écrit ça on va le mettre en fureur. Il connaît son métier, que diable !…

– Là, tu as sûrement raison ! Et trois : on rentre à Paris ou on va à Venise mais « ensemble » ! Tu m’as bien compris ? Pas question de te laisser tout seul courir les aventures ! J’ai juré de ne pas te quitter d’une semelle et j’ai la mauvaise habitude de tenir parole ! Vu ?

– Vu. Tu peux redémarrer !

L’incident était clos et quand on s’arrêta au Lion d’Or de Vesoul pour déjeuner : on s’accorda tacitement pour s’intéresser uniquement à un excellent repas à base de morilles et de vin d’Arbois. Il faisait exceptionnellement beau, la salle de restaurant était charmante et plus encore la patronne qui tint à servir elle-même ces voyageurs si évidemment distingués.

– Pour un peu on se croirait en vacances ! exhala Adalbert en aspirant sa première bouffée de cigare. Au fond, je crois que si l’on veut étaler un peu les mauvais coups de l’existence, il faut savoir lui voler ici ou là les petits moments de douceur qui se présentent !

Aldo ne put s’empêcher de sourire. Ce qui était surtout réconfortant pour lui, c’était l’inépuisable bonne humeur d’Adalbert, soutenue le plus souvent par un épicurisme impénitent ! D’autant qu’il avait pleinement raison !

Revoir le Baur-au-Lac procura à Aldo un plaisir inattendu. Il y était venu souvent et dans des circonstances plus ou moins heureuses, mais c’est son personnage normal qu’il avait l’impression de réintégrer pleinement en franchissant le seuil élégant où l’accueillit le large sourire du voiturier :

– Heureux de vous revoir, Excellence ! fit-il en le saluant.

– Moi également, Josef !…

Ce fut mieux encore à la réception où Ulrich Wiesen reçut les deux voyageurs. Il connaissait aussi Vidal-Pellicorne bien qu’il l’eût vu moins souvent. Il leur annonça qu’il avait choisi pour eux deux des plus belles chambres donnant sur le lac et s’enquit respectueusement de la famille. Ce fut d’un ton tout à fait naturel qu’Aldo répondit que son épouse séjournait à Vienne avec les enfants et que son beau-père était en Angleterre, sa venue à lui s’expliquant par un rendez-vous avec un client éventuel trop âgé pour se rendre à Venise. Puis Adalbert demanda qu’on leur retienne une table pour le dîner et l’on s’en tint là !

La journée se passa comme il convenait. On prit un bain puis un court repos avant d’enfiler les smokings pour descendre dans l’élégante salle à manger où d’ailleurs au-dessus de l’eau il n’y avait guère de monde et surtout personne de connaissance, ce qui les enchanta. L’un comme l’autre étaient peu tentés par un épisode supplémentaire de la comédie mondaine. En revanche, ils goûtèrent pleinement leur rituelle promenade nocturne agrémentée d’un cigare dans les jardins en bordure du lac. Des jardins, il s’en trouvait beaucoup à Zurich, mais Aldo aimait particulièrement ceux-là.

– Quel est le programme ? demanda Adalbert.

– Oh, c’est simple : demain matin, puisque je suis censé aller voir mon client, on ira flâner à pied dans la vieille ville et sur les bords de la Limmat. Je ne sais pas si tu as déjà visité mais c’est magnifique comme toutes ces villes suisses assises depuis des siècles sur la puissance de l’argent et le goût de ceux qui les ont bâties. Je poserai « la » question en rentrant. Après on pourra repartir. Je ne te cache pas qu’en dépit du charme de Zurich je ne m’y sens pas très à l’aise…

– C’est normal ! Trop de souvenirs !

On quitta le Baur vers dix heures et demie et on laissa la voiture près de l’hôtel de ville pour baguenauder au long des rues qu’Aldo connaissait bien. Pour user le temps, on s’arrêta au café Odéon, haut lieu de la culture internationale dont le livre d’or portait les signatures de Richard Strauss, de James Joyce, de Somerset Maugham, de Klaus Mann et d’Arturo Toscanini et dont l’étage avait vu danser Mata Hari. Le café y était excellent et pendant un moment les deux hommes oublièrent qu’ils n’étaient pas des touristes. Enfin on reprit la voiture pour rentrer à l’hôtel…

En pénétrant dans le hall, Aldo arborait un air si mécontent qu’en lui donnant sa clef le portier osa demander :

– Vous semblez contrarié, Excellence. Rien de grave j’espère ?

– Non, rassurez-vous, mon cher Ulrich ! Du temps perdu avec quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il veut. Si toutefois on peut appeler temps perdu celui que l’on passe chez vous…

Il prit sa clef, se dirigea vers l’ascenseur et revint :

– Pendant que j’y pense, y a-t-il longtemps que vous avez vu le comte de Gandia-Catannei ?

– Pas très longtemps, non ! Il était ici voilà… une quinzaine de jours si ma mémoire est bonne…

Aldo tâta ses poches comme s’il cherchait quelque chose. En vain évidemment et reprit :

– J’ai oublié mon carnet. Vous n’auriez pas son numéro de téléphone par hasard ?

– Non, Excellence, je regrette. C’est toujours lui ou son secrétaire qui appellent pour l’annoncer...

– Tant pis !…

Il s’écarta de quelques pas puis revint :

– Vous devez avoir l’annuaire des Cantons ?

– Naturellement !…

Ulrich Wiesen sortit de sous son comptoir le gros album. Aldo lui offrit un sourire suave :

– Ayez, s’il vous plaît, l’amabilité de chercher pour moi. Les lettres sont toujours minuscules et il m’arrive d’avoir quelque peine à les lire…

– Mais avec plaisir, Excellence !

Il se mit à feuilleter l’épais volume tandis que Morosini s’accoudait familièrement. Non seulement il disposait d’une vue impeccable mais en outre il savait parfaitement lire à l’envers. Aussi vit-il nettement qu’Ulrich consultait les pages concernant Lugano dans le Tessin, les parcourait attentivement pour finir par refermer le livre avec un soupir désolé :

– Je regrette infiniment, mais le comte n’est pas inscrit à l’annuaire. Ce qui ne m’étonne guère d’ailleurs parce que je ne suis pas certain qu’il soit installé là-bas depuis longtemps… Mais Votre Excellence doit le savoir.

– En effet. De toute façon, ne vous tourmentez pas, Ulrich, ce que j’avais à lui dire peut attendre. C’est même préférable car cela me permettra de me calmer. C’est à lui que je dois cette matinée perdue. Alors ne lui parlez pas de moi quand vous le verrez… Vous me couperiez mes effets ! ajouta-t-il sur le ton de la plaisanterie.

– Je n’aurais garde ! sourit le portier avec un léger salut.

Aldo alla rejoindre Adalbert qui était allé l’attendre au bar en parcourant vaguement un journal :

– Alors ?

Aldo se hissa sur le tabouret voisin et commanda une fine à l’eau, attendit d’être servi et enfin lâcha :

– Lugano !

– C’est tout ?

– C’est mieux que rien, il me semble ! J’espérais qu’il avait le téléphone et…

– Ne te fatigue pas ! J’ai entendu le début de ta conversation. C’était pas mal ton idée ! Tu aurais pu copier l’adresse en même temps que le numéro ! Je croyais que tu pouvais tout obtenir du portier ! Qu’il te mangeait pratiquement dans la main !

– Ce n’est déjà pas mal, non ? L’adresse directe c’était tout de même un peu délicat. Ulrich a dit à Plan-Crépin que c’était un « bon client » ! Cela oblige à une certaine retenue. Mais tu peux t’y coller toi si tu te sens plus malin !

Et Aldo avala son verre d’un trait… pour en commander un second. Quand il sentait ses nerfs prendre le dessus, il devenait facilement irritable et éprouvait le besoin de se réconforter. Adalbert posa sa main sur son bras :

– Excuse-moi ! J’ai parlé sans réfléchir… mais Lugano n’est pas un tout petit patelin…

– Pas loin de trente mille habitants, d’après le dernier recensement. Seulement comme ce n’est pas au bout du monde – c’est à un peu plus de deux cents kilomètres –, on déjeune et on file ! On y sera ce soir. Au Splendide Royal Hôtel on nous connaît et je te rappelle qu’en outre nous avons un ami là-bas. Ce qui nous donne deux chances de plus !

– Parle pour toi ! Ton ami Manfredi sera sûrement ravi de te revoir car il te doit une fière chandelle, mais je ne suis pas certain qu’il en sera de même pour sa femme vis-à-vis de moi ! Ça s’est arrangé par la suite mais elle m’avait sacrément pris en grippe quand on a voyagé ensemble jusqu’à Lucerne et retour ! N’importe comment, on ne risque rien d’essayer ! se hâta-t-il d’ajouter.

Deux heures plus tard, on quittait Zurich après une courte visite à la chocolaterie Sprüngli afin de rapporter à Tante Amélie et à Marie-Angéline une copieuse provision de ce qui était les meilleurs chocolats du monde et que, de toute façon, elles adoraient.

Le temps restait vraiment magnifique et le voyage à travers quelques-uns des plus beaux paysages de la Suisse – par Zug, le lac des Quatre-Cantons, Andermatt, le tunnel du Saint-Gothard et la descente sur Airolo pour arriver finalement à Lugano accompagné d’un superbe coucher de soleil – fut un vrai plaisir qui s’acheva en apothéose en découvrant par une température nettement plus douce qu’à Zurich le charme de la vieille ville, ses maisons à arcades, sa cathédrale San Lorenzo, ses nombreux jardins déjà fleuris qui semblaient couler des montagnes aux sommets encore enneigés, le tout servant d’écrin à l’immense saphir bleu de l’un des plus beaux lacs.

En arrêtant sa voiture devant l’ancienne villa Merlina érigée face au lac dans un parc d’une grande beauté, Adalbert soupira :

– Je sais bien qu’il est un peu tard pour y penser mais, au cas où on se trouverait nez à nez avec « Borgia », qu’est-ce qu’on fait ? On dit « bonjour », on part en courant ou on lui tape dessus ?

– Pourquoi le rencontrerait-on ? Je te rappelle que c’est un hôtel ici !

– Justement. Pourquoi n’y vivrait-il pas, après tout ?

– Avec toute sa bande ? Et alors que ce beau monde est recherché par Scotland Yard et la Sûreté française ? Tu rêves !

– Tu ne m’as pas compris. Je ne pense pas qu’il habite là mais vu la réputation – culinaire entre autres ! – du Splendide, il peut parfaitement y venir déjeuner ou dîner. À Zurich il ne se gêne pas pour se montrer dans le meilleur hôtel. Alors, je répète : que fait-on ?

– On improvisera ! Maintenant redémarre ! J’ai besoin d’une douche !

– … et moi d’un verre !

Moins d’une demi-heure plus tard, dans une suite ouvrant sur le lac où les reflets du soleil achevaient de mourir, ils étaient satisfaits l’un et l’autre. L’hôtel n’était pas plein mais l’eût-il été que l’on aurait fait l’impossible pour les garder. Ils y avaient déjà séjourné et avec l’infaillible mémoire des réceptionnistes on savait qu’ils étaient des clients de choix.

Aux approches de vingt heures, rafraîchis de toutes les façons et impeccables dans l’obligatoire smoking noir, ils effectuaient leur entrée sous les plafonds peints à fresque de la salle à manger, sur les talons d’un maître d’hôtel qui les guida vers une table voisine d’une des hautes fenêtres donnant sur le parc éclairé plutôt que sur le lac, contentant ainsi Aldo qui avait demandé un « coin tranquille ».

Après avoir consulté la carte et choisi leurs plats, ils commençaient à grignoter les amuse-gueule quand, soudain, l’œil d’Adalbert qui faisait face à la plus grande partie de la salle à manger devint fixe. Il reposa son verre, secoua la tête en fermant les yeux, les rouvrit…

– Qu’est-ce que tu as ? demanda Aldo.

– Ce n’est pas possible, je rêve !

– Mais de quoi, bon sang ?

– Retourne-toi ! J’ai besoin de savoir si je ne suis pas devenu fou !

Aldo obéit et ses yeux s’arrondirent :

– Si tu l’es, moi aussi. Mais qu’est-ce que ces deux olibrius fabriquent ici… et ensemble ?

Il fallut bien, pourtant, se rendre à l’évidence. Les deux hommes en tenue de soirée qui venaient de faire leur entrée et se dirigeaient escortés par un maître d’hôtel n’étaient autres en effet que le professeur Hubert de Combeau-Roquelaure et son Texan Cornélius B. Wishbone, ce dernier très reconnaissable bien qu’il n’arborât pas son chapeau de feutre noir en auréole et qu’il eût sérieusement raccourci sa barbe et ses moustaches. Tous deux paraissaient d’excellente humeur et s’entendaient visiblement à merveille.

– Ce n’est pas possible ! exhala Adalbert. Ils sont en voyage de noces ou quoi ?

– Tu as toujours l’esprit mal placé, fit Aldo qui ne put s’empêcher de rire. Mais il est vrai qu’il y a là un mystère.

Il tira d’une poche un petit calepin de galuchat noir à coins d’or, griffonna dessus quelques mots, déchira la page, la plia puis fit signe à un garçon de s’approcher et le lui donna avec un billet de banque en désignant discrètement la table des nouveaux venus.

– Qu’est-ce que tu as écrit ?

– Notre numéro d’appartement, mon nom et onze heures. Observe la réception, moi je ne me retourne pas !

Ce fut au professeur que le garçon remit le papier. Il le lut, montrant une stupeur non feinte, ses sourcils blancs et touffus remontés jusqu’au milieu du front. À travers la salle, son regard et celui d’Adalbert se croisèrent. Il eut alors un large sourire, agita la tête en signe d’assentiment puis tendit le billet à Wishbone en lui demandant sans doute de ne pas bouger car il ne regarda pas de leur côté.

Bien que la route eût creusé leur appétit, aucun des deux hommes ne prêta beaucoup d’attention à ce qu’ils mangeaient. Pas plus à ce qu’ils buvaient tant ils grillaient de curiosité. Comment l’habitant de Chinon et le milliardaire texan en étaient-ils arrivés jusqu’à Lugano ?

– Ils doivent avoir déniché quelque chose, hasarda Adalbert. Tu as dû remarquer que le professeur est fouineur comme pas deux ?

– Et ils n’ont pas dû arriver ici par hasard ! Ce que je me demande, c’est s’ils ont prévenu Langlois.

– On ne lui a pas annoncé davantage notre changement de programme. On s’est contenté d’envoyer un télégramme rue Alfred-de-Vigny… Reste à attendre qu’ils nous rejoignent… Mais bon sang de bois, pourquoi as-tu écrit onze heures ? Tu aurais pu indiquer…

– Ne rouspète pas ! C’est très bien ainsi. Ce n’est pas parce qu’on expédie un délicieux dîner qu’il faut les obliger à en faire autant ! Un peu de charité chrétienne, comme dirait Plan-Crépin !

– C’est bien la première fois que je t’entends l’invoquer ! grogna Adalbert en attaquant son risotto aux bolets comme s’il lui en voulait.

Aldo le considéra avec un léger dégoût :

– Prends tout de même le temps de déguster ! À notre dernier passage, tu avais adoré cette spécialité tessinoise et… on n’est pas pressés à ce point !

– Justement ! J’ai fermement l’intention d’en commander un second !

Battu, Aldo se consacra à sa propre assiette. La présence du « druide » de Chinon et de celui qu’il considérait comme son « Américain » lui causait une joie d’autant plus savoureuse qu’elle était inattendue. Ils ne pouvaient pas être venus à Lugano par hasard ! Il « fallait » qu’ils eussent saisi une piste. Et maintenant il avait hâte de savoir et commençait à regretter de ne pas avoir fixé le rendez-vous un peu plus tôt. Mais il ne l’eût avoué pour rien au monde !

Ce repas un brin chaotique enfin achevé sur un admirable café, on gagna la sortie par le fond de la salle à manger afin d’éviter de passer près des deux dîneurs… Dans le hall, Adalbert sortit de son gousset une montre plate (5) qu’il consulta :

– Dix heures un quart ! marmotta-t-il. On va fumer un cigare dehors !

Sans attendre la réponse, il se dirigea vers l’entrée où le groom chargé d’ouvrir ou de fermer la porte l’arrêta :

– Si je peux me permettre, monsieur, il pleut !

– Il pleut ? Ici ?

– Cela arrive quelquefois, fit le jeune homme avec un bon sourire. Sans cela nos jardins ne seraient pas si beaux !

– Évidemment !

Résigné, il rejoignit Aldo qui l’attendait au pied du grand escalier.

– J’ai demandé qu’on nous monte une bouteille de champagne.

– Avec quatre verres ? Comme ça le personnel saura qu’on tient une réunion !

– Non, deux ! Nous on se servira de ceux qui sont dans le petit bar du salon !

– Et on fera la vaisselle après !

En fait le temps passa plus vite qu’Adalbert ne le redoutait pour l’excellente raison que les « visiteurs » sans doute aussi pressés qu’eux-mêmes apparurent avec un quart d’heure d’avance ! Ce fut d’ailleurs le professeur qui attaqua :

– Mais qu’est-ce que vous faites là tous les deux ? On vous croyait encore en convalescence, cousin !

– La convalescence, c’est surtout un état d’esprit et ça ne vaut rien de traîner dans une chaise longue quand on se sent suffisamment en forme pour se remettre au travail. Donc nous voilà après un passage à Zurich où nous avons appris que le comte de Gandia-Catannei « habitait » Lugano…

– … villa Malaspina, sur les pentes du mont Brè… Un fort bel endroit qui présente l’avantage d’être très proche de la frontière italienne.

Assez content de son effet, le professeur alla s’asseoir dans un fauteuil proche de la table où le plateau était posé :

– Vous voyez, Cornélius, que vous avez eu raison de ne pas prendre de champagne ce soir ! J’étais sûr qu’on nous en offrirait ! On sait recevoir dans la famille !

– Comme si j’en doutais ! Vous êtes agaçant, Hubert, à toujours vouloir avoir raison… grommela Wishbone après avoir serré chaleureusement les mains de ses hôtes.

– Ce qu’il ne sait pas encore, c’est qu’il n’aura droit à un verre que quand il nous aura dit comment vous en êtes arrivés là ! En tout cas, félicitations, mon cher Wishbone ! Vous avez fait d’énormes progrès en français ! Allez, cousin, nous sommes tout ouïe.

– Oh, c’est simple : en fouillant dans ce qui restait de la chambre du vieux Catannei, au rez-de-chaussée de la Croix-Haute, nous avons découvert quelques papiers froissés et salis mais qui ne pouvaient provenir que d’un bloc de correspondance et nous avons réussi à reconstituer l’entête gravée : villa Malaspina et Lugano. On a décidé d’un commun accord d’y aller voir…

– Vous auriez pu commencer par prévenir le commissaire Langlois au lieu de venir jouer tout seuls aux petits détectives ! remarqua Aldo.

Aussitôt Hubert de Combeau-Roquelaure se rebiffa :

– Pourquoi ? Ses sbires ne sont pas plus intelligents que nous ! Et ils ne disposent pas des mêmes moyens ! On a pris le train, on s’est installés dans cet hôtel dont on nous a dit qu’il était le meilleur, on a loué une voiture et on a entamé nos investigations. On aurait pu s’adresser au réceptionniste mais c’est un Suisse de Lausanne et on n’avait guère envie de dévoiler le but de notre voyage. C’est alors que Cornélius a eu l’idée de génie de nous adresser à une agence immobilière…

– En général, coupa l’auteur de l’idée de génie, ces gens-là connaissent leur coin rue par rue et maison par maison. J’ai dit que je voulais acheter une maison et que le prix n’avait pas d’importance !


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