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La collection Kledermann
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:49

Текст книги "La collection Kledermann"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Non ! Je réfléchissais !

– À quoi, si je ne suis pas indiscrète ?

– En aucune façon ! Je voudrais savoir quand je vais pouvoir rentrer à Paris ?

– Vous vous ennuyez tant que ça avec nous ?

– Ce serait de l’ingratitude mais je me languis de retrouver une vie plus normale !

– C’est bien naturel… pourtant vous devez être conscient qu’il vous faut encore pas mal de repos ?

– Je m’y soumettrai mais à Paris je serai chez moi presque autant qu’à Venise et je pourrai m’occuper de mes affaires négligées par force depuis un bon moment !

– Allons ! Je vois qu’il faut vous rassurer, concéda-t-elle en arrangeant ses oreillers derrière son dos afin qu’il puisse manger plus confortablement. J’ai entendu M. Lhermitte dire qu’il pensait vous libérer samedi prochain. Je crois même que l’ambulance est prévenue…

– Quatre jours à attendre !

– Ce que vous pouvez être insupportable ! Aussi je précise : si toutefois la fièvre ne revient pas ! Alors vous savez ce qu’il vous reste à faire ? Garder un calme olympien. Sinon…

Le message était clair. Aldo attaqua son potage avec un soupir résigné. Dieu, qu’ils allaient être longs ces quatre jours !

Le lendemain, Hubert de Combeau-Roquelaure et Cornélius B. Wishbone vinrent déjeuner à l’hôtel de l’Univers sur l’invitation d’Adalbert. Venus d’horizons tellement différents et en dépit d’une nette différence d’âge et de culture, les deux hommes n’en avaient pas moins noué une amitié inattendue mais solide. Au point que le professeur avait offert l’hospitalité au Texan et que celui-ci s’était établi quasi naturellement dans la belle vieille maison du Grand Carroi, authentiquement médiévale puisque ses murs avaient vu passer Jeanne d’Arc mais que son propriétaire avait réussi à doter d’un confort aussi ingénieux que raffiné sur lequel veillait Boleslas, un Polonais ancien musicien au nom imprononçable, chevelu à l’instar de Chopin, son dieu dont il connaissait la totalité de l’œuvre que, faute de piano, il chantait à pleins poumons ou psalmodiait lugubrement selon l’humeur du jour. C’était un réfugié politique haïssant les Soviets et échappé de leurs geôles que le professeur avait trouvé le plus romantiquement du monde à moitié gelé un soir d’hiver devant le Collège de France où il venait de délivrer un cours magistral ! L’immense dignité dont faisait preuve cet échalas en demandant l’aumône sur l’air du  Nocturne n° 5 avait frappé Hubert, peu émotif cependant, qui l’avait ramené à son logis parisien du boulevard Saint-Michel où il l’avait confié à sa concierge, Mme Lebleu, qui s’occupait de son appartement afin qu’elle prépare pour lui la chambre de bonne et qu’elle le remette en état de marche avant de le ramener avec lui à Chinon. Là il l’avait remis à l’examen de Sidonie sa gouvernante et femme à tout faire qui avait découvert en lui de réels talents d’homme d’intérieur. Ce qui lui permettait de se consacrer exclusivement à la cuisine.

Au moment où Aldo et Adalbert étaient apparus dans son environnement, Boleslas était absent : le professeur l’avait prêté à l’un de ses vieux amis d’Angers qui, après avoir perdu son valet de chambre, venait de se casser la jambe, en attendant de dénicher un autre serviteur… Son retour s’était effectué au lendemain de l’effondrement de la Croix-Haute qu’il regrettait amèrement de ne pas avoir vécu aux côtés de son maître. L’entrée en scène du Texan lui causa un plaisir extrême grâce au parfum d’aventure qu’il transportait et parce qu’il le trouvait follement sympathique. Dès lors la maison du Grand Carroi vécut le plus souvent sur un rythme de valses – celle du « Petit Chien » de préférence ! – que sur celui des  Nocturnes. Et le Polonais atteignit presque à l’extase quand les deux hommes entreprirent d’un commun accord de s’intéresser aux vestiges du château incendié en passant par les souterrains dans l’espoir de découvrir d’abord le chemin emprunté par la bande criminelle pour rejoindre la rivière et peut-être des restes pouvant donner d’autres indications.

– Vous avez trouvé quelque chose ? demanda Adalbert quand tout le monde fut réuni autour de la table.

– Nous avons réussi en ce qui concerne le chemin encore que de façon incomplète, dit le professeur. Un éboulis l’encombre plus qu’à moitié mais au-delà nous avons vu la lumière du jour. Il est donc inutile de le déblayer. En revanche, Cornélius – on en était là ! –, qui garde en mémoire l’intérieur du château, pense qu’avant le tas de pierres il devait être possible, en creusant quelque peu, de rejoindre la crypte de la chapelle dont une bonne partie est encore debout.

– Je ne doute pas que cet exercice d’archéologie ne soit d’une grande utilité, répondit Mme de Sommières avec un rien de sécheresse, mais je crains que nous n’ayons à résoudre un problème beaucoup plus grave. Un coup de chance a permis à Marie-Angéline de rencontrer sans en être remarquée le pseudo-César Borgia. Racontez, Adalbert ! Vous êtes plus doué que moi.

– Ça va si mal que ça, Amélie ? s’inquiéta le professeur. C’est vrai que vous avez une mine de déterrée !

C’était la dernière chose à dire : les yeux toujours si verts flamboyèrent :

– Si vous me sortez ça chaque fois que nous nous voyons, Hubert, on ne se verra plus du tout ! Je me demande même si…

– Allons, allons ! Ne vous fâchez pas ! J’ai simplement peur que vous ne dépassiez les limites de vos forces ! Et maintenant je me tais. Allez-y, mon garçon ! lança-t-il à son ancien élève.

– Merci, professeur ! Mais quand vous saurez ce qu’a été le voyage de nos deux vaillantes associées, vous comprendrez qu’à une lassitude réelle se joint une véritable angoisse touchant l’avenir de Morosini et de son épouse…

Il relata alors la suite de mauvaises surprises que Zurich avait réservées aux deux voyageuses depuis l’accueil décourageant de Lisa, l’incident des roses pour en venir à l’incroyable rencontre de Gaspard Grindel avec celui dont on ne savait plus très bien comment il s’appelait.

– Afin que vous n’ignoriez rien du point où nous en sommes, j’ajouterai qu’en passant par Paris, ces dames ont rencontré le commissaire Langlois, qu’il en sait autant que nous à cette heure et qu’il a sans doute pris déjà des dispositions. Dont l’une, primordiale, est de faire surveiller l’hôtel de Mme de Sommières dès qu’Aldo y sera rentré. Et ce sera samedi prochain !

– Vous l’avez vu ce matin, Amélie ? Vous lui avez raconté tout ça ?

– Bien sûr que non, explosa Marie-Angéline qui n’aimait pas garder le silence trop longtemps. Il a eu droit à une version expurgée mais il m’étonnerait que l’on en reste là longtemps. Dès qu’il se sentira d’aplomb, Aldo, tel qu’on le connaît, va vouloir s’en mêler et ça ne va pas être une mince affaire que de l’obliger à se tenir tranquille. Évidemment nous ferons de notre mieux…

– … mais vous aurez tout de même besoin d’aide, fit Adalbert, et ce rôle me revient… Encore que j’aie grande envie d’aller moi aussi me balader en Suisse…

– Si c’est pour tenter de convaincre Lisa, vous perdrez votre temps, mon garçon ! Je suis persuadée qu’elle se méfiera de vous plus encore que de moi ! soupira Mme de Sommières.

– Ce n’est pas elle que je voudrais voir, c’est l’auteur de ses jours ! C’est invraisemblable qu’il ait jugé bon de filer à Londres juste après que sa fille fut rentrée au bercail. Cela ne lui ressemble pas ! Et moi j’aimerais savoir ce qu’il pense de cette histoire ! Sans vouloir dénigrer le travail auquel vont se livrer les policiers, il me répondra à moi plus facilement qu’à eux…

– Surtout qu’en Suisse, les argousins vont avoir besoin d’un tas d’autorisations, déclara Hubert. C’est, je crois, l’un des rares pays d’Europe qui n’adhère pas vraiment à Interpol ! Mais pour ce qui est de surveiller Morosini, je vous offre bien volontiers mon aide…

Wishbone vida son verre de vouvray – qui était en train de devenir sa boisson préférée – et leva la main comme s’il s’agissait de voter :

– Moi aussi ! dit-il enthousiaste. Et je donne tous les dollars pour acheter complices, espions, maisons pour surveiller…

– Des tueurs aussi ? ironisa Marie-Angéline.

Mais il ne plaisantait pas.

– Si nécessaire on avait, oui aussi ! C’est moi la cause de tout le malheur je veux réparer !

– Vous n’avez pas envie de revoir votre cher Texas ? insinua doucement Mme de Sommières en trouvant un sourire pour ce charmant bonhomme que tous avaient adopté.

– Si, mais pas maintenant ! Quand tout sera dans l’ordre, j’achète un yacht et j’emmène tout le monde visiter. En ce moment c’est moi qui visite Touraine ! Magnifique pays ! Peut-être acheter un château et forêt de chênes pour le… gui ? C’est bien ça, Hubert ? acheva-t-il avec un large sourire à l’adresse de son hôte qui, lui, s’empourpra brusquement sous l’œil incrédule de Mme de Sommières et de Plan-Crépin qui ne put retenir un :

– Je rêve ! Professeur, vous avez entamé les approches pour l’embrigader dans… Ouille !

Elle n’alla pas plus loin. Adalbert lui avait à moitié écrasé un pied sous la table. Et se hâtait de reprendre :

– Nous nous éloignons de notre sujet ! Dans l’instant présent il s’agit d’assurer à Morosini une convalescence aussi paisible que possible et, pendant ce temps, tenter de recoller de notre mieux les morceaux de son ménage. Pour ce qui est de l’immédiat on le ramène à Paris et on laisse faire Langlois et ses hommes. C’est lui qui m’avertira quand je pourrai me rendre à Zurich pour causer avec Moritz Kledermann. On pourrait faire plus de mal que de bien.

– À présent qu’Aldo va vers sa guérison, je ne vous cache pas que mon souci principal est Lisa. En la voyant, dans cette clinique où, selon moi, elle n’avait pas à être j’ai eu l’impression d’avoir devant moi une autre femme. Le sort de son mari lui est indifférent. Son seul point sensible c’est le fait qu’elle ne pourra plus avoir d’enfants. Elle se sent humiliée, blessée…

– Étant donné qu’elle en a déjà trois à son actif et qu’elle rejette son époux, elle ne devrait pas en être affectée, remarqua le professeur… ou serait-ce qu’elle souhaite en avoir un d’un autre… époux ?

– Hubert ! s’indigna la marquise. Vous ne la connaissez même pas et vous émettez une idée… insultante à son encontre ! Et je viens de vous dire que je n’avais pas reconnu la femme à qui je vouais jusqu’à présent une affection quasi maternelle…

– Et vous attribuez ce changement à la clinique ? reprit Adalbert. Il est naturel que vous ayez eu un choc en apprenant qu’elle avait atterri chez… Je ne dirai pas les fous mais ça y ressemble fichtrement. Ce qu’il faudrait savoir c’est si on l’a mise là parce qu’elle en avait besoin après ce quelle a vécu… ou si c’est dans une intention malveillante, pour qu’elle y perde au fur et à mesure la raison… et cela me paraît tout de même un peu gros à quelques centaines de mètres du domicile paternel ! C’est pourquoi il faut à tout prix que j’obtienne un entretien avec Kledermann !

– Vous avez sans doute raison mais avouez que découvrir une collusion entre le cousin Gaspard et l’assassin de la Croix-Haute donne à réfléchir.

Plan-Crépin toussota pour s’éclaircir la voix puis avança :

– Et si, au lieu de tourner en rond, on allait voir un peu du côté de Vienne ? Personne jusqu’ici n’a seulement fait allusion à Mme von Adlerstein, la grand-mère de Lisa chez qui les enfants se trouvent ! Si elle a réellement besoin d’un soutien solide c’est chez elle et auprès de ses mioches qu’elle devrait être !

– C’est très juste ! admit Adalbert. C’est même curieux que la vieille dame ne se soit pas encore manifestée. Les journaux français ne sont pas interdits de séjour à Vienne ! Il faut reconnaître qu’ils ont été relativement discrets grâce à Langlois, j’imagine. Aucun n’a fait ses gros titres du « drame de la Croix-Haute ». On a seulement signalé que les pseudo-Borgia avaient fait sauter le château avant de prendre la fuite mais qu’on avait pu libérer leurs prisonniers. Il est très possible que la comtesse ne sache rien… surtout si elle n’est pas dans son palais viennois mais à Rudolfskrone, son château d’Ischl.

– Pour l’instant, coupa Mme de Sommières, je crois qu’il ne faut pas la déranger. Elle n’ignore pas, lorsqu’on lui confie les enfants, qu’il s’agit surtout de les mettre sous la protection de ses résidences qui sont de véritables forteresses intérieures. Il est probable que son gendre se soit chargé de la tenir au courant puisque c’est lui qui a payé la rançon, et se rendre auprès d’elle maintenant équivaudrait peut-être à la désigner comme prochaine cible. On avisera plus tard, en accord avec Langlois, et c’est moi qui m’en chargerai.

Il n’y avait rien à ajouter et on se sépara là-dessus.

– Tout compte fait, recommanda Adalbert aux deux nouveaux amis, tandis que les dames s’éloignaient, continuez donc à fouiller vos ruines. Je sais d’expérience que cela peut donner des résultats surprenants… On vous tiendra au courant !

Le samedi matin, comme prévu, Aldo fit ses adieux à l’hôpital et à ceux qui l’avaient si admirablement soigné… Adalbert s’était chargé de lui acheter des vêtements – il refusait l’idée de partir en robe de chambre ! – à sa taille et aussi proches que possible de ses goûts mais comme ses objets personnels – montre, portefeuille, briquet et porte-cigarettes en or à ses armes comme la sardoine gravée que, depuis le XVIe siècle, se transmettaient les princes Morosini – avaient disparu, le rescapé éprouvait le désagréable sentiment d’être quasiment nu. Pire encore : son anneau de mariage dont son annulaire ne gardait plus qu’une trace légère :

– Je n’arrive pas à m’ôter de l’esprit qu’il y a là un symbole inquiétant ! confia-t-il à Adalbert qui, secondé par Mme Vernon, l’avait aidé à s’habiller… et qui lui rit au nez :

– Tu ne vas pas devenir superstitieux ? Avoir perdu ta chevalière ne t’enlève ni ton nom ni ton titre pas plus que ton alliance ne fait pas de toi un célibataire ! À ce train-là, tu vas passer ta convalescence à te faire tirer les cartes par Plan-Crépin ! Secoue-toi, que diable !

En réalité, la joviale indignation du « plus que frère » était quelque peu forcée. Comme tout bon égyptologue qui se respecte, il était plus sensible aux symboles qu’il n’accepterait jamais de l’avouer. Même s’il ne fit aucun commentaire, Aldo ne s’y trompa pas.

– Me secouer, je voudrais bien, mais j’ai la tête qui me tourne un peu !

– Vous voyez bien que l’ambulance n’est pas du luxe ! Si l’on vous avait écouté on vous aurait laissé partir dans la voiture de M. Vidal-Pellicorne, triompha l’infirmière.

– … et il aurait fallu une civière pour vous en extirper… sans oublier que vous auriez fini le voyage sur la banquette arrière ! conclut le docteur Lhermitte qui entrait une lettre à la main. Alors pour l’amour de Dieu, ne m’abîmez pas mon ouvrage ! Vous aurez encore des vertiges et des migraines pendant quelque temps. Il faut vous y résigner ! D’ailleurs cette lettre est pour le professeur Dieulafoy dont Mme de Sommières m’a dit qu’il était de ses bons amis et qu’il vous avait déjà soigné. Il me relaiera. Et maintenant, bonne route… Et encore meilleur rétablissement ! Le succès dépend de vous…

– Merci, docteur ! Merci du fond du cœur ! Je sais que j’ai eu une chance inouïe d’être arrivé entre vos mains !…

Quelques minutes plus tard, l’ambulance franchissait le seuil des urgences emportant Aldo, un jeune externe pour les soins éventuels… et un policier armé. Suivait la voiture d’Adalbert véhiculant Mme de Sommières et Marie-Angéline. Lui aussi était armé, ce qui avait fait tiquer cette dernière :

– Ce déploiement d’artillerie est-il vraiment nécessaire ?

– Le commissaire Desjardins estime qu’il vaut mieux prendre trop de précautions que pas assez. On ne vous l’a pas dit mais des bouts de papier inquiétants ont atterri sur son bureau. Il ne faut pas se bercer d’illusions : Aldo a au moins un ennemi tenace qui ne renonce pas !

– Tout de même…

Mme de Sommières intervint :

– Ne jouez pas les hypocrites, Plan-Crépin ! Vous êtes tout bonnement furieuse parce que personne n’a songé à vous offrir une pétoire quelconque !

– Si ce n’est que ça, fit Adalbert imperturbable, il y a un pistolet chargé jusqu’à la gueule dans la boîte à gants ! Je n’ai pas oublié vos talents de société !

Elle s’en empara avec l’assurance d’un vieux troupier, vérifia qu’il était bien en ordre de marche, le posa sur la banquette et se sentit plus sereine, mais toutes ces précautions se révélèrent inutiles et ce fut en toute tranquillité que l’on réintégra la rue Alfred-de-Vigny et les beaux arbres du parc Monceau…

Deuxième partie

La tempête


4

Une convalescence mouvementée

Retrouver chez Tante Amélie la chambre jaune qui était la sienne quand il venait à Paris apporta presque autant de réconfort à Aldo que s’il rentrait chez lui. Il en aimait le décor sobre, élégant et nettement masculin, les deux fenêtres ouvrant directement sur le parc Monceau et, surtout en cette saison, la cheminée flamboyante d’où s’élevait la sylvestre odeur du feu de bois : toutes délices inconnues dans les blancheurs polaires d’un hôpital. En outre, ce n’était pas la première convalescence qu’il y vivait.

Après la captivité inhumaine que lui avait fait subir un demi-fou féroce et où il avait vu la mort de près, c’était là qu’il avait retrouvé le goût de vivre, la santé et l’envie de se battre pour Lisa (3). Celle-ci, en effet, arguant d’un mot prononcé sous l’empire de la fièvre, était partie en claquant la porte et en jurant de ne jamais revenir ! Somme toute l’histoire recommençait à cette différence que la première fois il n’était pas coupable et que la seconde il l’était indubitablement ! Le pire étant que, non seulement il n’en voulait pas à Pauline du langoureux piège qu’elle lui avait tendu, mais que dans le silence de ses nuits solitaires il trouvait un réconfort dans l’évocation des instants les plus brûlants passés dans ses bras… Arriverait-il jamais à les oublier ? Difficile à prévoir ! Plus difficile encore à croire.

Cependant la vie quotidienne dans l’hôtel de Sommières subissait quelques modifications dues à la présence nocturne de deux vigoureux policiers commis par le commissaire Langlois à la protection de la maison et de ses occupants… Ainsi en avait-il décidé jusqu’à ce que Morosini soit tout à fait remis. De jour, c’était Adalbert et Plan-Crépin qui montaient plus ou moins la garde intérieure mais le crépuscule voyait arriver régulièrement les hommes du Quai des Orfèvres. L’un campait sur un canapé dans le jardin d’hiver afin de surveiller l’arrière de la maison qu’une simple barrière séparait du grand parc, l’autre dans la galerie du premier étage avait l’œil sur les chambres, celle d’Aldo de préférence. On s’aperçut bientôt qu’ils étaient six se relayant toutes les vingt-quatre heures, tous faisant preuve d’une égale bonne humeur car c’était toujours avec un sourire radieux qu’on les voyait débarquer. Ils semblaient incroyablement heureux d’assumer ce travail quelque peu monotone. Même ceux qui étaient mariés.

Cette joie de vivre inattendue intrigua Mme de Sommières qui, un jour où Langlois était venu voir si tout allait bien, lui demanda :

– Les deux premières nuits nous avons eu Dupin et Dubois mais ensuite ils ne sont plus venus que tous les trois soirs. Pourquoi ?

Il éclata de rire :

– Ah, vous avez remarqué ? Initialement j’avais prévu de confier cette garde à eux seuls mais ce qu’ils ont raconté au bureau m’a valu une espèce de révolution de palais.

– Mais… pourquoi ?

– Parce qu’ils sont trop bien traités ! Si je n’y avais mis le holà la brigade entière défilait ici afin de goûter au moins une fois à la cuisine de votre Eulalie accompagnée des vins de votre cave, sans compter les cafés, grogs ou autres vins chauds tenus à leur disposition ! C’est le palais de Dame Tartine chez vous, marquise, et on va avoir du mal à les en extirper quand Morosini sera entièrement remis à neuf… ou quand nous tiendrons enfin la bande Torelli-Borgia !

– Rien de nouveau de ce côté-là ?

– Pas grand-chose ! Je rencontre les plus grandes difficultés à obtenir des autorités fédérales le droit d’enquêter en Suisse. Ils sont relativement coulants tant qu’il s’agit d’étrangers mais en ce qui concerne les citoyens helvétiques, c’est toute une affaire.

– Qui est Suisse là-dedans, hormis Lisa et son père ? Tout de même pas… machin… Fanchetti ! Je n’arrive pas à mémoriser son dernier avatar !

– Le comte de Gandia-Catannei ? Eh bien, justement, il s’est acquis la nationalité idoine. Sans doute a-t-il suffisamment d’argent pour ça ! Surtout si comme nous le pensons depuis le début il est affilié à la Mafia. Ça s’insinue partout ces petites bêtes-là !

– Et votre fameux Interpol ?

– J’ai fini par y renoncer. C’est incroyable le respect qu’inspire la forteresse alpestre assise entre son tas d’argent et sa neutralité ! s’écria-t-il soudain, laissant une colère latente montrer le bout de l’oreille ! Et Warren qui court après la Torelli rencontre les mêmes difficultés que moi !

– Après avoir été italo-américaine, la voilà suissesse à présent ?

– Oh, sans aucun doute ! Elle et son frère-amant ne se sont certainement pas séparés. Mais je n’aurais jamais dû vous faire part de mes interrogations, marquise ! Je suis en train de vous tourmenter !

– J’ai déjà connu pire. Avez-vous au moins des nouvelles de Lisa… et de son père ?

– Là nous avons un peu avancé. Si Kledermann est toujours en Angleterre –  dixit Warren ! –, la princesse Morosini a quitté sa clinique pour Vienne. Elle y est arrivée accompagnée d’une sorte d’infirmière chargée de veiller à son traitement et qui, je pense, ne restera pas longtemps. La présence de ses enfants paraît le meilleur remède…

– Gaspard Grindel est là-bas lui aussi ?

– Non. Étant donné qu’il dirige la banque Kledermann de Paris, il doit s’y montrer plus souvent qu’une fois par mois. On l’y attend ces jours-ci… et je vais pouvoir m’occuper de lui…

– Il me semble que ce rôle devrait me revenir. Ne croyez-vous pas qu’il serait temps… grand temps de me réintégrer dans la vie normale et de partager avec moi vos petits secrets ?

Encore un peu pâle mais habillé de pied en cap, tiré même à quatre épingles dans un costume bleu marine, chemise blanche et cravate rayée rouge et bleu, Aldo, appuyé sur une canne, s’encadrait dans la porte de la petite bibliothèque qu’il avait ouverte sans qu’on l’entendît. Le turban de bandes qui protégeait sa blessure avait disparu, laissant voir la repousse de ses cheveux restés aussi foncés sauf aux tempes où le blanc avait gagné un peu de terrain, mais son sourire avait retrouvé sa nonchalance. Derrière lui le nez de Marie-Angéline pointait, arborant cet air innocent qu’elle prenait quand elle s’attendait à quelque reproche.

– Il n’a même pas voulu prendre l’ascenseur ! se hâta-t-elle d’annoncer.

Mais les deux autres avaient trop d’empire sur eux-mêmes pour se laisser aller à ces exclamations de joie teintée d’inquiétude et vaguement bêtifiantes de rigueur pour saluer l’entrée en scène d’un revenant.

– On dirait que tu vas mieux ? constata Tante Amélie.

– N’y allez pas trop fort tout de même ! recommanda Pierre Langlois en se levant pour partir.

– Vous voilà bien pressé tout à coup !

– Je suis toujours pressé, mon ami ! Quant à nos petits secrets, comme vous dites, vous avez auprès de vous de parfaites conteuses ! Allez-y franchement, mesdames ! Je vois à la lueur verte de son œil qu’il brûle d’envie de piquer une rogne ! Cela ne lui fera pas de mal, au contraire !

– Je me demande si vous ne commencez pas à me connaître un peu trop !…

Aldo alla s’asseoir dans le fauteuil abandonné par le policier. Il y avait à peine pris place que Cyprien venait le nantir d’une tasse de café qu’il n’avait pas demandée. Il dirigea alors sur Tante Amélie son regard dont la petite flamme ironique s’était rallumée :

– C’est aussi grave que ça ?

– Tu jugeras ! Plan-Crépin, donnez-moi une tasse de ce breuvage dont j’ai besoin autant que lui !

Dix minutes plus tard, le silence régnait dans la bibliothèque et Aldo ne s’était encore livré à aucun commentaire.

– Tu ne dis rien ? s’inquiéta Mme de Sommières presque timidement.

– J’essaie de remettre le puzzle en place. Pour Lisa, si elle a rejoint sa grand-mère et les enfants, je pense que l’on peut cesser de s’en occuper, encore que je n’aie pas beaucoup aimé le séjour en clinique psychiatrique sous la protection du cousin Gaspard. Une parenthèse pour vous, Angelina : vous avez parfaitement réagi dans l’affaire des roses. J’en aurais fait… presque autant !

– Presque ?

– Oui, je les aurais flanquées par la fenêtre et j’aurais boxé le donateur. Cela dit, il ne perd rien pour attendre !… De plus, c’est grâce à vous si nous savons à présent que ce salopard a partie liée avec le Borgia de pacotille. Bravo !

– De pacotille ! se récria Mme de Sommières. Comme tu y vas ! Il occasionne presque autant de dégâts que son modèle…

– Sauf que s’il ne s’est pas encore livré au sac d’une ville, nous ignorons le nombre de ses victimes à ce jour !

– Disons qu’il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a… je veux dire avec son époque ! émit Marie-Angéline.

– Il doit se terrer quelque part en Suisse, reprit Aldo. Peut-être dans une maison appartenant à son associé. Neveu d’un richissime banquier, collectionneur, banquier lui-même, celui-ci devrait être propriétaire de deux ou trois cabanes helvétiques ?

– Sans nul doute, mais Gaspard Grindel est dans le collimateur de ce cher Langlois qui guette son retour et doit avoir mis le siège devant sa banque et son domicile parisien !

– Au fait, je ne sais même pas où il habite, constata Aldo. C’est idiot mais il m’intéressait si peu…

– Il faut toujours connaître les repaires de l’ennemi ! clama, doctoral, Adalbert qui entrait un doigt en l’air. Moi, tu vois, je le sais ! La banque est sise boulevard Haussmann et l’appartement avenue de Messine. Autrement dit pas bien loin d’ici !

– Comment l’as-tu appris ?

– J’y suis allé à l’époque où tu sortais le soir avec une belle comtesse russe et qu’il te faisait suivre par un détective privé chargé de lui rendre un rapport destiné surtout à ta femme ! À ce moment-là il a si parfaitement joué son rôle de « grand frère » au cœur innocent que je l’avais trouvé sympathique !

– Pourquoi pas touchant ?

– Pourquoi pas en effet ! Pour l’heure présente je peux t’affirmer qu’il n’est pas rentré ! En attendant, on va faire un tour dans le parc avant le déjeuner ? Le temps est superbe et…

– Tu m’as assez promené comme ça. Ce dont je te remercie infiniment. D’abord j’attends Guy Buteau qui arrive de Venise pour me mettre au courant des affaires en cours. Ensuite dès qu’il sera reparti tu pourras m’emmener « faire un tour » à Zurich !

Un triple tollé qu’il écouta avec un sourire moqueur salua cette annonce inattendue :

– C’est hors de question ! fit Adalbert.

– Vous devenez fou ? s’indigna Plan-Crépin.

– Sois un peu raisonnable ! plaida Mme de Sommières. Tu n’es qu’à un tiers de ta convalescence !

– Ce qui me paraît tout à fait suffisant, Tante Amélie ! Je me sens dans une forme voisine de la perfection et si je ne me remue pas je vais faire du lard comme les indispensables anges gardiens de Langlois. Quant à toi, mon vieux, je ne t’oblige pas à m’accompagner ! De toute façon, je ne serai pas absent une éternité : juste l’aller et retour, histoire de me remettre en jambes !

– Et qu’est-ce que tu veux aller fabriquer à Zurich ?

– Bavarder avec le portier du Baur-au-Lac ! Je le connais depuis longtemps et je peux t’assurer qu’il ne me fera pas grandes difficultés pour me donner l’adresse de l’illustre comte de Gandia-Catannei ! Et si mon beau-père est de retour j’irai mettre les choses au point avec lui !

– Tu as l’intention de lui parler de son neveu ?

– C’est même par là que je vais entamer la conversation.

– Je ne sais pas si tu as raison… Va le voir si tu veux mais ne commence pas par taper sur Gaspard, conseilla Tante Amélie. Certes, Moritz t’a toujours montré de l’estime et même de l’affection mais lui c’est son neveu auquel il a confié sa plus importante succursale. En outre, il faut admettre qu’à ses yeux tu ne dois pas avoir le beau rôle, surtout s’il a gardé dans un coin de sa mémoire le souvenir de tes relations avec sa seconde épouse…

– C’était avant la guerre, j’avais vingt ans et elle était comtesse Vendramin, donc Kledermann était bien loin de s’inscrire dans son paysage ! Nous n’allons pas remonter aux calendes grecques et, n’importe comment, nous nous sommes expliqués là-dessus une fois pour toutes quand elle est morte !

– Du calme ! Je désirais seulement te faire comprendre qu’il n’est peut-être plus en aussi bonnes dispositions envers toi… Alors va le voir si tu y tiens mais vas-y doucement !

– Tante Amélie, ayez tout de même un peu confiance en moi, non ?

– Bien sûr que oui ! assura-t-elle, lénifiante. D’ailleurs je serais fort étonnée que tu t’y rendes seul. Adalbert te servira de régulateur !

– Ça, vous pouvez être tranquille, je ne le lâcherai pas d’une semelle !

Un coup de sonnette et l’ouverture du portail les précipitèrent tous dans le vestibule pour accueillir Guy Buteau, fondé de pouvoir de la firme Morosini après avoir été le précepteur d’Aldo. C’est lui qui avait communiqué à son élève la passion de l’Histoire et surtout celle des pierres précieuses qui en jalonnaient toutes les époques… sans compter l’art de choisir et de déguster un bon vin. La guerre les avait séparés mais quelques années plus tard, Aldo l’avait retrouvé à l’hôtel Drouot lors d’une vente de prestige à laquelle il venait assister en tant que spectateur car il se trouvait alors dans une gêne proche de la misère. Fou de bonheur de cette rencontre, Morosini l’avait pris sous son aile, rhabillé, ramené à Venise où Guy s’était épanoui comme une fleur sous l’arrosoir, mis au travail avec enthousiasme et était devenu rapidement le second patron de la maison.

C’était à présent un vieux monsieur élégant, encore très vert sous ses beaux cheveux blancs, dont les yeux bleus brillaient de joie en saluant Mme de Sommières et Marie-Angéline qui l’embrassèrent en lui souhaitant la bienvenue.

– Moi aussi je suis heureux d’être ici… et de constater que vous êtes redevenu vous-même, Aldo ! Toute votre maison s’est fait un sang d’encre à votre sujet…


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