Текст книги "La collection Kledermann"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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– … et que je me débrouille encore très bien avec un fusil de chasse et qu’il s’en trouve deux ou trois dans un placard, ajouta la marquise.
Aldo les regarda tous les trois avec une sorte de désespoir.
– C’est vous qui ne me comprenez pas. Si je demande à Adalbert de rester auprès de vous, c’est que… je ne suis pas certain de revenir et qu’alors il n’y a plus que lui, mon « plus que frère », à qui je puisse confier tout ce que j’aime, vous deux, Lisa qui se souviendrait peut-être qu’il fut un temps où elle m’aimait… et mes petits !
Et pour éviter de se ridiculiser à cause de cette envie de pleurer qui lui venait, il quitta la cuisine en courant pour aller rejoindre Wishbone installé au volant et qui, pour l’occasion, venait de recoiffer son feutre noir en auréole…
Ses dernières paroles avaient pétrifié ceux qu’il laissait derrière lui. Adalbert bougea enfin et vint prendre la main de la vieille dame qu’il garda fermement serrée dans la sienne.
– Comment se fait-il, murmura-t-il, que l’on s’entende si bien et que l’on se comprenne parfois si mal ?
Ce qui réveilla Plan-Crépin. Elle explosa littéralement :
– Si ce grand imbécile s’imagine qu’on va rester comme des cloches à se tourner les pouces, à marmotter des prières en reniflant dans nos mouchoirs, il se trompe lourdement ! Messieurs les professeurs, on vous confie notre marquise. Quant à nous, mon cher Adalbert, on va visiter le placard du vestibule, après quoi on ira camper sous les aristoloches afin de surveiller ce qui va se passer dans cette… foutue Malaspina… et voir quel accueil nos deux fous vont recevoir !
– Plan-Crépin ! Vous devenez vulgaire ! sermonna Mme de Sommières quasi machinalement. Quant à moi, ajouta-t-elle avec un rien de mélancolie, j’aimerais que l’on cesse de me prendre pour une espèce de patate trop chaude que l’on se renvoie en famille !
Et elle disparut dans sa chambre afin de s’y enfermer pour dissimuler son émotion.
Plan-Crépin et Adalbert couraient déjà dans le jardin en direction du mur sur lequel celui-ci hissa pratiquement sa compagne à bout de bras puis lui tendit les armes avant de la rejoindre avec une certaine aisance. Au moment où ils s’installaient sous les aristoloches, Wishbone stoppait sa voiture devant la grille de la Malaspina et donnait deux coups de klaxon pour appeler le gardien.
Celui-ci sortit, visiblement de mauvaise humeur. Du seuil de son pavillon, il lança :
– Qu’est-ce que vous voulez ?
– On vous le dira si vous acceptez de vous approcher ! répondit Aldo toujours courtois.
Le cerbère vint à la grille en traînant les pieds mais se garda de l’ouvrir.
– Voilà ! Alors ?
– Nous voulons voir Max… pour une affaire des plus urgentes ! Allez lui dire que Mr. Wishbone et le prince Morosini désirent lui parler ! Et remuez-vous, s’il vous plaît ! Je viens de vous dire que…
– Ça presse ? On a compris !
Sans se départir de son allure traînante, il rentra dans son logis et les deux autres l’entendirent parler au téléphone sur un ton nettement plus révérencieux. La réponse dut être favorable : il revint en hâte muni d’une énorme clef.
– Vous pouvez passer ! L’entrée est derrière la maison. Vous n’avez qu’à suivre l’allée latérale sous les arbres !
– On va enfin savoir à quoi ressemble la façade de cette fichue baraque de l’autre côté ! marmotta Wishbone.
Sans être aussi majestueuse que la façade, la face arrière, plus austère, ne manquait pas d’une certaine élégance. Les ouvertures y étaient moins nombreuses et si des jardinières fleuries s’épanouissaient devant toutes les fenêtres, quelques-unes étaient défendues par des barreaux… Un homme se tenait au seuil d’une haute porte armoriée encadrée de deux colonnes.
– C’est Max ? questionna Aldo qui ne l’avait vu que sous une cagoule noire.
– Tout à fait ! Ce n’est pas le plus mauvais de la bande…
– Je sais ! dit Aldo qui se souvenait sans véritable rancune du temps où, à la Croix-Haute, il était son geôlier. Mais là-bas je l’ai entendu évoquer ses frères. Il en a combien ?
– Deux plus jeunes que lui…
Pour l’instant, le dénommé Max les regardait approcher les bras croisés sur la poitrine tandis qu’Aldo détaillait ce visage qu’il ne connaissait pas. Il n’avait rien d’antipathique et n’était pas dépourvu de séduction en dépit des deux rides amères qui encadraient ses lèvres minces. Quand ses visiteurs furent devant lui, il eut un sourire narquois qui ne relevait qu’un seul côté de sa bouche.
– Il faut reconnaître que vous ne manquez pas d’audace de venir jusqu’à nous, Morosini ? Vous avez gardé un si bon souvenir de notre hospitalité ? Je rien dirais pas autant de Wishbone qui lui avait droit au statut d’invité de marque. Mais entrez donc ! engagea-t-il en les précédant à travers un vestibule dallé de marbre noir à bouchons blancs orné d’une paire de statues grecques et d’une vasque, de marbre elle aussi, d’où débordaient d’énormes fleurs d’hortensias roses. Un escalier à double révolution montait aux étages. Le silence y était complet. De même, aucun serviteur, aucune infirmière n’était en vue, rien qui puisse évoquer l’activité d’une clinique… sauf peut-être celle du docteur Morgenthal à Zurich si l’on s’en tenait aux récits de Tante Amélie et de Plan-Crépin.
Sous l’une des branches de l’escalier, Max ouvrit devant eux la porte d’un cabinet de travail tapissé de livres où le soleil entrait à flots, puis referma le vantail auquel il s’adossa sans leur offrir d’occuper les fauteuils Renaissance disposés devant l’imposant bureau d’ébène à deux lourds piétements sculptés.
– Alors ? ironisa-t-il. Qu’est-ce qui vous a poussés à vous aventurer dans la gueule du lion ? Vous êtes fatigués de la vie ?
– Ne dites donc pas n’importe quoi ! répliqua Aldo en s’asseyant dans l’un des fauteuils tandis que Wishbone arborant son air le plus digne investissait l’autre. Ce qui fut relevé aussitôt.
– Je ne me souviens pas vous avoir invités à prendre place ?
– Cela n’a aucune importance et, si vous voulez un conseil d’ami, vous seriez mieux inspiré d’en faire autant ! Ce sera bref, clair et concis : il va vous falloir prendre des dispositions ! Mais d’abord une question : qui accompagnait Gandia la nuit dernière quand il s’est rendu à Kilchberg ?
– Mon frère Andréa ! Pourquoi ? Et… Comment pouvez-vous le savoir ?
– J’y viens et croyez que j’en suis navré pour vous. En bref, Gaspard Grindel a, la nuit dernière, derrière l’église, abattu Gandia qui prétendait obtenir de lui la moitié de la collection Kledermann, ainsi que votre frère, tandis que sonnaient à l’horloge les douze coups de minuit…
Max devint blême cependant que ses mâchoires se crispaient.
– Encore une fois. Comment le savez-vous ?
– Parce que nous y étions, mon ami Vidal-Pellicorne et moi ! Nous avons suivi Grindel et Mathias Schurr, son demi-frère, depuis Paris. Parce que le demi-frère c’est lui, figurez-vous, qui m’avait logé une balle dans le crâne à la Croix-Haute !
L’homme de César ne semblait pas vraiment convaincu.
– Quel aurait été son intérêt ?
– Je viens de vous le dire : pour garder la totalité de la collection. Il avait apporté l’un des sacs mais bourré de haricots secs et autres légumineuses, qu’il a balancé devant lui avant de tirer. Je tiens le sac à votre disposition… si vous vivez suffisamment longtemps pour le voir. Ce qui n’est pas certain !
– Vous en douteriez ?
– Tout à fait ! Nous avons surpris un échange téléphonique plutôt tendu entre eux – les écoutes cela fonctionne dans la police – et appris ainsi que Gandia n’avait pas tué Kledermann, qu’il le conservait par-devers lui, prêt à refaire surface au cas où Grindel refuserait le partage ! J’ai appris par la même occasion que mon fondé de pouvoir, M. Guy Buteau, avait été enlevé lui aussi à Venise et ramené ici afin de servir de monnaie d’échange pour assurer à ces messieurs ma propre collection ! Cela vous suffit ?
– Qu’est-ce qui me prouve que ce n’est pas vous qui les avez liquidés ?
– On aurait liquidé tout le monde alors ? Et dans ce cas, voulez-vous m’expliquer pour quelle raison ? Cessez de vous méfier, bon sang ! C’est un luxe que vous ne pouvez plus vous permettre : Grindel et son double ne devraient plus être loin. Alors arrangez-vous pour qu’ils ne parviennent pas jusqu’à vous !
– Autrement dit, fit Max goguenard, vous êtes venus pour me sauver ?
– Vous et cette malheureuse à laquelle vous vous êtes dévoué ! Oui.
– Ce que je cherche en vain dans votre conduite, c’est le profit que vous pourriez en tirer ! Que vous souhaitiez récupérer votre beau-père et… votre fondé de pouvoir, cela se conçoit aisément, mais nous ?…
– Ne connaissez-vous que le mot profit ? Je vous croyais d’une autre qualité. Aussi vais-je éclairer votre lanterne : si nous sommes devant vous, Mr. Wishbone et moi, c’est dans le but de payer notre dette envers vous ! À la Croix-Haute, alors que la Torelli nous avait condamnés, lui, moi, ma femme et Mrs. Belmont à périr par les flammes, vous nous avez permis d’échapper à cette mort abominable et de fuir ! Nous sommes là pour payer notre dette ! CQFD ! Êtes-vous incapable de le comprendre ?
Les yeux de Max plongèrent dans les siens avec une intensité à laquelle se mêlait une certaine surprise.
– Que vous fassiez cela pour moi, je peux en effet le comprendre : vous êtes un homme d’honneur. Mais elle, vous n’avez aucune raison de vouloir la préserver ?
– J’ai la conviction que de son châtiment, Dieu s’est chargé ! expliqua Aldo gravement. En outre, je sais que vous y tenez… que vous l’aimez en quelque sorte !
– C’est vrai : je l’aime et je suis son amant ! Je veillerai sur elle le reste de ma vie : c’est moi qui conduisais la voiture qui l’a défigurée…
– Alors préparez-vous à la défendre encore, à vous défendre tous les deux !… Et nous ne sommes ici que pour vous aider !
Le silence ! Pesant, lourd d’incertitudes… Morosini alors murmura :
– Sinon, pourquoi, Wishbone et moi, serions-nous venus nous jeter dans la gueule du lion, comme vous l’avez si bien dit tout à l’heure ?
– Et moi, je l’ai aimée passionnément ! murmura Cornélius, des larmes dans les yeux…
– Oh, je n’ai pas oublié ! Vous étiez prêt à toutes les folies pour elle, à commencer par cette Chimère fabuleuse que vous aviez fait recopier. Elle est toujours son joyau préféré et…
Le cri lui coupa la parole. Aigu, terrifié, c’était une femme qui l’avait poussé et il provenait d’un étage supérieur !
– Bon Dieu ! gronda Max en s’élançant. Ça vient de chez elle !
Suivi des deux autres, il grimpa l’escalier, armé d’un revolver pris à sa ceinture, mais le cri faisait du chemin et venait à présent du second étage. En contrepoint on entendit une voix d’homme :
– Allons, garce, avance ! Plus vite que ça ! C’est quelle chambre ?
– Celle… celle-là, sanglota la femme. Pitié, vous me faites mal !
– Vraiment ? Ça ne va pas durer !
Une détonation et la voix se tut.
– C’est Grindel ! Vous n’aviez que trop raison !
Le corps d’une femme en costume d’infirmière gisait en effet sur le marbre de la galerie devant une porte ornée de gracieux rinceaux dorés.
– C’est celle de Kledermann ? demanda Aldo.
– Oui…
– Alors à moi de jouer !…
– Non ! Restez en retrait… Tel que je le connais, il va vouloir jouir de son triomphe et me narguer…
Et Max entra sans refermer, ce qui permit à Aldo de reconnaître son beau-père couché sur un lit d’hôpital dans lequel le maintenaient des sangles. Il était pâle et amaigri mais ne semblait pas souffrir autrement. Il était même presque souriant.
– Gaspard ! Quelle joie !
– La ferme ! répondit l’autre gracieusement. Entre donc, Max ! Viens partager avec moi ce moment unique ! Et laisse tomber ton flingue ! Je ne suis pas seul et mon frère tient ta belle amie. S’il entend un coup de feu…
Aldo se tourna vers Wishbone, lequel lui fit signe qu’il avait compris et fila en direction de l’escalier tandis que Morosini élargissait légèrement son champ de vision en repoussant la porte du bout du pied. Près du lit, Grindel, planté les jambes écartées en une pose triomphante, le canon de son arme posé sur la tempe du père de Lisa, entamait le discours annoncé :
– Tu vois, Max, c’est mauvais d’être trop gourmand et surtout de me prendre pour un imbécile. Le dernier des Borgia vient d’en faire l’amère expérience. Je l’ai étendu dans l’herbe au bord d’un beau lac suisse, comme d’ailleurs ton frère Andréa. C’est que César n’avait pas été régulier, vois-tu ? Alors qu’il devait trucider mon bon oncle, il l’a mis de côté dans l’intention de l’utiliser pour me faire chanter ! La moitié de la collection de joyaux et son aide pour soulager ce m’as-tu-vu de Morosini de la sienne ! En outre, à notre rendez-vous derrière l’église, il avait installé dans la voiture un mannequin convenablement habillé censé représenter celui-là ! fit-il en s’esclaffant, ce qui agita le pistolet. Comme s’il n’était pas inimitable ! N’est-ce pas, mon cher tonton ?
– Dire que je t’estimais un homme propre ! envoya Kledermann avec un dégoût auquel se mêlait une déception. Tu n’es qu’un monstre !
– C’est tout ? Vous n’avez guère d’imagination ! Alors, je vais lui donner du grain à moudre : votre belle collection, elle est à moi, dans son intégralité, et je vais vous apprendre mieux : je m’approprierai aussi toute votre fortune quand j’épouserai Lisa, quand je l’aurai définitivement débarrassée de son prince de pacotille…
– Elle ne t’épousera jamais ! Toi ? Laisse-moi en douter ! Fais la comparaison ! Regarde-toi dans une glace !
– Vous ne connaissez rien aux femmes ! Elle le hait… La moitié du chemin est accompli ! La suite viendra d’elle-même ! Voilà le programme ! conclut-il joyeusement. Il me reste maintenant à vous faire mes adieux ! On s’embrasse ou…
Nul ne saura jamais ce qu’il aurait encore proféré. Dressé au seuil, Aldo venait de tirer. Un seul coup mais en pleine tête ! Gaspard s’écroula sur le lit qu’il macula de sang tandis que Max récupérant vivement son arme tirait en l’air un second coup !
– Ne vous tourmentez pas ! rassura Morosini. Wishbone est allé régler ses comptes et il tire comme le cow-boy qu’il n’a pas cessé d’être : l’ennemi abattu sur un cheval au galop ! Puis revenant à son beau-père, avec un grand sourire :
– Je n’ai jamais été aussi heureux de vous voir, Moritz !
Celui-ci se mit à rire :
– Pas tant que moi, Aldo ! Pas tant que moi !… Mais je ne vous en aimerais que davantage si vous aviez l’amabilité de me débarrasser de ce harnachement.
Ce qu’Aldo se hâta de faire, tranchant les sangles à l’aide du couteau qui ne le quittait jamais lorsqu’il allait en expédition, après quoi il frictionna les membres de son beau-père pour leur rendre leur élasticité.
– Je vais me débrouiller seul ! fit Kledermann. Vous avez plus urgent à vous occuper ! Alors dépêchez-vous ! Il doit être dans la chambre à côté. J’ai tout entendu quand on l’a apporté et il lui arrive de gémir…
– Mon Dieu !
Tellement heureux de retrouver le père de Lisa vivant, Aldo en avait oublié son cher Guy ! Aussi s’élança-t-il, mais buta contre le corps de l’infirmière si froidement abattue un moment plus tôt, se retint de justesse au chambranle, l’enjamba puis, l’autre porte étant elle aussi fermée à clef, il l’enfonça d’un coup de pied furieux. Ce qu’il découvrit lui arracha un juron. La chambre était la même que celle de Moritz et l’aménagement du lit exactement identique mais celui qui l’occupait, pâle, les yeux clos et les joues creuses semblait avoir cessé de vivre :
– Guy ! s’écria-t-il. Non ! Ce n’est pas possible !
Se précipiter, trancher les sangles ne prirent qu’un instant après quoi il souleva dans ses bras le corps qui lui parut incroyablement fragile et léger ! Le cœur sur lequel il appuya son oreille battait encore, mais faiblement.
– Max ! hurla-t-il à pleins poumons. Rappliquez !
Il avait donné si fort de la voix qu’il sentit le corps tressaillir cependant que les yeux s’entrouvraient et qu’un souffle passait entre les lèvres décolorées :
– Al… do ?
– Oui, c’est moi, mon cher Guy !… Que vous ont-ils fait subir ?
Il allait appeler de nouveau quand Max se matérialisa enfin et reçut de plein fouet la colère de Morosini :
– Pourquoi est-il dans cet état-là ? Pourquoi cette barbarie ? Bande de charognards ! Vous le laissiez mourir de faim ?…
– Soif !… murmura Guy.
Aldo chercha autour de lui un verre… une carafe.
Un gobelet à demi plein entra alors dans son champ de vision.
– Ce n’est pas moi qui m’occupais des captifs, dit tranquillement Max. C’était la chasse gardée de Gandia. Et je n’ai jamais entendu dire qu’on ne leur donnait rien ! Témoin : Kledermann ! Il n’est pas en piteux état !
– Alors pourquoi M. Buteau ? Un homme si fragile !… Pour l’obliger à révéler les secrets qui protègent la collection Morosini ? Je vois difficilement ce qu’on peut obtenir d’un mort ?… Parce que personne n’aurait pu le faire parler !
– On en reparlera plus tard ! Si vous le voulez bien, monsieur Max, allez donc me chercher du bon café, un peu de lait – à part ! –, quelques toasts et du beurre ?
Aldo rien crut pas ses oreilles. C’était pourtant réellement Plan-Crépin qui venait de surgir entre lui et Max, encore armée d’une Winchester qu’elle déposa près de la table de nuit !
– Vous êtes-là, vous ? En dépit de…
– De vos ordres ? Non seulement moi, mais aussi Adalbert. Il est en train de s’occuper des deux valets commis au service de table. On surveillait les opérations depuis le faîte du mur où nous étions assis. On vous a vus arriver, vous et Wishbone, et quand on a entendu tirer on a décidé d’aller voir…
– Où est Wishbone pour l’instant ?
– Je l’ai laissé en conversation à cœur ouvert avec son ancien grand amour ! Je précise qu’il a auparavant abattu Mathias Schurr. En fait, nous sommes à cette heure maîtres de la place et ce qui m’étonne le plus c’est que nous ayons obtenu si vite un tel résultat ! En passant je dois avouer que votre idée, Aldo, d’aller prévenir les gens d’ici était simplement géniale et que j’avais tort sur toute la ligne !
– Ce qui m’étonne, moi, c’est que vous n’ayez pas compris quand je vous l’ai dit. Une dette d’honneur que l’on se refuse à payer devient une forfaiture…
– Cependant, reprit-elle, têtue… – et là j’en reviens à mon premier propos –, vous n’auriez pas eu raison si la villa avait été aussi pleine que nous le croyions. Vous, je ne sais pas quel est votre sentiment, mais moi je trouve étrange quelle n’héberge que si peu de monde…
– Nous étions plus nombreux, expliqua Max, mais ces derniers temps nous avons réduit les effectifs. César avait réellement l’intention de transformer la Malaspina en clinique spécialisée avec son ami Morgenthal qui ne vaut pas plus cher que lui…
– Pendant que j’y pense, je me souviens de ce que vous avez daigné me confier à la Croix-Haute au sujet de votre véritable chef qui, apparemment, n’était pas César ?
– Non. C’était celui qui était en train de mourir dans la grande chambre du rez-de-chaussée à la Croix-Haute, le vieux Luigi Catannei, le père de Lucrezia et de César. Un incontestable meneur d’hommes. Mais son fils voulait un maximum d’argent afin d’aller vivre au Brésil avec Lucrezia et moi. L’atmosphère changeait ici. Morgenthal rachetait assez cher ! En outre, là-bas, il existe paraît-il un chirurgien encore plus fantastique que le professeur Zehnder. À propos de ce dernier, Lucrezia avait exigé de moi que j’aille le chercher pendant une absence de César mais il lui a déplu et…
– Nous connaissons la suite, dit Aldo : il est chez nous où nous allons d’ailleurs ramener mon beau-père et M. Buteau… quoique je me demande s’il n’aurait pas besoin… d’une clinique qui ne soit pas de façade et de soins médicaux. Il va falloir dénicher ça !
La voix affaiblie s’éleva :
– Par pitié, mon cher Aldo, plus de clinique… si vous avez dans vos murs le professeur Zehnder, il saura bien me retaper !
– Il y a du nouveau, fit Plan-Crépin qui s’était absentée deux minutes, Zehnder a dû mettre son projet à exécution : il y a dehors trois voitures de police ! Cela va être vite réglé !
La réaction d’Aldo fut immédiate. Il se tourna vers Max :
– Foutez le camp ! intima-t-il. Prenez tout ce que vous pourrez emporter et partez ! Ce serait injuste que vous payiez pour tous !
Mais l’homme secoua la tête avec un demi-sourire :
– Merci… mais pas sans elle ! Je vais la rejoindre…
Il partit en courant tandis qu’en bas des bruits de voix, des claquements de portières se faisaient entendre. Pris d’un pressentiment, Aldo s’élança sur les traces de Max. Il dégringolait l’escalier quand deux coups de feu retentirent…
Avant de tirer, Max avait dû étreindre Lucrezia : on les trouva à demi enlacés : elle atteinte au cœur, lui à la tête…
Au creux du décolleté de la femme, le soleil allumait des scintillements verts dans la Chimère d’or et d’émeraudes des Borgia…
Assommé d’un maître coup de poing, Wishbone gisait aux pieds du couple.
Au milieu de cette tuerie hors du temps, Morosini fut à peine surpris de voir surgir Langlois et le Stadtmeister Würmli arrivés avec la police.