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La collection Kledermann
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:49

Текст книги "La collection Kledermann"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Ce fut quand l’alcool lui brûla la bouche et l’œsophage qu’elle s’aperçut qu’elle était gelée alors qu’à l’extérieur il faisait si doux ! Mais l’alcool la remit d’aplomb. Elle s’ébroua comme un chien qui sort de l’eau et, certaine que Grindel ne reviendrait pas, entreprit de visiter.

Retrouvant le téléphone d’entrée elle examina l’idée d’appeler Langlois mais préféra s’abstenir afin de ne pas mettre dans l’embarras la précieuse Eugénie Guenon et la concierge.

Elle alla d’abord à une fenêtre en espérant apercevoir Grindel. Et en effet elle le vit traverser l’avenue, rejoindre une petite voiture grise, balancer les sacs dans le coffre qu’il referma à clef puis s’installer au volant et disparaître…

Ensuite seulement, elle fit le tour de l’appartement cossu sans doute mais dont elle s’aperçut vite qu’il ne devait pas être autre chose qu’un meublé et même d’une affreuse banalité ! Le faux Louis XVI des deux salons – de belles pièces cependant et surchargées dans le style haussmannien – avec ses sièges et ses rideaux de reps grenat évoquait davantage la salle d’attente d’un dentiste peu soucieux du moral de ses patients que la « réception » d’un banquier helvétique ; la salle à manger où triomphait le Henri II ne donnait guère envie de s’y attabler pour de joyeuses agapes telles que les célibataires fortunés se plaisaient à en donner ; le mobilier de la chambre à coucher – palissandre presque noir et reps bleu roi – devait émaner en droite ligne des Galeries Barbès, comme le bureau, nanti Dieu sait pourquoi d’un « cosy-corner » – cette fois le reps tournait au vert ! –, d’un coffre-fort banal et d’un bureau qui ressemblait à une caisse munie de tiroirs, d’un fauteuil et de deux chaises de même mouture plus des rayonnages ne supportant que fort peu de livres mais un tas de paperasses ; enfin une salle de bains qui devait dater de la construction de l’immeuble et une moquette d’un beige fade sévissait sur toute la surface de l’appartement cependant que des copies de tableaux de siècles divers s’efforçaient de décorer les murs… On n’avait même pas l’impression que ce logement soit habité… ou alors par un avare comme on ne devait pas en rencontrer beaucoup !

La visiteuse se demanda s’il était arrivé à Lisa de visiter ce séjour enchanteur et opta pour la négative : une femme de goût comme elle aurait poussé les hauts cris avant de s’enfuir en courant. À moins qu’elle n’ait été dans l’état bizarre où on l’avait réduite. Et encore !

Elle aurait volontiers fouillé le bureau mais il était probable que seul le contenu du coffre pouvait être révélateur, et en dehors du fait qu’elle était dans l’impossibilité de l’ouvrir mieux valait laisser à la police le soin de l’inventorier.

Enfin, pensant que le temps courait peut-être plus vite qu’elle ne le croyait, elle regarda sa montre. Il lui restait une dizaine de minutes et ces dames devaient finir leur gâteau. Elle descendit donc, franchit l’angle de la cour et ce n’est qu’en arrivant en vue du portail qu’elle se demanda si Grindel avait refermé ou si, trop content d’avoir trouvé la porte entrouverte, il avait pris soin de la laisser dans le même état. Mais elle ne s’attarda pas à cogiter et décida de courir sa chance. Un rapide signe de croix et elle s’élança sur la pointe des pieds, aperçut le large dos d’Eugénie toujours déployé, toucha la porte et constata avec soulagement qu’elle bougeait. En trois secondes elle fut dehors et se mit à courir comme si une meute la poursuivait. Cet exercice attira l’attention d’un taxi en maraude qui se maintint à sa hauteur :

– Taxi, ma p’tite dame ? Vous avez l’air bien pressée, interpella-t-il.

Elle s’arrêta net, le regarda et comme, sans quitter son siège, il lui ouvrait la portière, elle se décida :

– Bonne idée ! apprécia-t-elle. Conduisez-moi Quai des Orfèvres !

– Chez les flics ? fit-il un brin surpris.

– C’est ça : chez les flics ! Et dare-dare !

Il démarra sans discuter.

– C’est tout d’même pas là qu’vous habitez ? rigola-t-il.

– Non, mais c’est là que je vais ! Et dépêchez-vous !

Pour lui faire clairement comprendre qu’elle n’en dirait pas davantage, elle se cala au fond de la banquette, passa une main dans la dragonne et tourna la tête de l’autre côté. Déçu mais désireux de lui montrer ses talents, il démarra sur les chapeaux de roue. Par chance, c’était un véritable virtuose du volant et un quart d’heure plus tard il stoppait devant l’entrée de la police judiciaire. Marie-Angéline voulut le régler mais il objecta :

– Vous préférez pas qu’je vous attende ? À moins qu’on vous y garde et que vous n’avez pas la tête à ça ! C’est pas facile de trouver un confrère par ici et c’est l’heure de pointe !

Elle n’eut pas le loisir de répondre : l’un des factionnaires se penchait à la portière en touchant son képi.

– On ne stationne pas ! Vous désirez quelque chose, madame ?

– Voir le commissaire principal Langlois. S’il est présent évidemment !

– Je ne l’ai pas vu partir !

– En ce cas, attendez-moi, chauffeur !

– Je serai en face ! fit-il ravi.

L’instant suivant, la fière descendante des Croisés franchissait, non sans une certaine appréhension qu’elle s’efforçait de cacher, ce seuil que tant de célébrités du crime avaient franchi avant elle, grimpait au premier étage où un planton, assis derrière une petite table pourvue d’un téléphone, lui demanda ce qu’elle voulait.

Elle répéta sa demande qu’elle compléta en présentant sa carte de visite dont elle espérait beaucoup. Et le résultat dépassa ses espérances : à peine avait-elle vu son messager disparaître dans ce qui devait être le bureau du grand chef qu’elle en vit surgir celui-ci en personne :

– Si je m’attendais !… Mais entrez, entrez ! Et asseyez-vous !

Il semblait bien agité – et même plutôt amusé ! –, cet homme toujours tellement maître de lui ! Pratiquement propulsée dans un fauteuil, Plan-Crépin remit à une date ultérieure l’examen de cette grande pièce qu’Aldo et Adalbert connaissaient de longue date. On ne lui en laissa pas le temps.

– Mademoiselle du Plan-Crépin chez moi ? C’est un jour à marquer d’une pierre blanche ! fit-il en souriant. Mais je suppose que vous n’êtes pas venue uniquement pour me dire bonjour ! J’en serais ravi car nous avons rarement l’occasion de bavarder tous les deux… et vous savez que je regrette souvent de ne pas pouvoir vous engager ?

Dieu qu’il était charmant quand il le voulait ! Plan-Crépin ne douta pas un instant qu’il soit sincère mais s’inquiéta tout de même de sa réaction à l’écoute de sa confession. Et comme il supposait qu’elle apportait des nouvelles du tandem Aldo-Adalbert, elle prit une profonde respiration et répondit :

– Non. J’ai à vous donner des nouvelles d’un assassin !

Il tressaillit. Son sourire s’effaça, ses sourcils se froncèrent et son visage se ferma tandis qu’il retournait s’asseoir derrière son bureau.

– Lequel ?

– Gaspard Grindel ! Je l’ai vu il n’y a pas une heure !

– Et où, s’il vous plaît ?

– Dans son appartement de l’avenue de Messine où il avait dû venir chercher quelque chose. Quand il est parti il emportait deux sacs de voyage.

– Comment le savez-vous ? Vous l’avez vu ? Il vous a parlé ?

– Parlé non, vu oui… enfin pas entièrement. Je n’ai contemplé que ses pieds et ses jambes tandis qu’il s’adjugeait un ou deux verres de rhum dans sa cuisine !

– Et que faisiez-vous dans sa cuisine ?

– Moi ? Rien ! J’étais sous la table !

Voyant le front du policier se charger de nuages orageux et peu désireuse de pousser trop loin la plaisanterie, elle se hâta d’ajouter :

– Persuadée qu’il y avait quelque chose à trouver dans cet appartement, j’ai réussi à m’y introduire…

– Et de quelle façon, je vous prie ?

– Par la porte donnant sur l’escalier de service. J’ai observé qu’elles étaient nettement plus accessibles que les autres. Avec une épingle à cheveux on réalise de grands prodiges…

– Ah oui ? Tiens donc !

Le terrain devenait glissant et Plan-Crépin n’aimait pas l’air gourmand qu’il affichait. Elle choisit l’attaque :

– Écoutez, monsieur le commissaire, ce que j’ai à vous rapporter est plutôt difficile parce que je dois me rappeler chaque parole du dialogue dont j’ai été le témoin. Alors si vous m’interrompez tout le temps je n’y arriverai pas !

– Pardon !… Une seule question : entre qui et qui ce dialogue ?

– Entre Grindel et l’individu qui se prétend la réincarnation de César Borgia.

– Dans ce cas, allez-y !

Posément, en se donnant le temps de choisir ses mots – au moins au début ! –, Plan-Crépin raconta son aventure. Comment croyant explorer un appartement vide elle avait eu la surprise d’y découvrir le cousin et comment, en se servant du téléphone de la galerie d’entrée, elle avait pu surprendre l’accrochage verbal entre les deux hommes que sa fantastique mémoire lui permit de restituer intégralement et quasi mot à mot et comment, ensuite, elle s’était retrouvée sous la table de la cuisine.

Fidèle à sa promesse, Langlois l’écouta sans broncher mais avec un intérêt croissant :

– Incroyable ! exhala-t-il. Puis il se leva. Pourriez-vous répéter encore une fois cette conversation ? Mais moins vite, soyez gentille !

– Ça, c’est plus difficile ! Si je dois me souvenir de tout je dois aller vite !

Il sortit de son bureau et revint trois minutes plus tard accompagné d’un jeune homme d’environ vingt-cinq ans qu’il présenta :

– Voici Henri Vannier ! Comme vous pouvez le voir à la petite machine qu’il apporte, il est sténotypiste ! Aussi rapide que ceux de l’Assemblée nationale et il nous rend d’énormes services, puisque grâce à lui nous pouvons étudier tout à loisir les échanges verbaux les plus vifs. Installez-vous, Henri. Et quand vous serez prêt…

Le jeune homme posa son engin sur une table d’appoint, fit un sourire à Marie-Angéline qui le lui rendit et attendit la suite. Ce qui ne tarda pas… Plan-Crépin répéta à la même allure que précédemment le dialogue téléphonique et sans en varier d’un iota sous l’œil mi-amusé mi-admiratif de Langlois :

– J’ai de plus en plus envie de vous enlever à Mme de Sommières ! la félicita-t-il quand Vannier fut reparti ! Vous êtes une aide précieuse et le tandem Morosini-Vidal-Pellicorne a de la veine de vous avoir…

– Puis-je poser une question ?

– Je crois que vous l’avez mérité.

– Comment se fait-il que Grindel soit à Paris ? Je croyais qu’il était assigné à résidence à Zurich sous la surveillance de la police !

L’instant de grâce était fini. Le visage de Langlois retrouva ses ombres :

– Je le croyais aussi ! Il a dû réussir à s’enfuir. Je ne vois pas d’autre explication. La police est plus que fiable en Suisse, composée de gens honnêtes et courageux qui se veulent serviteurs de la loi mais…

– Mais ?

– Peut-être leur manque-t-il la ruse et ce Grindel comme son complice m’ont l’air d’en avoir à revendre ! À propos où sont passés les « Frères de la Côte » ?

– Vous voulez dire Aldo et Adalbert ? répliqua Plan-Crépin en laissant fuser un petit rire. Ils seraient contents s’ils vous entendaient les associer à la ruse !

– Convenez avec moi qu’ils n’en manquent pas ! Vous non plus d’ailleurs !

– Je n’ai pas entendu. Quant à eux, ils ne vont pas tarder à revenir. Ils sont seulement allés à Venise où Aldo désirait régler quelques affaires avec Guy Buteau…

Elle se levait pour prendre congé. Il la retint :

– Encore un mot ! Les sacs que vous avez eus sous les yeux ? Pouvez-vous les décrire ?

– Des fourre-tout que l’on emporte en voyage. En toile de lin renforcée de cuir havane. D’une bonne maison d’ailleurs. Je dirais Lancel ou Vuitton… mais plutôt Lancel à cause du tissu.

– Assez grands pour contenir la collection Kledermann ?

– C’est à Aldo qu’il faudrait poser la question. Moi je ne l’ai jamais vue.

De ses deux mains elle indiqua approximativement les dimensions :

– À peu près cela ! Et à condition que l’on ait vidé les écrins et mis les pièces dans des sachets de peau. Ce qui leur sera dommageable s’ils sont plus ou moins entassés…

– Autre chose ! La collection Morosini ? Vous la connaissez celle-là ?

– Oui. Elle n’est pas aussi impressionnante mais elle vaut tout de même le déplacement. Magnifique !… En revanche, celui qui essaierait de se l’approprier devrait être non seulement un maître cambrioleur, mais posséder la force d’Hercule. À première vue c’est une curiosité : un énorme coffre médiéval bardé de fer et scellé dans les dalles de marbre de son bureau. Il est en outre doublé d’une chemise d’acier, bien moderne celle-là, et qui ne s’ouvre qu’avec un code… Dans le mur d’une petite pièce voisine il y en a un autre, moins imposant et caché par un tableau. C’est là qu’il range les bijoux de Lisa et ceux qui sont en transit.

– Vous n’auriez pas les codes, par hasard ? fit Langlois amusé.

– Tout de même pas, non ! Puis jetant un coup d’œil à sa montre-bracelet : Je pense que mon taxi a suffisamment attendu et si vous n’avez plus besoin de moi…

– Dans l’immédiat non… Et je vous remercie sincèrement d’être venue sur-le-champ vous… confesser ! Je vous raccompagne…

Arrivés à l’escalier, il prit la main qu’elle lui tendait pour la serrer virilement puis ajouta :

– Il faudra qu’un de ces jours vous me fassiez la démonstration sur l’art d’ouvrir une porte au moyen d’une épingle à cheveux ! Vous savez, je suis un peu comme Louis XVI : tout ce qui touche à la serrurerie me passionne !

En rentrant rue Alfred-de-Vigny, Plan-Crépin trouva un véritable comité d’accueil : tout juste débarqués de Venise, Aldo et Adalbert s’efforçaient de calmer Mme de Sommières à peu près persuadée qu’il était arrivé un malheur à son fidèle bedeau. Elle en était aux larmes qui se changèrent vite en colère :

– Vous avez vu l’heure ? Et je vous avais avertie que si vous n’étiez pas là à sept heures je préviendrais Langlois !

– Que ne l’avons-nous fait : j’étais chez lui justement.

– On vous avait arrêtée ?

– Non. J’y étais allée de mon plein gré pour lui raconter ce dont j’avais été témoin. Bonjour, Adalbert, bonjour, Aldo ! Quel dommage que vous ne soyez pas rentrés plus tôt ! Je vous raconte mes péripéties dans cinq minutes. Permettez que d’abord j’offre des excuses à notre marquise !

– Plus tard, les excuses ! Passons à table ! Vous nous raconterez vos exploits en dînant ! Eulalie doit déjà être en transe !

Le ton raide tentait de masquer l’inquiétude que Mme de Sommières venait de vivre et qu’après une ou deux respirations profondes elle acheva d’éradiquer en se faisant servir par Cyprien et avant même le potage, un verre de… chambertin qu’elle avala d’un trait et qui lui rendit des couleurs. C’était tellement inattendu chez cette prêtresse du champagne qu’Aldo réclama :

– Puisqu’on balaie les traditions, on ne serait pas contre la même médecine, fit-il repris en chœur par les deux autres.

Après quoi on renvoya le potage à la cuisine « pour ne pas se noyer l’estomac » et en attendant qu’apparaisse le premier plat Mme de Sommières ordonna :

– Allez-y maintenant, Plan-Crépin ! On a assez attendu ! Qu’avez-vous trouvé chez ce Grindel ?

– Grindel en chair et en os… Mais soyez tous rassurés : il ne m’a pas vue et moi je n’ai vu que ses jambes.

Et, pour cet auditoire au moins aussi attentif que le précédent, elle réitéra le récit de son aventure augmenté de sa visite au Quai des Orfèvres. Le plus prompt à réagir fut Adalbert :

– Mais sacrebleu pourquoi les Suisses ne l’ont-ils pas bouclé purement et simplement ?

– Pour un faux témoignage que d’ailleurs Lisa a confirmé ? Ce n’est pas suffisant ! répondit Aldo. Un bon avocat pourrait alléguer une foule de raisons. Ils l’ont seulement mis en résidence surveillée…

– Bravo pour la surveillance ! Et où est-ce que l’on va le trouver à présent ? De toute évidence, il n’habite plus son appartement où il est rentré en catimini et très certainement pour récupérer les sacs. Toi qui la connais, penses-tu qu’ils puissent contenir la collection de ton beau-père ?

– Privée de ses écrins sans aucun doute ! Une bague, une paire de bracelets, cela ne tient guère de place… Il faut seulement espérer qu’aux mains de ce vandale elle n’aura pas trop souffert !

– Incroyable ! s’écria la marquise en lâchant bruyamment son couvert dans son assiette. Je n’aurais jamais cru vivre assez vieille pour entendre une chose pareille ! Chez moi et venant de vous deux !

– Quoi donc, Tante Amélie ?

– Les bijoux ! Encore les bijoux ! Toujours les bijoux ! Et ce malheureux Kledermann ? Il me semble qu’avant de vous préoccuper de sa collection vous pourriez songer à lui, à sa vie ! Si j’ai bien compris le reportage de Plan-Crépin, il lui reste quinze jours à vivre et vous…

Elle était au bord des larmes. Aldo posa sa main sur la sienne qu’elle pressa affectueusement.

– Naturellement nous y pensons. Admettez cependant que la meilleure façon de préserver sa vie est de courir à la recherche de son bien le plus précieux après sa fille et ses petits-enfants ! Or comme vous venez de le faire remarquer nous ne disposons que de quinze jours…

– … et pas la moindre idée de l’endroit où Grindel devrait apporter l’un des sacs ! compléta Plan-Crépin…

– Si vous avez des lumières là-dessus, ne vous gênez surtout pas pour nous éclairer ! fit Aldo agacé.

– Vous en savez autant que moi, alors faites marcher vos petites cellules grises, comme dirait Hercule Poirot, le petit Belge perspicace de cette Mme Agatha Christie que nous avons eu le plaisir de rencontrer en Égypte !

Adalbert se mit à rire, ce qui eut l’avantage de détendre l’atmosphère.

– Du calme tous les deux ! Ce n’est pas en se bagarrant qu’on fera avancer les choses !

– Tu aurais une idée ?

– Je vous la donne pour ce qu’elle vaut. Selon moi, cela ne devrait pas être très loin de l’endroit où le corps du faux Kledermann a été retrouvé.

– Là-haut, près de Dieppe ?

– La falaise de Biville ?

– Pourquoi pas ? Essayons de raisonner ! Grindel n’a pas dû disposer de beaucoup de temps pour cambrioler la chambre forte. D’autre part, il ne pouvait pas aller jusqu’en Angleterre récupérer la clef aussitôt après l’enlèvement…

– C’est entendu, cela lui aurait valu un sacré bout de chemin pour regagner Zurich ! Sans compter le passage des frontières.

– … qu’il pouvait à ce moment-là franchir sans difficulté. Je vous rappelle que c’est un as du volant possesseur d’au moins une voiture de course ! On avale des kilomètres avec ça !

– La voiture que j’ai aperçue avenue de Messine n’avait rien d’un bolide, observa Plan-Crépin. Plutôt grise et petite, elle n’avait rien peur attirer l’attention. L’idéal pour passer inaperçu ou pour faire des achats dans Paris. Aussi j’ai dans l’idée qu’il ne devait pas aller bien loin.

– Ce qui veut dire ?

– Qu’il doit avoir un autre pied-à-terre ici ou dans la proche banlieue parisienne. Même s’il y avait une bouteille de rhum et si un certain désordre régnait dans le bureau, cet appartement n’a pas été occupé depuis plusieurs jours.

– Il serait seulement venu y récupérer les sacs qu’il y aurait entreposés après le vol ? fit Aldo dubitatif… N’était-il pas plus simple de les rapporter en Suisse ? Évidemment il y a la frontière à passer !

– Quelque chose me dit que ça ne devrait pas lui poser de problèmes ! émit Adalbert. Il est bâti comme un montagnard, ce type…

– Beaucoup le sont, en Suisse, fit remarquer Tante Amélie. C’est le pays qui veut ça !

– Sans doute, mais j’aimerais tout de même savoir où il est né. Il faudra le demander à Langlois. En admettant que ce soit du côté du Jura, il pourrait connaître certains chemins de contrebandiers…

– Tu rêves, mon vieux !…

– Alors sois bon, ne me réveille pas encore ! Voilà comment je vois le tableau : une belle nuit, il monte avec sa voiture jusqu’à une distance raisonnable de la ligne frontalière. Il la laisse dans une planque repérée d’avance et continue son trajet à pied. Arrivé en Helvétie, il cache les sacs dans un coin X ou Y, retourne chercher l’auto puis s’en va tranquillement présenter son passeport aux douaniers, fait un bout de route, après quoi, la nuit suivante par exemple, il ne lui reste plus qu’à récupérer le trésor de l’oncle Moritz !

– Ingénieux ! apprécia Plan-Crépin, mais, dans ce cas, pourquoi avoir laissé cette fichue collection ici ? Il doit bien avoir un endroit où la cacher ?

– Sans doute, mais son associé est en Suisse lui aussi, même si c’est un canton différent, et comme Grindel n’a nulle envie de partager et qu’il est suspect à Zurich, il a jugé plus prudent de revenir en France où il avait jusqu’à présent une situation confortable, bénéficiant du privilège d’être un banquier suisse, dirigeant une banque suisse. Évidemment, de la façon dont tournent les choses, il devenait urgent de reprendre possession de ladite collection dans cet appartement où la police risque de venir farfouiller… et là-dessus le coup de téléphone de Borgia vient lui tomber sur le poil. Peut-être même s’est-il affolé ? Il ne s’attendait pas à ce qu’on lui annonce que son oncle est toujours bien vivant et qu’on le tient caché, tout prêt à ressusciter si Grindel s’obstine à faire cavalier seul et à garder le magot pour lui ! À la réflexion, ce doit être cette dernière explication qui est la bonne…

– Alors autre question : comment Borgia a-t-il su qu’il était là pour lui répondre ? demanda Plan-Crépin.

– Coup de pot peut-être ? soupira Aldo. Il a dû essayer tous les endroits où il pensait le joindre ! Au fait, Angelina, avez-vous eu l’impression que la communication venait de loin ?

Elle ne répondit pas tout de suite, cherchant à mieux se souvenir. Sur le moment – sidérée de ce qu’elle entendait –, elle n’avait pas prêté attention à ce détail. Mais maintenant…

– Alors ? la pressa Adalbert sur la main duquel la marquise assena une pichenette péremptoire.

– Ne la bousculez pas ! C’est le meilleur moyen de lui embrouiller les idées !

– Elle, les idées embrouillées ? Ça m’étonnerait !

Cependant Plan-Crépin réfléchissait toujours et soudain :

– Non… je n’ai entendu aucun de ces bruits de l’inter. C’était vraiment net ! J’avais l’impression que Borgia était dans la pièce à côté !

– Donc il était à Paris lui aussi ! Tonnerre de Brest ! J’aimerais bien aller faire un tour dans cet appartement ! Un bureau en désordre enjolivé d’un tas de paperasses ! J’adore ! Et où pensez-vous qu’il aurait dissimulé les sacs ?

– Je n’ai pas eu la latitude de chercher, mais pas dans le coffre, je suis formelle. Les sacs sont trop volumineux pour y trouver place. Et maintenant Langlois va sûrement envoyer une équipe. Au fond, j’ai fait une bêtise de me précipiter chez lui comme je l’ai fait !

– Ne vous adressez surtout pas de reproches, la rassura Aldo. C’était la conduite à tenir puisque vous ne saviez pas que nous rentrions. Vous méritez même une couronne de lauriers pour l’audace dont vous avez fait preuve car vous avez risqué gros et vous avez obtenu un sacré résultat !

– Et à présent qu’est-ce qu’on fait ? s’enquit Adalbert en poursuivant dans son assiette une framboise échappée de sa tarte.

– Laissez-moi réfléchir un instant ! Au point où nous en sommes, la priorité est de retrouver Kledermann avant qu’il ne passe de vie à trépas pour de bon cette fois…

– En espérant que ce qu’il subit depuis son enlèvement ne l’a pas trop éprouvé, fit Mme de Sommières. Sa santé n’était pas des meilleures et ce n’était pas sans raisons que Lisa se tourmentait à son sujet. N’avait-on pas songé au cancer ?

– En effet, mais ce n’était – Dieu merci ! – qu’une fausse alerte due à une analyse de sang confondue avec une autre ! Il n’empêche qu’il ne s’était jamais remis de la mort brutale de sa femme. Cela explique pourquoi il avait interdit que nous ayons le moindre écho de sa crise d’appendicite !

– À ce propos, intervint Marie-Angéline, est-ce normal de se faire opérer par un maître de la chirurgie réparatrice ?

Mme de Sommières s’esclaffa :

– J’ai parfois remarqué, Plan-Crépin, qu’après vos éclairs de génie, il vous arrive de proférer des âneries ! Vous pouvez être certaine qu’il sait aussi bien charcuter des boyaux que reconstruire un visage, votre amoureux, qu’il est son meilleur ami et qu’avec lui le secret était absolu ! Et ne rougissez pas, sacrebleu ! À votre place, je serais plutôt fiérote !

– Et si on en revenait à ce pauvre Kledermann ? rappela Adalbert d’une voix plaintive qui remonta les sourcils d’Aldo jusqu’au milieu du front tandis qu’il se demandait si son « plus que frère » voyait d’un si bon œil le flirt du futur Nobel avec une fille qu’il s’était peut-être mis tout doucettement à considérer comme sa propriété, du moins comme son indéfectible admiratrice. N’avait-elle pas effectué le voyage d’Angleterre afin de l’arracher aux griffes de la Torelli ? Adalbert lui avait même confié qu’elle lui avait sauvé la vie…

Aussi eut-il pour son ami un sourire indulgent :

– Mais on ne l’a pas quitté, mon bon ! Pour en revenir aux choses sérieuses, si tu préfères, j’ai très envie de téléphoner à Langlois de surseoir à la perquisition chez Grindel !

– Et pourquoi ? demanda Plan-Crépin qui retrouvait lentement sa couleur habituelle.

– Pour essayer de savoir où il s’est caché afin de nous attacher à ses pas et en apprendre suffisamment pour être présents quand il se rendra à l’ultimatum de César ! Déjà tenu à l’œil – enfin si l’on peut dire ! – par la police suisse, relayée par la nôtre sans oublier Warren, il ne peut pas courir le risque de voir son oncle ressurgir au grand jour ! Mort il est pour tous – et même pompeusement enterré ! –, mort il doit rester, sinon adieu la collection. Il pensera sans doute qu’une moitié n’est pas trop cher payé pour la quiétude de ses jours à venir…

– N’oublies-tu pas qu’il guigne aussi ta collection ?

– Oh, je n’oublie rien, mais, dans l’état actuel des choses, elle est accessoire…

– Accessoire ? Avec ce genre de truand ?

– Je n’ai jamais dit que je ne prendrais pas de précautions et, par exemple, si Tante Amélie avait la gentillesse d’écrire à grand-mère pour l’avertir, tout sera mis en œuvre pour la protection des petits ! Conseillez-lui donc d’envoyer Joachim, son majordome viennois, à Rudolfskrone ! Il me déteste mais adore les enfants et il est tellement teigneux qu’il vaut une armée à lui tout seul !

– La lettre partira au courrier de demain matin ! Mais si nous ignorons où se terre Grindel, nous connaissons la position de repli de César. Pourquoi ne pas essayer de savoir ce qui se passe à Lugano ? Je crois me souvenir que Langlois y a envoyé une équipe surveiller les agissements de nos deux Don Quichotte. Si tu vas téléphoner, demande-lui s’il a des nouvelles ! Au point où nous en sommes !

Or, le grand chef n’avait pas de nouvelles, mais en outre il avait dû rapatrier les inspecteurs Sauvageol et Durtal. Non seulement ils mouraient d’ennui, mais comme ils comptaient parmi les meilleurs de ses hommes, il ne pouvait s’en priver plus longtemps.

– Bon ! conclut Aldo. Si on n’arrive pas à mettre la main sur Grindel, on ira faire un tour là-bas…


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