Текст книги "Piège pour Catherine"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
сообщить о нарушении
Текущая страница: 7 (всего у книги 27 страниц)
Elle tomba heureusement en travers du mâchicoulis ouvert, le haut des cuisses, le ventre et la poitrine dans le vide, se raidit et réussit tout de même à s'agripper aux planches encore en place. A nouveau, elle hurla à s'arracher la gorge, tandis que l'invisible ennemi frappait ses reins et son dos à coups de pied pour l'enfoncer dans le trou. Une douleur soudaine lui traversa l'épaule, plus aiguë que les autres. Mais ses cris avaient été entendus. On accourait. Les coups cessèrent de pleuvoir alors que la lumière d'une torche pénétrait dans le couloir.
– Dame Catherine ! s'écria Donat de Galauba, le vieux maître d'armes qui accourait flanqué de deux autres hommes. Mais que s'est-il passé ?
Il se penchait déjà pour relever la jeune femme dont les mains crispées faiblissaient.
– Attention ! prévint l'un des hommes, le mâchicoulis est ouvert sous elle. Vous risquez de l'envoyer au bas des murs.
– Faites vite !... gémit-elle. Je... je tombe !
Rapidement, Donat écarta la grande mante étalée qui cachait l'ouverture, saisit fermement la jeune femme par la taille, tandis que l'un des hommes s'accrochait à sa ceinture pour l'empêcher d'être entraîné par le poids et que l'autre, se glissant le long du mur, allait détacher les doigts de Catherine tellement raidis qu'ils en étaient tétanisés.
Doucement, ils relevèrent la jeune femme, la retournèrent et la posèrent un peu plus loin. Son visage était d'un blanc de craie et elle tourna vers le vieux maître d'armes, qui se penchait sur elle, un regard encore plein d'horreur.
– Il était là... caché dans l'ouverture de l'escalier. Il s'est jeté sur moi par-derrière...
– Qui était-ce ? L'avez-vous vu ?
Non... non, je n'ai pas pu le reconnaître. Il a voulu me jeter en bas, mais Dieu m'a fait tomber comme vous m'avez trouvée... Alors il m'a donné des coups... de poing... de pied... je ne sais pas.
Pour toute réponse, le vieux Donat sortit de sous la jeune femme l'une des mains qui la tenaient et la lui montra. Cette main était humide et rouge de sang.
– Vous êtes blessée ! Il faut vous porter immédiatement au château. Sara vous soignera...
Elle hocha la tête avec agitation.
– Blessée ? Je ne sais pas... Je ne me suis pas rendu compte. Mais courez !... Laissez-moi là... cela ne doit pas être grave. Il faut retrouver cet homme.
– Les hommes qui étaient avec moi se sont lancés à sa poursuite.
Ne bougez pas, ne vous agitez pas.
Mais la peur qu'elle avait eue avait brisé ses nerfs. Elle hoquetait et gémissait tout à la fois en s'accrochant aux épaules du vieil homme.
– Il faut que je sache... Je veux savoir qui a voulu... On me hait, Donat... On me hait et je veux savoir...
Doucement, comme un père qui console sa fille, il caressa le front mouillé de sueur.
– Personne ne vous hait ici, Dame Catherine ! Mais nous savions déjà qu'il y avait un traître. De là à se muer en assassin, il n'y a pas bien loin. Mais ne soyez pas en peine, on le retrouvera...
C'était apparemment plus facile à dire qu'à faire car lorsque les deux soldats revinrent, ils étaient bredouilles. L'escalier débouchait dans une ruelle étroite et sombre qui contournait l'abbaye et rejoignait les piliers de la halle et les gros contreforts de la grange aux dîmes.
Tout cela était désert à cette heure et rien n'était plus aisé que de se fondre parmi toute cette obscurité. Mais s'ils n'avaient pu retrouver l'agresseur, les deux hommes avaient clamé la nouvelle de l'agression dont Catherine avait été victime et ce fut une petite foule bruyante et houleuse qui la rapporta jusqu'au château où, à demi évanouie, elle fut remise aux mains de Sara et de Donatienne qui se hâtèrent de la coucher.
Elle reprit tout à fait ses esprits sous la main de Sara qui, après avoir nettoyé la plaie qu'elle portait à l'épaule,
appliquait dessus un cataplasme de feuilles de plantain. La blessure, heureusement, n'était pas grave. Les plis de la grande cape noire qui enveloppait Catherine avaient trompé l'assassin, d'ailleurs pressé, et il n'avait frappé du couteau que pour lui faire lâcher prise et réussir enfin à la jeter dans le vide.
De toute évidence, il eût de beaucoup préféré que sa mort eût l'air d'un accident.
En ouvrant les yeux, Catherine vit autour d'elle les trois visages de Donatienne, de Sara et de Marie qui s'étageaient à son chevet, semblables à quelque allégorie des trois âges de la vie. Les traits de la vieille femme avaient revêtu une sorte de gravité offensée. Le visage de Sara était fermé, buté, mais Catherine savait que sous cette froideur apparente couvait le volcan d'une immense fureur. Seul, celui de Marie, plus tendre, était noyé de larmes.
Pour les rassurer, pour effacer cette anxiété qu'elle lisait dans ces trois paires d'yeux si dissemblables, Catherine s'efforça de leur sourire.
– Ce n'est rien, dit-elle. J'ai eu surtout très peur.
– Et tu as encore peur, gronda Sara. Qui ne l'aurait, d'ailleurs ?
Comment imaginer que dans cette ville où chacun t'aime et célèbre tes vertus il a pu se trouver quelqu'un d'assez ignoble...
– ...pour en avoir assez, sans doute, de ce que tu appelles si pompeusement « mes vertus ». Je ne suis qu'une femme comme les autres, ma bonne Sara. Et même si tu ne le comprends pas, parce que tu m'aimes, il est assez normal que j'aie quelques ennemis... même si c'est très désagréable à admettre.
– Celui qui vous a attaquée est plus qu'un ennemi, s'écria Marie.
Celui-là, il vous hait.
Donatienne alors sortit du silence réprobateur qu'elle observait. Elle donnait l'impression qu'en s'attaquant à Catherine, l'invisible ennemi l'avait offensée personnellement.
Personne ici n'a de raisons valables de haïr notre dame, affirma-t-elle péremptoire. Je pense, pour ma part, que cet homme a agi par ordre et que ses sentiments n'ont rien à voir avec son geste. Disons... qu'il déteste moins Dame Catherine qu'il n'aime les Apchier. On a dû penser, chez ces gens, qu'une fois notre châtelaine abattue, l'abbé, qui n'est pas homme de guerre et qui a toute la douceur d'un véritable saint, ne ferait pas tant de difficultés pour admettre un nouveau co-seigneur, surtout si...
Elle s'arrêta, gênée tout à coup par cette pensée qui, l'habitant depuis plusieurs jours, venait de remonter si naturellement à ses lèvres. Ce fut Catherine qui, sombrement, acheva sa pensée incomplètement formulée :
– Surtout si, comme l'a prédit Bérault, monseigneur ne devait jamais revenir de cette guerre.
Tout à coup, elle se redressa sur ses oreillers, si brusquement d'ailleurs que son épaule blessée lui arracha une plainte. Elle négligea la douleur et, regardant l'un après l'autre les trois visages tendus vers elle :
– ...Il faut que vous me promettiez, au cas où il m'arriverait malheur... Non, non ! Ne protestez pas : cela peut se produire. Il est probable même que mon mystérieux agresseur, voyant son coup manqué, cherchera à le renouveler, en admettant qu'il en ait le temps...
– Il ne l'aura pas ! protesta farouchement Marie. Josse bat la ville à l'heure présente, cherchant, interrogeant, fouillant les maisons et les consciences. Quand on vous a ramenée, tout à l'heure, il était comme fou. "J'ai juré sur ma vie à messire Arnaud qu'il n'arriverait rien à Dame Catherine, ni aux enfants, durant son absence, répétait-il. Si l'assassin avait réussi son coup, je n'avais plus qu'à mourir !..."
Ce serait la dernière chose à faire, car si j'avais disparu c'est alors que Michel et Isabelle auraient le plus besoin de défenseurs, fit Catherine sévèrement. En fait, c'est de cela que je veux parler. Jurez-moi, si je viens à mourir, de sauver mes enfants par tous les moyens. Cachez-les parmi ceux de la ville car, si Montsalvy tombait aux mains de Bérault, il n'épargnerait pas mes petits. Cachez-les... tenez, parmi ceux de Gauberte ! Elle m'est dévouée et elle en a déjà dix : deux de plus ne se verraient même pas. Puis, le calme revenu, conduisez-les à Angers, auprès de la reine Yolande qui saura les faire élever comme il convient et, aussi, maintenir leurs droits... venger leurs parents !
Jurez-le-moi !...
Donatienne et Marie levaient déjà la main, mais Sara, qui était occupée à essuyer les siennes à une serviette, jeta le linge avec colère et fit, avec agitation, deux ou trois tours dans la chambre. Son teint brun était devenu très rouge et ses yeux noirs lançaient des éclairs trop brillants pour que quelques larmes n'y fussent pas mêlées.
– Tu n'es pas encore morte, que je sache ! s'écria-t-elle. Tu es là, à dicter tes dernières recommandations comme si nous étions des simples d'esprit ! Crois-tu donc que nous aurions besoin d'un serment pour faire notre devoir au cas où...
Tout à coup, s'arrêtant net, elle regarda Catherine avec des yeux dilatés d'où ruisselaient les larmes puis, comme un grand oiseau sombre, elle s'abattit à genoux auprès du lit et enfouit son visage dans les couvertures.
– ...Je te défends de parler de ta mort ! sanglotait– elle, je te le défends ! Si tu mourais... crois-tu que ta vieille Sara pourrait encore respirer l'air du Bon Dieu, regarder son soleil alors que tu serais descendue dans la nuit ? Ce n'est pas possible... Je ne pourrais pas...
Ne me demande pas de jurer... parce que je ne pourrais pas tenir ma promesse.
Elle sanglotait maintenant et Catherine, émue par ce désespoir qui traduisait si bien la tendresse de sa vieille compagne, attira sa tête contre sa poitrine et se mit à la bercer comme un petit enfant, mais sans parvenir à articuler une seule parole tant l'émotion lui serrait la gorge.
Depuis des années, Sara tenait auprès d'elle la place d'une seconde mère. Elle avait tout partagé avec Catherine, les pires heures plus encore que les meilleures et, bien des fois, elle avait risqué sa vie pour celle qu'elle appelait son enfant. Parfois, d'ailleurs, Catherine se prenait à penser que la femme de Bohême rencontrée à la Cour des Miracles au temps du malheur tenait plus de place en son cœur que sa propre mère qui vivait loin d'elle sur la terre bourguignonne. Elle en avait un peu honte, mais elle savait depuis longtemps que le cœur maîtrise difficilement ses élans et ne bat pas toujours dans le sens que l'on souhaiterait...
Quand Josse apparut, quelques instants plus tard, l'émotion avait gagné les deux autres femmes et, dans la chambre de Catherine, tout le monde pleurait sur ce qui aurait pu être.
La mine sombre, les traits tirés par une anxiété d'autant plus profonde qu'il se refusait à l'accepter, Josse regarda les quatre femmes, posa un instant la main sur l'épaule de Marie dans un geste familier de protection, lui sourit de son curieux sourire en demi-lune qui relevait les commissures de ses lèvres sans les desserrer, puis salua sa maîtresse qui, repoussant doucement Sara, paraissait attendre qu'il parlât.
– Il semble que vous ayez eu affaire à un fantôme capable de fondre dans la pierre des murs, Dame Catherine. Personne n'a rien vu, rien entendu. L'homme doit être diantrement habile. Ou alors il a des complices...
Catherine se raidit. Les paroles de Josse creusaient davantage la lézarde que le récit de Bérenger avait fait naître dans le mur de fidélité dont elle se croyait si bien entourée.
Des complices ? Peut-être, après tout... Qui pouvait d'ailleurs affirmer que son agresseur était le même homme que le traître ? L'idée de son entourage n'était– elle pas que ce traître était une femme ? Cela faisait deux ennemis d'autant plus redoutables qu'ils étaient protégés par le manteau de la confiance...
Envahie d'une peine amère, Catherine ferma les yeux, serrant les paupières pour retenir de nouvelles larmes, de découragement cette fois. A quoi bon lutter s'il lui fallait combattre ses propres amis ?
Josse s'approcha à toucher le lit et, pour la ramener à la réalité, posa doucement ses doigts sur le poing qu'elle serrait instinctivement sur le drap. Ses yeux se rouvrirent aussitôt :
– Oui, Josse ?
– Vous êtes lasse et je vous demande pardon, mais Nicolas désire savoir si la décision prise en conseil tient toujours et si vous êtes toujours décidée...
– Plus que jamais ! Nous agirons demain soir. Trouvez un homme capable de... faire parler celui que nous espérons prendre. Mais surtout pas Martin Cairou. Il a trop de haine. Quant à moi, j'attendrai le résultat de l'expédition dans la salle basse du donjon : je veux être renseignée aussitôt que possible.
– Dans la salle basse ? Mais pourrez-vous seulement quitter votre lit demain ?
Les feux de la colère avaient séché ses yeux. Un peu de fièvre mettait des taches rouges à ses joues pâles, mais dans le regard qu'elle levait sur son intendant, il y avait une inflexible volonté qui rendait bien inutile toute autre forme de réponse.
Josse Rallard ne s'y trompa pas. Saluant profondément, il sortit de la chambre.
– Douce Dame ! hasarda Bérenger, vous ne devriez pas être ici. Il fait froid, humide et vous êtes souffrante. Voyez : vos mains tremblent...
C'était vrai. Malgré l'épaisse robe de velours gris et la pelisse fourrée de vair qui l'enveloppaient, Catherine claquait des dents. Ses pommettes rouges et ses yeux trop brillants dénonçaient la fièvre, mais elle s'obstinait à demeurer là, dans cette salle basse, lourdement voûtée d'ogives, où le froid tombait comme une chape de plomb malgré le brasero empli de braises qui rougeoyait près du tabouret où la jeune femme s'était assise.
La pièce était sinistre. Située sous le sol du donjon, dont elle tenait toute la superficie, elle ouvrait par deux couloirs sur les prisons du château. Des prisons qui, jusqu'à présent, n'avaient servi à rien d'autre qu'à entreposer les saloirs et les futailles car, taillées dans le roc, elles constituaient d'excellents celliers.
Catherine ne les avait pas fait construire par plaisir ; mais aucun château digne de ce nom ne pouvait se dispenser de posséder des locaux de justice.
Au centre de la salle, sous la clef de voûte fleuronnée à laquelle pendait un anneau de fer, une large trappe était ouverte, dévoilant les premiers barreaux d'une échelle qui plongeait dans l'obscurité. Cette échelle menait à une autre salle, de même superficie que la première et qui était censée être une oubliette. Mais, en fait, elle servait de point de départ au fameux souterrain. Celui-ci, établi dans un antique boyau creusé par un ruisseau souterrain disparu, s'enfonçait loin sous le plateau. Encore était-il défendu par de puissantes grilles de fer que l'on ne pouvait forcer sans donner l'alarme aux soldats qui, de jour comme de nuit, veillaient dans la salle basse, au cas où l'ennemi aurait réussi à découvrir l'entrée secrète.
Cette nuit-là, cependant, la châtelaine et son page étaient seuls, au milieu d'un profond silence. Le crépitement des braises la troublait de temps en temps, et aussi la respiration de Bérenger qui, par instants, s'oppressait.
Il y avait près d'une heure maintenant que, guidés par Josse, qui s'était attribué le dangereux rôle du messager, quelques-uns des hommes de la ville s'étaient enfoncés dans les ténèbres souterraines.
Nicolas Barrai les menait et, pour la circonstance, on les avait armés autant qu'il était possible de le faire sans les rendre trop bruyants.
Outre Nicolas et deux de ses hommes, l'expédition se composait des deux fils Malvezin, Jacques et Martial, de Guillaume Bastide, le talmelier qui avait la force d'un taureau, et du gigantesque Antoine Couderc, le maréchal-ferrant. Tous avaient des haches et des dagues.
Seul l'Antoine ne portait que la lourde masse qui lui servait à battre le fer.
– Je ne saurais pas manier autre chose, mais ça, je sais m'en servir
! affirmait-il. Et, croyez-moi, j'en découdrai bien quelques-uns. Ce sera déjà une consolation pour nos morts !
Car, cette fois, l'assaut, que Bérault d'Apchier avait lancé contre la ville dès le lever du jour avait été meurtrier. Rendus enragés par des jours et des jours d'inaction sous la pluie, les routiers s'étaient jetés aux échelles avec une fureur telle qu'on avait eu grand-peine à les contenir. Un moment même la barbacane de la porte d'Aurillac avait bien failli être emportée, mais le vieux Donat de Galauba, voyant le danger, s'était rué au secours de la défense avec une poignée de garçons de ferme dont, depuis le début du siège, il avait essayé de faire des soldats. Galvanisés par son exemple, les jeunes gars avaient accompli des prodiges, mais trois d'entre eux étaient tombés sur le chemin de ronde et Donat lui-même, la gorge traversée d'un carreau d'arbalète, avait terminé là, dans le feu de la bataille, une vie d'honneur et de fidélité tout entière consacrée aux armes de la maison de Montsalvy. A cette heure, il reposait dans sa vieille armure, couché au milieu de la grande salle du château sur la bannière de Montsalvy qu'il avait toujours si vaillamment défendue.
Catherine, elle-même, avait placé sa grande épée sous ses deux mains jointes et déposé à ses pieds, sur un coussin de velours, les gantelets et les éperons d'or.
Elle l'avait fait pieusement et avec une sorte de tendresse. Elle avait pleuré aussi sur ce vieux serviteur dont elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était mort pour elle. Mais sa colère et sa haine s'étaient accrues de ses larmes et de ses regrets. C'était avec une volonté plus farouche que jamais qu'elle avait donné le signal du départ de l'expédition.
– Il me faut des prisonniers, avait-elle répété à Nicolas. Au moins un, si c'est le bon !
Maintenant, elle attendait, luttant de son mieux pour dominer sa fièvre et sa faiblesse. Malgré les compresses de Sara, et le baume dont elle l'avait enduite, son épaule la brûlait et gênait les mouvements de son bras.
– Que c'est long ! Mon Dieu que c'est long ! mur– mura-t-elle entre ses dents. Pourvu que les choses n'aient pas mal tourné !
Le page, qui osait à peine respirer de crainte de troubler les pensées sombres de sa maîtresse, prit son courage à deux mains :
– Voulez-vous que j'aille voir, Dame Catherine ?
Je pourrais descendre à l'entrée du souterrain et écouter si je les entends venir ?
Elle s'efforça de lui sourire, sachant bien ce qu'avait pu coûter cette proposition à sa prudence naturelle.
– C'est inutile. Il fait trop noir dans ce trou et vous vous rompriez le cou sans profit pour personne.
– Je pourrais prendre l'une des deux torches qui nous éclairent...
– Non, Bérenger, restez tranquille. Votre place est près de moi.
D'ailleurs, il me semble que j'entends des pas...
– En effet... mais ils viennent de l'étage supérieur, pas du souterrain.
Un instant plus tard, en effet, l'abbé Bernard, flanqué des deux frères Cairou, apparaissait au bas de l'escalier du donjon. En apercevant Catherine repliée sur elle– même dans les fourrures d'où n'émergeait que son visage tiré, il hocha la tête avec une exclamation où entraient à la fois de la pitié et du mécontentement.
– Je pensais bien vous trouver ici. Vraiment, mon amie, vous n'êtes pas raisonnable ! Que ne laissez-vous Josse et Nicolas mener cette affaire ? Ils sont grandement capables de s'en tirer à votre entière satisfaction. N'avez-vous pas confiance en eux ?
– Vous savez bien que si ! Mais ceci est une opération de justice et la justice est mienne. Elle est mon devoir... et mon droit.
– Elle est aussi le mien. Laissez-moi vous remplacer, Catherine.
La fièvre vous brûle et vous ne vous soutenez qu'à peine. Rentrez chez vous et laissez-moi faire : je vous promets que vous serez contente.
Mais, par pitié pour vous-même, écoutez-moi : vous avez une mine épouvantable.
La jeune femme était si lasse qu'elle allait peut-être se laisser convaincre, mais à cet instant précis un énorme vacarme éclata sous ses pieds, tandis que la tête casquée de Nicolas jaillissait du sol.
Nous avons réussi, Dame Catherine ! Annonça– t-il, haletant encore de l'effort du combat. Nous le tenons !
Aussitôt, Catherine fut debout. Elle était devenue encore plus pâle peut-être, mais une flamme nouvelle brillait dans ses yeux.
– Gervais ? souffla-t-elle. Vous l'avez pris ?
– On vous l'amène...
En effet, le trou central vomit, à la manière d'un volcan, une lave bouillonnante de ferraille et d'hommes qui essayaient de sortir tous à la fois et qui parlaient tous en même temps. La salle basse, si muette l'instant précédent, s'emplit de bruit et de fureur...
Poussé par la poigne brutale du forgeron, un homme dont les mains étaient liées derrière son dos vint s'abattre aux pieds de la châtelaine.
Sous la trace de sang, issue d'une blessure à la tête, qui le maculait, son visage était couleur de cendres. Il ne restait rien de la vanité fanfaronne de Gervais Malfrat à cette minute où il se retrouvait, seul et désarmé, au milieu de ce cercle humain où il pouvait sentir la haine brûler comme l'air trop chaud d'une fournaise.
C'était normalement un garçon de belle taille. Ses cheveux étaient presque roux, sa peau blanche tavelée de son et ses yeux hésitaient entre le jaune foncé et le brun. Solidement bâti, il était fier de ses muscles dont il aimait à faire étalage aux yeux des filles dans les assemblées et les fêtes locales. Mais la terreur qui l'habitait le recroquevillait au point de le réduire de moitié. Et il restait là, le nez dans la poussière, semblable à quelque chapon troussé pour la broche sans oser seulement lever les yeux sur ces gens qui le cernaient, par crainte de ce qu'il pourrait lire dans leurs regards.
Quand on l'avait jeté sur le sol, la figure de Martin Cairou s'était illuminée d'une joie sauvage. Il avait fait un mouvement pour se jeter sur le prisonnier, mais l'abbé Bernard l'avait empoigné par le bras et fermement retenu.
– Non, Martin ! Reste tranquille ! Ce n'est pas à toi que cet homme appartient : c'est à nous tous.
–
C'est à Bertille qu'il appartient. Vie pour vie, seigneur abbé !
–
Allons ! Ne me fais pas regretter de t'avoir laissé venir.
–
Ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée, fit Catherine songeuse.
Un instant, elle considéra attentivement l'homme qui haletait à ses pieds puis, se tournant vers Nicolas qui, rouge d'orgueil, attendait visiblement des compliments.
–
Vous n'avez fait qu'un prisonnier, sergent ? Cet homme était seul ?
–
Vous voulez rire, Dame Catherine ? Ils étaient huit !
– Où sont les autres, alors ?
–
Morts ! Nous ne sommes pas assez bien pourvus en vivres pour nourrir des vautours captifs !
–
Je ne crois pas que celui-là aura le temps de nous coûter très cher, fit la jeune femme.
Ces mots, et surtout ce qu'ils sous-entendaient, redoublèrent la terreur de Gervais. Il se risqua à lever sur la châtelaine un regard vacillant.
– Grâce ! bredouilla-t-il. Ne me tuez pas !
Livide, la bouche molle, des rigoles de sueur coulant sur ses joues mal rasées, il bavait, déjà aux prises avec une répugnante agonie.
Catherine eut un frisson de dégoût.
–
Quelle raison puis-je avoir de t'épargner ? Je t'ai déjà fait grâce une fois et c'était une fois de trop puisque tu nous as ramené cette bande de loups affamés !
– Ce n'est pas moi !
–
Pas toi ? cria le père de Bertille. Laissez-le-moi, Dame Catherine. Je vous jure que dans quelques minutes il chantera une autre chanson !
–
Je veux dire, se hâta de corriger Gervais, que ce n'est pas moi qui ai donné aux Apchier l'idée de venir ici. Ils y songeaient depuis la grande fête de l'automne et ça, moi, je l'ignorais quand ils m'ont recueilli là-haut, sur l'Aubrac, à moitié gelé et mourant de faim.
Mais c'est bien toi qui leur as dit que messire Arnaud avait quitté le pays avec ses hommes, constata l'abbé Bernard. C'est donc la même chose ! Pire encore, peut-être, car, sans toi, les femmes, les enfants et les vieillards de notre cité ne seraient pas en péril.
Rampant du ventre et des genoux, Gervais se traîna vers lui :
– Votre Révérence !... Vous êtes un homme de Dieu... Un homme de miséricorde !... Ayez pitié de moi ! Je suis jeune ! Je ne veux pas mourir ! Dites-leur de me laisser vivre !
– Et le pauvre frère Amable ? gronda le talmelier, il n'était pas si vieux lui non plus. As-tu aussi prié tes amis d'Apchier de lui laisser la vie ?
– Je ne pouvais rien ! Que suis-je pour donner conseil à des seigneurs ? Je ne suis pour eux qu'un manant.
– Pour nous aussi ! grogna le forgeron. Mais tu devais leur être un manant bien utile et plutôt bien vu, car tu paradais avec assez d'arrogance, au soir de leur arrivée...
– Et le deuxième messager, le Jeannet... celui que tu attendais comme cette nuit à la porte du souterrain, renchérit Bastide, il est encore bien en vie, sans doute ?
Tout autour du misérable, maintenant, les accusations jaillissaient comme des flèches et, sous leur rafale, Gervais se tassait de plus en plus, courbant l'échiné et rentrant la tête dans ses épaules comme sous l'attaque d'un essaim de guêpes, sans plus chercher à répondre ou à se défendre.
Un moment, Catherine les laissa faire sans intervenir. La haine et la fureur qui émanaient de ce cercle d'hommes achevaient de porter à son point culminant la terreur du prisonnier et c'était ce qu'elle souhaitait.
Assise sur son tabouret, muette et frissonnante dans les fourrures qu'elle serrait autour d'elle, la jeune femme évitait même de regarder cette loque humaine qui se traînait à ses pieds. Pareille lâcheté l'écœurait. Pourtant, de ce lâche terrorisé, il lui fallait encore tirer la vérité...
Quand elle sentit qu'il était à point, elle leva la main, imposant, par ce simple geste, silence à ses compagnons puis, du bout du pied, elle toucha l'épaule de l'homme affalé à terre.
– Écoute-moi, maintenant, Gervais Malfrat ! Tu as vu ces bommes, tu les as entendus ? Tous te haïssent et il n'en est pas un qui ne souhaite te faire endurer tous les tourments de l'enfer avant de permettre à ton âme misérable de s'évader de ton corps. Pourtant, tu peux encore t'éviter un univers de souffrance...
Gervais, instantanément, releva la tête. Elle lut un espoir dans son regard vacillant.
– Vous me feriez grâce encore, gracieuse dame ! Oh, dites... dites vite à quel prix !
Elle comprit qu'il était prêt à parler, à dire n'importe quoi pourvu qu'il pût croire à sa vie. Rien n'était plus facile que de promettre mais, même pour un coquin de cette espèce, elle ne voulait pas employer le mensonge ni une ruse aussi vile. Quoi qu'il lui en coûtât, elle le détrompa aussitôt.
– Non, Gervais ! Je ne te ferai pas grâce parce que je n'en ai plus la possibilité. Tu n'es pas mon prisonnier : tu es celui des gens de cette cité dont aucun ne comprendrait que nous te laissions poursuivre ta vie néfaste. Mais tu auras une mort rapide si tu réponds à deux questions... deux seulement.
– Pourquoi pas la vie ? La vie sauve, Dame Catherine, ou je ne répondrai à rien ! Que m'importe ce que vous voulez savoir si je dois mourir tout de même.
– Il y a mourir et mourir, Gervais ! Il y a la corde, la flèche, la hache ou la dague qui tuent en un instant... et puis il y a l'estrapade, les tenailles, le plomb fondu, les fers rouges... tout ce que l'on peut endurer des heures... des jours parfois et qui fait qu'alors on appelle, on désire la mort comme un bien suprême.
A chacun des mots terribles prononcés par Catherine, Gervais avait poussé un gémissement. Ils s'achevèrent en long hurlement :
– Non ! non... Pas ça !
– Alors parle ! Sinon, sur l'honneur du nom que je porte, je te livre au tourmenteur, Gervais Malfrat !
Mais la terreur n'avait pas encore complètement obscurci l'esprit du vaurien. Une expression de ruse passa sur son visage défait.
– Vous faites pas plus féroce que vous n'êtes, Dame Catherine ! Je sais aussi bien que vous qu'il n'y en a pas à Montsalvy !
– Il y a moi ! cria Martin Cairou qui ne pouvait plus se contenir.
Donnez-le-moi, Dame ! Je vous promets qu'il parlera et qu'aucun de ses cris, aucune de ses supplications ne me fera cesser le supplice...
Attendez ! Je vais vous montrer.
Vivement, le toilier se pencha, saisit près du brasero un long tisonnier de fer qu'il plongea dans les flammes au milieu d'un silence de mort.
On entendit haleter Gervais.
– Regarde cet homme, dit alors Catherine. Il te hait ! À cause de toi son enfant a choisi la mort. Et lui, voilà des jours et des nuits... des nuits surtout, qu'il rêve de te tenir à sa merci pour te faire endurer une éternité de douleurs dans l'espoir qu'elles apaiseront un peu les siennes. Tu as raison de dire que nous n'avons pas de tourmenteur à Montsalvy, mais c'est parce que nous n'en avons jamais eu besoin.
Cependant, pour toi, il y en aura un... et c'est toi-même qui l'auras fait naître... Parles-tu ?
Dans les braises, la longue tige de fer était devenue incandescente.
Martin la reprit d'une main ferme, tandis que, sans s'être concertés mais d'un même mouvement, Antoine Couderc et Guillaume Bastide empoignaient Gervais dont le hurlement fut celui d'un loup à l'agonie, tandis que tous ses muscles tétanisés se contractaient dans l'angoisse de la souffrance proche.
– NOOOOOOOOOOon !...
Martin s'avançait déjà. Catherine saisit son bras, le retint, puis s'adressant à Gervais qui se débattait furieusement aux mains de ses gardiens auxquels les deux fils Malvezin durent prêter main-forte :
–
Parle ! Sinon, dans un instant, on t'aura dépouillé de tes vêtements, attaché à cet anneau qui pend de la voûte et nous te laisserons à Martin !
– Que... voulez-vous savoir ?
–
Deux choses, je te l'ai dit. D'abord le nom de ton complice ! Il y a, dans cette ville, un misérable qui te renseigne et qui nous trahit.
Je veux son nom.
– Et la... deuxième question ?
–
Bérault d'Anchier a clamé à tous les échos de ce pays que le seigneur de Montsalvy n'y reviendrait jamais. Je veux savoir ce qu'il trame pour avoir telle assurance. Je veux savoir ce qui menace mon époux !
–
Je vous l'ai dit, Dame... je suis trop petit compagnon pour être honoré des secrets d'Apchier...
Catherine ne le laissa pas poursuivre. Sans hausser le ton, elle ordonna :
–
Déshabillez-le et pendez-le par les poignets à cet anneau...
–
Non ! Par pitié ! Non !... Ne me faites pas de mal ! Je vais parler... Je vais dire ce que je sais.
–
Un instant ! coupa l'abbé Bernard. Je vais consigner tes déclarations. Tu es ici devant un tribunal, Gervais. J'en serai le greffier.
Calmement, il tira de son scapulaire une feuille de papier roulée ', une plume d'oie et décrocha de sa ceinture un petit encrier. Puis il fit signe à l'un des soldats de lui prêter son dos cuirassé comme pupitre.