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Piège pour Catherine
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 15:15

Текст книги "Piège pour Catherine"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Malade de dégoût, Catherine préféra ne rien répondre. On se dirigea vers l'église. Sa porte pendait arrachée et, de l'intérieur éclairé, partaient des mugissements et des cris d'animaux.

Cornisse s'approcha avec ses prisonniers. Catherine vit que l'intérieur était plein de vaches, de veaux, de bœufs, de moutons et de chèvres qu'un routier, portant cuirasse sur un froc de moine, recensait à l'aide d'un gros livre posé sur le lutrin. Des balles de fourrage s'empilaient dans les bas-côtés et, dans une petite chapelle, des hommes entassaient les provisions saisies dans toutes les maisons.

Devant l'autel, trois jeunes filles entièrement nues dansaient sous la menace des épées d'une douzaine de soudards qui riaient à gorge déployée et rejetaient avec de grandes claques les longs cheveux dont elles essayaient de se cacher.

Cornisse jeta un coup d'œil sur tout cela, puis interpella le moine-scribe.

– Hé ! le Recteur ! Tu sais où est le Capitaine ?

Sans quitter ses écritures et sans lever les yeux, le scribe indiqua le fond de l'église.

– La maison qui est là, derrière ! C'est celle du bailli. Il y est...

– Bon ! On y va, soupira le routier en tirant sur la corde qui le reliait à Catherine.

Celle-ci plongea dans le regard terne du soudard le sien qui brûlait de fureur et d'indignation.

– Maudits ! Vous serez tous maudits ! Si les hommes ne vous punissent pas, Dieu s'en chargera ! Vous pourrirez dans des prisons ou au bout des potences en attendant de brûler en enfer pour l'éternité.

A la grande stupeur de la jeune femme, l'homme se signa avec une terreur visible puis lui intima, avec humeur, l'ordre de se taire si elle ne voulait pas être bâillonnée.

Haussant les épaules, elle lui tourna le dos avec mépris et sortit de l'église profanée la première et la tête haute. Mais, comme elle mettait le pied hors du portail, un violent éclair illumina tout le village et, d'un seul coup, l'orage creva. Des trombes d'eau s'abattirent avec la violence de cataractes, tombant d'un ciel noir d'où partaient des grondements d'Apocalypse, couchant les flammes, douchant les brasiers qui se mirent à fumer comme des chaudières.

Cornisse regarda Catherine avec épouvante et dirigea vers elle deux doigts en cornes.

Sorcière !... Tu es une sorcière ! Une fille du Diable ! Grande dame ou pas, je vais dire au Capitaine qu'il te fasse brûler !

La jeune femme eut un rire sec.

– Sorcière ? Parce que l'orage éclate ? C'est Dieu qui gronde au-dessus de vos têtes, bandits ! C'est lui qui confirme mes paroles, pas le Diable, votre maître.

Pour toute réponse, il l'entraîna en courant le long des contreforts trapus, à travers les flaques d'eau qui déjà se formaient. La pluie cinglait leurs visages et inondait la poitrine de la jeune femme qui ne s'en défendait pas.

L'un tirant l'autre, ils s'engouffrèrent sous le porche d'une maison d'assez belle apparence dont les fenêtres éclairées étaient même garnies de carreaux. D'affreux hurlements en sortaient.

Laissant les chevaux sous le porche avec leurs charges et leurs gardiens, Cornisse entraîna Catherine vers une porte basse qu'il ouvrit d'un coup de pied.

– Capitaine ! cria-t-il, voilà du gibier que je vous amène...

Mais ses paroles se perdirent dans les cris qui emplissaient la pièce et il s'arrêta au seuil vivement intéressé, tandis que Catherine étouffait un cri d'épouvante. Cette fois, elle devait avoir franchi le seuil de l'enfer !

La pièce où elle se trouvait était une salle de belles dimensions, dont le principal ornement était une large cheminée de pierre surmontée d'une statue de la Vierge, mais c'était de cette cheminée que partaient les hurlements. Un homme barbu, dans la force de l'âge, était lié sur une planche posée sur deux escabeaux et ses jambes disparaissaient jusqu'aux genoux dans les flammes. Convulsé dans ses liens, maintenu par quatre hommes, il ouvrait une bouche énorme d'où s'échappait un interminable cri d'agonie.

Les écorcheurs le retiraient un instant, lui posaient une question, toujours la même :

– Où est le magot ?

Mais il trouvait encore la force de secouer sa tête où roulaient des yeux révulsés, écarlate et suante, avec de grosses veines violettes qui, sur les tempes, semblaient prêtes à éclater. Et le supplice recommençait.

En contrepoint, les cris et les supplications d'une femme se faisaient entendre. Ils venaient du fond de la pièce où se trouvait un grand lit à courtines rouges qui craquait sous les secousses que lui imprimaient deux corps emmêlés. Dans l'ombre des rideaux, Catherine aperçut une jambe et un bras nus, une tête aux longs cheveux clairs qui roulait en tous sens, une femme enfin qui pleurait et gémissait sous le poids de l'homme qui la possédait avec une violence barbare...

De l'homme, on ne voyait pas grand-chose, sinon un grand corps vêtu de mailles d'acier qui ajoutaient une torture à la plainte de la malheureuse.

– Dis-leur, Guillaume !... dis-leur ! gémissait-elle, te laisse pas tuer !

Fascinée, les yeux agrandis d'épouvante, Catherine regardait tour à tour le supplicié et la femme sans réussir à fermer les yeux ou à détourner son regard, parvenue à un tel degré d'horreur que ses réflexes s'en trouvaient anéantis.

Comme du fond d'un cauchemar, elle vit un poing s'abattre sur la bouche de la femme qui, perdant enfin connaissance, se tut, tandis qu'avec un râle court, son bourreau allait au bout de son plaisir.

Cependant, les cris de l'homme torturé cessèrent d'un seul coup, tandis que sa tête retombait en arrière, inerte. Les routiers le retirèrent du feu.

– Capitaine ! appela l'un d'eux, il est évanoui...

– Ou il est mort ! fit un autre qui venait d'appuyer son oreille sur la poitrine de l'homme. Je n'entends plus rien là-dedans...

Un grognement de colère partit du fond de l'alcôve, tandis qu'une longue forme grise se dressait avec un bruit métallique.

– Bande de maladroits et d'abrutis ! gronda une voix qui fit sursauter Catherine.

Ses prunelles dilatées devinrent immenses. Le capitaine La Foudre sortit de l'ombre en rajustant son baudrier de cuir brodé. Il était tête nue, ses courts cheveux noirs en désordre et son visage basané crispé par la fureur, tandis que, le poing levé, il se ruait sur ses hommes pour les châtier.

– Capitaine ! reprit alors Cornisse après s'être raclé la gorge. Je vous amène un gibier de choix.

Le poing levé se baissa. Sous l'armure d'acier, l'homme haussa les épaules et décocha un coup de pied au corps insensible de l'homme supplicié.

– Jetez-moi cette charogne sur le fumier... s'il en reste ! ordonna-t-il.

Puis, saisissant une chandelle sur la table, il s'approcha du petit groupe resté près de la porte.

– Du gibier de choix ? ricana-t-il. Voyons cela.

Il leva la chandelle. La dame de Montsalvy redressa la tête. Son regard violet, brûlant d'indignation, et le regard noir du capitaine La Foudre, empli d'une immense stupeur, se croisèrent. La chandelle roula sur les dalles.

– Bonsoir, Arnaud ! dit Catherine.

Le déluge ! Elle était au cœur même du déluge universel ! La colère de Dieu s'abattait sur la terre coupable en longues rafales mugissantes qui bombardaient le toit de chaume, brisaient les branches, abattaient les arbres, ravinaient la glèbe nourrie de sang.

Face à face, dans cette grange où il l'avait traînée sans lui laisser le temps d'articuler une parole de plus, Catherine et son époux se regardaient. Ils avaient l'air de prendre la mesure l'un de l'autre comme, avant la bataille, font les ennemis...

Sur le visage d'Arnaud, une rage presque démente avait remplacé la stupeur de tout à l'heure. Il avait réalisé que la mince forme noire soudain dressée devant lui comme l'ange du châtiment n'était pas un fantôme inexplicablement surgi des fumées âcres de l'incendie ou des phantasmes d'une nuit démoniaque.

C'était bien une créature vivante, c'était sa femme... C'était Catherine elle-même et tout son être n'était qu'un cri d'indignation. Jamais il n'aurait imaginé, même durant ces interminables heures nocturnes où elle avait impitoyablement chassé son sommeil et hanté ses quelques rêves, jamais il n'aurait imaginé qu'il pouvait la détester à ce point.

Brutalement, comme on rejette un fardeau insupportable, il l'avait envoyée rouler dans un coin de la grange, dont la terre battue se couvrait heureusement à cet endroit d'un peu de paille, mais elle ne s'en écorcha pas moins aux pointes d'une fourche qui dégringola avec elle.

Et, tout de suite, il cracha sur elle sa fureur en un chapelet d'insultes variées mais dont le sens était rigoureusement le même :

– Catin ! Ribaude !... Putain !... Traînée !... Ils t'ont donc chassée

! Ou bien c'est lui, ce chien galeux qui en a eu assez de toi et qui t'a jetée sur les routes quand il s'est aperçu que la moitié de ses hommes t'avaient passé dessus ?

Avec une souplesse de chat, elle se relevait déjà, serrant dans sa paume son poignet blessé, plus étourdie par ce flot d'injures que par le choc reçu, mais tout de suite parvenue au même diapason de fureur.

– Qui m'a chassée ? De quoi parles-tu ? Parce que je t'ai pris en flagrant délit, comme un vaurien, parce que je viens de voir qui tu es en vérité, tu préfères m'attaquer, me couvrir d'insultes insensées !

C'est tellement plus pratique !

Machinalement, elle refermait son pourpoint à l'aide des fragments de ses lacets.

– Je parle de mes vassaux, je parle des gens de Montsalvy qui, sans doute las de te voir te vautrer dans le lit des trois Apchier, t'ont jetée hors de leurs murs et renvoyée sur les grands chemins pour y reprendre ton métier.

Tes vassaux ? Ah, j'aimerais qu'ils puissent te voir en cette minute

! Toi, leur seigneur... presque leur Dieu ! couvert de sang, brûlant, pillant, torturant des innocents, tout chaud encore du lit où tu as forcé une malheureuse ! Ah ! ils seraient fiers de toi ! Malandrin !

Coupe-jarret ! Écorcheur ! Voilà les nouveaux titres du seigneur de Montsalvy ! Ah ! non, j'oubliais : le capitaine La Foudre, un valet de Robert de Sarrebruck ! Voilà ce que tu es devenu !

Il bondit sur elle, le poing levé, prêt à frapper comme tout à l'heure, mais elle ne recula pas. Au contraire, elle se raidit et fit front audacieusement.

– Vas-y ! gronda-t-elle entre ses dents serrées. Cogne ! Fais ton métier jusqu'au bout ! Je vois que l'homme qui t'a aidé à quitter la Bastille, qui t'a si bien déshonoré, je vois que Gonnet d'Apchier a bien fait son travail.

Arnaud retint sa main qui allait s'abattre.

Comment sais-tu tout cela ?

– J'en sais plus encore que tu ne l'imagines. Je sais que Bérault d'Apchier, qui assiégeait Montsalvy, avait des intelligences dans la place. Il s'est fait remettre par celle qui nous trahissait... par Azalaïs la dentellière, une de mes chemises dont elle devait réparer la dentelle et un morceau de lettre où elle avait imité mon écriture.

Ça, c'était pour toi... pour te convaincre que j'avais été assez ignoble pour livrer Montsalvy à ces pourceaux. C'est bien ça, n'est-ce pas ? Mais si tu veux que je le lui dise en face et que je fasse cracher son venin au bâtard, va donc le chercher ! Où est Gonnet d'Apchier ? Comment se fait-il que je ne l'aie pas vu à la fête de ce soir ? Cela doit lui plaire cependant !

– Il est mort ! fit Arnaud d'un ton rogue. Je l'ai tué... quand il m'a donné ceci.

D'un geste machinal, il tirait de sous son haubert de mailles un chiffon blanc froissé et taché de sang, un fragment de parchemin qu'il laissa tomber aux pieds de sa femme.

– Il m'avait tiré de la Bastille. Il m'avait sauvé la vie et cependant je l'ai tué. A cause de toi... et parce qu'il a osé me dire...

toute la vérité sur toi. Il a été honnête, fraternel pour moi... et cependant je l'ai tué.

Honnête ? Fraternel ? C'est à Gonnet d'Apchier que tu appliques ces lauriers ? Honnête, l'homme qui t'a abreuvé de mensonges éhontés ?

Fraternel, le bon garçon qui portait sur lui le poison, à lui donné par la Ratapennade, ta sorcière locale, qui devait t'envoyer de vie à trépas ?

As-tu donc perdu le sens, Arnaud de Montsalvy ?

Il explosa de nouveau mais maintenant l'incertitude, le doute se glissaient dans les vagues de sa colère.

– Pourquoi te croirais-je plus que lui ? Qui m'assure que tu dis vrai ? Il est normal que tu accuses pour te défendre et maintenant que j'ai eu la sottise de te dire qu'il est mort !

– Tu ne me crois pas ? dit-elle froidement. Et l'abbé Bernard, le croirais-tu ?

– L'abbé Bernard est loin et ça aussi, tu le sais !

– Beaucoup moins que tu n'imagines. Lis ça !

De son aumônière, elle tirait la lettre reçue à Tours. Le cuir épais et solide l'avait protégée de l'eau et elle n'était même pas humide. D'un geste net, elle la mit sous le nez de son mari.

– Je pense que tu connais l'écriture ? Crois-tu donc que Bernard de Calmont d'Olt nommerait sa bien-aimée fille en Jésus-Christ une ribaude chassée à coups de fouet par ses serviteurs ?

Il lui jeta un regard où l'incertitude se teintait maintenant d'angoisse, puis, s'écartant vers la chandelle qu'il avait posée sur une poutre, il se mit à lire lentement à mi-voix, s'arrêtant sur certains mots comme s'il cherchait à en apprécier tout le poids.

Catherine, retenant sa respiration, le regardait avec désespoir. Elle regardait ce visage viril dont les traits énergiques semblaient s'être épaissis, alourdis d'une brutalité qu'elle ne connaissait pas et que la lumière pauvre de la chandelle accusait encore. Une barbe de quatre ou cinq jours le mangeait, en détruisant toute beauté sous un chaume sale tandis que des poches dues aux excès se gonflaient sous les yeux.

Avec douleur, derrière ce soudard vêtu de fer qui dans sa mémoire s'érigeait, sauvage et menaçant sur le fond brûlant d'un village incendié, elle voyait se lever l'image familière qui s'était découpée une dernière fois, si fière et si joyeuse sous le frissonnement coloré des bannières de soie sur le fond immaculé d'un haut plateau couvert de neige !

Il n'y avait pas six mois de cela... et celui qu'elle aimait plus que tout au monde était devenu cet homme– là ! Si lourde était sa peine qu'elle ne fit rien pour la contenir. Des larmes emplirent ses yeux et, silencieusement, sans un sanglot, glissèrent lentement vers les coins de sa bouche.

Arnaud, cependant, avait fini de lire. L'œil atone, il contemplait la lettre qu'il avait laissée tomber à ses pieds, comme s'il cherchait à en étudier la forme. D'une main machinale, il ôta ses épaulières et son plastron d'acier, dégrafa le haubert de mailles, dégageant son cou puissant à la manière d'un homme qui étouffe.

Brusquement, il arracha la hachette plantée dans un billot à fendre les bûches, la lança au loin et s'assit, les coudes aux genoux et la tête dans ses mains.

– Je ne comprends pas... Je n'arrive pas... Je ne peux pas comprendre. Il me semble que je deviens fou...

– Veux-tu me laisser t'expliquer ? murmura Catherine après un instant de silence, je crois qu'ensuite tu comprendras tout.

– Explique ! concéda-t-il de mauvaise grâce, avec un reste de rancune renforcée par la pénible sensation d'être dans son tort sur toute la ligne.

– D'abord, une question : pourquoi, en quittant la Bastille, n'es-tu pas revenu droit à Montsalvy ?

– L'abbé l'a bien compris, lui ! Pourquoi donc pas toi ? C'est facile, cependant. Quand on se sauve, on ne rentre pas chez soi tout droit.

– Tu pouvais au moins revenir dans la région. Les cachettes ne manquent pas, sans compter les forteresses de ceux qui auraient accepté joyeusement de subir pour toi combats et sièges !

Je sais, s'écria-t-il avec colère. Mais ce maudit bâtard, que Dieu damne, m'avait dit que j'étais condamné à mort, que j'allais être exécuté le soir même. D'ailleurs, il était venu sous l'habit du moine qui devait me préparer. Quand nous nous sommes enfuis, je voulais regagner l'Auvergne. Je ne voulais même que ça mais il m'a dit que le Roi, déjà, envoyait des troupes pour investir ma ville et se saisir de mes biens. Et puis ensuite... quand il m'a appris., ce que tu sais, je n'ai plus eu envie de rien... sinon de passer ma fureur sur tout ce qui me tomberait sous la main ! A quoi bon retourner là-bas ? Je n'aurais même pas eu la joie d'étriper Bérault d'Apchier, puisque les gens du Roi avaient déjà dû prendre possession. Alors, j'ai rejoint Robert. Je savais qu'il avait réussi à s'échapper de la prison où les gens de René de Lorraine le retenaient. Je le connaissais depuis longtemps. En outre, il était maintenant comme moi : un prisonnier évadé, un proscrit... mais puissant et à la tête d'une forte troupe. Je l'ai rejoint. Et son amitié à lui ne m'a pas fait défaut. Le Damoiseau m'a accueilli les bras ouverts.

– ...et a fait de toi ce bandit, masqué d'un pseudonyme trop explicite ! Tu me pardonneras de ne pas lui en être reconnaissante.

Maintenant, si tu veux, je vais tout te dire...

Elle s'accroupit à terre auprès de lui et commença de parler.

Aussi clairement, aussi calmement qu'il lui était possible, Catherine fit le récit de l'odyssée qui, des souterrains de Montsalvy, l'avait menée jusqu'à ce village du haut pays de Marne. Elle dit sa rencontre avec Richemont, son audience chez le Roi, l'entretien qu'elle avait eu avec le Dauphin, l'aide de Jacques Cœur et, finalement, la visite qu'au château de Tours elle avait rendue à la reine de Sicile.

Il l'écoutait, sans mot dire, les mains nouées entre ses genoux, grattant parfois la terre de son soleret de fer à la manière d'un cheval impatient.

Finalement, elle se releva, fouilla de nouveau son aumônière et en tira le sauf-conduit.

– Tiens ! fit-elle. Voilà ce que la Reine m'a donné pour toi.

Rentre à Montsalvy ! Le Roi, avec les Reines et le Dauphin, va bientôt se diriger sur les pays du Sud pour y régler la succession du comte de Foix et y...

Elle hésita imperceptiblement, puis se décida, articulant même clairement pour mieux frapper :

– ...et y réprimer les excès des Écorcheurs...

Il tressaillit, l'enveloppa d'un regard noir. Elle attendait qu'il réagît et il n'y manqua pas.

– Je te fais horreur, n'est-ce pas ?

– Oui ! tu me fais horreur ! fit-elle nettement. Ou, plutôt, j'ai horreur de l'homme qui est devant moi, car je refuse de croire que ce soit vraiment toi.

– Et qui d'autre ? Je fais la guerre, Catherine, et la guerre c'est ça

! Ce n'est que ça, même si cela te gêne de le croire. Je ne fais rien d'autre que ce que j'ai toujours fait, ce que font tous ceux que tu aimes tant : La Hire, Xaintrailles... et les autres. Que crois-tu qu'ils fassent à Gisors en ce moment, ces deux-là ?

– Ils combattent l'Anglais ! Ils combattent l'ennemi...

– Moi aussi ! L'Anglais ? Où est-il selon toi ? Aux frontières du royaume ? Non pas : il est à dix lieues d'ici, à Montigny-le-Roy où ton duc Philippe le laisse bien tranquille mais où, à l'heure qu'il est, le seigneur de La Suze, René de Rais, l'assiège.

– René de Rais ? Le frère de...

– De Gilles, oui, du monstre à la barbe bleue. Mais René est bon chevalier et mon frère d'armes, même s'il emploie des méthodes qui ne te plairaient pas plus que les miennes. Quant à moi, je combats Bourgogne... car c'est lui le pire de tous nos ennemis !

– Des ennemis, dis-tu ? Mais de qui ? De quoi ?

– Du Roi... et de la France ! As-tu aimé, approuvé le traité d'Arras, cet humiliant torchon qui oblige le Roi à demander pardon à Philippe, qui délie le duc même du devoir d'hommage ? Aucun de nous ne l'a accepté ni ne l'acceptera jamais. La paix à ce prix, nous n'en voulons pas. Et ici, c'est la Bourgogne ?

La Bourgogne ? Oui, sans doute, mais je n'ai guère vu de murailles, d'hommes d'armes, de machines de guerre ! Je n'ai vu que des vieillards, des femmes, des enfants assassinés, des hommes qui n'avaient pas d'armes et que l'on torturait pour leur faire cracher leur argent.

– La guerre n'a ni âge, ni sexe. Et l'ennemi est un tout ! En abattant ceux qui nourrissent les gens d'armes, on les détruit aussi bien qu'en leur tapant dessus à coups de hache !

La querelle repartait, violente, nourrie de leurs rancœurs et de leurs convictions. En face du féodal impitoyable, habitué à mépriser, presque universellement, toutes ces fourmis de la terre et des bourgades, Catherine se retrouvait solidaire de ce peuple martyrisé, pressuré, saigné à blanc, l'une des siennes et non des moins maltraitées.

– Allons donc ! Ce n'est pas la première fois que je vois la guerre, puisque tu dis que c'en est une. Je sais qu'elle est affreuse.

Mais à ce point-là ! Qui t'a changé ainsi, Arnaud ? Tu étais vaillant, dur, sans pitié parfois, mais tu n'étais pas aussi bassement cruel !

Souviens-toi de ce que tu étais... de ce que vous étiez tous quand vous suiviez Jeanne la Pucelle.

À ce nom, brusquement, il eut une expression de joie, presque de délivrance.

– Jeanne ? Mais je la suis toujours ! Je la sers même mieux que je n'ai jamais fait, car je l'ai revue... et elle m'a donné sa bénédiction...

Abasourdie, Catherine ouvrit de grands yeux.

– Que dis-tu ?... Jeanne, tu as revu Jeanne ?

– Oui, vivante ! Et belle, et joyeuse et plus forte que jamais ! Je l'ai vue, te dis-je ! Je l'ai vue lorsque j'ai rejoint Robert à Neufchâteau.

Elle venait d'arriver à la Grange-aux-Hornes, près de Saint-Privey.

Deux hommes l'accompagnaient et tous les seigneurs de la région accouraient pour la voir !

Catherine haussa les épaules avec irritation. Que son époux fût devenu une bête sauvage était déjà bien assez cruel, sans qu'il y ajoutât l'imbécillité !

– Je commence à croire que tu as raison. Tu deviens fou. Jeanne vivante ! Comme si cela avait quelque sens !

– Je te dis que je l'ai vue, s'entêta-t-il.

– Tu l'as vue ? Et sur le bûcher de Rouen, quand le bourreau a écarté le feu pour que tout le monde puisse s'assurer que c'était bien elle, tu ne l'as pas vue, peut– être ? Moi, c'est une vision que je n'oublierai jamais. Ce pauvre corps dénudé par la flamme, rouge et sanglant ! Et ce visage aux yeux clos, déjà, inerte... mais encore intact

! Ce n'était pas elle, peut-être ?

– C'était une autre ! Une fille qui lui ressemblait. On l'a fait fuir.

– Par où ? Par le souterrain où tu l'attendais à Saint– Maclou ou par je ne sais quel trou dans la prison où les Anglais la gardaient à vue

? Si quelqu'un avait dû faire fuir Jeanne, cela aurait été nous, nous qui étions sur place et qui avions toute l'aide qu'il était possible d'avoir !

C'est toi, Arnaud, qui es victime d'une ressemblance...

– Ce n'est pas vrai ! Les frères de Jeanne, les seigneurs du Lys, l'ont reconnue eux aussi !

– Ceux-là ! fit Catherine avec mépris. Ils reconnaîtraient n'importe qui pour que la manne qui est tombée sur eux du fait de leur sœur continue de pleuvoir. On les a décrassés, ces vilains, enrichis, anoblis, tandis que la malheureuse Jeanne périssait dans les flammes.

Pourquoi donc n'étaient-ils pas à Rouen, avec nous, pour essayer de la tirer de là ?... Je ne crois pas à ces reconnaissances-là ! Quant à toi, tu es comme bien d'autres : tu souhaites tellement la revoir, que tu te laisses prendre à une ressemblance vague..

– C'est elle trait pour trait. Je la connaissais bien.

– Moi aussi je la connaissais bien. Et je monterais à l'échafaud s'il le fallait, en jurant que j'ai vu, de mes yeux vu, Jeanne d'Arc mourir sur le bûcher. D'ailleurs, ajouta-t-elle en se rappelant tout à coup les paroles d'Arnaud tout à l'heure, que m'as-tu dit, il y a un instant ? Tu la sers, dis-tu ? Et mieux que jamais ? Elle t'a béni ?... C'est avec sa bénédiction alors que tu pilles, que tu brûles, que tu supplicies, que tu transformes la maison de Dieu en étable et en bordel ? Et tu oses me dire que cette aventurière est Jeanne ?

– Nous la vengeons ! Bourgogne l'a livrée, Bourgogne doit payer

! – Pauvre imbécile ! cria Catherine hors d'elle. Tu as déjà vu Jeanne réclamer vengeance ? Pousser les hommes .d'armes à tuer les petites gens ? Et si vous tenez tellement à la venger, que n'allez-vous attaquer Jean de Luxembourg ? C'est lui qui l'a livrée et il a même refusé de signer le traité d'Arras. Voilà un ennemi, un vrai ! Mais il est coriace, Luxembourg ! Il est puissant. Il a de grosses villes fortes, des soldats qui savent se battre. C'est moins facile que de massacrer de pauvres paysans sans défense. Ah ! elle est jolie, votre Pucelle de carrefour ! Et vous, les héros, vous avez bonne mine !

– Quand tu la verras, tu changeras d'avis ! Mais... au fait...

Et Arnaud tourna vers sa femme un regard où le reflet d'une idée venait de passer. Une idée bien simple et bien naturelle cependant, mais qui, chose étrange, ne lui était pas encore venue, pris qu'il était par l'ardeur de leur dispute.

– Au fait, quoi ?

– Voudrais-tu me faire la grâce de me dire ce que tu fais par ici ?

Où vas-tu ?

La voix d'Arnaud s'était chargée d'une inquiétante douceur, mais Catherine n'y prit pas garde.

– Je te l'ai dit : au chevet de ma mère mourante !

– À... Dijon, alors ?

– Mais non. Elle n'y est pas ! Mon oncle a pris pour femme une gourgandine et ma mère a été obligée de quitter la maison.

Ermengarde lui a offert l'hospitalité. Je croyais, d'ailleurs, te l'avoir dit

: elle est à Châteauvillain !

– À Châteauvillain ? Vraiment ?... Eh bien, vois-tu, ma chère, je l'aurais juré !

Les yeux rétrécis, il avait l'air de la guetter comme un chat en face de la souris qu'il va croquer. Dans son visage mal rasé, sa bouche avait un sourire à babines retroussées qui lui donnait l'air féroce.

N'y comprenant rien, Catherine le regarda avec stupeur :

– Tu l'aurais juré ?...

Brusquement, il se détendit comme un ressort, bondit sur elle et la saisit à la gorge.

– Oui, je l'aurais juré ! Et je sais maintenant que tu n'es qu'une garce ! Et la pire de toutes. Tu crois que je ne sais pas qui t'attend à Châteauvillain, qui tu vas rejoindre ? Hein ?...

– Lâche-moi ! hoqueta la jeune femme à demi étranglée. Tu... me fais mal ! J'étouffe...

– Tu ne m'auras pas, cette fois, maudite femelle ! Quand je pense que j'ai failli me laisser prendre à tes raisons, à tes larmes, quand je pense que je me faisais des reproches... que j'avais honte, oui, honte.

Et, pendant ce temps, tu pérorais, tu m'accablais de ton mépris avec, derrière ton sale petit front têtu, l'idée de me berner pour pouvoir rejoindre ton amant!...

– Mon a...mant ? râla Catherine, mais... quel...

– Le seul, le vrai, l'unique : le duc Philippe que l'on a vu arriver en cachette avec une petite escorte, voici cinq jours, chez cette maquerelle d'Ermengarde que le Diable crève ! Hein ? Qu'est-ce que lu dis de ça ?... Moi aussi je sais des choses, tu vois ?

Inerte, à demi inconsciente et cherchant désespérément l'air qui lui échappait, Catherine s'abandonnait aux mains qui la maltraitaient sans plus opposer de défense qu'une poupée de son. Ce fut une petite voix, tremblante mais claire, qui se fit entendre derrière le dos de Montsalvy et qui lui répondit :

– Je dis que vous avez menti, messire Arnaud, que le duc de Bourgogne n'est point ici... et que vous êtes en train d'étrangler votre bonne épouse !

Les mains d'Arnaud s'ouvrirent machinalement, lâchant Catherine qui glissa sur la terre humide. Se retournant, il regarda le groupe qui venait d'apparaître à la porte de la grange : Bérenger et un garçon roux, ficelés et trempés comme des soupes, que quatre de ses hommes maintenaient entre eux.

C'était le page qui avait parlé, poussé par une indignation plus forte que la terreur que, toujours, son seigneur lui avait inspirée.

Arnaud croisa les bras et considéra le groupe avec un étonnement qu'il ne cherchait pas à dissimuler.

– Le petit Roquemaurel ! Mais qu'est-ce que tu fais là, morveux ?

L'adolescent redressa la tête et, fièrement, déclara :

– Quand vous êtes parti, seigneur comte, j'étais déjà le page de Dame Catherine. Je le suis toujours et je l'ai suivie partout où elle a été, pour l'aider et la servir de mon mieux ! Mais vous, messire... êtes-vous toujours celui qu'elle aimait tant ?

Sous le regard clair de l'enfant, Arnaud rougit et détourna les yeux.

Ce gamin avait le pouvoir de le mettre mal à l'aise et le reproche, la déception, qu'il pouvait lire aisément sur cette jeune figure fatiguée le gênaient.

– Mêle-toi de ce qui te regarde ! grogna-t-il. Les affaires des grandes personnes ne sont pas faites pour les moutards. Et celui-là, ajouta-t-il en désignant Gauthier, muet jusqu'à présent, qui est-il ?

L'étudiant se redressa et, un pli dédaigneux à la bouche, il lança, défiant le capitaine du regard :

– Gauthier de Chazay, écuyer au service de Madame la comtesse de Montsalvy, que Dieu veuille garder de tout mal et délivrer des lâches qui osent la maltraiter !

La main d'Arnaud s'abattit sur la joue du jeune homme qui vacilla sous le choc.

– Tiens ta langue, si tu veux vivre, mon garçon. Si tu es à son service, tu es d'abord au mien. Je suis le comte de Montsalvy et j'ai le droit de battre ma femme.

– Vous... son époux ?

Incrédule, il se tournait vers Bérenger qui maintenant pleurait de chagrin, de rage et d'impuissance en constatant que Catherine ne se relevait pas. Le page eut un sanglot désespéré.

C'est vrai... C'est malheureusement vrai. Et maintenant... il l'a tuée !

Ma pauvre maîtresse... si bonne... si douce... si belle.

– En voilà assez, hurla Arnaud qui, cependant, venait de s'agenouiller auprès de sa femme et l'examinait avec plus d'inquiétude qu'il ne voulait en montrer. Elle n'est pas morte. Elle respire encore...

Apportez-moi de l'eau !

– Déliez-moi ! fit Gauthier. Je la ranimerai.

Du geste, Montsalvy ordonna de couper les liens des deux garçons et Gauthier vint s'agenouiller auprès de la jeune femme évanouie, dont il examina le cou froissé et bleuissant.

– Il était temps ! Une seconde de plus et elle expirait.

Il touchait doucement les chairs meurtries, s'assurait d'une main légère que, dans ce cou mince, rien n'était brisé. Puis, fouillant l'aumônière de Catherine, il en tira le petit flacon de cristal qu'il déboucha.

Arnaud le regardait faire avec intérêt :

– Tu fais un drôle d'écuyer ! Tu es médecin, l'ami ?

– J'étais étudiant quand Dame Catherine m'a tiré d'un mauvais pas et pris à son service. La médecine m'intéressait plus que le reste, ce qui ne veut pas dire qu'elle me passionnait... Tenez, elle revient à elle !

Catherine, en effet, ouvrait les yeux. La vue de la figure sombre de son mari, penchée sur elle, lui arracha un gémissement effrayé et un mouvement de recul. Tout de suite, il fut debout et la colère, la rancune se marquèrent de nouveau sur son visage.


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