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Piège pour Catherine
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 15:15

Текст книги "Piège pour Catherine"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Il y avait aussi les baladins, danseurs, chanteurs, funambules de plein vent, montreurs d'ours et de chiens savants, jongleurs habiles à lancer des feux follets dans un ciel noir. Ils s'installaient où ils pouvaient, dans un champ ou sous la vieille charpente des halles qui, du moins, leur offrait un toit pour la nuit.

Et, dans les tavernes du port, les ribaudes se multipliaient. On pouvait les voir, à l'heure où le crépuscule verdissait l'eau du fleuve, s'adosser aux portes des tripots, nues sous une robe lâche qu'elles écartaient d'un geste rapide à l'approche des hommes, montrant un éclair de chair pâle. Leurs voix aiguës emplissaient la rue, au grand scandale de Dame Rigoberte qui, dès le coucher du soleil, faisait mettre les volets au magasin et bouclait toutes les portes, comme si elle craignait de les voir s'installer chez elle.

Enfin vinrent les malades. En mémoire de l'enfant qui venait de mourir et peut-être aussi pour consoler ses bons sujets de Tours de la longue attente qu'il leur avait infligée, le Roi avait fait annoncer qu'après la cérémonie du mariage, il se rendrait à l'abbaye Saint-Martin pour y toucher les écrouelles. Et cette grande nouvelle avait fait le tour du pays à la vitesse d'une traînée de poudre. Car le fait était rare.

Depuis, il en arrivait de partout. Non seulement des scrofuleux, mais aussi des stropiats, des cagots, des éclopés, des galeux, toute une humanité terrible et pitoyable, en haillons sanieux que les chemins déversèrent sur la ville.

Ils venaient par bandes, par paquets, par grappes loqueteuses, accrochés les uns aux autres, clamant un espoir effrayant. Si grande, en effet, était la foi dans le mystérieux pouvoir du roi-guérisseur que ces malheureux ne s'attardaient pas à considérer que seuls les scrofuleux pouvaient bénéficier de ce pouvoir. On lui croyait la faculté de guérir tous les maux, comme si l'oint du Seigneur eût été Jésus lui-même. Aussi, voyait-on accourir même ceux qui, à la guerre, avaient perdu un bras, une jambe ou un œil.

Bientôt l'hospice et les granges vides des couvents furent envahis.

Il fallut établir un contrôle sévère aux portes de la ville, car les lépreux, eux-mêmes, quittaient leurs maladreries et accouraient.

A l'abbaye de Saint-Martin, les moines, débordés mais assistés des médecins de la ville, commencèrent à faire un tri sévère et manquèrent déchaîner une révolution. Il fallut appeler le guet, les échevins de la ville eux-mêmes, pour protéger les moines et le sang coula.

1. L'onction du sacre conférait au roi de France un pouvoir guérisseur miraculeux : celui de guérir les scrofuleux qu'il touchait en disant : « Le Roi te touche, Dieu te guérit ! »

Et Tours, qui se parait de banderoles, de guirlandes, de reposoirs et d'estrades fleuries pour les tableaux vivants sans lesquels il n'était pas de joyeuse entrée, se mit à ressembler de plus en plus à un carnaval délirant, à quelque grimaçante danse macabre où la pire misère entraînait le luxe et la splendeur.

Catherine, pour sa part, ne sortait plus, sinon pour se rendre au point du jour, et flanquée de Dame Rigoberte, à la chapelle des Jacobins voisine, afin d'y entendre la messe. Cloîtrée dans la maison de Jacques Cœur, se contentant du petit jardin pour prendre l'air et le soleil, elle craignait autant les foules misérables qui traînaient les rues et réclamaient inlassablement une charité souvent menaçante que les visages connus qu'elle eût pu voir paraître.

Elle se considérait comme exclue de la Cour et ne souhaitait pas frayer avec ses pairs, même ceux qui étaient de chers amis, comme la comtesse de Pardiac, Éléonore de Bourbon, l'épouse de Cadet Bernard qui, à Carlat, donnait asile à ses enfants. Ce n'était pas, de sa part, ingratitude ou indifférence, mais simple désir de ne compromettre personne. Tant que le Roi n'aurait pas pardonné, elle ne pourrait être assurée de l'avenir et, si l'absolution ne venait pas, ceux qui auraient soutenu Montsalvy ou sa femme pouvaient être englobés dans la même réprobation et encourir la colère du Roi.

« Si veut le Roi, si veut la loi... » le vieil adage était toujours valable et Catherine, hors la loi, ne voulait pas y entraîner ses amis.

Seul Jacques faisait exception, mais il l'aimait et elle pouvait réclamer son aide aussi hautement que celle d'un frère. D'ailleurs, il n'aurait pas admis qu'il en fût autrement. Et la seule aide que Catherine eût souhaitée n'arrivait pas.

Chaque matin, en se levant, elle courait à la fenêtre pour interroger la maîtresse tour du château, espérant toujours y voir flotter la grande bannière bleue, pourpre, blanche et or, portant les croix de Jérusalem, le lambel de Sicile, les lys d'Anjou et les pals d'Aragon, la bannière de Yolande, sa protectrice.

Mais, battant mollement sur la lente promenade des sentinelles armées de guisarmes ou de vouges, c'étaient toujours l'étamine rouge et les trois fermaux d'or du sire de Graville, grand maître des arbalétriers de France et gouverneur provisoire du château, qui paraissaient.

Et Catherine, enfermée dans l'espace restreint du comptoir en la seule compagnie d'une vieille femme, se sentait plus retranchée du monde et plus isolée que dans le couvent où elle avait souhaité se retirer. Le temps lui-même semblait s'être arrêté...

Et puis, d'un seul coup, tout se remit en marche. Deux jours avant le mariage, le 22 juin, Jacques reparut à la tête d'une troupe chargée de ballots odorants : les épices indispensables à tout festin digne de ce nom. En même temps, par le cours du Cher, des barges chargées de gibier et d'anguilles arrivaient des forêts et des étangs de Sologne.

En revoyant son ami, Catherine eut un coup au cœur. Ses traits tirés, sa pâleur parlaient pour lui d'un labeur incessant et de nuits sans sommeil. Il lui sourit et l'embrassa, mais son sourire était plus triste que les larmes et ses lèvres froides quand elles se posèrent sur la joue de la jeune femme. Avec lui reparaissaient Bérenger et Gauthier, mais ceux-là n'inspiraient guère la pitié. Manifestement ravis de leur voyage, ils offraient des mines réjouies et des yeux brillants que Catherine, peut– être, eût jugés quelque peu choquants si le page, avec la fougue de son âge, ne s'était précipité vers elle à peine descendu de cheval, bousculant Jacques Cœur sans la moindre vergogne.

– Dame Catherine ! s'écria-t-il. Nous apportons des nouvelles !

Montsalvy est libéré ! Bérault d'Apchier et ses fils ont été chassés !

La châtelaine eut un cri de joie et saisit l'adolescent aux épaules.

– Dis-tu vrai ? Bien vrai ? Mon Dieu ? C'est presque trop beau.

Mais comment avez-vous su ?

Elle secouait Bérenger comme si elle cherchait à en faire tomber les nouvelles, comme on fait tomber les prunes d'un prunier. Mais Jacques s'interposa.

– Un instant ! fit-il sévèrement. Ce n'est pas si simple et vous avez tort, Bérenger, de présenter les choses de cette façon ! Oui, Montsalvy est libre, mais tout n'est pas aussi parfait que vous essayez de le faire croire à votre maîtresse.

– Tout n'est pas non plus aussi sombre que vous le pensez, maître Cœur ! protesta Gauthier qui était presque aussi excité que son camarade. C'est bonne chose, pour Dame Catherine, de savoir tout de suite que les routiers ont lâché prise et que sa ville se remet de ses blessures.

– C'est bonne chose, en effet, mais il n'empêche que vous parlez trop, garçons, et trop vite. La joie n'est vraiment bonne que lorsqu'elle est totale.

– Pour l'amour du Ciel ! s'écria Catherine, cessez de discourir et de vous disputer. Je ne veux pas attendre une seconde de plus pour savoir ce que vous avez appris. Et d'abord, qui vous a renseignés ?

– Un messager arrivé à Bourges, il y a trois jours. Il était à demi mort car il était tombé sur un parti de batteurs d'estrade de Villa-Andrado. Blessé à l'épaule, il a réussi à s'enfuir et à se cacher dans les bois pendant deux nuits avant de reprendre son chemin. Il avait perdu beaucoup de sang, mais la chance a voulu qu'il vînt tomber pratiquement devant la porte de mon beau-père, Lambert de Léodepart. Avant de s'évanouir, il a prononcé le nom de Montsalvy, et Lambert, sachant les liens qui nous unissent, m'a fait prévenir sur l'heure. Grâce à Dieu, l'homme n'était pas mortellement atteint. Nous avons pu le ranimer, le réconforter...

– Qui l'envoyait ? Mon époux ? L'abbé Bernard de Calmont ?

– Ni l'un ni l'autre. Le messager venait de Bourgogne. C'est votre amie, la comtesse de Châteauvillain, qui l'envoyait, avec une lettre que, d'ailleurs, je vous apporte.

– Je ne comprends rien à ce que vous dites, Jacques. Comment un messager d'Ermengarde viendrait-il de Montsalvy?

– Si vous aviez un peu plus de patience ? L'homme a été envoyé, tout naturellement, à Montsalvy par la comtesse. Il ne vous a pas trouvée, mais l'abbé Bernard et le frère de ce garçon, le sire de Roquemaurel, lui ont dit que vous deviez être actuellement à Tours.

Comme son message était urgent, il est reparti.

Machinalement, Catherine prit le pli que Jacques lui tendait, mais le garda dans ses mains sans l'ouvrir. Pour l'instant, ce n'était pas la prose d'Ermengarde qui l'intéressait le plus, même urgente, c'était ce qu'impliquaient les dernières paroles de Jacques.

– L'abbé Bernard, dites-vous, et le sire de Roquemaurel ? Mais où est mon époux ? Où est Arnaud ?

– On ne sait pas ! fit doucement Bérenger. Il y a une autre lettre et c'est l'abbé qui l'a écrite, parce que ni Amaury, ni Renaud ne savent seulement tenir une plume. Cette lettre, nous l'avons lue et...

– Mais tenez donc votre langue, Bérenger ! La voici, Catherine.

Comme le dit cet enfant, je l'ai lue parce que je craignais qu'elle ne vous apportât de nouvelles peines. Des peines que j'aurais voulu vous éviter. Mais c'est impossible. Il faut que vous sachiez tout...

Les jambes coupées, Catherine s'était laissée tomber sur le banc de la cour.

– On ne sait pas où est Arnaud ? répéta-t-elle d'une voix blanche.

Alors... il est mort ! Gonnet d'Apchier a accompli son crime : il l'a tué.

– Peut-être pas... Catherine, essayez de m'écouter un peu calmement. Il faut réfléchir, raisonner... Vous ne pouvez pas conclure de but en blanc à la mort de votre mari, simplement parce que les Roquemaurel ne l'ont pas retrouvé sur leur route...

Il s'était accroupi devant la jeune femme et avait saisi ses deux mains pour mieux essayer de faire pénétrer en elle sa conviction.

– Laissez-moi vous lire la lettre de l'abbé...

Lâchant la jeune femme qui se laissait aller contre le mur de la maison, les yeux à demi fermés et des larmes perlant déjà à ses cils, il déroula le parchemin.

« À notre bien-aimée fille en Jésus-Christ, Catherine, comtesse de Montsalvy, dame de... etc. bénédiction et salut ! Les chevaliers qui étaient partis pour Paris avec votre seigneur et notre ami sont revenus, par la grâce insigne de Dieu, Tout-Puissant, juste à temps pour libérer notre chère cité parvenue au dernier degré de ses forces et prête à se rendre. Bérault d'Apchier, ses fils et sa troupe sont repartis en Gévaudan et nous avons pu, avec nos frères retrouvés, remercier Dieu en toute humilité et reconnaissance d'avoir permis que vous réussissiez dans votre quête de secours. Mais nous n'avons pas chanté deTe Deum, car messire Arnaud n'est point revenu avec eux..

Messire Renaud de Roquemaurel nous a fait part des événements qui se sont déroulés à Paris. Il nous a dit comment il s'était lancé à la poursuite de son ami et de son dangereux guide, sans jamais parvenir à les rejoindre. Bien avant d'avoir atteint Orléans, il a rencontré le seigneur de Rostrenen, envoyé du Connétable, et ses hommes, qui revenaient sans avoir vu âme qui vive. Et tout le long de la route, il a interrogé ceux que lui et ses compagnons rencontraient. Personne n'a vu ceux que l'on recherchait et aucune trace de leur passage n'a pu être relevée. L'opinion générale est que, peut– être, l'on a fait erreur en imaginant que, dès sa sortie de la Bastille, messire Arnaud se dirigerait droit sur l'Auvergne et chercherait avant tout à rentrer chez lui. Sans doute a-t-il choisi de se cacher, dans quelque lieu secret, en attendant que les poursuites cessent. Et je crois très sincèrement, ma fille, qu'il vous faut vous armer de patience jusqu’ au jour où votre époux pensera pouvoir, sans courir lui-même ou nous faire courir de nouveaux dangers, revenir auprès de vous ! Pour ma part, je prie Dieu de toute mon âme pour qu’il en soit ainsi... »

– Vous voyez, s'écria Jacques en cessant sa lecture et en soulignant, de l'ongle, le passage important, l'abbé pense qu'il se cache. Au fond, Catherine, c'est la simple logique : un homme qui s'enfuit ne se précipite pas tout de suite là où l'on viendra immanquablement le chercher : c'est-à-dire chez lui.

Mais Catherine secoua la tête tristement.

– Non, Jacques ! Votre raisonnement serait valable si nous habitions quelque château d'accès facile, en quelque plaine des alentours de Paris. Mais Arnaud sait bien que nulle part mieux que dans ses montagnes il ne sera mieux caché, mieux gardé ! Le Roi et le Connétable hésiteraient, croyez-moi, à engager des troupes dans nos défilés, dans nos gorges ou sur les mauvais chemins de nos volcans !

Et s'il avait préféré ne pas rentrer à Montsalvy même, mon époux sait mille cachettes aux alentours où il pourrait vivre des années, sans que le bailli des Montagnes, lui-même, l'apprît ! Car il n'est homme ni femme de nos terres qui ne se fasse volontairement son complice, à commencer par l'abbé Bernard...

– Pourtant, celui-ci vous dit lui-même...

– Il n'en pense pas un mot ! Il essaie seulement de préserver en moi un peu de courage, mais il connaît Arnaud aussi bien que moi. Je suis certaine qu'en son âme et conscience il le croit mort.

– Mais c'est de la folie. Pourquoi tenez-vous tellement à ce qu'il ne soit plus ?

Elle eut un petit sourire amer

– Je n'y tiens pas, mon ami... mais j'en ai peur. Avez-vous oublié qui est l'homme avec lequel il s'est enfui ? Avez-vous oublié que le but de Gonnet d'Achpier était de tuer Arnaud après l'avoir déshonoré si cela se pouvait ? Soyez sans crainte : ce démon a réussi, pleinement réussi. Il a tué un proscrit, un prisonnier évadé... et demain, peut-être, il viendra réclamer hautement au Roi les biens de l'homme abattu, les biens de mes enfants !...

Elle avait caché sa figure dans ses mains et pleurait doucement. Les trois hommes, interdits, la regardaient, malheureux de se sentir si maladroits et si impuissants en face de cette douleur. Doucement, à l'aide d'un mou choir, Jacques essuyait les larmes qui coulaient à travers les doigts de la jeune femme.

– Ne restez pas ici, Catherine, chuchota-t-il agacé de voir ses commis qui allaient et venaient en lui jetant des regards pleins de curiosité. Laissez-moi au moins vous conduire dans la salle... Dame Rigoberte ! Dame Rigoberte, venez ici !...

La vieille gouvernante surgit de la maison en essuyant ses mains à son tablier. Au même instant, une fanfare de trompettes éclata du côté de l'abbaye Saint-Martin, immédiatement suivie de cris de joie, de vivats et du vacarme de centaines de pieds qui se mettaient à courir.

Machinalement, Jacques leva les yeux vers les tours du château qui s'étaient couronnées d'hommes d'armes dont les lances brillaient dans le soleil. Une immense bannière montait lentement à la hampe fixée au sommet du donjon. Elle était bleue, blanche, rouge et or et de quadruples armoiries s'y déployaient dans l'azur du ciel... Jacques Cœur tressaillit.

– La Reine !... La reine Yolande ! Regardez, Catherine, c'est elle qui arrive ! Ce sont ses trompettes que l'on entend.

Des créneaux, d'autres trompettes répondaient maintenant et, dans tous les clochers de la ville, les cloches s'ébranlaient pour souhaiter la bienvenue à la reine des Quatre Royaumes, suzeraine de ce duché de Touraine. Les acclamations enflèrent et Tours parut éclater en ovations frénétiques. Mais Catherine leva vers le château un regard brouillé par les larmes.

– Il est trop tard... Elle ne peut plus rien pour moi...

Jacques saisit Catherine par les bras et la remit

debout, presque de force.

Vous n'en savez rien. Vous êtes là à pleurer, à vous désespérer alors que personne ne vous a dit que vous étiez veuve. Que diable ! Ce n'est pas parce que le sire de Montsalvy n'est pas rentré chez lui qu'il est mort. Et quand bien même cela serait ? Ces lettres de rémission, il vous les faut, vous entendez ! Il vous les faut pour vos enfants, pour votre fils surtout ! Alors, ce soir même, vous allez m'accompagner au château. Je sais comment me rendre auprès de la Reine sans attirer l'attention...

– C'est inutile, Jacques. Laissez la Reine tranquille ! Rien ne presse tellement, maintenant, pourquoi voulez-vous que j'aille importuner Madame Yolande quand le Dauphin m'a promis son aide ?

Il a été bon pour moi et je ne veux pas le désobliger en paraissant faire fi de sa protection. Vous qui pensez à mon fils, ajouta-t-elle avec un pâle sourire, songez que ce jeune Louis sera un jour son roi et n'en faites pas dès à présent un ennemi de notre maison. Et puis, voici un mois que j'attends ici... je peux encore attendre jusqu'à après-demain...

– Non, Catherine, vous ne pouvez pas attendre. Demain il faut que vous partiez... pour la Bourgogne !

Il tendit la main vers Gauthier, prit la lettre d'Ermengarde que Catherine avait laissée glisser de ses genoux et que le jeune écuyer avait ramassée. Il la mit dans la main de son amie.

– Vous oubliez ce message, Catherine. Il a cependant son importance car, pour vous le délivrer, un homme a failli mourir !

Tout en parlant, il l'entraînait doucement vers la maison. Dame Rigoberte avait pris l'autre bras de la jeune femme comme si elle était quelque grande malade incapable de se soutenir. Avec mille précautions, ils la firent asseoir près de la cheminée, sur un banc bien garni de coussins. Et leurs soins se montraient si attentifs qu'ils frappèrent Catherine.

– Mon Dieu ! fit-elle, vous me traitez comme si j'étais tout à coup devenue très fragile. Et cependant, vous me dites que, dès demain, je dois aller en Bourgogne ? C'est bien cela ?... Je vous avoue que cela me paraît insensé. Que voulez-vous que j'aille faire en Bourgogne ?

– Lisez ! Si nous prenons tant de soin de vous, c'est parce que cette lettre, elle aussi, contient une mauvaise nouvelle.

Une mauvaise nouvelle ?... Ermengarde ! Mon Dieu ! Elle n'est pas...

Non, puisque c'est elle qui vous écrit ; il ne s'agit pas d'elle... mais de votre mère.

Rapidement, Catherine ouvrit le mince rouleau sur lequel du premier coup d'œil elle reconnut l'écriture extravagante de sa vieille amie et son orthographe plus que fantaisiste. En vraie grande dame, Ermengarde de Châteauvillain dédaignait les « délicatesses de gratte-papier ». Mais, en bon ou mauvais français, la comtesse disait des choses surprenantes. Catherine apprit ainsi que sa mère s'était brouillée avec son frère Mathieu. Le drapier dijonnais, se sentant vieillir, avait, tout à coup, découvert en lui la nostalgie du mariage, aidé d'ailleurs dans cette découverte par une certaine Amandine La Verne, marchande à la toilette, mieux pourvue d'appas que d'écus. «

Une grande gaupe sans religion », décrétait vertement Ermengarde, dont il avait fait sa maîtresse et qu'il avait amenée dans sa maison de la rue du Griffon. La cohabitation entre cette femme et Jaquette Legoix s'étant très vite révélée impossible, la mère de Catherine avait quitté une demeure où elle se sentait maintenant étrangère. Elle avait pensé, un instant, se réfugier au couvent des Bénédictines de Tart, dont sa fille aînée, Loyse, était prieure, mais elle se sentait peu de goût pour le cloître.

« Elle aurait bien voulu aller vous rejoindre, ma chère Catherine, car, au fond, elle ne restait auprès de son frère que pour l'aider et tenir sa maison. Combien elle aurait préféré vivre doucement auprès de vous et regarder grandir ses petits-enfants

! Mais la route est longue de Dijon à vos montagnes et sa santé ne lui permettait pas un si long voyage. Alors, elle a accepté l'hospitalité que je lui offrais dans mon vieux Châteauvillain que vous connaissez bien. Je lui ai donné votre chambre, et le soir, à la veillée, nous radotions toutes deux, comme de vieilles bêtes que nous sommes, sur vous, sur les petits et sur votre insupportable époux.

Nous avons passé de bien bons moments. C'est une si bonne femme que votre mère...

Mais, ce Carême, elle a pris un mauvais froid et depuis je la vois décliner... Et j'ai peur, car elle est chaque jour un peu plus faible.

Alors, je vous écris pour vous demander de venir. Vous êtes jeune, vous êtes forte et les chemins ne vous font pas peur. Vous pouvez faire ce voyage qu 'elle ne fera plus jamais. Et si vous voulez l'embrasser encore une fois, je crois que vous le pouvez si vous ne perdez pas trop de temps ! Venez, Catherine ! C'est moi qui vous le demande car elle n'oserait jamais le faire et elle vous aime tant... »

Le parchemin glissa des doigts de Catherine, se roula tout seul et tomba sur le sol. Le visage de la jeune femme était inondé de larmes, mais elle ne fit aucun commentaire. Elle ne gémit pas, ne poussa aucune plainte. Simplement, elle se baissa pour ramasser le rouleau puis, relevant sur Jacques un regard noyé de pleurs, mais déterminé :

– La lettre est datée du troisième jour de ce mois, dit-elle d'une voix nette. Vous avez raison, Jacques, il faut que je parte dès demain

! Je voudrais tellement, tellement... ne pas arriver trop tard. Ma pauvre maman ! Je la croyais heureuse, paisible, je l'ai beaucoup négligée.

– Vous ne pouviez pas deviner...

– Quoi ? Qu'en vieillissant, mon oncle Mathieu allait se muer en un vieux fou bêtifiant devant une ! commère plus rusée que les autres ? Comment ne voit-il pas que cette femme n'en veut qu'à ses écus ? Et il a osé laisser partir ma pauvre maman, la jeter à la rue comme une mendiante. Sa sœur ! Sa propre sœur !

– Calmez-vous, Catherine ! Je sais que la meilleure façon de vous faire oublier vos chagrins c'est encore de vous fournir une bonne occasion de vous mettre en colère. Mais, pour le moment, il vous faut songer à votre départ... et à ce qui vous reste à faire avant.

Pour ma part, je vais tout préparer pour vous. Mais, ce soir...

– Oui. J'irai avec vous au château ! C'est la dernière chose que je pourrai faire avant longtemps pour mon époux, s'il vit toujours, et pour mes enfants, s'il n'est plus. Car, ensuite, il me faudra un moment les écarter de ma pensée pour ne songer qu'à celle qui m'appelle et qui a tellement besoin de moi.

Tard, dans la soirée, bien après la tombée du jour, Catherine et Jacques Cœur gravirent la légère pente qui menait au château. Une poterne s'ouvrit devant eux, dès que Jacques eut montré une large médaille qu'il portait à son cou. Puis, dans la cour où régnait une intense activité, ce fut une petite porte rouge donnant accès à une étroite et sombre vis de pierre à peine éclairée, de loin en loin, par une torche.

Enfin, les deux visiteurs se retrouvèrent dans un petit oratoire tendu de velours violet à crépines d'or, sans que personne se fût avisé de leur demander où ils allaient.

– Vous étiez annoncée ! expliqua simplement Jacques, et le chemin m'est familier. Nous avons souvent, la Reine et moi, des conférences secrètes. Elle s'intéresse beaucoup à mes affaires où elle entrevoit déjà la prospérité du royaume ! D'ailleurs, la voici !

Un instant plus tard, Catherine s'agenouillait pour baiser la main que lui tendait une grande femme maigre et blême, dont les voiles noirs étaient retenus par une haute couronne d'or. Sa récente maladie avait laissé des traces profondes sur le visage de Yolande d'Aragon.

Ses épais cheveux, jadis si noirs, étaient maintenant blancs comme neige et mettaient une douceur autour de ce visage encore énergique et beau, mais ravagé par la souffrance. Cependant, les yeux noirs gardaient toute leur vivacité.

Sans un mot, elle releva Catherine et l'embrassa avec une chaude affection. Ensuite, elle la dévisagea attentivement.

– Pauvre enfant ! dit-elle. Quand donc le destin se lassera-t-il de vous accabler ? Je ne connais cependant personne qui, plus que vous, mérite de vivre heureux et en paix !

– Je n'ai pas le droit de me plaindre, Madame. Le destin, en effet, m'a envoyé bien des épreuves, mais il m'a également donné des protections aussi puissantes que généreuses.

– Disons qu'il vous a donné les amis que vous méritez. Pour cette fois, je veux que vous quittiez cette ville en paix sur ce qui concerne votre époux ! Le Roi pardonnera.

– Votre Majesté... sait donc ? s'étonna Catherine.

La Reine eut un sourire et jeta du côté de Jacques

Cœur un coup d'œil ironique.

– J'ai lu, ce soir, la plus longue lettre que Maître Jacques Cœur m'ait jamais adressée. Et croyez-moi, il n'a rien laissé dans l'ombre.

Oui, je sais tout. Je sais que votre Arnaud a encore fait des siennes.

Et, sincèrement, Catherine, il y a des moments, tel celui-ci, où je regrette que vous n'ayez pu épouser Pierre de Brézé. Celui-là vous aurait donné une existence digne de vous. Le comte de Montsalvy est insupportable.

– Madame ! protesta Catherine scandalisée, songez qu'à cette heure il est probablement mort.

– Lui ? Mort ? Allons donc ! Vous n'en croyez pas un mot, ni moi non plus. Quand cet homme mourra, il se passera sûrement quelque chose : inondation ou tremblement de terre, je ne sais, mais il y aura quelque événement inouï qui en avisera l'univers. Ne me regardez pas ainsi, Catherine ! Vous savez très bien que j'ai raison : cette race d'homme est comme la mauvaise herbe : impossible à détruire. Sur les champs de bataille, ce sont des héros, mais ils sont indomptables et, dans la vie quotidienne, ils sont impossibles, car il leur faut le bruit et la fureur pour se sentir à l'aise. Et une discipline est la dernière chose qu'ils acceptent.

– Mais alors, où est-il ?

Cela, je l'ignore. Mais un homme qui a subi ce qu'il a subi sans y laisser la vie, jusques et y compris un séjour dans une léproserie et une captivité chez les Sarrasins, ne va pas se laisser assassiner bêtement au coin d'un bois par un boucher de village. Croyez-moi, Catherine, votre Arnaud est toujours vivant. Ceux qui me connaissent bien prétendent que j'ai le pouvoir d'interroger l'avenir, que ses brumes parfois se déchirent devant moi. Ce n'est pas vrai... ou pas tout à fait vrai. Pourtant, je vous dis : partez sans vous tourmenter, allez vers votre mère qui, plus que tout autre, a besoin de vous.

Si puissante était la volonté de cette femme, si grand son ascendant, que Catherine laissa la confiance et l'espoir l'envahir de nouveau.

Yolande d'Aragon, à sa connaissance tout au moins, ne se trompait jamais. Il y avait tant d'années qu'avec une sûreté de visionnaire elle arrachait lentement la France à la profonde ornière où elle s'enlisait !

Jamais elle n'hésitait sur le choix d'un instrument, d'un serviteur et jamais, non plus, les événements ne s'étaient avisés de lui donner tort...

– Alors, demanda-t-elle timidement, je peux espérer recevoir du Roi les lettres de rémission ?

Yolande se mit à rire :

– Les recevoir ? Que non pas, ma belle ! Il est bon que messire Arnaud soit un peu à la peine, lui aussi, et qu'il ne laisse pas tout reposer sur votre pauvre dos. Quand vous l'aurez retrouvé, ou quand vous saurez où il se trouve, faites-lui parvenir ce sauf-conduit et envoyez-le-moi. Je m'en charge et c'est lui-même qui ira demander sa grâce au roi Charles. Soyez tranquille : cette grâce il l'aura sans peine.

Il lui suffira de plier le genou. Enfin, en ce qui concerne mon petit-fils, ne vous mettez pas non plus en peine. Je dirai au Dauphin la douleur qui vous frappe et vous oblige à partir. Je lui dirai aussi toute ma satisfaction pour l'accueil qu'il vous a fait... et je lui expliquerai certaines choses qu'il est temps de lui apprendre. C'est un garçon remarquable et je fonde sur lui les plus grands espoirs, mais ceux qui voudront l'atteindre devront s'adresser beaucoup plus à son intelligence, qui est grande, qu'à son cœur, qui est... secret.

Catherine, de nouveau, s'agenouilla :

– Madame et ma Reine, dit-elle émue, n'ai-je aucun moyen de vous prouver ma reconnaissance ?

La Reine ébaucha un geste de dénégation mais, se ravisant, elle considéra un instant Catherine d'un air songeur. -

– Vers quelle partie de Bourgogne vous dirigez– vous ? Est-ce Dijon ?

– Non, Madame. C'est Châteauvillain où la comtesse Ermengarde a recueilli ma mère malade, mais ce n'est pas très loin de Dijon et, d'ailleurs, j'ai l'intention de m'y rendre. J'ai, en effet, un compte à régler avec mon oncle.

– Vraiment ? Vous irez ?

– Sans aucun doute... et le plus tôt possible. Je n'aime pas laisser traîner mes affaires et je veux que ce vieil homme égaré entende la voix de la raison.

– Alors...

La Reine hésita encore un instant. Une lumière soudaine s'était allumée dans ses yeux et un peu de rose montait à ses pommettes. Une idée lui était venue, une idée qui lui souriait...

– Mon fils, René, dit-elle enfin, duc de Lorraine et roi de Naples, est, vous le savez sans doute, toujours retenu en prison par le duc Philippe. Il se trouve à Dijon, dans l'une des tours du palais ducal.

– En effet, dit Jacques Cœur. Mais je sais aussi qu'à l'heure présente le Connétable de Richemont a dû rejoindre, à Saint-Omer, son beau-frère de Bourgogne 1 pour discuter avec lui des modalités de la libération du prince.

Yolande hocha la tête d'un air plein de doute.

– Vous êtes toujours l'homme le mieux informé de France, Maître Cœur ! Vos renseignements sont bons. En effet, le Roi et moi-même avons prié Arthur de Richemont de s'entremettre mais, à vous dire le fond de ma pensée, je ne crois pas

1 La femme du Connétable était sœur du duc.

qu'il obtienne dès maintenant satisfaction. Le duc n'est même pas sensible à l'idée d'une forte rançon.

– Il doit pourtant avoir besoin d'argent. Ne s'apprête-t-il pas à attaquer Calais révoltée ?

– En effet. Mais il a tout l'argent qu'il veut. Les bourgeois de Gand ont ouvert largement leur bourse et fourbissent leurs armes pour l'aider dans son entreprise. Je sais que le Connétable fera de son mieux, mais je ne « sens » pas encore venir la liberté de mon fils.


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