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Piège pour Catherine
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 15:15

Текст книги "Piège pour Catherine"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– C'est l'heure ! dit-elle seulement. Minuit vient de sonner à l'abbaye. Ne l'avez-vous pas entendu ?

– Non, sourit Catherine. C'est que, vois-tu, nous étions partis si loin.

– Peut-être, mais le moment est venu de te rendre ailleurs. Viens

! Tes vêtements sont préparés...

L'abbé Bernard se leva :

Je vous laisse. Vous me rejoindrez dans un moment à la petite porte de l'abbaye que je laisserai entrouverte. Je vais voir, de mon côté, si tout est terminé.

Il disparut comme une ombre dans celles, plus épaisses, de la grande salle vide. Une demi-heure plus tard, un petit cortège quittait discrètement le château.

Catherine, sous un costume noir de garçon, venait en tête, accompagnée de Marie vêtue de la même façon. A sa ceinture, elle portait une bourse de cuir assez bien remplie et une dague. Mais cette dague, elle l'y avait passée par nécessité et avec indifférence : celle à l'épervier d'argent qui, si longtemps, avait été la compagne de ses dangereuses aventures avait disparu lors du drame de Grenade, quand Arnaud avait été traîné en prison pour avoir tué Zobeïda, la sœur du calife qui voulait faire exécuter Catherine.

Sara venait ensuite, portant la petite Isabelle dans un grand panier transformé en berceau pour la circonstance. Le bébé y dormait aussi confortablement que dans le petit lit qu'elle venait de quitter.

Bérenger suivait, le petit Michel installé sur son dos dans un grand sac à grain garni d'un oreiller où il n'avait fait aucune difficulté pour se rendormir, après avoir seulement entrouvert les yeux. Pour leur part, Catherine et Marie portaient chacune un sac dans lequel on avait mis les choses de première urgence pour tout le monde.

Josse fermait la marche. Il devait accompagner le groupe jusqu'à l'abbaye afin de s'assurer que l'on y parviendrait sans être aperçu.

Heureusement, la distance était très courte, mais on rasa tout de même les murs. La nuit était sombre, relativement douce. Un vent léger soufflait sur le haut plateau, véhiculant pour la première fois des senteurs de printemps que chacun, en temps normal, eût accueilli avec joie. Mais les cœurs étaient trop serrés pour laisser place à la moindre impression de gaieté et Catherine, le nez dans son manteau, marchait sans regarder autour d'elle, remâchant le sentiment pénible qu'elle éprouvait à quitter sa ville clandestinement, presque comme une coupable. Malgré tout ce qu'on lui avait dit, elle ne par venait pas à se tirer de l'esprit l'idée qu'elle était en train de déserter...

Quand on fut à l'abbaye, Josse, sans un mot, prit sa femme dans ses bras, serra les mains des autres et, tournant les talons, repartit vers le château sans un regard en arrière. La nuit l'absorba d'un seul coup.

Contre son épaule, Catherine sentit Marie se raidir et l'entendit renifler doucement. Elle comprit qu'elle pleurait.

– Nous reviendrons bientôt, chuchota-t-elle pour la consoler.

– Je sais... mais j'ai peur ! J'aurais tellement préféré rester avec lui...

– Il s'y oppose. Tu le gênerais, Marie. Pour les jours qui vont venir, Josse a besoin de se sentir célibataire. Et je te jure que je n'ai aucune inquiétude pour lui. C'est un homme qui sait se défendre.

Allons, viens ! Carlat n'est pas si loin et tu pourras peut-être revenir avant moi.

Passant un bras autour des épaules de la jeune femme, elle poussa, du pied, la porte qui s'ouvrit sans un grincement révélant au-delà les robes noires de l'abbé et du Frère Anthime qui arrivaient.

Tout le monde s'engouffra dans la cour et gagna le cloître où la dalle de l'escalier avait déjà été levée et attendait. Tout était noir dans le monastère. Aucune lumière n'y brillait et le clocher de l'église se découpait vaguement contre le ciel opaque.

Un faible pinceau lumineux apparut quand l'abbé découvrit une lanterne sourde posée auprès de l'escalier. Il l'éleva et scruta alternativement tous les visages tendus, sculptés d'ombres tragiques.

– Descendez, maintenant, murmura-t-il. Frère Anthime va prendre la tête. Que Dieu vous garde tout au long de cette route !

Vous avez huit lieues à faire pour atteindre Carlat et vous, Dame Catherine bien plus encore. Ne nous attardons pas en adieux ; ils amollissent le courage. Je prierai le Seigneur qu'il nous permette de nous revoir bientôt...

Il leva deux doigts dans un geste de bénédiction qui dura jusqu'à ce que le dernier des fugitifs eût disparu dans l'escalier souterrain. Puis, quand il eut reçu l'assurance que tous étaient parvenus au premier palier, il referma la dalle et regagna son oratoire privé où il devait rester en prière toute la nuit, pour ceux qui partaient, pour ceux que l'on avait portés en terre dans la soirée... et aussi pour Gervais Malfrat que l'on avait pendu avant les funérailles et dont le corps se balançait doucement sous le vent nocturne à la potence que l'on avait dressée sur la tour comtale, afin que l'ennemi n'en ignorât rien.

Celui-là surtout avait grand besoin de prières. Il était mort comme il avait vécu : en lâche, pleurant, suppliant que l'on voulût bien lui laisser la vie et se débattant si fort que fort que Nicolas Barrai avait dû l'assommer pour lui passer la tête dans l'anneau de chanvre.

Enfin, Bernard pria encore pour quelqu'un d'autre, pour la Ratapennade, la vieille sorcière malfaisante, tapie dans sa cachette forestière d'où elle continuait à faire planer une menace sur les habitants de la ville. Non pour que la grâce la touchât : c'était à peu près impossible car le Diable ne lâche pas facilement ce qu'il tient, mais pour que la mort cessât de l'oublier et la prît au fond de son trou avant qu'Arnaud de Montsalvy ne revienne chez lui. Car, à ce moment, l'abbé Bernard savait bien que rien ni personne ne pourrait sauver la vieille du bûcher... et c'était un spectacle que le prêtre ne pouvait supporter.

Pendant ce temps, les voyageurs suivaient leur route souterraine d'où ils émergèrent sans accident au bout d'une demi-heure. Quand on eut atteint la grotte où débouchait le souterrain, Catherine prit une profonde respiration, emplissant ses poumons du grand air libre et ses oreilles du bruit joyeux du Goul qui coulait en torrent au creux de la vallée.

Le frère Anthime se pencha vers elle :

– Vous sentez-vous bien ? Le Père Abbé était inquiet à cause de votre blessure...

Il y a longtemps que je ne me suis sentie aussi bien, mon frère ! Du moment que je puis lutter, je ne demande rien de plus. Maintenant, il faut que je rejoigne sinon mon époux, du moins Gonnet d'Apchier qui le menace et, croyez-moi, j'y parviendrai !

Saisissant alors avec décision l'un des bâtons qui avaient été préparés par l'abbé à la sortie du souterrain pour faciliter la marche, elle commença à descendre le sentier qui menait vers le lit du torrent.

Il était inutile de se retourner pour un dernier regard : l'épaulement rocheux de la vallée lui cachait entièrement la ville endormie et le camp de l'ennemi.

En arrivant près des hauts murs du couvent des Jacobins, au voisinage de la porte Saint-Jacques, Catherine guida son cheval jusqu'à un petit tertre couronné d'un calvaire qui se dressait au milieu des vignes. Puis, rejetant le capuchon qui retombait jusqu'à ses yeux, elle laissa la pluie lui fouetter le visage et regarda Paris...

Il y avait maintenant vingt-trois ans qu'elle n'avait pas revu sa ville natale. Vingt-trois ans, à un mois près, qu'après les émeutes cabochiennes qui avaient coûté la vie à son père, l'orfèvre Gaucher Legoix, au jeune Michel de Montsalvy, le frère aîné d'Arnaud, et à pas mal d'autres personnes, elle avait vu s'écrouler dans le sang, les larmes et la souffrance son univers paisible de petite-bourgeoise insouciante pour se lancer sur la route d'un destin exceptionnel, étrange et parfaitement inattendu.

Derrière elle, la jeune femme perçut la respiration de son jeune compagnon qui se faisait plus courte et comme attentive. Il murmura :

– Voici donc la ville capitale du royaume ! Voici Paris qui fut tant d'années aux mains de l'Anglais et que Monseigneur le Connétable vient de libérer presque sans coup férir ?

La nouvelle, en effet, les avait atteints alors qu'ils approchaient d'Orléans. Un chevaucheur de la Grande Écurie Royale, lancé comme un boulet de canon en direction d'Issoudun où se trouvait alors le roi Charles VII, l'avait hurlée joyeusement à leurs oreilles dans le vent du matin.

– Noël ! Noël ! Le Connétable de Richemont est entré dans Paris !

La ville est nôtre !...

Il faisait un temps affreux, bouché, dégoulinant d'une pluie fine et têtue qui se glissait partout, mais le cri du chevaucheur avait atteint les deux voyageurs fatigués comme une bouffée de printemps, comme une pleine coupe de rosée offerte à une plante en train de mourir.

C'est que la route avait été dure et longue... Au moment de cette merveilleuse rencontre, il y avait quinze jours que Catherine et son page avaient quitté Carlat, au matin suivant leur arrivée, sur les chevaux que leur avait donnés messire Aymon du Pouget, le gouverneur, à la garde duquel la dame de Montsalvy avait confié ses enfants, Sara et Marie.

Malgré la fatigue causée par une marche de huit lieues depuis le départ nocturne de Montsalvy, Catherine n'avait pas voulu attendre plus longtemps pour se lancer aux trousses de Gonnet d'Apchier. Son épaule, vigoureusement soignée par Sara, allait mieux et son énergie naturelle, stimulée par la joie de pouvoir agir et par ce danger qui courait devant elle, lui avait rendu la pleine possession de ses moyens.

Dans la cour de Carlat, elle avait enfourché le cheval qu'un écuyer lui tenait en bride, avec un sentiment de liberté presque sauvage, une grisante sensation de puissance retrouvée. Elle n'était plus la châtelaine ravagée d'angoisse sur l'échiné de laquelle pesaient de trop lourdes responsabilités. Elle redevenait Catherine des grands chemins, une femme accoutumée à saisir la vie par ses défenses et, à la manière des bouviers auvergnats, à lui faire plier les jarrets. Maintenant, c'était affaire entre elle et Gonnet d'Apchier : l'un des deux devrait s'avouer vaincu et Catherine était bien décidée à ce que ce ne fût pas elle.

Néanmoins, malgré l'impatience qui la talonnait, elle avait pris le temps de s'arrêter à Aurillac pour tenter d'obtenir des consuls quelque secours pour sa ville en danger. Mais elle comprit vite que l'espoir, bien faible à dire vrai, qu'elle avait mis en eux, devait être abandonné, car elle trouva ville, évêques et consuls claquant des dents de terreur et se préparant fébrilement à la pire des visites : celle du capitaine espagnol Rodrigue de Villa-Andrado, cette vieille connaissance de Catherine.

Après avoir pillé et rançonné le Limousin durant la saison froide, Rodrigue se disposait, à ce que l'on prétendait, à s'en aller mettre le siège devant les fortes bastilles du Périgord, Domme et Mareuil, où l'Anglais s'accrochait encore fermement et défiait depuis longtemps les troupes du comte d'Armagnac.

– Nous ne pouvons distraire ni un archer, ni un sac de grain, avaient répondu les consuls d'une seule et même voix, il se peut que nous en ayons d'un instant à l'autre le plus cruel besoin. Heureux si nous pouvons satisfaire le Castillan avec un peu d'or !

Catherine avait senti alors que, même si Villa– Andrado ne se montrait pas sous Aurillac, les habitants de la cité épiscopale ne lèveraient pas le petit doigt pour aider Montsalvy. Elle savait, comme tout un chacun en Auvergne et en Languedoc, qu'à l'automne précédent, Villa-Andrado avait réuni au mont Lozère tous les chefs de routiers du Midi et conclu avec eux un traité d'aide et d'assistance mutuelle dont les conséquences pouvaient être graves pour une ville éprise de paix, car les quatre Apchier assistaient à ce concile démoniaque et les gens d'Aurillac savaient bien que la meilleure manière d'attirer sur eux l'attention du Castillan était encore de s'attaquer à l'un de ses associés.

Le seul désir des Aurillacois était que l'ennemi gagnât la Dordogne sans chercher à vérifier l'état des finances de l'évêque et de ses consuls. Une prudente neutralité s'imposait donc.

Avec un haussement d'épaules, la dame de Montsalvy s'était détournée de ces gens trop prudents et avait repris son chemin pour une dernière tentative. Elle gagna Murât, dans l'espoir d'y rencontrer Jean de La Roque, seigneur de Sénézergues et bailli des Montagnes d'Auvergne. La seigneurie du bailli en faisait un proche voisin de Montsalvy et les tours de son castel, niché au creux d'une gorge, s'apercevaient lorsque l'on allait de Montsalvy à Roquemaurel.

Catherine pensait que, peut-être, la vieille entente née d'un terroir commun jouerait en sa faveur et parlerait plus haut que la politique.

Mais elle avait frappé en vain à la porte du bailli des Montagnes : Jean de La Roque, à ce qu'on lui avait dit, s'était rendu au Puy-en-Velay, pour les fêtes de Pâques, afin d'escorter son épouse, Marguerite d'Escars, qui avait fait à Notre-Dame un vœu sacré. On ne le reverrait pas avant plusieurs semaines, car il avait décidé de profiter de ce pieux voyage pour visiter certaines maisons de sa parentèle.

– Décidément, nous n'avons rien à attendre de ceux d'ici, soupira Catherine à l'adresse de Bérenger. Nous aurons meilleur temps à nous adresser au Roi en personne plutôt qu'à courir tous les mauvais chemins des montagnes à la poursuite de messire de La Roque.

– Y pensiez-vous donc, Dame Catherine ? Je croyais que vous souhaitiez retrouver surtout ce failli chien de bâtard ? Et il me semble que nous perdons du temps !

– Je devais le faire, Bérenger, car je n'avais pas le droit de négliger la plus faible chance de secourir l'abbé Bernard et tous nos braves gens. Quant au temps, nous n'en avons guère perdu puisque nous suivons le chemin qu'a emprunté Gonnet d'Apchier.

La trace du bâtard n'était que trop facile à suivre, en effet, même après une semaine, car c'était une trace sanglante. Hameaux brûlés, bêtes éventrées et à demi dépecées achevant de pourrir au revers du chemin, cadavres à demi calcinés branchés au-dessus des restes noirs d'un feu ou misérables dépouilles sans têtes mal enfouies sous quelques cailloux, tout cela racontait sinistrement la chevauchée de ce garçon de vingt ans qui n'avait de l'homme que l'apparence.

Les bonnes gens que Catherine interrogeait confirmaient qu'il s'agissait bien de Gonnet. Ils s'approchaient sans trop de crainte de ce beau cavalier blond, tout vêtu de noir et suivi d'un adolescent monté en graine, qui interrogeait si doucement et dont la main gantée, en se retirant, laissait une trace d'argent dans les paumes rugueuses. Bergers des montagnes et paysans des vallées semblaient tous avoir gardé au fond de leurs prunelles effarées l'image terrifiante du bâtard, de ce garçon aux cheveux clairs et au regard trop pâle qui portait à l'arçon de sa selle une cognée de bûcheron et une tête coupée qu'il renouvelait de temps en temps.

Six hommes à la mine féroce le suivaient, comme des loups derrière le meneur infernal, et malheur à la métairie isolée, au paysan écarté avec son troupeau, aux filles revenant du moutier voisin ou de la fontaine : Gonnet et ses hommes ne connaissaient pas d'autre moyen que la torture et la mort pour se procurer le nécessaire à leur voyage et pour charmer les longueurs de la route.

Ils ne se pressaient pas d'ailleurs, et quand les murailles de Clermont surgirent des brumes du soir à l'orée de l'immense horizon de la Limagne, Catherine apprit qu'elle avait déjà gagné deux jours sur son ennemi et s'élança avec plus d'ardeur que jamais sur sa trace.

Malheureusement la chance, qui l'avait servie jusque-là sans faiblir, parut se refuser à l'aider plus longtemps car, en arrivant en vue du beffroi de Saint-Pourçain, les voyageurs virent flotter le plus inattendu et le moins souhaitable des emblèmes : la bannière rouge timbrée des barres et des croissants de ce même Villa-Andrado que les consuls d'Aurillac croyaient sur le point de fondre sur leur ville.

En réalité, après une campagne assez rude et plutôt décevante en Limousin, l'empereur des pillards avait choisi de redescendre vers la large et facile vallée de l'Allier et installé ses quartiers dans l'antique abbaye, à demi ruinée, d'ailleurs, où le malheureux prieur Jacques le Loup le supportait comme il pouvait, c'est-à-dire plutôt mal. Mais il n'avait pas le choix.

Depuis la cité encore florissante des bords de la Sioule, Rodrigue étendait ses griffes sur tout le pays à plusieurs lieues à la ronde et, parmi les terribles dégâts causés par ses routiers, il n'était plus possible de distinguer les méfaits de Gonnet d'Apchier. Force avait donc été à Catherine de faire un détour important pour éviter de tomber dans des mains dont elle ne serait pas sortie aisément.

La mort dans l'âme, elle s'éloignait donc en direction de Montluçon, quand une remarque de Bérenger lui avait rendu tout son courage.

Depuis le départ, le jeune Roquemaurel n'avait pas beaucoup prononcé de paroles. Son cher luth sur le dos, il suivait sa maîtresse en s'efforçant de cacher les douloureuses courbatures que lui causait cette interminable chevauchée. Parfois, cependant, il essayait de couper les longueurs du voyage avec une chanson.

Comme Catherine, plongée dans ses pensées, voyageait silencieusement, c'étaient à peu près les seules paroles qu'il prononçât.

Mais, en revanche, il regardait beaucoup et il écoutait en conséquence.

Tout était nouveau pour ce garçon dont l'univers, jusqu'à présent, s'était limité à la contrée bornée par les murs d'Aurillac et par la vallée du Lot.

Aussi, après que Catherine, les larmes aux yeux, lui eut expliqué pourquoi il fallait fuir la cité étendue devant eux et se diriger vers l'ouest au lieu de continuer droit vers le nord, Bérenger s'était contenté de remarquer calmement :

– Si j'ai bien compris ce que vous m'avez dit quand nous avons quitté Aurillac, les Apchier sont au mieux avec ce Castillan, puisqu'ils se sont unis à lui par cette espèce de serment prêté au mont Lozère ?

– En effet.

– Alors, même si nous sommes obligés d'allonger notre chemin, la présence de ce Rodrigue ne nous sera peut-être pas si mauvaise. Il aura reçu, avec honneur et amitié, l'un de ses frères en piraterie. Il lui aura certainement offert bombances et peut-être quelques distractions de choix sous forme d'une ou deux opérations fructueuses. Cela prend du temps et comme le bâtard ne sait pas que nous sommes sur ses traces, il n'est pas pressé. Il est possible que, grâce à ce chef d'Écorcheurs, nous ayons regagné encore une partie de notre retard et même, en nous dépêchant, il se peut que nous arrivions à Paris en même temps que lui...

Pour un peu, Catherine aurait embrassé son page. Et ce fut avec une ardeur accrue qu'elle s'élança sur le chemin qui, par Bourges et Orléans, la mènerait jusqu'à la capitale assiégée. Il valait mieux, en effet, cesser de se préoccuper du chemin parcouru par Gonnet et tenter de le gagner de vitesse.

La rencontre du chevaucheur royal avait achevé de leur donner des ailes. On avait traversé Orléans où, cependant, Catherine comptait de nombreux amis, sans s'arrêter plus des quelques heures de repos exigées par les montures et leurs cavaliers et sans s'y faire reconnaître.

La nouvelle de la libération de Paris emplissait le cœur de la jeune femme d'une joie et d'une espérance nouvelles : puisque la grande ville était retombée au pouvoir de son légitime souverain, il serait certainement possible au maître de Montsalvy de reprendre rapidement le chemin de ses terres et d'en chasser l'envahisseur.

Certes, de nombreuses places restaient encore aux mains de l'Anglais, autour de la capitale, mais, pour ces opérations de nettoyage, le Connétable pourrait se passer d'Arnaud.

A Corbeil, on avait rencontré les avant-postes de l'armée royale. Les troupes de Richemont avaient repris la ville depuis peu, au cours d'un mouvement d'encerclement. Et maintenant Paris, Paris lui-même s'étendait devant les yeux de Catherine et de son compagnon, avec ses vagues de toits dévalant des hauteurs du faubourg Saint-Jacques jusqu'au brouillard humide sur lequel flottaient des flèches d'églises et des tours, et qui masquait la Seine et ses îles.

Du fond de la mémoire de Catherine, une voix éteinte depuis longtemps se leva, celle de Barnabé le Coquillart, le vieux truand de la Cour des Miracles qui l'avait aimée comme un père et qui avait fini par mourir pour elle. Il y avait longtemps, maintenant... Pourtant elle se souvenait encore si clairement de ce jour de juillet où, dans un chaland chargé de poteries, ils avaient ensemble remonté la Seine en direction de Montereau pour gagner ensuite Dijon et la maison de l'oncle Mathieu où la veuve et les filles de Gaucher Legoix devaient trouver un second foyer.

C'était drôle, mais à cette minute où elle revoyait Paris, elle retrouvait en même temps les vers d'Eustache Deschamps que le Coquillart avait jetés si joyeusement, si orgueilleusement aussi dans la brise ensoleillée du fleuve :

C'est la cité sur toutes couronnée Fontaine et puits de science et de clergie, Sur le fleuve de Seine située Vignes, bois, terres et prairies De tous les biens de cette mortelle vie A plus qu'autres cités n'ont. Tous étrangers l'aiment et l'aimeront, Car pour déduit et pour être jolie Jamais cité telle ne trouveront, Rien ne se peut comparer à Paris...

Un soupir de Bérenger rappela la jeune femme à la réalité et elle s'aperçut qu'elle avait pensé tout haut quand elle l'entendit murmurer

: – Ce qui est terrible, avec les poètes, c'est qu'ils voient toujours tout en beau et qu'on ne peut guère leur faire confiance ! Cette ville est si triste... C'était vrai et Catherine s'avoua qu'elle non plus ne reconnaissait pas sa ville natale. Le sang souillait ses rues quand elle l'avait quittée ; pourtant elle en avait gardé un souvenir ébloui car les yeux des enfants sont plus lumineux et plus tendres encore que ceux des poètes.

Hélas ! la cité qu'elle avait sous les yeux ne correspondait plus à ses souvenirs, non plus qu'aux vers du poète. Certes, Paris était toujours vaste et imposant mais, en le regardant plus attentivement, on éprouvait l'impression singulière de se trouver en face d'une apparence, d'une ville fantôme, privée de substance, malgré les volutes de fumée qui moussaient aux cheminées.

Le temps brumeux et gris était sans doute pour quelque chose dans cette impression démoralisante, mais il avait tout de même l'avantage de brouiller les lignes et d'estomper les réalités. Et, ces réalités que l'œil découvrait peu à peu, c'étaient les grandes murailles capétiennes, qui se lézardaient dangereusement, montrant, ici et là, des éboulements que personne, apparemment, ne songeait à relever.

Sur la gauche de Catherine, la porte Saint-Michel était en si mauvais état qu'on l'avait purement et simplement bouchée avec des parpaings et barricadée de madriers et de grandes planches clouées.

Quant à la tour sur laquelle flottait, pour la première fois depuis treize ans, l'étendard aux fleurs de lys, elle était amputée de quelques créneaux, cependant qu'au-delà du rempart, nombre de toits montraient la trame de charpentes dépouillées de leurs ardoises.

Avec un soupir, Catherine quitta son poste d'observation et dirigea sa monture vers la porte Saint-Jacques, grande ouverte à cette heure de la matinée et gardée par des archers.

Une théorie de mendiants déguenillés la franchissait à cette minute, se dirigeant vers le grand couvent à la porte duquel un Jacobin venait d'apparaître avec une corbeille pleine de miches de pain. Mais en s'approchant d'eux, Catherine vit que ces gens ne ressemblaient en rien à ces mendiants, plus ou moins professionnels, qu'elle avait connus dans le royaume du roi de Thune : c'étaient, pour la plupart, des femmes, des enfants, des vieux couples aussi qui marchaient en se soutenant mutuellement et la misère était marquée profondément sur tous ces visages, dont beaucoup n'avaient plus d'âge.

La cloche du couvent se mit à sonner. Ce fut comme un signal et, des autres clochers de Paris, un appel identique s'envola. Catherine se souvint alors que l'on était le 1er mai et que c'était l'heure de la grand-messe. Elle hésita, un instant, à pénétrer dans la chapelle des Jacobins, mais sa hâte de retrouver son époux et d'en finir avec la menace de malentendu qui planait sur eux fut la plus forte.

Elle poussa son cheval sous la voûte noire de la porte. Une puissante odeur d'urine et d'huile rance y régnait et lui fit faire la grimace, mais elle ne s'en arrêta pas moins devant le poste des sentinelles. Deux soldats y montaient une garde nonchalante : l'un, assis sur un tabouret, se curait les dents en contemplant rêveusement les poutres noires du plafond et l'autre, debout contre la porte, crachait avec application en direction d'une grosse pierre.

Ce fut à lui que Catherine s'adressa :

– Je désire voir Monseigneur le Connétable. Où puis-je le trouver

? demanda-t-elle.

L'homme cessa ses exercices, repoussa en arrière son chapeau de fer et contempla les deux cavaliers avec un intérêt non déguisé. Le résultat de l'examen ne fut sans doute pas trop favorable, car il se mit à rire, montrant des dents qu'il avait cependant tout intérêt à cacher.

– Ben, dites donc, vous n'y allez pas de main morte, mon petit ami ! Voir le Connétable ? Rien que ça ? Mais vous savez qu'on ne le montre pas comme ça à tout le monde, notre grand chef, et faudrait voir un peu...

Je ne vous ai pas demandé comment je pourrais voir Messire de Richemont, je vous ai demandé où je pourrais le voir. Répondez-moi et cessez d'essayer de m'apprendre ce que je sais depuis longtemps.

Le ton impératif de la jeune femme incita l'archer à réviser son jugement sur ces arrivants dans l'aspect desquels il n'avait d'abord remarqué que la poussière accumulée et la mine exténuée. Il découvrit que, sous tout cela, les vêtements étaient élégants et que la mine de ce jeune gentilhomme à la voix trop douce annonçait un personnage accoutumé à se faire obéir.

Il remit son chapeau d'aplomb, rectifia la position et grogna :

– Monseigneur a pris logis en l'hôtel du Porc-Épic, dans la rue Percée, près l'église Saint-Paul...

– Je sais où cela se trouve, fit Catherine en rendant la main à son cheval. Merci, mon ami...

– Eh ! Attendez ! Tudieu, qu'est-ce que vous êtes pressé, mon jeune seigneur ! Si vous allez à l'hôtel du Connétable, vous ne risquez pas de l'y rencontrer...

– Et la raison ?

– Dame ! C'est qu'il n'y est point !

– Et où est-il, s'il vous plaît ?

– Au prieuré Saint-Martin-des-Champs, avec tous ses capitaines, une partie de son armée et un grand concours de gens d'ici. Il y a cérémonie...

La jeune femme ne chercha même pas à savoir de quelle cérémonie il pouvait bien s'agir. Le soldat avait prononcé un mot magique « les capitaines »... Cela voulait dire qu'Arnaud, lui aussi, se trouvait là-bas.

Jetant joyeusement une pièce de monnaie au soldat qui l'attrapa avec une prestesse de chat, elle quitta l'abri de la porte fortifiée et commença de descendre la rue Saint-Jacques, retrouvant du même coup la pluie insistante et fine.

– C'est loin, ce prieuré ? demanda Bérenger qui avait espéré que l'on trouverait rapidement un abri.

– A l'autre bout de la ville, mais c'est tout droit. Il n'y a qu'à suivre cette rue, traverser la Seine et continuer jusqu'au mur d'enceinte...

– Je vois, fit le jeune garçon avec résignation, une petite lieue...

Mais il cessa aussitôt de soupirer en contemplant le spectacle qu'on lui offrait. Catherine, elle aussi, connaissait des mots magiques :

– Cette rue devrait vous plaire, Bérenger. Nous sommes sur la fameuse montagne Sainte-Geneviève, le quartier des escholiers, et voici les collèges, de chaque côté de la rue. Celui-ci est le collège des Cholets, là-bas, à main droite, le collège du Mans et voici, droit devant vous, le fameux collège du Plessis dont on dit merveille.

Bérenger regardait de tous ses yeux ces bâtisses revêches et délabrées qui, pour la grâce extérieure, tenaient moitié de la prison et moitié du couvent, mais dont il ne voyait ni les murs verdis, ni les fenêtres dépourvues de carreaux, ni les détritus qui, encombrant le ruisseau central, s'étageaient de façon peu décorative au bas des murs.

C'étaient, pour lui, les lieux où soufflait l'esprit, les endroits où le savoir s'acquérait tout en laissant place à une certaine liberté. Et le jeune Auvergnat n'était pas loin de se croire là aux portes mêmes du Paradis.

Un paradis singulièrement agité tout de même, car, à quelques pas du collège du Plessis, un étudiant, reconnaissable à sa courte robe noire, à sa mine famélique et à l'écritoire qui pendait à sa ceinture auprès d'une bourse visiblement fort plate, haranguait une assemblée de ses confrères et quelques bourgeois désœuvrés. Grimpé sur le montoir à chevaux de la taverne du Barillet, un garçon d'une vingtaine d'années, roux comme une carotte et long comme un jour sans pain, se démenait avec conviction, accroché d'une main à la charpente du cabaret pour ne pas glisser de son étroit perchoir.

Il ne devait pas manger tous les jours à sa faim, car sa taille était celle d'une guêpe et sa figure, aux traits allongés, mais plutôt agréables, montrait une belle ossature sous fort peu de chair. Un nez immense, arrogant, en formait le principal ornement avec une paire d'yeux gris foncé, singulièrement vifs, nichés à l'ombre de sourcils aussi touffus qu'irréguliers, celui de gauche remontant sur le front un bon doigt plus haut que son confrère, ce qui conférait au garçon une expression de perpétuelle ironie.

Mais le fait que l'étudiant avait manifestement le ventre creux n'enlevait rien à la puissance de sa voix. Il avait un organe digne d'un héraut d'armes, dont les éclats tumultueux, semblables à ceux de quelque bourdon de cathédrale, se répercutaient majestueusement aux horizons étroits de la rue. Naturellement, en bon universitaire qui se respecte, l'orateur était un mécontent et Catherine eut tôt fait de démêler qu'il appelait son auditoire à la rébellion.

– Que croyez-vous, bonnes gens, que vont faire ce matin le Connétable de Richemont et ses gens ? Une œuvre pie ? Une action d'éclat ? Nullement ! Ils vont rendre hommage à l'un de nos pires ennemis ! Tous ces jours-ci, on a bien convenablement remercié Dieu, mené procession sur procession, chanté messe sur messe et c'était fort bonne chose, car il convient de rendre à Dieu ce qui lui appartient. En même temps, on a commencé de remettre de l'ordre dans notre cité, de relever les murailles du côté du nord et cela aussi, c'est bonne chose. Mais, ce qui l'est moins, ce sont les honneurs que l'on s'apprête à rendre aux ossements pourris de la bête sauvage qui a jadis chassé nos amis bourguignons et fait régner sur nous autres, gens de Paris, une insoutenable terreur... Qui peut tolérer que l'on encense aujourd'hui l'envoyé du Diable, le maudit connétable d'Armagnac dont tous avons si durement pâti ?...


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