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Piège pour Catherine
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 15:15

Текст книги "Piège pour Catherine"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– On s'en moque ! coupa Renaud qui réussit à dominer les cris indignés d'un auditoire dont les réactions étaient aussi brutales qu'immédiates. Comment ce truand s'y est pris, on en reparlera plus tard, à la veillée ! Pour le moment, il y a mieux à faire : il faut leur courir sus, les rattraper, enlever de gré ou de force Montsalvy à ce faux ami qui va lui tordre le cou au coin d'un bois par une nuit bien noire, sans doute ! Allez, vous autres, en selle !

– Le sire de Rostrenen galope déjà sur leurs traces, grogna Tristan. Le Connétable lui a donné ordre de les ramener morts ou vifs

!

Le grand Roquemaurel fit un pas en avant, se planta en face du Prévôt et se pencha pour le regarder sous le nez car il avait une bonne tête de plus que lui.

– Morts ou vifs ? Et vous vous imaginez que ça nous arrange ?

Autrement dit, entre Apchier et votre Rostrenen, Montsalvy n'a pratiquement plus une chance de s'en tirer entier ? Si le chien bâtard n'a pas encore eu le temps de l'assassiner, l'envoyé de Monseigneur s'en chargera, car, pour imaginer qu'il se laissera ramener paisiblement, il faut que vous ne connaissiez pas Montsalvy.

– Mais si, je le connais et...

– Je vous ai dit qu'on était pressés. Alors, vous permettez !

Maintenant, sire Prévôt, mettez-vous bien ça dans la tête : nous qui voulons retrouver notre chef en bon état, nous allons avoir l'honneur de donner la chasse à vos Bretons aussi bien qu'aux fugitifs. Nous entendons les gagner de vitesse... et leur taper dessus s'ils sont arrivés avant nous. Vous pouvez allez dire ça au Connétable !

– Je m'en garderai bien... A moins, bien entendu, que vous ne me donniez votre parole de ramener les prisonniers ici...

– Vous voulez rire ? Vous n'avez pas l'air de vous rappeler que nous avons deux comptes à régler avec les Apchier. Aussi, après avoir pendu Gonnet au premier arbre venu, on ira tout droit nettoyer Montsalvy du reste de la bande. Et pour ça, il nous faut le légitime seigneur : autrement dit Arnaud de Montsalvy. Quand tout sera rentré dans l'ordre, vos juges et vos conseillers pourront discutailler à perte de vue sur son cas, le condamner tout à leur aise et venir le chercher dans nos montagnes si ça les amuse ! Mais prévenez-les tout de même qu'on les attendra. Vous avez compris ?

– A merveille ! C'est un plaisir de vous entendre, fit Tristan goguenard. Ce que je comprends moins... c'est pourquoi vous vous attardez ici... à discutailler ?

D'abord interloqué, Renaud éclata de rire, allongea au Prévôt une bourrade qui lui démolit l'épaule puis, se tournant vers Catherine :

– Allez vous préparer, Dame Catherine ! On vous emmène !

– Sûrement pas ! s'indigna Tristan. Vous rêvez, Roquemaurel !

Une femme n'a rien à faire au milieu des combats qui vous attendent.

En outre, elle est exténuée et vous retarderait. Enfin... elle a encore quelque chose à faire pour son mari. Filez ! Nous saurons bien, en temps voulu, lui donner une escorte pour qu'elle regagne l'Auvergne en toute sécurité.

– Je vous en supplie, s'écria Catherine, laissez-moi partir avec eux. Vous savez bien que je ne vis plus.

Il la regarda sévèrement, puis articula :

– C'est votre époux qui n'aura plus la moindre chance de vivre décemment si vous ne restez ici. D'ailleurs, je vous donne le choix : ou ces messieurs partent sur l'heure, sans vous, et je ferme les yeux, ou bien j'appelle le guet et les fais arrêter dans la minute.

Vaincue, Catherine, qui s'était relevée, se laissa choir de nouveau sur le banc.

– Partez, mes amis, soupira-t-elle... mais, je vous en conjure, Renaud, dites à mon époux...

– Que vous l'aimez ? Sapristi, Dame Catherine, vous ferez ça beaucoup mieux que moi. A bientôt ! Prenez soin de vous et laissez-nous faire.

En quelques secondes l'auberge, pleine à craquer la minute précédente, se vida tumultueusement comme un tonneau dont on a lâché la bonde.

Les chevaliers d'Auvergne envahirent la rue Saint– Antoine, enfourchèrent leurs chevaux et sans même crier « gare ! » lancèrent au galop leurs lourdes montures qui fauchèrent passants et animaux, semant la terreur sur le passage de leur furieuse cavalcade. Bientôt il n'y eut plus, au pied des tours de la Bastille et sous la voûte de la porte Saint-Antoine, qu'un épais nuage de poussière qui retomba lentement tandis que les victimes des Auvergnats se relevaient en maugréant.

Catherine et Tristan, qui étaient venus jusqu'au seuil de l'auberge pour assister à ce départ en trombe, regagnèrent la grande salle. Mais la dame de Montsalvy ne rentrait qu'à regret.

– Pourquoi m'avez-vous empêchée de les suivre ? reprocha-t-elle.

Vous savez bien que je ne veux pas rester ici un moment de plus.

– Vous y resterez cependant... cette nuit pour reprendre encore un peu de force. Demain, je vous en fais promesse, vous partirez, mais pas pour l'Auvergne où l'on n'a aucun besoin de vous.

– Pour où, alors ?

– Pour Tours, mon enfant. Pour Tours où le Roi se rendra dans la semaine et où se célébreront dans un mois les noces de Monseigneur le Dauphin Louis avec Madame Marguerite d'Ecosse ! C'est là que vous serez le plus utile à votre époux, car seul le Roi peut faire grâce quand le Connétable a condamné. Allez au Roi, Catherine ! Les noces d'un prince sont le moment le plus favorable pour obtenir une grâce difficile. Il faut à Montsalvy des lettres de rémission si vous ne voulez pas qu'il vive proscrit.

– Me les accordera-t-on ? murmura la jeune femme sceptique. Le Connétable, vous venez de le dire, a condamné Arnaud.

– Il ne peut pas faire autrement, car il est au milieu de ces Parisiens chatouilleux qui vont crier comme veaux à l'abattoir. Mais, les réactions des Parisiens, le Roi s'en moque peu ou prou. Il n'a pas gardé d'eux si bon souvenir. Il leur a pardonné, certes, mais du bout des lèvres et vous pouvez constater qu'il n'est pas tellement pressé de les venir voir. Si vous savez le lui demander, il fera grâce. On oubliera quelque temps Montsalvy dans ses montagnes et tout sera dit. Il s'en tirera avec une légère peine d'exil dans ses terres, destinée surtout à marquer une sanction quelconque et, dans un an, il reviendra à la Cour où tout le monde l'embrassera, le Connétable tout le premier !

A mesure que son ami parlait, Catherine sentait son cœur se dégonfler. En quelques mots, quelques phrases optimistes, il avait éclairci son horizon, chassé les nuages et ramené l'espoir.

Une gratitude infinie prenait peu à peu la place de l'anxiété dans l'âme de la jeune femme. Elle comprenait l'étendue de l'amitié de Tristan, dont le devoir, de stricte observance, eût été d'empêcher les Auvergnats de partir par tous les moyens, car ils n'avaient pas caché leur intention de suivre le fugitif dans l'unique but de parfaire son évasion et de lui permettre de regagner son domaine sain et sauf.

Dans un geste charmant, elle prit la main du Flamand et l'appuya contre sa joue.

– Vous savez toujours mieux que moi ce qu'il est bon de faire, ami Tristan ! Je devrais le savoir depuis longtemps et, au lieu de me rebeller sans cesse contre vos conseils, je ferais beaucoup mieux de les suivre sans même chercher à comprendre.

– Je n'en demande pas tant. Mais puisque vous êtes en de si bonnes dispositions, demandez donc à Renaudot de nous servir à dîner ! J'ai si faim que je mangerais mon cheval.

– Moi aussi, fit Catherine en riant. Quant à Bérenger... Mais, au fait, où est-il celui-là ? Je ne l'ai pas vu de la matinée et j'avoue que je l'avais oublié.

– Je suis là ! fit une voix lamentable qui avait l'air de sortir de l'énorme cheminée où mijotait doucement une énorme potée de choux au lard.

Quelque chose s'agita dans le renfoncement, ménagé de chaque côté de l'âtre et agrémenté d'un banc de pierre où l'on pouvait s'asseoir pour se chauffer. La mince silhouette du page, serrée dans son surcot de laine brune, émergea de l'ombre et s'avança vers la lumière pauvre dispensée par les petits carreaux.

– Çà, Bérenger, s'indigna Catherine, où étiez-vous passé ? Ce matin, je vous ai cherché, attendu, et...

Elle s'arrêta tout net, saisie de la tristesse profonde qui marquait le jeune visage. Le dos rond, la tête basse, les coins de ses lèvres s'abaissant spasmodiquement comme s'il allait pleurer, Bérenger était l'image même du chagrin.

– Mon Dieu ! Mais qu'avez-vous ? On dirait que vous avez perdu un être cher.

– Laissez, ma chère, coupa Tristan. Je crois que je sais de quoi il s'agit !

Puis, s'adressant au garçon « désolé » :

– Est-ce que vous êtes arrivé trop tard ? Lui était-il arrivé...

quelque chose ?

Bérenger fit non de la tête, puis comme à regret :

– Rien, messire ! Tout a très bien marché. J'ai donné la lettre que vous m'aviez remise et on l'a relâché immédiatement.

– Alors ? Vous devriez être content ?

– Content ? Oui... bien sûr ! Oh, je suis content, messire, et je vous ai grande gratitude mais...

– Si vous me disiez de quoi il s'agit? protesta Catherine, qui avait suivi avec étonnement le dialogue, pour elle parfaitement obscur, du page et du Prévôt.

– D'un étudiant turbulent, un certain Gauthier de Chazay que vous avez vu arrêter hier et auquel ce garçon s'intéressait...

Tristan raconta alors comment, la veille au soir, quand il était revenu à l'auberge pour annoncer à Catherine son audience du lendemain, le jeune Roquemaurel lui avait parlé, fort timidement d'ailleurs, de l'échauffourée dont lui-même et sa maîtresse avaient été témoins quelques heures auparavant dans les environs du Petit Châtelet. Il avait dit l'intérêt de Madame de Montsalvy pour l'étudiant roux et la promesse qu'elle avait faite de tenter quelque chose pour essayer de tirer d'affaire un paladin aussi manifestement preux et dévoué au service des dames. Promesse qui, tout naturellement, lui était sortie de l'esprit, chassée par de plus graves soucis mais que lui, Bérenger, dans son admiration spontanée pour sa « lumière du monde

», n'avait pas oubliée.

Pensant vous faire plaisir à tous les deux, conclut Tristan, j'ai donc fait porter ce matin à ce garçon, pour qu'il ait le plaisir de procéder lui-même à la libération, un ordre d'élargissement en faveur du sieur Chazay que messire de Ternant n'a d'ailleurs fait aucune difficulté pour me délivrer à titre amical. Aussi suis-je un peu surpris de la mine longue que fait votre page. Je ne vous cache pas que je pensais le trouver attablé ici, ou en quelque autre cabaret, en train de s'enivrer superbement avec son nouvel ami pour fêter l'événement.

– On dirait que vous vous êtes trompé ! Si vous nous expliquiez ce qui s'est passé exactement, Bérenger, au lieu de nous regarder avec des yeux gros de larmes ? Est-ce que ce garçon n'était pas content d'être délivré ?

– Oh si ! Il était très content. Il m'a demandé qui j'étais et comment je m'étais débrouillé pour le tirer de prison. Je le lui ai dit.

Alors il m'a embrassé... puis il s'est sauvé à toutes jambes en me criant : "Grand merci, l'ami ! On se reverra peut-être quelque jour !

Pour le moment, tu voudras bien m'excuser, mais je cours chez Marion l'Ydole. Elle me doit quelque chose et, avec elle, il ne faut jamais laisser traîner les créances !..." Et il a disparu du côté de la rue Saint-Jacques.

– Eh bien ! grogna Tristan, comme remerciement, c'est un peu maigre. Donnez-vous donc du mal pour les gens. Qu'avez-vous fait, alors, pour rentrer si tard ?

– Rien... Je me suis promené sur les grèves en regardant passer les barges et les chalands. Je me sentais tout seul... un peu perdu.

J'avais envie de voir des gens. Ensuite, je suis allé du côté des grands collèges...

– Et puis, continua Catherine en souriant, comme vous n'avez pas rencontré ce garçon qui vous tient si fort à cœur, vous vous êtes tout de même décidé à rentrer. N'ayez pas de peine, Bérenger, vous avez fait une bonne action et vous l'avez faite gratuitement puisque l'on ne vous a pas accordé cette amitié que vous souhaitiez tellement.

– C'est vrai ! J'aurais tant voulu devenir son ami ! Je sais bien qu'auprès d'un étudiant parisien je ne suis rien qu'un petit paysan ignare...

Vous êtes surtout un brave garçon qui en a fait beaucoup trop pour un fanfaron ingrat. Oubliez-le comme je l'oublierai moi aussi. Je m'étais intéressée à lui simplement parce qu'il me rappelait un ami perdu. N'y pensons plus ! Demain, dès l'ouverture des portes, nous partirons pour Tours.

– Pour Tours ?

– Mais oui. Vous n'aurez pas l'amitié d'un escholiers rebelle, mais vous verrez peut-être le Roi, fit Catherine avec un sourire plein de mélancolie. Ceci vaut bien cela... encore que notre sire ne soit pas d'une grande beauté.

– Le Roi ? Oui... bien sûr ! soupira sans enthousiasme un Bérenger décidément difficile à consoler.

Néanmoins, son détachement des choses de la terre n'allant pas jusqu'à lui couper l'appétit, il dévora son dîner aussi voracement que la veille. Puis, tandis qu'après le départ de Tristan l'Hermite sa maîtresse s'en allait à l'église Sainte-Catherine-du-Val-des-Escholiers afin d'y prier longuement, il s'offrit un nouveau tour dans Paris. Cette promenade devant être la dernière, puisque l'on repartait le lendemain, il l'allongea autant qu'il le put.

Le soir venu, l'Aigle d'Or s'emplit de bruit et de tumulte. L'auberge retrouvait d'emblée auprès des libérateurs le succès qu'elle s'était taillé avec les occupants et, quand le crépuscule commença de descendre sur la ville, maints soldats s'installèrent autour des tables tachées de vin et de chandelle pour y souper, y vider force pichets et y jouer aux dés.

Prudemment, Catherine et Bérenger se firent servir dans la chambre de la jeune femme puis, la dernière bouchée avalée, et tandis que la servante ôtait les restes du repas, Catherine renvoya son page et se prépara à se coucher.

Le départ devant avoir lieu très tôt, la nécessité d'un long repos se faisait sentir. Dès l'angélus de l'aube, Tristan l'Hermite serait là dans l'intention d'escorter les voyageurs jusqu'à Longjumeau.

Calmement, Catherine procéda à sa toilette de nuit. Le long moment passé dans l'ombre mouvante de l'église lui avait rendu la sérénité et une pleine maîtrise de soi. Un prêtre, auquel elle avait demandé de l'entendre en confession, l'avait délivrée du souvenir gênant de son ivresse passagère et de la scène de séduction qu'elle avait imposée à ce malheureux Tristan. Enfin, elle avait réussi à faire silence dans son cœur.

Il lui était possible, maintenant, de regarder en face et avec une certaine impassibilité la tâche qui l'attendait à Tours et qui, tous comptes faits, ne lui semblait pas si difficile. Elle avait pleine confiance dans les amis qu'elle possédait à la Cour et surtout, bien entendu, elle ne doutait pas un seul instant d'obtenir l'aide totale de la reine Yolande, sa protectrice de toujours.

Quant à ce qu'il en était d'Arnaud, de ce côté-là aussi ses angoisses s'affaiblissaient. Elle connaissait trop bien les chevaliers de Haute Auvergne et, surtout, ces Roquemaurel indomptables dont le courage et l'entêtement pouvaient abattre des montagnes.

Durant tout le jour, elle avait suivi par la pensée leur chevauchée sur la trace des fugitifs et peut-être qu'à l'heure présente ils avaient déjà rejoint Arnaud et son dangereux compagnon. Si cela était, Gonnet d'Apchier devait avoir cessé de vivre et sa victime éventuelle galopait tranquillement en direction de Montsalvy avec ses amis retrouvés.

Peut-être même le bâtard était-il mort sans avoir eu le temps de répandre ses calomnies et d'accuser Catherine d'adultère. Une chevauchée folle n'est pas une atmosphère propice aux confidences....

Bercée par toutes ces pensées consolantes, Catherine se coucha sans attendre que le couvre-feu fût sonné et, à peine la tête sur l'oreiller, elle s'endormit d'un sommeil d'enfant, tandis qu'à quelques pas d'elle, Bérenger, à peu près mort de fatigue, ronflait déjà avec l'application d'un vieux routier. Ils n'entendirent pas les soldats quitter l'auberge en maudissant le règlement des villes qui oblige à se coucher tôt, ni les servantes qui fermaient les volets, ni l'escalier grinçant sous le double poids de maître Renaudot et de sa femme qui regagnaient leur grand lit conjugal.

Matines n'étaient pas encore sonnées au couvent voisin, quand la rue s'emplit d'ombres compactes qui marchaient en silence et vinrent s'attrouper devant la porte de l'Aigle d'Or.

Un outil crissa dans la serrure, mais la porte barricadée de l'intérieur ne céda pas. Alors, d'un coup de pied vigoureux, l'une des ombres fit voler une fenêtre en éclats et une autre se glissa prestement à l'intérieur. Un instant plus tard, la porte s'ouvrait, livrant passage à un fleuve noir qui, lentement, envahit l'auberge.

Quand maître Renaudot, en bonnet de coton, sa chandelle d'une main et retenant de l'autre ses braies mal attachées, descendit pour voir ce qui se passait, il recula d'horreur devant les visages qui, à la lueur de deux torches, se levaient vers lui.

Larges, rouges, coiffant de bonnets de cuir des têtes hirsutes, ces faces sauvages avaient toutes en commun la glace impitoyable du regard et le pli cruel de bouches souvent privées de dents. A leurs tabliers de cuir, tachés de sang, aux tranchets luisants et aux larges coutelas passés dans les ceintures, le malheureux aubergiste les identifia immédiatement.

– Les bouchers... fit-il d'une voix bégayante. Que... que voulez-vous ?

L'un des hommes sortit du rang. Ses énormes bras nus étaient cerclés de fer comme des tonnelets et sa face suante était plus repoussante encore que les autres.

– On ne te veut rien à toi, aubergiste ! Rentre dans ton lit et n'en bouge pas, quoi que tu entendes !

– Mais enfin j'ai le droit de savoir ! Que cherchez– vous ici ?

– Pas toi, sois tranquille ! Ce qu'on cherche, c'est une dame. Une noble dame. Tu as bien ça chez toi, n'est-ce pas ?

– Ou...i, mais...

Pas de mais ! C'est à elle que nous avons affaire ! Alors toi, tu vas gentiment retrouver ta bourgeoise qui doit suer de peur à l'heure qu'il est dans ses couettes et, si tu veux retrouver ton auberge intacte, tu ne t'occuperas que d'elle, tu m'entends ?

– De... ma bourgeoise ? A son âge ?

– Et alors ? Chez nous y en a des pires ! Et puis on s'en moque.

Dis tes prières ou fais-lui l'amour, mais ne bouge pas de ta chambre.

Sinon... nous brûlons ta maison et toi dedans ! Compris ?

Le malheureux aubergiste claquait des dents et avait bien du mal à se soutenir, mais l'idée de sa jeune cliente, si blonde, si fragile, aux mains de ces brutes, lui donna un peu de courage. De plus, la pensée de ce que lui ferait Tristan l'Hermite s'il arrivait malheur à celle qu'il lui avait confiée n'avait rien de réjouissant. Aussi tenta– t-il de parlementer.

– Écoutez, articula-t-il péniblement, je ne sais pas ce que vous a fait cette jeune dame, mais elle est bien douce, bien gentille...

– C'est à nous d'en juger ! File !

– Et puis... elle m'a été tout spécialement recommandée par messire Tristan l'Hermite, le Prévôt des maréchaux. C'est un homme dur, impitoyable. Il n'est pas nommé depuis longtemps et vous ne le connaissez peut-être pas encore, car il n'est pas d'ici, mais dans l'armée chacun a déjà appris à le redouter. Croyez-moi, ne vous attaquez pas à lui...

– Nous ne nous attaquons pas à lui. Et nous n'avons peur de personne. Quant à toi, file si tu ne veux pas que nous te mettions rôtir immédiatement dans ta cheminée. Regarde un peu le beau feu !

Comme il brûle bien !

L'un des envahisseurs, en effet, s'occupait à ranimer les braises, enfouies sous la cendre comme chaque soir. Déjà des flammes s'élevaient, léchant les fagots et les bûches sèches que l'on y jetait.

Épouvanté, Renaudot se voyant déjà ficelé comme un mouton à sa propre broche, se signa précipitamment trois ou quatre fois, puis regrimpa son escalier à toutes jambes, priant éperdument Monsieur saint Laurent, patron des rôtisseurs, d'avoir pitié de lui, de son auberge et de sa cliente... L'idée lui venait déjà que, peut-être, il pourrait, à l'aide de ses draps, se laisser tomber par sa fenêtre et courir chercher le guet quand l'homme qui l'avait interpellé ajouta :

– Va donc avec lui, Martin. Et surveille-le jusqu'à ce qu'on te rappelle. Des fois qu'il aurait l'idée de filer chercher son fameux Prévôt ! Allez, vous autres, on monte aussi. Quatre hommes avec moi pour chercher la donzelle !

– On fait trop de bruit, Guillaume le Roux, protesta l'un des bouchers. On va réveiller tout le quartier.

– Et après ? Même s'ils se réveillent, ils ne bougeront pas. Tous des couards. Ils se cacheront sous leurs couvertures pour ne rien entendre.

Un instant plus tard, Catherine, réveillée par la horde qui avait envahi sa chambre avec la brutalité d'une éruption volcanique, était arrachée de son lit, enlevée par une dizaine de mains calleuses qui se refermèrent sans douceur sur ses épaules, ses cuisses et ses reins, descendue dans la salle et déposée sans douceur sur celle des grandes tables qui était le plus près de la cheminée.

L'apparition de cette femme nue1 dont les longues tresses dorées de ses cheveux ne cachaient rien d'un corps visiblement fait pour l'amour fit naître une sorte de rugissement au fond des poitrines de tous ces hommes. Les flammes de la cheminée l'enveloppaient toute d'une lumière si chaude qu'elle semblait faite d'or pur.

Mal réveillée, Catherine se releva sur ses deux mains. Ses grands yeux, dilatés d'horreur, regardèrent autour d'elle. Elle était entourée d'un cercle de regards luisants comme braise, de babines humides qui se pourléchaient, de mains qui déjà se tendaient vers sa chair.

– Bon Dieu, qu'elle est belle ! fit quelqu'un. Avant de la tuer, faut au moins y goûter. J'en veux ma part, moi, de la belle fille.

1 L'usage des chemises de nuit était encore très peu fréquent.

T'as raison, renchérit un autre. Moi aussi j'en veux ma part. Regarde-moi ces seins ! Ces cuisses ! Jamais on n'en aura des pareils !

– Vos gueules, tonna l'homme qui paraissait le chef. On parlera de ça après ! Moi aussi, j'ai envie de lui dire un mot. Mais avant, faut la juger.

Catherine avait enfin réalisé qu'elle ne se débattait pas au milieu d'un cauchemar. Que tous ces hommes étaient réels, bien trop vivants.

Elle sentait encore la meurtrissure de leurs mains brutales sur sa taille et sur ses jambes.

Une folle terreur s'empara d'elle, une de ces paniques insensées qui annihilent les réflexes et figent le sang dans les veines. Qu'allaient-ils lui faire ? Et il y avait ce feu dont la chaleur, peu à peu, se faisait pénible.

Elle recula sur la table afin de lui échapper, mais, aussitôt, le chef la saisit et l'immobilisa.

– Allons, la belle ! Reste tranquille ! On a à te causer.

Brusquement, la jeune femme retrouva l'usage de ses cordes vocales qui, jusqu'à cet instant, lui avaient refusé tout service tant elle avait peur.

– Mais enfin que me voulez-vous ? Vous avez dit que vous vouliez me juger ? Mais pour quoi ? fit-elle d'une petite voix qui lui parut étrangère à elle-même.

– On va te le dire ! Allez, Berthe ! Amenez-vous !

Une femme sortit de cette horde de mâles. Maigre et Noiraude, les cheveux gris fer et le teint jaune, elle était toute vêtue de noir, sertie de noir, d'un noir qui laissait voir seulement sa longue figure où seuls les yeux verdâtres semblaient vivants. Mais dans ce regard-là ce n'était pas la concupiscence qui apportait la vie, c'était la haine, une haine implacable, bornée, au-delà de tout raisonnement sensé. La haine d'une femme aux idées courtes, à l'esprit étroit ranci dans la piété mal comprise, les rancœurs de bonnes femmes et le souci des écus amassés lentement.

Déjà, malgré les années, Catherine l'avait reconnue, cette femme : c'était Berthe Legoix, la femme de Guillaume, homme qu'Arnaud avait tué... et elle comprit que c'était sa mort qui approchait.

Avec une solennité qui eût été risible si elle n'avait été si lourde de menaces, la femme vint jusqu'à la table, se pencha et, violemment, comme un serpent jette son venin, elle cracha au visage de Catherine.

– Putain ! grinça-t-elle. Tu vas payer pour ce que tu as fait et pour le crime de ton mari.

– Qu'est-ce que je vous ai fait ? riposta la jeune femme furieuse tout à coup.

Elle avait toujours détesté Berthe Legoix qui, même lorsqu'elle était jeune, n'avait jamais dû posséder un cœur et que ses servantes craignaient comme le feu parce que pour un oui, pour un non, elle les battait et les privait de nourriture.

– Ce que tu as fait ? Tu es venue... Tu as été faire la chatte avec ce grand âne bâté de Connétable, tu as couché avec lui sans doute et, comme par hasard, ton bâtard de mari s'est enfui de la Bastille. Alors, tu vas payer ! Puisque je ne peux pas avoir la peau du meurtrier, j'aurai la tienne. Pâques-Dieu ! J'ai cru étouffer de fureur quand le vieux Lallier a annoncé qu'il avait rendu sa parole à Richemont, puis, après, quand on a annoncé l'évasion. Alors, j'ai réuni tous ces bons garçons, moyennant finance... Heureusement, j'ai encore un peu d'argent... et tu vas voir ce qui va se passer.

– Il ne se passera rien du tout, hurla Catherine d'autant plus exaspérée qu'elle sentait une peur horrible lui mordre le ventre, nous sommes à Paris ici. Il y a une autorité, un guet, un prévôt ! Si vous osez me toucher, vous n'aurez pas trop de toute votre vie pour le regretter !

– Si tu es crevée avant, on s'en moque de payer le prix, ricana la femme Legoix. Et puis, faudrait nous retrouver... Dès qu'on t'aura réglé ton compte, on disparaît. Allez, vous autres, saignez-moi cette femelle et jetez-la au feu.

Eh là, doucement, la Berthe ! fit celui que l'on avait appelé Guillaume le Roux. Rien ne presse et on peut bien prendre le temps de s'amuser un peu. Vous ne nous aviez pas dit que c'était une belle fille comme ça...

La femme haussa les épaules avec fureur.

– Tas de pourceaux ! Je ne vous paye pas pour forniquer avec cette femme, mais pour me venger. Qu'elle soit belle ou non, peu importe. Tuez-la, vous dis-je ! Nous ne pouvons passer la nuit ici. Et si vous ne le faites pas sur l'heure...

Arrachant, d'un geste nerveux, le coutelas qui pendait à la ceinture de Guillaume, elle le brandit et allait se jeter sur Catherine quand la porte, que les bouchers avaient négligé de barricader de nouveau, s'abattit sur le dallage avec un bruit de tonnerre, tandis que, par la fenêtre enfoncée aussi bien que par la porte ainsi ouverte, une bande hurlante, brandissant des bâtons et des haches, faisait irruption dans la salle d'auberge. Un grand garçon aux cheveux rouges les menait. Il se jeta sur les bouchers en braillant à pleins poumons dans le meilleur style militaire :

– Chazay à la rescousse ! Hardi, les gars ! Boutons hors cette ribaudaille !

En un instant, la mêlée devint générale. Berthe Legoix reçut un choc violent qui la précipita dans la huche à pain où elle s'affala à moitié assommée, tandis qu'à l'étage au-dessus, maître Renaudot qui avait suivi avec angoisse ce qui se passait dans sa salle, sous la garde du boucher Martin, aussi intéressé que lui, se ruait à la fenêtre en hurlant :

– A l'aide ! A la garde !... Allez chercher le guet !

Cette fois, la rue s'éveilla au vacarme. Les maisons s'éclairaient et en jaillissaient des bourgeois à peine vêtus qui accouraient aux nouvelles.

L'auberge de maître Renaudot brillait dans la nuit, comme un feu de joie, illuminée qu'elle était par l'intérieur d'où partaient les bruits mats des coups et les hurlements des combattants.

Catherine profita du tumulte pour descendre de sa table et regrimper l'escalier afin de retrouver ses vêtements. À mi-hauteur, elle s'était trouvée nez à nez avec Bérenger, enfin tiré de son premier sommeil, et qui descendait en s'étirant et en bâillant à se décrocher la mâchoire.

La vue de sa maîtresse escaladant les marches, aussi nue que la main, lui fit ouvrir de grands yeux et lui arracha un hoquet de stupeur.

Mais, déjà, l'apparition insolite l'avait bousculé et, sans lui dire un mot, s'était engouffrée dans sa chambre, le laissant collé contre le mur, totalement privé de voix et déjà persuadé que cette étrange vision était le fruit d'une imagination surchauffée par le petit vin de Cahors dont on avait assez généreusement arrosé le souper.

Une voix joyeuse, qu'il reconnut avec un battement de cœur, arracha Bérenger à sa méditation.

– Hé ! l'ami ! Qu'est-ce que tu fais dans ton escalier, planté comme une souche ? On dirait que tu as vu le Diable ! Allez, viens donc nous donner un coup de main !

– J'arrive, Gauthier, j'arrive !

Et le page de Catherine, sans même savoir pourquoi il se battait et avec qui, mais uniquement conscient de faire plaisir à son ami l'étudiant, plongea de confiance dans la mêlée et se mit à taper à tour de bras sur tout ce qui lui tombait sous la main.

La lutte était si chaude que, peut-être, la maison de maître Renaudot ne s'en fût pas remise, si le chevalier du guet ne s'était décidé enfin à paraître avec ses hommes. L'effet fut magique. Dès que les casques des archers brillèrent à l'entrée de la rue, quelqu'un cria :

– Voilà le guet !

Et ce fut un sauve-qui-peut général, bouchers et étudiants s'égaillant comme une volée de moineaux.

Seuls quelques malheureux, qui avaient écopé d'un coup de bâton ou d'un coup de couteau, demeurèrent sur le dallage aux pieds de Renaudot éperdu.

Guillaume le Roux, qui avait pris un coup de tabouret sur la tête et gisait plié en deux contre un pilier de l'âtre, était de ceux-là, et aussi la femme Legoix que l'un des archers alla tirer sans douceur de sa huche à pain. Tous deux devaient être déférés sans tarder à Messire Jean de La Porte, lieutenant criminel du Châtelet.

En présence du chevalier du guet, qui était alors messire Jean de Harlay, Renaudot retrouva tout son aplomb. Il accusa formellement les deux prisonniers d'avoir envahi son auberge dans l'intention d'y mettre à mal l'une de ses clientes, à lui confiée par messire Tristan l'Hermite, Prévôt des maréchaux (que Dieu garde en santé ) afin d'assouvir une obscure vengeance qui n'était, en fait, qu'une rébellion caractérisée, puisqu'elle allait à l'encontre d'un jugement rendu par Monseigneur le Connétable et Maître Michel de Lallier (que Dieu nous veuille garder tous deux !). Déclaration qui faisait aussi grand honneur à l'excellence des oreilles de l'aubergiste qu'à son sens de la déduction.


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