Текст книги "Le pendu de Londres (Лондонская виселица)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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4 – UNE ENQUÊTE À PUTNEY
Superbe dans son uniforme sombre, coiffé d’un casque irréprochable, le policeman qui surveillait le 4e îlot de Elsted Street avisa un mendiant qui, depuis quelques minutes déjà, s’appuyait à la courte grille d’une des petites villas élevées au long de l’allée, villas élégantes, luxueuses, d’aspect uniforme, exactement semblables à toutes les villas que l’œil pouvait apercevoir à perte de vue, depuis le commencement jusqu’à la fin de la voie percée en droite ligne, et déserte encore à cette heure matinale.
Le policeman traversa la chaussée, s’approcha de l’individu :
– Qu’est-ce que vous faites-là ?… ce n’est pas un lieu pour dormir. Partez…
L’autre, le misérable, le contempla avec une grande gravité, et tout le respect dû à la haute situation de « policeman ».
– Je ne fais rien, officier… je ne dormais pas… j’attendais…
– En vérité !… quoi donc ?
Le mendiant eut un geste vague, un sourire parut flotter sur ses lèvres :
– Officier, répondit-il enfin, j’attendais qu’il passe quelqu’un que je connais. Mais ce damné garçon a dû trop boire de whisky hier, et je le suppose en retard. Oui, vraiment. Ce qui fait que je vais m’en aller…
Et tandis qu’il s’éloignait, le policeman, flegmatiquement, suivait des yeux le pauvre bougre.
– Je n’aime pas, pensait le digne policeman, que de pareils individus se reposent ici.
Et toujours digne, l’air sévère, le maintien imposant, le policeman reprit sa promenade, marchant soigneusement au centre de la rue où les voitures, avec une régularité admirable, un respect de l’ordre extraordinaire, tenaient rigoureusement leur gauche…
***
Cette courte scène se passait à Putney, dans un des quartiers les plus luxueux de Londres, l’un de ceux où se trouvent les plus somptueux petits hôtels habités par les riches commerçants de la Cité qui, chaque soir les heures de travail terminées, les affaires achevées, reviennent à grand renfort d’ « autos », de « cabs » ou même de « métropolitain » rejoindre cet endroit paisible.
C’était lundi matin. Après le triste dimanche anglais, Londres se ranimait, reprenait son va-et-vient accoutumé, un va-et-vient d’aspect bizarre, très affairé, certes, un va-et-vient de gens pressés, un va-et-vient de gens silencieux. C’était partout la rumeur des choses en mouvement, des roues de voitures qui sautent sur le pavé et des pas qui martèlent les trottoirs, mais aucune exclamation, aucun rire, aucune parole.
Tous ceux qui suivaient Elsted Street se rendaient évidemment quelque part, et trouvaient naturel de ne pas penser – en quelque sorte, de ne point vivre – jusqu’à ce qu’ils y fussent arrivés.
Par exception d’ailleurs, il faisait ce matin-là un clair soleil de printemps. Huit heures venaient de sonner. À chaque villa, les jalousies s’ouvraient sur les bow-windows, les gens de service commençaient à faire le ménage, petites bonnes blondes bien proprettes, coiffées de bonnets élégants, portant des tabliers à bavette, comme les plus coquettes femmes de chambre de France, valets, roux, graves, dignes, froids, effectuant avec un sérieux comique les besognes les plus ordinaires, frottant une vitre avec des airs de Vinci en train de peindre la Joconde.
Putney s’éveillait. Putney faisait toilette.
Après le repos du dimanche, le quartier redevenait ce qu’il était habituellement, bourgeois, cossu, riche aussi. Un quartier privilégié, en vérité, où les pourboires étaient nombreux, où l’usage était que chaque propriétaire de villa donnât lui-même, chaque semaine, quelques pences aux petits ramasseurs de crottin.
Le policeman continuait sa promenade de long en large, inspectait toute chose de son air de grand seigneur.
Des soldats, en éclatants uniformes rouges, passèrent.
Puis, un prédicant tenta de rassembler quelques badauds pour leur reprocher de n’avoir point assez sanctifié la veille, et, découragé, alla prêcher plus loin la bonne parole…
Et ce fut la sortie des bonnes allant porter les commandes, que les fournisseurs s’empresseraient de faire livrer.
Le policeman avait quitté le milieu de l’avenue.
Debout sur le bord d’un trottoir, il surveillait le passage des domestiques, échangeant avec certaines petites cuisinières de glorieux sourires.
– Salut, miss Mary…
– Salut, officier…
Et jamais, ni lui, ni elles n’ajoutaient une phrase de plus…
Pourtant, comme fatigué de sa station immobile, le policeman recommençait à faire les cent pas, il parut sortir de son apathie, et fronçant les sourcils, traversa rapidement la chaussée, se dirigeant vers l’autre côté de la rue.
– Hep ! siffla-t-il, je vous ai déjà dit de passer votre chemin… que voulez-vous ?
La demande s’adressait une seconde fois au mendiant que tout à l’heure il avait prié de s’écarter.
Ah ça ! cet homme, allait-il le contraindre à sévir ? Le policeman, répéta :
– Je vous ai prévenu que ce n’était point un lieu pour dormir ?… vous m’avez compris ?
Comme précédemment, le mendiant s’inclina :
– Dieu gracieux, officier, je vous ai parfaitement compris ! mais j’attends un damné garçon, et je ne saurais en vérité…
Tout en répondant le mendiant avait souri, et, fouillant dans sa poche, regardant le policeman, il lui tendait, dissimulée dans sa main, une petite carte rouge, ajoutant rapidement :
– Excusez-moi, policeman, mais il est nécessaire que je stationne ici, et que vous ne me fassiez point remarquer…
Le policeman, cette fois, battit en retraite :
– Oh ! pardon ! monsieur, fit-il, je ne savais pas ?… je ne pouvais pas me douter…
Et il allait s’éloigner, lorsque le mendiant le rappela :
– Hep, policeman ?
– Monsieur ?
– C’est bien au 33 qu’habite le docteur Garrick ?
Le policeman ouvrit des yeux effarés :
– Oui, monsieur, c’est bien là… est-ce que… ?
– Qu’alliez-vous dire, policeman ?
– Monsieur, répondit l’autre, je vous prie de m’excuser, car je n’ai évidemment pas de questions à vous adresser…
– Je le sais pardieu bien, mais je vous autorise à parler…
– Eh bien, monsieur, j’allais vous demander si c’était relativement au docteur Garrick que vous vous trouviez dans le quartier… ?
– Cela vous étonnait policeman ?
– Je n’ai pas dit cela…
– Vous avez entendu parler des habitants du 33 ?
Et le pauvre diable, montrant du doigt une somptueuse petite villa dont les stores demeuraient obstinément clos, poursuivit :
– Est-ce qu’il n’y a personne ?
Le policeman eut un geste de doute :
– J’ignore, monsieur, mais j’ai entendu beaucoup parler du docteur Garrick…
– Vous le connaissez ?
– Je l’ai souvent vu…
– Son signalement ?
Le policeman parut faire un effort extraordinaire pour réfléchir, il répondit enfin :
– Il y a, monsieur, en vérité, plus de huit mois que j’ai charge de cet îlot, et je connais tous les habitants…
– Le docteur Garrick seul m’intéresse…
– C’est, monsieur, un homme de quarante-cinq à cinquante ans, très brun. Il porte les favoris et la moustache. Ses cheveux sont longs et bouclés…
– Bien !… riche ?
– Il est dentiste.
– Beaucoup de clients ?
– Non, il exerce à son idée, presque en amateur…
– C’est bien… Nous avons assez causé. Vous êtes de garde jusqu’à quelle heure ?
– Jusqu’à midi, monsieur.
– En ce cas je vous reverrai sans doute… vous savez mon nom ? Non ? Le voici, j’aurai peut-être à vous faire porter un billet… Détective Shepard…
Cette fois le policier n’en croyait plus ses oreilles ! Quoi ! ce mendiant, c’était le célèbre Shepard ? membre du Grand Conseil des Cinq !…
Mais déjà Shepard reprenait la parole :
– Je suis sur une piste intéressante… Mais ceci ne vous regarde pas… Dites-moi qu’elle est la plus grande épicerie du quartier ?
– La prochaine, au coin de la rue…
– C’est bien… à tout à l’heure…
– Je vous souhaite le bonjour…
L’extraordinaire mendiant, quelques secondes plus tard, pénétrait dans la boutique d’épicerie qu’on venait de lui indiquer et y commandait – sortant des pences de sa poche pour inspirer confiance, car sur sa mine, les garçons l’eussent peut-être chassé – une série de petits paquets d’épices concassées, demandant un certain temps de préparation.
Dans l’épicerie, correcte, des cuisinières et des maîtres d’hôtels causaient…
– Et cela va chez vous, John ? s’informait une petite brunette…
– Ni bien, ni mal, miss Betsy ! Hier, sur la Tamise, notre bateau a chaviré, et cela m’a fait ce matin bien des habits à brosser…
– Oh, John… vous vous plaignez toujours…
– Non pas, miss Betsy, mais je regrette que mes jeunes maîtres soient de si forts canotiers… en vérité, je les aimerais mieux faisant du football ou du cricket.
Une grosse cuisinière intervint :
– Dieux gracieux, s’écria-t-elle, vous ne savez pas ce que vous dites, John, les footballeurs se blessent chaque dimanche, et chez nous, par exemple, il y a tout le temps des cataplasmes à préparer, des soins à donner. On n’en finit plus.
Un autre valet surenchérit :
– C’est la pure vérité. Toutes les places où il y a de jeunes messieurs sont des places désagréables…
Mais les domestiques s’interrompirent d’un commun accord, une cuisinière venait d’entrer dans l’épicerie, et son arrivée avait provoqué un mouvement de curiosité.
– By Jove, mais c’est vous, miss Editha ?…
– Moi-même, John.
– Et quelles nouvelles ?
– Aucune, John.
Sur quoi, un grand silence terrifié. Miss Mary hasarda :
– Sûr comme le vrai jour, « il » l’a tuée…
Et le chœur des gens de maison qui se trouvaient dans la boutique répéta :
– Oui, oui, « il » l’a tuée…
Le mendiant se rapprocha :
– Allons, fit-il, se mêlant à la conversation générale… pourquoi voulez-vous qu’il l’ait tuée ?…
À cette simple question, répondit l’hilarité générale. John, orateur de l’assemblée, prit la parole :
– Parbleu, mon brave homme, vous n’êtes certainement pas du voisinage, pour poser une telle question. Pourquoi le docteur Garrick a tué Mistress Garrick ? mais pour aller vivre tranquillement avec sa bonne amie…
– Il a donc une maîtresse ?
– Vous n’êtes donc pas du quartier, mon ami ?
– Non, non, dit le mendiant, mais j’ai entendu parler de cette affaire.
– Bien mal, alors…
– Peuh, c’est possible… et puis cela me semble si extraordinaire ce que l’on raconte ?…
On faisait cercle, maintenant, autour du détective. Et si l’on ne riait plus, on s’entre-regardait stupéfait de l’incrédulité du bonhomme…
Un grand garçon pénétrait, la figure souriante, dans l’épicerie. John le héla :
– Hello, Sammy, venez un peu, mon garçon, il y a là un gentleman qui n’est pas du quartier et qui ne croit pas que le docteur Garrick a tué Mme Garrick.
Sammy, le nouveau venu, qui s’était arrêté à l’apostrophe de son camarade, s’administra, en signe de profonde stupéfaction, deux vigoureuses claques sur les cuisses.
– Vraiment ? fit-il, et pourquoi le gentleman ne croit-il pas à ce que nous savons tous ?
Le faux mendiant, qui gardait le visage souriant et l’air bonhomme, se contenta de hausser les épaules :
– Je ne crois pas, répondit-il, vous allez vite en besogne… je n’ai pas dit ça, j’ai dit : c’est douteux… et voilà tout. D’abord, qu’est-ce que vous croyez vous tous ?…
Du geste, Sammy invita John au silence. Il précisa :
– Ce que nous croyons, garçon ? tenez, voilà : c’est que le docteur Garrick est un vilain merle, un bourru, désagréable, avare, qui n’est jamais chez lui, qui a de l’argent et qui ne le dépense pas. Il ne travaille pas. Personne ne sait seulement où il va à l’église.
– Cela ne prouve pas qu’il a tué sa femme ?…
– Si, vraiment… Miss Editha, vous en dirait bien quelque chose… Est-ce vrai, Miss Editha ?
– Ce qu’il y a de plus vrai, Sammy…
– Vous le voyez bien, garçon ?… donc cet homme bourru est le légitime époux de la plus jolie femme de tout Putney…
– Mme Garrick est si jolie ?
– Mieux que jolie ! grande, blonde, gaie, enjouée, généreuse, enfin charmante… le vrai mariage d’un ours et d’une colombe…
Et comme la comparaison faisait rire la compagnie, Sammy, enchanté de son effet, poursuivit :
– Donc, il n’est pas étonnant que l’ours ait assassiné la colombe… D’ailleurs, en vérité, je vous l’affirme, mais Editha nous l’a assez souvent dit, ce n’était pas un ménage uni…
– C’est vrai, dit Miss Editha, pauvre Mme Garrick… Elle n’était pas heureuse avec monsieur…
Le mendiant n’avait pas l’air convaincu pour autant.
– Tout cela, je le veux bien, dit-il, c’est la pure vérité, mais je soutiens toujours que rien ne prouve, comme on le dit dans le quartier, comme vous l’affirmez du moins, que le docteur Garrick ait tué sa femme…
C’est encore Sammy qui répondit :
– Si donc… et d’abord, que voulez-vous qu’elle soit devenue, Mme Garrick ? puisque depuis sept à huit jours elle a totalement disparu…
– Elle est peut-être en voyage ?
– Mais non, miss Editha n’a pas fait de malles…
– Elle a pu n’emporter qu’une valise…
– Mais si elle était en voyage, garçon, elle aurait dit adieu à ses amis ?… or, personne n’a été prévenu de son départ…
– Mme Garrick a pu partir à l’improviste…
– Nous l’avons tous cru, mais elle aurait écrit au docteur…
– Et vous êtes sûr qu’elle n’a pas écrit ?…
– J’en suis certaine, affirma Editha, je lis les lettres de Monsieur, ainsi…
Le faux mendiant, qui faisait si habilement causer les domestiques de Putney, parut hésiter quelques instants, puis il reprit :
– Vous direz tout ce que vous voudrez, mais rien de tout cela n’est grave, en somme. Vous accusez le docteur Garrick d’avoir tué sa femme, tout simplement parce que celle-ci, depuis huit jours, a disparu de sa maison. Si vraiment le docteur Garrick était un assassin quelconque, il ne serait pas resté à Putney… il se serait enfui… et…
Miss Editha lui coupa la parole :
– Eh, justement, depuis la disparition de Madame, le docteur n’est plus jamais là. Il est vrai qu’il est peut-être chez sa maîtresse, et avec son enfant… Ah, c’est un vilain homme, bon, allez, un homme qui, j’en mettrais ma main au feu, a dû tuer sa pauvre malheureuse femme…
Dans la boutique, où d’autres clients se faisaient servir, indifférents, tous les domestiques approuvèrent.
***
– Hop, policeman…
– Monsieur ?…
– Que disiez-vous, tout à l’heure sur le docteur Garrick ?… vous connaissez les bavardages du quartier ?
– Oui, monsieur…
– Et vous y ajoutez foi ?
Le policeman hocha la tête, regarda le faux mendiant d’un air craintif.
C’est que Shepard, membre du Conseil des Cinq – l’un des plus célèbres et des plus grands détectives d’Angleterre – paraissait de fort méchante humeur…
On accusait partout le docteur Garrick d’avoir tué sa femme…
Cela c’était indiscutable…
D’autre part, le coroner, l’avant-veille, avait paru à la fois intrigué et troublé en apprenant les premiers détails de cette affaire, et il avait donné ordre de commencer l’enquête.
Pourtant, Shepard se demandait s’il devait poursuivre ou arrêter ses recherches.
Le policeman, après avoir mûrement réfléchi, se décidait à répondre :
– Oui, monsieur, je ne serais pas éloigné de croire que le docteur Garrick a pu… a pu…
Et prêt à accuser nettement, le policeman, une fois encore hésita :
– A pu tuer sa femme ? répéta Shepard.
– Oui…
– Hum… hum…
– Vous savez que Garrick a une maîtresse ?
– Je l’ai entendu dire, monsieur…
– Vous savez où habite cette femme ?
– Non, je ne le sais pas…
– C’est bien. Je vous remercie.
Abandonnant à nouveau le policeman aux loisirs de sa faction, Shepard descendit, à grands pas Elsted Street… Il marcha cinq minutes, puis rejoignit au long du trottoir un fiacre d’apparence vétuste. À l’encontre de la généralité des voitures publiques, ce n’était point d’ailleurs un cab, mais un four-wheelers, c’est-à-dire une voiture à quatre roues, semblable aux fiacres parisiens.
D’un bref coup de sifflet, Shepard réveilla le cocher vêtu d’une redingote noire, au col irréprochable, mais coiffé d’une casquette de jockey.
L’homme ralluma sa pipe, leva les rênes, attendant les ordres :
– Conduisez-moi au poste des Messagers le plus proche…
– Bien, monsieur.
À peine remonté en voiture, le faux mendiant baissa les stores des portières, et le plus tranquillement du monde, enleva sa veste, quitta son pantalon, remplaçant ces vêtements par d’autres qu’il prenait dans une petite valise et qui le transformaient, lui tout à l’heure pauvre hère, en gentleman.
Shepard finissait tout juste de reprendre son aspect habituel, que le fiacre s’arrêta devant la porte d’une boutique de messagers…
C’était là l’un des bureaux où les habitants de Putney pouvaient le plus facilement trouver ces petits commissionnaires qui sont chargés, moyennant une rétribution modique, d’effectuer des démarches, de porter des lettres, de livrer des paquets…
Shepard traversa le bureau, et glissant deux mots à l’oreille d’un employé, se fit introduire dans le cabinet particulier du directeur de l’agence qui d’un léger signe de tête l’accueillit :
Le détective se présenta :
– Shepard, du Conseil des Cinq, de Scotland Yard…. C’est bien à M. Wooland Junior que j’ai l’honneur de parler ?
– À lui-même, monsieur.
– Vous avez parmi vos clients un certain docteur Garrick ?
– Oui, monsieur.
– Voulez-vous me dire l’adresse exacte de sa maîtresse, à laquelle il devait faire porter souvent, si je suis bien informé, des lettres et des paquets ?
M. Wooland fit oui de la tête.
– Le nom de cette personne ? demanda-t-il…
– Françoise Lemercier.
– Veuillez attendre…
M. Wooland quitta son cabinet, et revint quelques instants après, ayant vérifié ses livres :
– Miss Françoise Lemercier, dit-il, demeure 7, Jewin Street…
– Le quartier de la Banque ?
– Justement.
– Je vous remercie, monsieur…
***
– Madame Françoise Lemercier ?
Le détective Shepard, résolu à faire son devoir jusqu’au bout, s’était décidé en quittant le policeman de Putney, à aller rendre visite à la maîtresse du docteur Garrick…
À coup sûr, s’il pouvait joindre cette femme, il en tirerait des renseignements intéressants…
Et après avoir pris l’adresse de cette Françoise Lemercier au bureau des messagers, il s’était fait conduire près de la Banque.
Les maisons anglaises comportent rarement des concierges ainsi qu’il en existe à Paris. Toutefois, le plus souvent, les immeubles sont à la garde d’un quelconque employé, habitant souvent au troisième, au quatrième étage, dont la fonction consiste surtout à encaisser le loyer.
C’était à l’un de ces gardiens que Shepard s’adressa…
Il l’avait déniché après une courte enquête auprès des boutiquiers, dans une chambre du sixième étage… Mais le brave gardien semblait stupéfié…
– Vous demandez ?
– Je demande Françoise Lemercier… Une jeune femme qui a un petit enfant d’un an, un an et demi, appelé Daniel…
– Oh, je connais, je connais, dit-il…, mais vous arrivez trop tard, monsieur, cette jeune femme est partie hier…
– Partie ? où cela ?
– Je l’ignore… elle est partie sans crier gare, et à la suite d’une assez curieuse aventure…
Shepard, pour le coup, dressa l’oreille : on lui parlait d’une aventure, cela promettait d’être intéressant :
– À quoi faites-vous allusion ? demanda-t-il…
Et, comme le gardien ne semblait pas disposé à répondre, il insista, montrant sa carte :
– Parlez, mon ami, je suis de la police…
Le gardien, du coup, devint loquace…
– Eh bien, monsieur, expliqua-t-il, Mme Françoise Lemercier qui est, comme vous devez le savoir, une chanteuse, est partie subitement pour courir après son enfant qui, disait-elle, lui avait été volé…
– Le petit Daniel ?
– Oui, monsieur, le petit Daniel, un soir, en revenant de faire des commissions, elle ne l’a plus retrouvé.
– Dites-moi, elle avait un ami, cette jeune femme ? un monsieur qui devait venir la voir assez souvent ? s’est-il présenté ici depuis son départ ?
– Oui, oui, faisait-il, elle avait un ami… Il avait les clés de son appartement. Il est venu en effet depuis le départ. Il est monté à l’appartement, il en est redescendu quelques minutes après, l’air furieux…
– Et il n’est pas revenu depuis ?
– Non monsieur.
***
Une heure plus tard, Shepard remontait en voiture, non plus Jewin Street, mais bien Elsted Street, devant la maison du docteur Garrick, où il venait vainement de carillonner : miss Editha devait être sortie.
Et jetant l’adresse de Scotland Yard à son cocher, Shepard songea :
– Bigre, cela devient bizarre, grave, inquiétant même ! D’une part le bruit public accuse nettement Garrick d’avoir tué sa femme… d’autre part il est constant que Mme Garrick a bel et bien disparu… et puis que veut dire le subit départ de cette Françoise Lemercier, l’histoire de l’enfant envolé, et tout cela qui coïncide avec l’absence du docteur Garrick que la femme de chambre n’a pas revu depuis cinq jours ?… sapristi de sapristi… L’affaire se présente de cette façon : un homme marié a une maîtresse et veut vivre avec elle. Cette maîtresse a un enfant, l’enfant disparaît, l’épouse légitime disparaît, les deux amants sont en fuite… hum… en tout cas je vais bien voir ce que dira le coroner.