Текст книги "Le pendu de Londres (Лондонская виселица)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
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Иронические детективы
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15 – SERA PENDU PAR LE COU…
– Hé, monsieur, cher maître… cher monsieur… ne vous sauvez pas comme cela ! Maître Kidney, voulez-vous m’accorder encore quelques secondes d’entretien ?
Dans la salle des Pas Perdus d’Old Bailey, un jeune homme aux allures de Français se précipitait aux trousses de maître Kidney qui traversait hâtivement la vaste pièce.
Ce Français, M. Mirat, n’était autre qu’un envoyé spécial du journal parisien La Capitale.
Ce reporter venait à Londres pour assister à l’audience sensationnelle qui allait avoir lieu à la Cour d’Assises, et pendant laquelle on allait juger le fameux docteur Garrick.
Le journaliste français, sur la recommandation d’un ami commun, avait été mis la veille en relations avec l’un des principaux avocats du procès, maître Kidney, qui allait d’ailleurs, au cours de l’audience, prendre la parole pour soutenir l’accusation.
Grâce à cette présentation, le reporter avait obtenu la carte d’entrée qui allait lui permettre d’assister à l’affaire.
Une bonne heure avant l’ouverture de l’audience, Mirat s’était rendu par les rues étroites du Strand au bâtiment d’Old Bailey, édifice d’architecture très sobre où se tiennent les assises de Londres.
Dissimulé, ou tout comme, dans une rue étroite, ce palais n’est pas accessible à tout le monde.
Il faut, pour en franchir la porte, justifier d’une convocation écrite, ou alors présenter des justifications spéciales.
Les policiers, chargés de surveiller l’entrée, étaient particulièrement exigeants et difficiles ce jour-là, vu le grand nombre de ceux qui prétendaient assister au procès Garrick.
Mirat, après avoir gravi une série d’escaliers, se trouvait donc dans la salle des Pas Perdus, lorsqu’il avait aperçu son protecteur surgissant d’une salle d’audience voisine avec, sous le bras, une énorme serviette bourrée de documents divers et portant, selon la règle qui impose cette tenue aux baristers, la robe noire plissée sur les épaules et la petite perruque blanche aux boucles frisées.
Maître Kidney, homme encore jeune, à l’œil pétillant, s’arrêta en reconnaissant son protégé. Il lui tendit la main.
Cependant Mirat, très à son affaire, demandait à son interlocuteur quelques renseignements « techniques ». Sept semaines à peine s’étaient écoulées depuis l’arrestation du dentiste.
– Votre justice est expéditive ?
– En effet… ce qui ne l’empêche pas d’être fort compliquée, et dans ses manifestations, quelque peu bizarre, de nature à vous surprendre, vous autres Français.
– Vraiment ?
– Le jury présidé par le coroner a décidé qu’il y avait crime. Garrick a été maintenu sous les verrous. L’instruction a été ouverte. Ce qui a permis de retrouver des restes humains dans la cave de Garrick à Putney !
– Oui, et ça prouve quoi ? Qu’en pensez-vous ?
Maître Kidney, très réservé, répondit :
– Je n’en pense rien… pour le moment du moins, n’oubliez pas que je suis avocat de l’accusation, et qu’avant l’affaire engagée je ne puis avoir d’opinion… L’affaire Garrick est ensuite venue devant ce que nous appelons le Grand Jury, que l’on pourrait comparer à votre Chambre des Mises en accusation. Ce jury qui délibère à huis clos doit simplement déclarer s’il existe assez de présomptions pour justifier ou non la comparution d’un prévenu devant le jury des Assises. Si l’accord se fait dans le sens de l’affirmative le président du Grand Jury écrit sur l’acte d’accusation ces mots : True Bill, ce qui signifie, « acte vrai, acte valable » et ce qui détermine le renvoi immédiat du prévenu devant la Central Criminal Court… c’est ce qui s’est produit pour Garrick, vous allez assister aujourd’hui à la dernière étape de son procès.
Mirat avait noté. L’avocat s’éloigna. Et le journaliste songeait :
– Va falloir que je télégraphie cela à Paris en quelques lignes.
Mais le journaliste, soudain, s’interrompit dans son travail de rédaction.
Les rares personnes qui se trouvaient avec lui dans la salle des Pas Perdus, ayant entendu une horloge sonner une heure, s’empressaient toutes vers l’entrée de la salle d’audience.
Mirat suivit la foule.
Grâce à sa carte de faveur, il fut placé au premier rang, à côté de la presse anglaise.
Le journaliste français, tout d’abord, était frappé par l’exiguïté de la salle et par le calme qui y régnait.
On se serait cru non point dans une Cour d’Assises où on allait discuter de la vie d’un homme, mais à la justice de paix d’un petit tribunal de province.
Le mobilier très simple était en chêne clair, le local propre, peu meublé, nullement décoré…
En face de Mirat, sur une estrade assez élevée se trouvait le juge-président, juge unique de l’affaire et, conformément à la loi, délégué par mandat spécial du souverain qui choisit les magistrats criminels parmi les membres de la Haute Cour de justice.
En considérant ce président, lord Pilgrim, le journaliste français se croyait reporté aux années de son enfance où ses parents le menaient au théâtre voir des féeries.
Lord Pilgrim avait, en effet l’aspect d’un de ces rois débonnaires et joyeux, comme on n’en voit qu’au théâtre.
Il avait une grosse figure ronde, complètement rasée, au milieu de laquelle s’écrasait un nez épaté au-dessus de lèvres lippues.
Peu solennel, sa longue robe rouge lui donnait l’aspect majestueux. Ce caractère, d’ailleurs, s’accroissait encore du fait que lord Pilgrim portait sur la tête une énorme perruque blanche coiffée à la Louis XIV, mais dont la noblesse de ligne, malheureusement, cessait d’impressionner dès que l’observateur s’apercevait qu’à son sommet se trouvait une petite soupape, que son propriétaire pouvait à son gré, au moyen d’une ficelle, ouvrir et refermer afin de se donner de l’air sur le crâne.
Devant lord Pilgrim se trouvait, dans un vase, dépourvu d’eau, un petit bouquet de fleurs artificielles enveloppé de papier blanc.
– Quel est donc ce monsieur tout en bleu ? demanda Mirat, se penchant à l’oreille de son voisin et désignant du doigt un personnage qui avait pris place à la gauche du juge :
Le voisin du journaliste français lui répondit aussitôt, serviable comme le sont chez eux tous les Anglais :
– C’est l’Attorney général…
Quelques instants, Mirat considérait avec curiosité ce fonctionnaire vêtu d’une longue robe bleue, de fourrures sombres. Devant lui se trouvait également le petit bouquet de fleurs artificielles qui assurément constitue l’une des prérogatives de la haute magistrature anglaise.
Le journaliste savait, pour avoir étudié son affaire quelques jours auparavant, que l’Attorney général n’est autre qu’une sorte de Directeur des poursuites qui doit légalement assister au procès, mais n’y prend jamais part et n’a aucunement la permission d’élever la voix : personnage de pure figuration, l’Attorney général du procès Garrick promettait de bien remplir son rôle. Grand, maigre et sec, mais tout courbé dans son fauteuil, il paraissait déjà prêt à s’assoupir.
Cependant, l’attention de Mirat était attirée à gauche de la Cour vers les gradins réservés aux membres du Barreau.
Une douzaine d’avocats en robes noires et perruques blanches y avaient pris place. Bien que n’ayant rien à faire à cette audience, ils désiraient évidemment assister à ce procès qui, par l’arrestation sensationnelle du prévenu, avait suscité une vive curiosité.
Au premier rang de ces gradins, feuilletant leurs documents se trouvaient, d’une part Me Kidney, chargé par l’Attorney général de soutenir l’accusation, et de l’autre Me Islingford, l’avocat désigné pour prendre la parole au nom de l’accusé.
Rien ne distinguait ces deux avocats qui allaient être adversaires l’un et l’autre.
Vêtus de même, ils étaient assis au même banc. Tour à tour, ils allaient se lever et discuter sans animation, sans animosité, afin de faire prévaloir leur thèse.
Les avocats sont en effet en Angleterre, où il n’y a pas de ministère public, aussi bien à la disposition de l’accusation que de la défense.
Cela était pour surprendre un peu le journaliste français qui était accoutumé à l’apparat solennel de la justice criminelle française.
Mais il n’avait guère le temps de se plonger dans ses réflexions s’il voulait tout observer, tout retenir avant le début de l’audience.
Rapidement, il notait dans son esprit l’estrade élevée en face des gradins des avocats réservée aux témoins.
Au milieu enfin de la salle, un enclos comportant deux chaises à l’intérieur. Elles étaient inoccupées au moment où Mirat avait pénétré dans la salle.
Mais précisément, alors qu’il les observait, une légère rumeur se fit entendre, une porte dissimulée dans les boiseries s’ouvrait.
Accompagné par un policeman, un homme vint prendre place sur l’une de ces chaises, et avant de s’asseoir s’inclina respectueusement devant le juge président.
C’était Garrick.
L’inculpé ne paraissait pas autrement ému, bien qu’un peu pâle.
Sans indifférence exagérée, de même que sans vanité aucune, il jeta un rapide coup d’œil sur l’assistance qui se trouvait groupée dans la petite salle.
Puis son attention se fixa sur le président.
Lord Pilgrim, en effet, s’arrachant à son apparence de torpeur, procéda aussitôt à l’interrogatoire d’identité du prévenu.
Il faisait cela, ce lord Pilgrim, sur un ton si naturel, si simple que l’on aurait cru voir non point un magistrat et un accusé en présence, mais bien deux hommes d’égale importance, dont l’un questionnait l’autre dans leur intérêt commun.
– Voilà un gaillard, pensa Mirat en songeant à lord Pilgrim, qui n’a pas l’air de tenir à l’opinion publique et qui ne paraît pas disposé à faire des mots au cours de l’audience, pour se tailler une réclame personnelle.
– Comment vous nommez-vous ?
– Garrick, Walter.
– Votre âge ?
– Trente-neuf ans.
– Votre profession ?
– Médecin-dentiste.
– Vous possédez, en effet, un diplôme délivré par une académie américaine, bien que vous soyez sujet australien… Vous êtes établi à Londres depuis deux ans, n’est-ce pas ?
– Oui, monsieur.
Lord Pilgrim, au cours de cet interrogatoire, avait pris quelques notes, car conformément à la loi anglaise, le juge unique doit être son propre greffier.
Il avait repris :
– Vos papiers sont d’ailleurs parfaitement en règle.
Il ajouta sur un ton volontairement peu intelligible :
– Vous exercez aussi en Angleterre une autre profession, mais il est inutile, n’est-ce pas, d’en parler ici ?…
– C’est inutile en effet…
Mirat à ces mots avait prêté l’oreille :
– Que peuvent-ils bien vouloir dire ?
Et il s’attendait à des protestations de la part de l’assistance, il escomptait l’intervention de l’avocat de la défense, ou tout au moins de l’accusation :
À sa grande surprise, nul ne broncha : la profession exercée par Garrick en dehors de celle de dentiste, n’intéressait évidemment pas le procès ; il n’y avait donc pas lieu de s’en préoccuper…
C’est dans le même esprit que l’on n’avait pas cité Françoise Lemercier comme témoin. Elle avait été jugée « innocente » de l’infanticide qu’on lui avait reproché, on ne l’avait pas accusée de complicité dans l’assassinat de Mme Garrick reproché au dentiste, on ne la faisait donc pas venir…
– Parbleu, grommelait en lui-même le journaliste français, si la Justice est expéditive en Angleterre, les instructions m’ont l’air d’y être faites d’une drôle de façon.
Il revenait machinalement par la pensée au sous-entendu qui l’avait intrigué :
Que diable pouvait être cette seconde profession de Garrick sur laquelle on se mettait d’accord pour ne pas en parler ?..
Le journaliste eut beau interroger ses voisins, ceux-ci n’en savaient rien, et d’ailleurs n’y attachaient aucune importance.
L’attention de Mirat fut encore une fois captivée par l’intervention dans l’affaire d’un vieil homme à lunettes d’or qui, d’une voix chevrotante, s’était levé pour lire un document.
C’était l’équivalent du greffier de nos cours d’assises, le Clerk of the Court, personnage chargé de la lecture de l’acte d’accusation.
Le document était bref, contrairement à ceux que rédigent les bureaucrates français, et contenait l’exposé aussi succinct que possible des faits reprochés à l’inculpé :
Le mercredi 17 avril les inspecteurs de la police du District de Londres recueillaient, dans le quartier de Putney, des bruits vagues et singuliers qu’ils faisaient préciser, interrogeant les fournisseurs, les domestiques et les voisins.
Il résultait de ces bruits qu’une certaine dame Garrick, épouse de M. Garrick, médecin-dentiste, avait subitement disparu de chez elle, sans en avoir informé qui que ce fût. Cette disparition causait de la surprise dans le quartier et aussi une certaine émotion, car Mme Garrick était fort sympathique à son entourage. Il n’en était pas de même de M. Garrick, homme aux apparences rudes, mystérieuses et brutales.
L’enquête effectuée par les détectives établissait rapidement que M. Garrick entretenait, dans le centre de Londres, des relations adultérines avec une artiste du music-hall, une Française, épouse séparée d’un Canadien.
Lorsque l’interrogatoire du docteur Garrick fut décidé et que le détective chargé de l’effectuer se rendit à son domicile, il découvrit que le docteur Garrick était absent.
Ce départ coïncidait avec celui de sa maîtresse.
Il était d’autant plus suspect qu’il avait toutes les apparences d’une fuite précipitée, ayant pour but de se soustraire aux recherches de la police et aux questions des magistrats.
Les détectives parvenaient néanmoins à savoir quel était le lieu de refuge qu’avait provisoirement choisi le docteur Garrick.
Celui-ci s’était embarqué le même jour que sa maîtresse, à bord du steamer Victoria qui se rendait au Canada.
Si le docteur avait pu débarquer en Amérique en dépit des bonnes relations qui unissent le Royaume-Uni de Grande-Bretagne avec la République Canadienne, l’arrestation du présumé coupable aurait donné lieu à de nombreuses complications. Mais, grâce à la télégraphie sans fil, on put savoir que le docteur Garrick était à bord du Victoria et grâce à la rapidité du Transatlantique Majestic, le prévenu put être rejoint en mer par un inspecteur de police chargé de l’appréhender.
Entre temps, au cours des investigations faites au domicile du docteur Garrick, des vestiges humains étaient découverts dans sa cave.
Ceci tendait à prouver de la façon la plus formelle que le docteur inculpé du meurtre de sa femme, Mme Garrick, avait ensuite fait disparaître le corps de sa victime par des procédés chimique connus de lui, et dont les experts ont déterminé la nature.
Le docteur Garrick, arrêté à bord du Victoria, a déclaré au détective chargé de son arrestation, ne rien comprendre aux faits qui lui étaient reprochés.
Cet acte d’accusation, tel qu’il vient d’être lu, a été déclaré valable par le grand jury, siégeant à huis clos.
En foi de quoi Garrick a été renvoyé devant la Central Criminal Court pour y être jugé.
On avait écouté la lecture de cet acte qui en réalité ne faisait que résumer des choses connues de tout le monde, et dont l’énumération sèche contrastait étrangement avec les récits circonstanciés et dramatiques que les journaux, à l’époque, avaient consacré à ces épisodes.
Au milieu du silence, lord Pilgrim s’adressant à Garrick lui demanda, conformément à la loi :
– Que plaidez-vous, Garrick, coupable ou non coupable ?
Si l’accusé avait répondu coupable, l’audience aurait été aussitôt levée, on n’aurait même pas constitué un jury et le juge aurait sur-le-champ, ne consultant que lui-même, prononcé la peine qu’il aurait estimé devoir être appliquée.
Mais Garrick répondait :
– Je plaide non coupable.
On s’y attendait d’ailleurs. Nul n’éprouva de surprise.
Brouhaha dans la salle : on s’occupa aussitôt d’introduire les douze jurés qui devaient se prononcer à l’issue des débats sur le sort de l’accusé.
Un à un, ceux-ci gagnèrent leur place, non sans avoir, au préalable, prêté le serment que leur soufflait le Clerk of the Court.
L’installation de ces magistrats uniquement chargés d’apprécier le fait était à peine achevée que Me Kidney se leva et prit la parole :
Développant l’acte d’accusation et l’étayant d’arguments probants, il présenta les faits sous un jour éminemment défavorable à l’accusé.
Me Kidney n’était-il pas l’avocat chargé de soutenir l’accusation ?
Dans une argumentation serrée, il s’évertua à démontrer l’invraisemblance de la justification de son départ, invoquée par Garrick.
– Le docteur, déclarait-il, a prétendu que s’il se trouvait à bord du Victoria, ce n’était point pour échapper à la justice, mais uniquement pour courir après sa maîtresse qui, précisément, s’en allait au Canada afin d’y retrouver, croyait-elle, l’enfant qu’elle disait lui avoir été volé…
Garrick a prétendu ignorer complètement la disparition de sa femme légitime, qu’il dit avoir trouvée toute naturelle. Mme Garrick, estime-t-il, est libre d’aller se promener comme bon lui semble… Tout cela est bien étrange et d’ailleurs, je ferai remarquer au jury que Garrick a été dans l’impossibilité absolue d’indiquer à la justice l’endroit où Mme Garrick aurait pu se rendre.
Ce réquisitoire était présenté sans exagération, sans emphase. Il semblait que l’avocat de l’accusation discutait là de petites questions sans importance.
Sans gestes, il ne recherchait pas de formules élégantes. Non seulement ce n’était pas un orateur, mais on l’aurait vexé même en lui attribuant cette qualité, que se défendent d’avoir la plupart des hommes de loi britanniques.
Pressé d’en terminer, il déclara enfin :
– Nous allons d’ailleurs entendre les témoins.
Et l’huissier appela :
– Shepard.
Quelques instants après, le sympathique détective gravissait les gradins qui conduisaient à l’estrade.
Et dès lors, une conversation simple, presque cordiale s’engagea entre lui et les deux avocats : maître Kidney d’une part et maître Islingford, le défenseur, de l’autre.
Le détective, de façon brutale et précise, raconta exactement ce qui s’était passé, depuis le jour où il s’était occupé de l’affaire jusqu’au moment où il avait ramené Garrick à Old Bailey.
Toutefois, sur une question du défenseur, Shepard ajouta :
– Un de nos collègues, le détective French est parti depuis plusieurs jours pour la France, où se trouve, croit-on, Mme Garrick. Nous n’avons pas eu de nouvelles de French pendant près d’une semaine, mais il a adressé une dépêche hier à M. le juge-président, dépêche dont il nous a envoyé le double à Scotland Yard…
– Je vous demande la permission de donner connaissance de cette dépêche au Jury, demanda maître Islingford, en se penchant vers son confrère.
Celui-ci n’y voyait aucun inconvénient. Maître Islingford lut :
« Viens de faire découverte importante, rentrerai à temps Londres pour assister à audience de la cour… »
Signé : French.
Avec une parfaite impartialité, l’avocat de l’accusation suggéra en regardant maître Islingford :
– Voulez-vous que nous entendions immédiatement la déposition du détective French ?
Les deux avocats étaient d’accord.
Le Clerk of the Court s’en fut, de sa voix nasillarde, appeler dans la salle voisine, ce témoin dont la déclaration aurait certainement une grande importance.
Le greffier, toutefois, revenait seul et s’adressant aux avocats :
– M. French, fit-il, n’est pas encore là…
Dans l’assistance jusqu’alors silencieuse, courut un frisson d’incrédulité.
Il semblait, autant que l’on pouvait en juger – car nul ne manifestait ouvertement ses opinions – que pour une fois le public n’était pas favorable à la police et que, contrairement à ce qui se passe d’ordinaire, il était fort disposé à croire à la culpabilité de l’accusé.
Le docteur Garrick pâlit en apprenant l’absence de French. Il comptait beaucoup, lui aussi, sur la venue du détective.
Mieux que personne, Tom Bob savait combien son collègue avait dû mettre d’acharnement à retrouver la femme de son camarade. Si French avait télégraphié dans le sens que l’on savait, c’est qu’il avait une bonne nouvelle à apporter…
Or, il manquait au rendez-vous… Cela était inadmissible.
Tom Bob jeta sur Shepard un coup d’œil interrogateur, mais le détective éclairé en pleine lumière dans le box des témoins, ne sourcilla pas à l’interrogation muette de l’individu qui, peut-être jusqu’alors, avait été pour lui un chef, mais qui désormais n’était plus qu’un accusé sur le sort duquel la justice devait se prononcer.
En attendant l’arrivée si désirée de French, l’accusation avait décidé de faire défiler devant le jury un certain nombre de témoins à charge.
C’était Miss Editha, la bonne du couple Garrick, dont les déclarations allaient produire une énorme impression. Ensuite l’épicier Bouch, dans la boutique duquel il était d’usage de venir jaser. Puis le cocher Sammy qui, comme d’ailleurs l’épicier, croyait fermement à la culpabilité du docteur. L’expert commis pour examiner les vestiges humains trouvés dans la cave, fut formel également.
Il s’agissait là des restes d’un corps qui avait été plongé dans un bain chimique, après avoir été calciné.
Il n’était plus possible d’identifier le sexe de la victime, mais il y avait certainement eu une victime humaine.
Quant à l’inhumation de ces vestiges, elle remontait à quinze jours environ. Elle coïncidait avec le pseudo départ de Mme Garrick…
L’audience fut un instant interrompue par l’arrivée d’une dépêche que le service de la police côtière adressait de New-Haven au juge-président.
On disait à ce dernier que, contrairement à la demande qui venait d’être adressée par les avocats du procès, aucun détective du nom de French ne s’était trouvé à bord des paquebots arrivés la veille au soir, ou le matin même, venant de la côte française.
– J’en déduis, messieurs, déclara l’avocat de l’accusation, que le détective French ne s’est nullement embarque hier à Dieppe, ainsi qu’il est dit dans la première dépêche dont vous avez eu connaissance, car s’il s’était embarqué, comme l’affirme ce document, il serait arrivé.
« La première dépêche doit donc être l’œuvre d’un imposteur, je demanderai au jury de ne point en tenir compte et de considérer, s’il le veut bien, que les recherches du détective French sont demeurées vaines.
« Au surplus, si Mme Garrick vivait encore, elle aurait certainement appris l’inculpation qui pèse sur son mari. Il n’y a aucun doute à ce sujet, il me semble.
L’avocat de l’accusation se rassit.
Les quelques paroles qu’il venait de prononcer valaient un réquisitoire.
Garrick manifesta le désir de parler :
– J’ai, fit-il en s’adressant au juge, une déclaration à faire.
Le prisonnier était aussitôt rendu libre, il quitta l’endroit qui lui était réservé pour monter à l’estrade des témoins.
C’est en effet là l’une des curieuses dispositions de la loi anglaise, qui permet toujours à un inculpé de venir déposer comme un véritable témoin au procès même que l’on instruit contre lui.
Après s’être recueilli un instant, Garrick, calmement, posément, mais sur le ton de la plus grande sincérité, déclara :
– Je jure être innocent du crime qui m’est reproché. Ma femme, Mme Garrick, m’a brusquement quitté sans me prévenir et uniquement parce qu’elle était jalouse de l’amour que j’éprouve pour une autre personne. Les apparences sont évidemment contre moi puisque j’ai été arrêté au moment où je semblais être en fuite. Il ne s’agit là que d’une coïncidence fâcheuse ; je partais en Amérique par hasard, n’ayant eu, en montant à bord du Victoria, que l’intention de rejoindre ma maîtresse qui croyait que son enfant avait été enlevé par son mari habitant le Canada. Si ma femme connaissait l’inculpation qui pèse sur moi, elle reviendrait. Je ne suppose pas qu’elle m’en veuille au point de me laisser condamner en se taisant…
La déclaration de Garrick était accueillie avec un calme glacial, et c’était dans un silence absolu que l’accusé regagnait sa place au milieu de la salle d’audience. Toutefois on ne pouvait rien préjuger de cette attitude du public, moins encore de celle des jurés.
Le peuple anglais, non seulement est très froid, non seulement il manifeste rarement ses impressions par des démonstrations extérieures, mais encore il est trop respectueux de la justice pour se permettre de manifester son sentiment intime dans un lieu comme un tribunal, où des jurés sont spécialement chargés d’avoir un avis motivé et de se prononcer en connaissance de cause.
En l’espace d’une demi-heure, les avocats intéressés présentèrent le réquisitoire et la défense, puis le juge-président, qui jusqu’alors n’avait fait qu’assister aux débats, se contentant de les présider, prenant exclusivement des notes, intervint enfin.
Lord Pilgrim, d’une voix lente et monotone, à l’usage des jurés, résuma l’affaire, telle qu’il la comprenait. Résumé impartial mais précis, au cours duquel le haut magistrat plaça en parallèle les médiocres arguments invoqués d’une part par Garrick et la défense, de l’autre les preuves et les présomptions qu’avait su réunir contre l’accusé, l’avocat de l’accusation.
Puis le Jury se retira : l’audience était suspendue.
La salle des Assises se vida instantanément.
Tous ceux qui avaient assisté à ce débat éprouvaient le besoin d’aller se dégourdir les jambes et d’arpenter la salle des Pas Perdus.
Mirat avait, au cours de l’après-midi, lié connaissance avec son voisin, un confrère du Times, grave personnage qui parlait lentement, mais s’exprimait en français avec une correction parfaite.
– C’est épatant, s’écria Mirat, comme cette audience m’inspire peu… dieu, que c’est simple ici… plat, banal… rien dans cette Criminal Court ne parle à l’imagination, n’impressionne l’esprit… Que diable, chez nous…
Le journaliste fit à son confrère l’enthousiaste description de la Cour d’Assises Française, et de la solennité avec laquelle les procès criminels s’y jugeaient.
Sourire silencieux du confrère.
Lorsque Mirat eut fini :
– Je connais, dit-il, votre Cour d’Assises, elle impressionne en effet, elle impressionne même trop… Excusez-moi d’exprimer ma pensée si brutalement, mais j’estime que la justice criminelle chez vous, ce n’est pas de la justice, c’est du théâtre… En outre, dans la bataille qui s’engage devant le jury, vous avez des adversaires partiaux l’un et l’autre. Le procureur, dont le métier est sans cesse de requérir et pour qui la condamnation constitue un succès. L’avocat, d’autre part, dont le métier est toujours de défendre, et pour qui la condamnation constitue une défaite. Chez nous, il ne se mêle dans les débats, aucune question d’amour-propre, aucune question professionnelle : l’accusateur d’aujourd’hui sera défenseur demain. Les deux adversaires, si l’on peut employer ce mot, que les hasards de l’audience mettent en présence, ne luttent pas l’un contre l’autre, ils recherchent simplement ensemble, bien qu’avec des objectifs différents, à faire la lumière, à découvrir la vérité…
– Vous n’en saurez pas davantage sur cette grave question…
Une sonnerie venait de retentir, elle annonçait le retour du jury.
Celui-ci avait délibéré pendant vingt minutes à peine, il revenait avec un verdict qui, aux termes de la loi, devait être unanime.
***
Pendant ces vingt minutes d’attente, le détective Shepard qui connaissait comme sa poche les couloirs de Old Bailey, avait réussi – encore que cela ne fût pas très « correct » – à rejoindre Garrick dans la cellule qu’il occupait, tout à côté de la salle d’audience.
Shepard, connu par le policeman chargé de la garde du prisonnier, avait pu pénétrer dans la cellule, s’entretenir, un instant, seul à seul avec l’accusé.
Les deux hommes s’étreignaient les mains :
– Eh bien, Shepard ?
– Eh bien Tom Bob ?
– Eh bien, Shepard, que pensez-vous de cette audience ?
Shepard fit la grimace :
– Je suis, déclara-t-il, fort ennuyé de l’absence de French. Certes ces jurés seront des imbéciles s’ils ne croient pas à l’authenticité de sa dépêche… elle provient assurément de French, cette dépêche… mais… et puis qu’est-ce que diable a pu l’empêcher de revenir ?…
Tom Bob regarda fixement dans les yeux son collègue :
– Shepard, fit-il…
– Tom Bob ?
– Shepard, répondez-moi franchement. Vous avez mieux que personne l’habitude de ces audiences… eh bien, qu’en pensez-vous, je vais être condamné, n’est-ce pas ?
Sans répondre directement à l’interrogation de son collègue qui le faisait tressaillir, Shepard répliquait :
– Tom Bob, à votre tour, dites-moi la vérité, avez-vous, oui ou non, tué votre femme ?
– Non, Shepard, je ne l’ai pas tuée.
Shepard poussa un soupir de soulagement.
– Nous vous sauverons, Tom Bob, quoi qu’il arrive, nous vous sauverons. Quant à…
Shepard s’interrompit.
Lui aussi avait entendu la sonnerie.
En face de Garrick, debout au milieu de la salle, le président du jury après avoir prêté le serment solennel, déclarait qu’il rapportait un verdict affirmatif… un verdict de culpabilité !
Nul ne broncha dans la salle.
Garrick restait impassible.
Il demeura de même, tout le temps que le juge, plus ému assurément que lui mettait à prononcer la fatale sentence, la condamnation à la peine suprême dont l’énoncé s’achevait par cette sinistre formule :
– Garrick, vous êtes condamné à être pendu par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive.