Текст книги "Le pendu de Londres (Лондонская виселица)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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14 – LE RETOUR DE MADAME GARRICK
Sur le trottoir boueux qui longeait l’entrée du Cabaret des Égorgeurs, French ayant à peine quitté le bouge, s’arrêta, avant de commencer à faire les cent pas obstinément.
L’extraordinaire attitude de l’individu qu’il avait cru reconnaître, qu’il avait reconnu pour être Juve, le surprenait infiniment :
– Pourquoi ce policier n’a-t-il pas voulu me répondre ? pourquoi a-t-il eu l’air de si mauvaise humeur lorsque j’ai prononcé son nom ?
À la vérité, French se rendait bien compte qu’il s’était conduit quelque peu maladroitement.
Aborder Juve en plein cabaret borgne, et cela, en l’appelant par son nom, ce n’était évidemment pas très habile… Mais tout de même Juve avait fait preuve d’une susceptibilité bien grande en ne saluant pas un collègue et en ne se mettant pas à la disposition de ce dernier.
Et French se résumait de la sorte :
– Ou c’est Juve et je ne vois pas alors pourquoi Juve n’a pas voulu me révéler son identité, ou ce n’est pas Juve, et je comprends moins encore l’attitude de ce consommateur aux allures équivoques, qui ne s’est pas étonné de mon intervention, qui n’a même pas protesté en m’entendant parler de police…
La nuit s’avançait. Le clignotement des becs de gaz devenait plus jaune et plus sale, l’aube se levait, pluvieuse, froide, sinistre…
French qui n’avait pas chaud durant la promenade solitaire qu’il s’entêtait à faire devant l’entrée du bouge finit, pour se garantir un peu des attaques de la bise, par aller s’embusquer dans une encoignure de mur, une sorte de renfoncement de la muraille d’où il lui était possible de surveiller tous ceux qui quittaient le Cabaret des Égorgeurs.
Il y avait à peine quelques instants que le détective anglais avait trouvé ce poste d’observation qu’il voyait enfin, et avec une joie réelle, apparaître celui qu’il prenait pour Juve.
Le premier mouvement de French avait été de se précipiter… Mais il maîtrisa vite son impatience…
Parbleu ! si l’inconnu n’avait pas voulu lui répondre dans le Cabaret des Égorgeurs, il était à supposer qu’il ne se montrerait pas plus loquace à quelques mètres du bouge. Mieux valait le filer quelque temps et n’engager la conversation avec lui qu’à une certaine distance de Vaugirard.
French pouvait être assez maladroit en raison de sa précipitation instinctive, de son caractère impétueux, il n’en était pas moins excellent policier et fort au courant de toutes les manœuvres utiles dans les enquêtes du genre de celles qu’il menait.
C’était avec un sang-froid parfait qu’il laissait maintenant l’inconnu prendre un peu d’avance sur lui, puis qu’il lui emboîtait le pas…
La filature était facile.
L’homme n’avait pas dû s’apercevoir que French marchait sur ses talons, il avançait tête basse au milieu de la chaussée, les deux mains dans les poches, de l’air d’un badaud qui rentre chez lui, non d’un homme qui cherche à faire perdre ses traces…
– Où diable peut-il aller ? songeait French. Si vraiment c’était Juve, il me semble qu’à cette heure-ci il se dirigerait vers le centre de Paris, or nous voici rue des Morillons, nous allons arriver d’ici quelques minutes aux terrains vagues des fortifications…
Le détective ne se trompait pas…
Arrivé aux talus herbeux, l’homme se retourna pour crier :
– Halte, maintenant ! que me voulez-vous ? qui êtes-vous ?…
– Qui je suis ? je vous l’ai dit tout à l’heure : le détective anglais French, ce que je veux ? je viens vous voir de la part de Tom Bob, pour vous parler de Mme Garrick.
– Ah, je dois être victime d’un cauchemar ?… vous êtes détective ? et c’est Tom Bob qui vous envoie vers moi ?…
– Monsieur Juve, je vous affirme que je vous dis la vérité, et je ne comprends pas du tout ce qui vous étonne. Voyons, je suis un collègue, et je viens vous demander un service ? Voulez-vous que nous causions ? voulez-vous rengainer votre revolver et m’autoriser à m’approcher ?…
– Ma foi, monsieur French, vous avez peut-être raison… Le fait est que si vous êtes réellement détective et réellement envoyé par Tom Bob, je suis grotesque…
Il rengainait son revolver et la main tendue, marchant vers French :
– Vous m’avez bien reconnu, je suis Juve, en effet, mais je vous avoue que j’aimerais avoir une preuve de votre identité ?
– Voici la carte m’accréditant.
Juve – car c’était bien Juve – y jeta un coup d’œil surpris. Il connaissait trop bien la police anglaise et les méticuleuses précautions qui sont prises dans la délivrance des brevets de détective, pour pouvoir douter dès lors de la qualité de son interlocuteur…
– Vous êtes donc French, parfait ! vous êtes réellement French… mais cela ne m’apprend rien… encore… que voulez-vous de moi ?…
On avait averti le policier britannique : son collègue parisien était un original. Aussi, se mit-il en devoir de l’éclairer avec beaucoup d’ardeur.
Quand il eut conté l’extraordinaire aventure qui avait si cruellement bouleversé la vie privée de Garrick, c’est-à-dire de Tom Bob, il vit Juve comme frappé du tonnerre .
– Quoi, disait le roi des policiers… Tom Bob me prie de rechercher sa femme ?… Mme Garrick ?… Et comme il ne sait où la trouver il vous envoie vers moi pour que je vous renseigne ?
– Exactement.
Et Juve se tut, abasourdi.
Tom Bob, ce Tom Bob que French prenait sincèrement à coup sûr, pour un détective honnête, mais c’était Fantômas, Juve le savait. Par conséquent la femme de Garrick, cette femme disparue qui ne donnait plus signe de vie, alors qu’assurément, par les journaux, elle savait que sa disparition équivalait à une condamnation à mort de son mari, ne pouvait être que lady Beltham !…
C’était clair : lady Beltham, l’amante follement éprise de Fantômas, avait dû savoir que celui-ci, sous les traits de Garrick, avait une maîtresse, Françoise Lemercier.
Elle s’était enfuie. Et c’était volontairement qu’elle se cachait et qu’elle laissait croire qu’elle avait été assassinée par son mari.
Juve d’ailleurs frémissait en songeant aux conséquences possibles de l’extraordinaire intrigue dont il commençait à comprendre le mystère.
– Si Tom Bob m’a dépêché French, pensait-il, c’est que Tom Bob n’ignore pas que je sais qu’il est Fantômas… Il a deviné qu’au moment où French me demanderait de l’aider à retrouver Mme Garrick, je saurais que c’était en réalité lady Beltham que j’avais à chercher.
« Mais, dès lors, c’est presque un service que Fantômas me demande. Comment peut-il avoir imaginé que je le lui rendrai, comment n’a-t-il pas craint que je ne veuille, au contraire, le laisser condamner ?… Une seule explication possible : donnant donnant, si je ramène lady Beltham en Angleterre, si j’innocente Fantômas d’un crime qu’il n’a d’ailleurs pas commis, il me rend Fandor. Car c’est lui qui a fait disparaître mon malheureux ami…
– À coup sûr, votre chef a été bien inspiré, je sais en effet où se trouve Mme Garrick… ou du moins, je crois le savoir…, dit enfin Juve.
***
Dans le train qui les emportait au long de la ligne du Havre, Juve et French causaient…
– Ce qui m’inquiète, affirmait le détective anglais, c’est que j’ai grand-peur que Mme Garrick ne se refuse à retourner en Angleterre avec moi… or…
– Bah ! ne vous tourmentez pas pour cela, j’ai quelques raisons de croire, tout au contraire, que vous la déciderez facilement… Mme Garrick habite, à quelque distance de Bonnières, une petite maison tranquille, retirée, que je vous indiquerai… Vous vous présenterez devant elle, vous lui direz que son mari est accusé de l’avoir assassinée, ce qui ne lui apprendra rien de bien nouveau, bref vous lui demanderez très gentiment de revenir en Angleterre avec vous pour le faire innocenter… Et puis, ma foi, si elle refuse… si elle refuse, j’interviendrai…
– Vous interviendrez, monsieur Juve ? mais vous ne venez donc pas la trouver avec moi ?
– Nullement…
– Pourquoi donc ?
– Parce que…
French n’osa pas insister.
Il ne comprenait point ce qui pouvait gêner Juve, mais il était évident que le policier français ne tenait en aucune façon à rencontrer la femme de Tom Bob. Aussi était-ce très timidement qu’il demandait :
– Puis-je au moins lui parler de vous ? lui dire que vous lui conseillez ce retour ?
Juve toussait quelque peu :
– Hum… hum… non, ne lui parlez pas de moi. Qu’il vous suffise de savoir que je suis dans la coulisse, tout près de vous, derrière vous. Si jamais mon intervention était nécessaire, elle ne se ferait pas attendre. Mais j’aime autant que vous vous en passiez… Donc, je reprends, monsieur French, voici ce qu’il faut faire : vous allez voir Mme Garrick, vous la décidez à revenir en Angleterre, et vous partez avec elle par le train de onze heures du matin. Ce soir, Dieppe, demain Londres, et ma foi l’affaire est bouclée… Ah, encore un mot pourtant ! Près de Mme Garrick, avec elle, vous trouverez une jeune fille qui probablement vous accompagnera jusqu’à Dieppe. Cette jeune fille, je vous en avertis, aura l’air d’être votre ennemie, de faire cause commune avec Mme Garrick, qui très probablement cherchera à vous fausser compagnie. N’y faites pas attention, je vous garantis, tout au contraire que vous aurez en elle une alliée. Aussi bien, monsieur French, vous verrez que je ne me trompe pas… tout cela va se passer le plus facilement du monde… Préparons-nous, voici Bonnières…
***
– Dieu du ciel, c’est elle, c’est bien elle… Tom Bob est sauvé… mais pourvu qu’elle se décide à m’accompagner ?… il est vrai que Juve !… ah ! comment faire ?…
Il y avait vingt minutes que French s’était séparé du policier français, et maintenant il se trouvait embusqué dans un fourré devant la maison que lui avait signalé de loin Juve, et à l’une des fenêtres de laquelle il venait d’avoir la surprise, soudain, d’apercevoir Mme Garrick…
French, sentant la victoire proche, la victoire décisive, s’affolait :
Décider cette femme à revenir en Angleterre… Le pourrait-il ?…
En somme, French s’en rendait parfaitement compte, il n’avait aucun argument pour forcer Mme Garrick à le suivre…
Et, de moins en moins, French pensait pouvoir compter sur l’appui de Juve…
Le détective, toujours embusqué dans le fourré, réfléchit de longues minutes, surveillant Mme Garrick qui, évidemment, loin de se douter de sa présence, tranquillement humait l’air pur de la matinée…
Clac… clac…
French venait d’avoir une inspiration subite ! Tirant son appareil photographique, il avait pris deux instantanés de Mme Garrick, et il songeait :
– Qu’elle vienne ou qu’elle ne vienne pas, j’aurai toujours ainsi une preuve de son existence…
Mais il fallait qu’elle vienne…
Et, sortant du fourré, se démasquant, French s’avança, appelant :
– Madame Garrick, madame Garrick.
D’un haut-le-corps, la jeune femme qui rêvait à sa fenêtre s’était redressée.
Qui donc dans cette campagne reculée, pouvait l’appeler de ce nom ?
Qui ? cet homme ….
La malheureuse jeune femme, soudain pâlie, fixait maintenant le policier d’un air hagard, elle articula d’une voix tremblante :
– Qui demandez-vous, monsieur ?
Mais French affecta de ne rien comprendre à ce désaveu implicite. Il insista :
– Madame Garrick, j’ai trois petits mots à vous dire… voulez-vous m’accorder la faveur d’un entretien ?
Même jeu :
– Vous demandez, monsieur ?
Et French, toujours très froid, affirma :
– Madame Garrick, je vous en prie nous n’avons pas une minute à perdre. J’ai besoin de vous parler…, il faut que vous me receviez… vous m’entendez bien, madame ? il le faut…
Et French pesait de telle façon sur ce mot « il faut », que, de plus en plus pâle, Mme Garrick, s’inclinant, finit par répondre :
– C’est bien, monsieur, veuillez m’attendre une seconde. Je descends vous ouvrir…
***
Tandis que French, renseigné par Juve, arrivait à rencontrer l’énigmatique épouse du docteur Garrick, d’autres événements se précipitaient, qui avaient bien leur importance.
À neuf heures, Bobinette était sortie de la maison pour se rendre au village.
Or, comme la jeune femme débouchait d’un petit sentier formant raccourci, en plein champ, elle n’avait pas été peu surprise de s’entendre héler :
– Mademoiselle Bobinette ?…
Bobinette en se retournant aperçut un vieux mendiant qui de loin lui faisait des signes amicaux, tout en l’appelant encore :
– Mademoiselle Bobinette ?…
Mais soudain, comme ce vieillard à barbe blanche arrivait près d’elle, Bobinette joignit les mains, effrayée :
– Vous ?…
– Mais oui, moi, Bobinette… vous allez bien ?
Bobinette, toujours immobile :
– Vous ici ?…
– Cela vous étonne donc bien ?
Bobinette était terrifiée, en effet.
– Que voulez-vous ? questionna-t-elle nerveusement, que faites-vous ici ?… Monsieur Juve… monsieur Juve, j’ai peur, j’ai peur…
Juve, car c’était en effet Juve, qui, tirant de ses poches tout un arsenal qui ne le quittait jamais, avait, en quelques minutes, après le départ de French, réussi à se donner l’aspect d’un vieux mendiant, Juve souriait :
– Peur ? fit-il, et pourquoi donc ? Vous êtes folle, ma pauvre enfant… Et d’ailleurs je ne comprends pas que vous soyez si surprise de me voir ici alors que lady Beltham est à deux pas…
– Lady Beltham… quoi… vous savez ?…
– Mais bien sûr !…
Et forçant la jeune femme à s’asseoir à côté de lui, Juve en quelques mots la mit au courant de la façon dont il avait retrouvé, par de savantes recherches, la piste de lady Beltham.
– Ma chère Bobinette concluait-il, en ce moment, pendant que nous causons, French est en train de décider lady Beltham, devenue Mme Garrick, à retourner en Angleterre… À coup sûr, lady Beltham va accepter car je suis persuadé qu’elle devinera que c’est moi, moi Juve, qui lui ai envoyé French… Mais à coup sûr aussi lady Beltham, tant qu’elle ne sera pas à bord du bateau, c’est-à-dire en territoire anglais, sous le coup d’une arrestation de French, tentera de s’enfuir… Il ne le faut pas, Bobinette, il faut qu’elle aille en Angleterre… Et voici comment nous allons y arriver… Bobinette vous allez vous arranger pour l’accompagner jusqu’à Dieppe… Vous êtes devenue son amie. Elle sera persuadée que vous l’aiderez à fuir. En fait vous l’en empêcherez, et…
Bobinette secoua la tête :
– Monsieur Juve, je ne peux pas accepter le rôle que vous voulez me confier… Je ne peux pas trahir lady Beltham, qui est devenue mon amie.
Juve haussa les épaules doucement :
– Je vous promets, Bobinette, qu’il n’arrivera rien de fâcheux à lady Beltham… rien… et il s’agit de mettre Fantômas hors d’état de nuire… Ce n’est pas une trahison que je vous demande, c’est tout simplement de faire votre devoir…
Et le policier ajouta :
– Vous allez retourner immédiatement chez vous… vous allez partir avec lady Beltham jusqu’à Dieppe… vous m’entendez, Bobinette ?… vous empêcherez sa fuite et ce soir, à Dieppe, vous me retrouverez, après le départ du paquebot. Là, je vous expliquerai bien des choses que vous ne pouvez pas comprendre…
Bobinette, courbant la tête, reprit le chemin de la maisonnette.
***
– Vrai, monsieur, j’crois qu’ils vont danser… c’est que ça vente ce soir…
– Oui… fichu temps…
– Comme vous dites, monsieur. Du plein nord-ouest… et la lame est courte… ah ! ils ne sont pas nombreux à bord…
– Ce n’est pourtant pas la saison des traversées, non plus.
– Sûr, monsieur, et puis devant le temps, il y a bien des voyageurs qui restent à Dieppe…
– Peuh, vous croyez ?
– Sans doute !.. Et tenez, même, monsieur, regardez : voilà que ça se « retourne » déjà, dans le port… ah là là… voyez-vous cette grande dame, à l’arrière ?…
– Oui.
– Elle est toute blanche…
– En effet…
– C’est une dame qui ne doit pas aimer la mer…
– C’est bien probable…
– Moi, si j’étais riche, monsieur, et que ça me fasse si peur, je ne passerais pas par ici, bien sûr…
– Au revoir, mon brave homme… je vous demande pardon… mais voici quelqu’un que j’attendais…
Juve, car c’était Juve qui depuis quelques minutes causait avec un douanier sur le port de Dieppe, à quelque distance de l’embarcadère des bateaux faisant le service d’Angleterre, s’éloigna brusquement :
En fait il n’avait vu personne, mais on venait soudainement d’allumer, pour aider au service des hommes chargés d’embarquer à bord les malles des voyageurs, de grands projecteurs électriques, et le policier ne tenait pas autrement à rester en pleine lumière…
– Satanée lumière, se dit Juve… pourvu qu’elle ne m’ait pas aperçu !…
Elle, c’était lady Beltham.
Depuis le matin, il filait French, Bobinette et la fausse Mme Garrick.
Maintenant, il surveillait le départ définitif pour la côte anglaise de French et de lady Beltham. Bobinette, appuyée à l’une des grosses chaînes qui barrent le quai, échangeait des signaux d’adieu avec Mme Garrick…
Juve en cette minute se sentait de plus en plus nerveux. N’allait-il rien surgir qui déjouerait ses plans ? Lady Beltham – Mme Garrick – était-elle définitivement « partie » pour l’Angleterre ?
Garrick, Tom Bob, Fantômas, serait-il innocenté par son arrivée ?… Oui…
Voici qu’on larguait les amarres, voici que, majestueux, le paquebot s’éloignait lentement du quai, franchissait la passe, gagnait la mer ouverte…
Juve, d’abord, se frottait les mains, satisfait, lorsque soudain quittant le coin d’ombre où il s’était rencogné, il se précipitait vers la jetée :
– Je suis fou. je suis fou, se répéta-t-il, ce voyou ?… il m’a semblé ?…
Mais le bateau gagnait de vitesse.
En vain Juve courut-il à perdre haleine. Bientôt, il n’aperçut les passagers qu’indistincts, impossibles à reconnaître…
Juve, alors, se rendant compte qu’il n’avait plus à espérer revoir le « voyou » qu’il avait pensé reconnaître, revint lentement sur ses pas…
– Mademoiselle Bobinette ?…
La jeune femme était demeurée appuyée à l’endroit où elle avait échangé les derniers signes d’adieu avec lady Beltham. Juve lui posa la main sur l’épaule, elle tressaillit, comme tirée d’un rêve :
– Ah ! fit-elle simplement, vous voilà…
– Me voilà ! répondait Juve, qui s’amusait en lui-même de la stupéfaction avec laquelle Bobinette le considérait, car il s’était fait, pour la dernière partie de sa filature, la tête impayable d’un bourgeois ventru, tout envahi de graisse, ce qui lui donnait une étrange tournure.
– Eh bien, pas d’incident ?
– Pas d’incident, non, monsieur Juve. Elle est partie…
– Facilement ?…
– Oh ! non ! Et c’est ce qui me bouleverse. Et puis je ne comprends pas… Lady Beltham a tout fait, d’abord, ce matin à Rolleboise pour éviter de suivre French et en route, une fois décidée à partir, elle a tenté à deux reprises de nous brûler la politesse.
– Naturellement.
– Pourquoi « naturellement » ?
– La situation de lady Beltham, dit Juve, est difficile… Elle ne veut pas revenir en Angleterre parce que son retour va innocenter Garrick. Elle est follement jalouse de Garrick, de Garrick-Fantômas, qui a pour maîtresse… parbleu, vous le savez bien par les journaux, Françoise Lemercier… De plus, elle a peur de lui… demain, Garrick va être libre – puisqu’il sera prouvé qu’il n’a pas tué sa femme – et, voyez-vous, Bobinette, j’imagine que lady Beltham – Mme Garrick – se demande avec terreur s’il ne tirera pas d’elle quelque horrible vengeance, pour le danger qu’elle vient de lui faire courir… car c’est à elle qu’il doit d’avoir été arrêté.
– Mais alors, Juve, pourquoi, vous, ne vous êtes vous pas montré ? pourquoi laissez-vous remettre en liberté Garrick-Fantômas ? il fallait vous allier avec lady Beltham… Il fallait prouver que Garrick c’est Fantômas…
– Impossible. Seule lady Beltham peut démasquer Fantômas et je ne puis pas la forcer à témoigner contre Fantômas…
– Pourquoi donc ?
– Légalement, lady Beltham est morte. Il faudrait pour la ressusciter, une procédure qui durerait des années. Pendant ce temps, Fantômas…
– Mais que comptez-vous donc faire ?
– Demain, Mme Garrick va réapparaître en Angleterre. Mme Garrick vivante, Garrick est libre, très bien ! mais Garrick c’est encore le personnage de Tom Bob… dès lors, Bobinette, vous le comprenez, je n’ai plus qu’à l’épier, qu’à m’attacher à lui, qu’à amasser une série de preuves… ce qui est facile puisqu’il ne se méfie pas… Si, en Garrick, il est inattaquable, en Tom Bob, Fantômas est à ma merci… je le prendrai, quand je voudrai.
– Alors, pourquoi ne partez-vous pas tout de suite pour Londres ?… j’ai peur pour lady Beltham…
– N’ayez pas peur. Lady Beltham – Mme Garrick – est, pour quelque temps au moins, inattaquable, Fantômas courrait de trop gros risques à s’en prendre à elle… il n’oserait pas… et puis le Bedeau est à Paris, Bobinette… je veux savoir si cet homme ne trafique pas ici quelque chose de louche… précisément pour le compte de Fantômas.