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Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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PIERRE SOUVESTRE

ET MARCEL ALLAIN

LE PENDU

DE LONDRES

7

Arthème Fayard

1911

Cercle du Bibliophile

1970-1972

1 – JACK EST-IL MORT ?

Dans sa petite chambre de l’hôtel meublé de Londres, Jérôme Fandor trépignait de joie devant le texte mystérieux qu’il venait de déchiffrer au moyen d’une grille.

Ce texte, c’était un télégramme : « Hourrah Fandor, j’ai retrouvé lady Beltham, Fantômas ne doit pas être loin. »

Et c’était signé Juve.

– Fantômas ne doit pas être loin, avait répété Fandor, qui sentant renaître son entrain à l’idée de poursuivre l’insaisissable bandit, prit la plume, mit sur un feuillet blanc l’adresse de Juve :

– Mon vieux Fandor, s’exclama-t-il, Juve t’a bien épaté tout à l’heure, toi, tu vas peut-être l’épater encore plus en lui télégraphiant…

Mais Fandor reposait sa plume :

– Non, fit-il, c’est trop important ce que j’ai à lui dire. Avant d’envoyer ma dépêche, assurons-nous que mes pressentiments peuvent être considérés comme des certitudes.

Enfermant soigneusement dans son portefeuille la traduction qu’il venait de faire de la dépêche chiffrée de Juve, Fandor prit son chapeau, sa canne et sortit.

On était au mois d’avril, la journée s’annonçait radieuse…

***

– Encore une cigarette ?

– Ma foi, je ne dis pas non !

– Et naturellement aussi, encore une larme de whisky ?…

– Ça n’est pas de refus.

Vers cinq heures de l’après-midi, ce même jour deux hommes confortablement installés dans un luxueux salon causaient agréablement.

Ce salon, au premier étage d’un somptueux hôtel particulier de Hyde Park, avait une vue magnifique sur la célèbre promenade.

L’un des deux hommes était lord Duncan, propriétaire de l’hôtel où se trouvait ce salon. L’autre, visage basané, l’air fin, quadragénaire qui vit au grand air.

Le plus âgé des deux hommes, au moment où il portait le verre de whisky à ses lèvres, arrêta brusquement son geste :

– Avant toute chose, mon cher Duncan, permettez que je vous félicite de votre nomination…

– C’est vrai que me voici Bonbonnier de la Reine…

– Bonbonnier de la Reine, reprit son ami, cela vous a une allure tout à fait vieillotte, moyenâgeuse presque. Le poste a été créé, je crois, sous le règne de la reine Anne…, cette excellente souveraine était si gourmande qu’il avait fallu lui attacher un personnel spécial de jeunes seigneurs pour lui procurer sans cesse les meilleurs bonbons fabriqués dans le Royaume… Désormais ce n’est plus qu’un titre…

– Titre très honorifique, mon cher lord, d’ailleurs, depuis quelque temps, les distinctions les plus hautes, les plus flatteuses vous sont prodiguées à la Cour…

Lord Duncan, du geste, interrompit son ami :

– Hélas, fit-il, c’est uniquement, j’en suis sûr, en souvenir de mon pauvre père, en mémoire également de celui qui devait reprendre son titre et son nom… mon infortuné frère aîné. Moi je n’étais que le cadet, je m’appelais modestement Ascott tout court. Je suis devenu, par suite des malheurs que vous savez, lord Duncan…, mais je vous assure que je ne le souhaitais guère…

– Bah ! c’est la fatalité. Vous n’y pouvez rien, mon cher. Absolument rien.

– Jamais, dit lord Duncan, on ne m’ôtera de l’idée que cet accident d’automobile n’était pas un hasard. Je suis sûr que mon pauvre père et mon pauvre frère ont été victimes d’un assassinat, et que les affreuses fréquentations de mon abominable femme y sont bien pour quelque chose.

– Allons, allons, lord Duncan… Vous savez bien que, sur votre demande, j’ai procédé à l’enquête la plus minutieuse… Je n’ai rien trouvé d’anormal, absolument rien. Au contraire… Votre père, votre frère, morts d’un accident, rien qu’un accident, foi de Tom Bob !

Lord Duncan poussa un soupir de soulagement, puis, le sourire aux lèvres, déclara d’un trait :

– J’aime à vous l’entendre dire. Lorsque Tom Bob, le Roi des détectives a parlé, il n’y a plus de discussion possible.

– Ce n’est pas l’avis de tout le monde, dit Tom Bob… (On se rappelle que Tom Bob, que le policier Juve avait accusé de n’être pas Tom Bob du reste, avait quitté Paris pour venir à Londres. Grâce à la protection de son ami Ascott, devenu soudain lord Duncan, il était entré dans la police anglaise où son avancement avait été foudroyant.)

Tom Bob s’était arrêté court.

Le regard de lord Duncan s’attardait sur la pendule :

– Vous attendez quelqu’un ? demanda Tom Bob.

– On ne peut rien vous cacher, Tom Bob, j’attends ma femme, Nini Guinon…

– Votre femme, elle se permet…

– Je lui ai dit de venir… de venir me montrer notre petit Jack… Je l’ai vu deux fois… si je n’étais pas le père de cet enfant…

Mais le jeune lord s’interrompit.

On venait de frapper. La tête du vieux domestique, John, apparut :

– Que votre Grâce m’excuse, murmura le serviteur… elle est là…

Le détective, par discrétion, se levait :

– Ne partez pas, dit le lord, j’aimerais que vous assistiez à notre conversation…

– C’est impossible dit Tom Bob, qui ajouta aussitôt :

– Soit, j’y assisterai… mais sans qu’elle s’en doute…

***

Quelques instants plus tard, une femme entrait dans le salon de lord Duncan, une femme jeune, presque une enfant, vêtue sans élégance, cheveux noirs ébouriffés, immense chapeau aux allures tapageuses, ni voilette ni gants… Vulgaire, mais jolie : yeux noirs, grands, expression hardie, narquoise même, lèvres rouges, dents éclatantes, de la vie ! rien de compassé, une Française sûrement et même, une Parisienne.

Lord Duncan avait tressailli :

– Vous êtes venue, seule ?

– Seule, dit la jeune femme sans baisser les yeux, méprisante, arrogante.

– Nini, qu’est-ce que cela signifie ?… Vous devez avoir un motif grave ?

– Un motif grave… oui… Car il faut en effet un motif grave pour que moi je me permette de venir seule chez celui qui m’a donné le droit de vivre à ses côtés…

– Ne ravivez pas, madame, ces odieux souvenirs…

– Oui, je sais, je sais que vous voulez oublier qu’il y a deux ans, le jeune Anglais Ascott… plus tard devenu lord Duncan… m’épousait… moi, Nini Guinon ! la fille du peuple, la petite ouvrière, après l’avoir débauchée un soir d’orgie, il l’épousait par crainte des représailles, par peur de la police… Eh bien, soit ! oubliez-le. Mais oubliez aussi votre enfant !…

Nini Guinon marcha droit sur son mari, et hurla :

– Vous avez voulu me voler Jack… N’essayez pas de nier… N’essayez pas, je le sais… parbleu, vous êtes forts, vous autres, les gens arrivés… Parce que vous êtes riches et puissants, vous vous croyez tout permis… Je ne sais pas comment cela se passe dans votre pays, mais je sais bien qu’en France, on n’arrache pas un enfant à sa mère sans que celle-ci fasse du tapage… Et je vous jure, Ascott de mon cœur, que j’en ferai de la musique si jamais…

– Assez, dit lord Duncan, qui, maîtrisant sa colère se contenta de prendre les mains de Nini et de les serrer pour immobiliser la jeune femme :

« Assez de comédie, Nini, poursuivit-il, je ne suis pas dupe. Vous n’êtes pas une mère, vous êtes une fille, perdue de débauche et c’est un devoir de vous arracher votre enfant…

– Lord Duncan !

– Taisez-vous !

Il poursuivit, d’une voix plus douce :

– Hélas ! le remords de ma vie, ce sera le jour où je vous ai connue, Nini, où j’ai cru qu’en régularisant une situation fâcheuse, j’allais pouvoir donner au petit être que vous portiez dans vos flancs, une existence honorable… Alors, Nini, je n’étais qu’un cadet…, mon père, mon frère aîné vivaient. Depuis, j’ai dissimulé que vous étiez ma femme, lady Duncan… vous avouerez, madame, que j’ai acheté largement votre silence… Je me sentais tout disposé à ne pas oublier qu’en dépit de tout, j’étais l’époux de la mère de mon enfant ; celle-ci en échange me devait d’avoir une attitude honnête et réservée. Le contraire s’est produit. Vous vous êtes livrée à mon égard, depuis que je suis lord et membre du Parlement, à de perpétuels et odieux chantages. En outre, votre conduite est infamante… Vous vous plaignez que j’ai voulu reprendre mon enfant, n’en veuillez qu’à vous-même si je continue à m’efforcer de l’arracher à votre mauvais exemple. C’est parce que vous le méritez…

– Vous ne recommencerez plus, lord Duncan, pour cette bonne raison que votre fils est mort…

– Jack, s’écria l’infortuné père, mon petit Jack…

Puis, quand il eut repris son sang froid :

– Dites-moi, Nini, que lui est-il arrivé… comment cet épouvantable malheur ?…

Lord Duncan ne pouvant dominer son émotion s’était laissé choir sur un fauteuil ; ses jambes vacillaient, sa tête tournait… le coup était si brusque.

Nini Guinon, froidement le considérait, l’air indifférent. Elle l’était à coup sûr, indifférente. Sa voix n’avait trahi aucun trouble lorsqu’elle avait annoncé la sinistre nouvelle.

– Jack a pris froid, expliqua-t-elle, une fenêtre restée ouverte toute la nuit, le lendemain il est mort…

Lord Duncan s’approcha de Nini Guinon, puis les yeux dans les yeux :

– Est-ce vrai ?

Sans broncher, l’épouse secrète soutint ce regard.

– C’est vrai… fit-elle simplement.

– Pourquoi, demanda-t-il, pourquoi ne pas m’avoir prévenu lorsqu’il était souffrant ?…

– Ah, parbleu, non, jamais de la vie…

Lord Duncan, comprenant sa pensée, s’était élancé sur elle.

– Il est mort… subitement… ajouta Nini.

Un silence plana dans le salon.

…Cependant, lord Duncan, par un effort suprême de volonté avait repris l’attitude digne qui convenait à sa qualité.

Ce n’était plus, en effet, l’époux qui parlait, c’était le grand seigneur, le membre de la Chambre haute. Il n’interrogeait plus, il ne sollicitait pas, il commandait, et dit :

– La seule indulgence que je pouvais avoir à votre égard, Nini Guinon, m’était inspirée par ce fait, que malgré toutes vos turpitudes, vous étiez mère, et mère de mon enfant. Dieu nous l’a repris, peut-être a-t-il bien fait… Ses projets sont insondables, et c’est le châtiment qu’il m’impose, pour ma faute d’autrefois… J’accepte son décret sans murmurer… Désormais, il ne reste plus sur terre que deux époux entre lesquels un abîme infranchissable s’est creusé… Comprenez-moi bien. Plusieurs fois, déjà, Nini Guinon, vous avez failli connaître la prison. Vous avez été compromise dans d’infâmes affaires, la complice de ce que la capitale compte de plus infâme… Je suis intervenu pour vous arracher au Tribunal. Vous n’êtes qu’une fille perdue, une coupable, une criminelle peut-être. Nini Guinon, j’ai décidé : vous ne sortirez d’ici que pour entrer dans une maison d’arrêt. Une enquête sera ouverte pour savoir comment est mort mon fils. On découvrira bien des choses, j’en suis sûr.

Nini avait pâli :

– Vous allez me faire arrêter… Ah ! lord Duncan, vous voulez donc rendre public notre mariage ?

– Je le sais, déclara le noble membre du Parlement, je suis résigné au scandale. Ce soir, Sa Majesté aura ma démission…

Nini Guinon tressaillit. Si lord Duncan ne craignait plus le scandale, si Nini Guinon ne tenait plus son mari par ses perpétuelles menaces de chantage, elle était perdue…

Lord Duncan allait et venait, en proie aux plus sinistres réflexions, Nini Guinon, elle, s’était reculée jusqu’à l’extrémité du salon, et soudain, elle étouffa un cri : elle venait d’entendre une voix murmurer derrière elle :

– Imbécile… Imbécile de Nini, écoute… mais ne bronche pas…

S’efforçant de conserver une figure impassible, Nini Guinon se raidit contre la surprise, et conformément au conseil qui lui était ainsi donné elle prêta l’oreille :

– Imbécile, poursuivait la voix, une voix rude et hargneuse, il ne fallait pas dire que Jack était mort… Jack mort, tu es irrémédiablement perdue… Il est encore temps de te reprendre… invente n’importe quoi… jure qu’il est vivant, jure-le, si tu tiens à la vie, Nini…

Lord Duncan, tout à son amère réflexion, ne remarqua rien. Nini soudain, changea de visage. Ses traits s’illuminèrent.

– Lord Duncan ? murmura-t-elle, doucement…

– Qu’y a-t-il ?

Désormais, ce n’était plus la même femme qui parlait. Elle supplia, les yeux baissés, d’un ton si ému qu’il semblait que dans sa gorge montaient des sanglots :

– Lord Duncan, pardonnez-moi, je vous ai menti tout à l’heure… C’est mon cœur de mère qui m’a inspiré ce mensonge… J’ai eu peur, lorsque j’ai su que vous vouliez me reprendre mon petit Jack, le seul être qui me reste à chérir, le seul vestige de mon bonheur passé… Pour être sûr de le garder, j’ai menti, mais je le vois, cela vous fait trop de peine, et moi-même je ne veux pas continuer à soutenir une chose aussi affreuse… il me semble d’ailleurs que cela lui porterait malheur… Lord Duncan, pardonnez-moi, mais Jack est vivant… Jack vit…

– Vous me jurez que Jack, que mon Jack est vivant ?…

– Je vous le jure ! répondit Nini Guinon dont les yeux laissèrent échapper de grosses larmes…

Le noble lord, ému, soudain se sentait coupable… D’un coup d’œil, Nini Guinon s’aperçut qu’elle avait repris en main son interlocuteur.

– J’essayerai de vous donner satisfaction, lord Duncan, dit Nini.

– Serait-ce possible ?

– Je m’y emploierai… Mais la misère est mauvaise conseillère : il me faut nourrir mon enfant, me nourrir moi-même, je ne suis pas riche…

Lord Duncan avait compris. Il tira de son portefeuille une liasse de bank-notes ; avec un amer sourire, il déclara :

– En recevant, ce matin, la lettre qui m’annonçait votre venue j’avais préparé cet argent, prenez-le…

Nini Guinon avançait la main :

– Une seconde, fit lord Duncan…

Et comme Nini paraissait toute décontenancée :

– Oh ! ce n’est pas une condition bien pénible que je vais vous imposer : je veux voir mon enfant, je le veux absolument… Nini Guinon, vous serez dans quatre jours, à neuf heures précises du matin, dans l’allée cavalière de Hyde Park, vous y serez avec Jack ?… c’est entendu, n’est-ce pas ?

La jeune femme regarda son époux, le visage ouvert, l’œil franc :

– Donnant, donnant, lui dit-elle, eh bien, soit, j’accepte le marché… vous pouvez me remettre cet argent, lord Duncan… à mercredi…

Nini Guinon venait à peine de quitter le salon dans lequel elle se trouvait en tête-à-tête avec son noble époux qu’une lourde portière qui faisait communiquer cette pièce avec une chambre voisine s’agita lentement.

– Eh bien, Tom Bob, eh bien, mon cher ami, avez-vous entendu cette conversation ?…

– J’ai tout entendu…

– Qu’en pensez-vous, poursuivit l’infortuné mari de Nini Guinon, que peut-on croire ?

– Ce serait parfaitement inutile, lord Duncan, la question qui se pose est facile à résoudre surtout pour quelqu’un dont le métier consiste à découvrir la vérité.

– Tom Bob, s’écria lord Duncan, vous allez vous occuper de cela !

– J’allais vous le proposer, déclara le détective, et je vous jure que d’ici quarante-huit heures vous saurez à quoi vous en tenir.

– Que Dieu, vous entende, murmura le jeune lord, dont l’accablement faisait peine à voir…

2 – JACK VIT

Les petits oiseaux,

Les petits oiseaux…

Est-ce bête, ce refrain ! et c’est tout ce qu’il me reste de ma carrière, pensait Françoise Lemercier, artiste française à Londres, qui venait de terminer son engagement à l’Empire.

Quelques années auparavant, Françoise avait épousé un brave Canadien, mais elle était aussi légère et frivole que son mari était lourd et brutal. Ils étaient séparés. Le divorce aurait été prononcé si les époux avaient pu s’entendre sur la garde de Daniel, leur petit garçon.

Mais pour l’instant, peu importe pensait l’artiste, je n’ai pas entendu parler depuis longtemps de mon mari, et Daniel est toujours auprès de moi.

Eh oui, Daniel jouait sur le tapis du salon, en se racontant des histoires.

– Une heure moins dix ! s’écria Françoise… Les magasins vont fermer et moi qui n’ai rien pour mon déjeuner.

Elle prit un chapeau qu’elle posa sur sa chevelure blond fauve et grommela :

– Sale jour, que le dimanche anglais ! pas de bonne ! pas de magasins ! pas de restaurant ! Allez hop ! au marché !

 Mais Daniel ne voulait pas quitter ses jouets. Et les magasins ouverts allaient ne plus l’être, si elle tardait. Après une seconde d’hésitation, Françoise décida :

– Daniel ne bougera pas, et moi en me dépêchant, je n’en aurai que pour quelques minutes…

Françoise Lemercier embrassa tendrement son enfant :

– Sois sage, dit-elle, maman revient tout de suite !

Puis, d’un coup d’œil, elle s’assurait que rien ne se trouvait à proximité qui pût permettre au bébé de se blesser. Les portes, la fenêtre étaient fermées :

– Sois sage ! répéta Françoise Lemercier, comme elle s’en allait…

Une demi-heure environ après le départ de Françoise Lemercier, un promeneur, pénétrait dans Jewin Street absolument déserte.

C’était Jérôme Fandor…

Le journaliste qui s’avançait lentement au milieu de la rue examinait les maisons comme quelqu’un qui cherche un immeuble dont il ne sait pas le numéro.

Le journaliste venait voir quelqu’un qu’il savait habiter Jewin Street : ce quelqu’un n’était autre que Françoise Lemercier…

Après deux ou trois démarches infructueuses, Jérôme Fandor parvint enfin à découvrir la demeure de la chanteuse.

Il pénétra dans le couloir et, s’adressant à la première personne qu’il rencontrait, une vieille femme, le journaliste demanda :

– Mme Françoise Lemercier, est-ce ici ?

La vieille femme paraissait tout alarmée, elle balbutiait des mots incompréhensibles.

Fandor, ayant posé sa question à nouveau, son interlocutrice répondit :

– Oui, c’est ici ! ah ! la pauvre dame ! Savez-vous quelque chose, monsieur ?… apportez-vous des nouvelles ?…

– Quoi, fit Fandor, il lui est arrivé un accident ?…

Le journaliste interloqué allait préciser sa question. La personne à laquelle il s’adressait ne lui en laissa pas le temps…

– Le petit Daniel, interrogea-t-elle, savez-vous où est le petit Daniel ?

Fandor comprenait de moins en moins, car il ignorait totalement que Françoise Lemercier eût un enfant et que cet enfant s’appelât Daniel.

Il connaissait l’actrice pour l’avoir rencontrée une fois ou deux dans des milieux français et si le journaliste en venant chez elle avait un but, ce n’était assurément pas celui de s’enquérir de sa progéniture.

– C’est vrai, monsieur, sans doute que vous l’ignorez… en effet, vous ne pouvez pas le savoir… Cela s’est produit si subitement et il y a si peu de temps… Ah ! la pauvre dame ! elle est comme folle en ce moment, et je vous jure qu’il y a de quoi…

– Je vous en prie, qu’est-il arrivé à Mme Françoise Lemercier ?

Françoise Lemercier, lui disait en substance la bonne femme, venait de descendre une demi-heure auparavant pour s’en aller faire ses provisions. Elle laissait dans son appartement, son enfant, le petit Daniel, elle le laissait tout seul dans le salon en train de jouer, or, voici que remontant chez elle, au bout de dix minutes, l’appartement était vide.

Le petit Daniel avait disparu.

Par où ? Comment ?

On n’en savait rien… L’enfant ne s’était pas caché, la pièce dans laquelle il se trouvait, lors du départ de sa mère, ne présentait aucun désordre. Qui avait enlevé l’enfant ? car c’était cela, sûrement qui s’était passé…

Nul ne pouvait le dire !

– Vous allez monter la voir, déclarait la vieille femme, en essuyant les larmes qui perlaient à ses yeux, peut-être que vous pourrez l’aider ?…

Mais Fandor hésitait. Était-ce bien le moment ?

Jérôme Fandor monta donc chez la chanteuse.

Le journaliste ne s’attarda pas auprès d’elle. Il n’y avait rien à tirer de la malheureuse. Françoise Lemercier, au surplus était entourée de voisines et de commères devant lesquelles Fandor, de toute façon, n’aurait pas voulu parler.

Jérôme Fandor, dans la rue arpentait le trottoir, soucieux, il se répétait machinalement :

– L’enfant de la chanteuse a disparu… Comment ?… Pourquoi ?… Comment ? comment cet enfant a-t-il disparu ?… Je n’en sais rien et je m’en moque, mais ce qui m’intéresse beaucoup plus, c’est de savoir pourquoi il a disparu, et ce pourquoi, je vais peut-être y répondre… Oh ! oui, poursuivait -il, je vais y répondre par l’affirmative, car cette fois j’ai la ferme conviction que je tiens la solution du problème. Juve, mon ami Juve, il se passera fort peu de temps que vous n’ayez de mes nouvelles… à votre télégramme m’annonçant que vous avez découvert lady Beltham, je répondrai par une dépêche vous informant que moi, j’ai découvert…

***

Le soir et particulièrement le dimanche soir, Whitechapel est désert.

Magasins et bureaux sont fermés depuis le samedi après-midi, et tous ceux qui ont pu s’éloigner de cette vision de misère et de travail l’ont fait.

La nuit tombait embrumée, lourde d’orage sur la capitale, et sur Whitechapel pesait un grand silence.

Nini Guinon, l’épouse légitime de lord Duncan, habitait un bouge infâme de Whitechapel, une vieille maison mal famée de Belmont Street.

Tous les étages de cet immeuble étaient occupés par une population misérable et malfaisante, et certes, si les voisins de Nini Guinon avaient pu savoir que la jeune Française était l’épouse légitime d’un membre du Parlement anglais, ils en auraient été fort surpris, mais nul ne le soupçonnait, hormis toutefois deux ou trois apaches, français comme Nini Guinon et qui, depuis longtemps déjà, avaient cru nécessaire de mettre entre eux et la police parisienne la rassurante barrière de la Manche et de la Mer du Nord.

Parmi eux, le Bedeau, ce souteneur de Ménilmontant qui avait connu Nini dès son enfance, et Beaumôme, un habile pickpocket, quelques autres encore.

Ils formaient une bande équivoque et redoutable dont Nini Guinon s’était instituée la reine, malgré les efforts de son mari qui n’avait pu l’en arracher.

Et pourtant, Nini avait besoin de lord Duncan, non seulement de ses libéralités, dont elle vivait, mais encore de son appui, de son influence dans le Royaume.

Or, Nini venait de perdre le talisman qui lui assurait l’impunité.

Le petit Jack était mort.

D’abord elle n’avait pas voulu y croire.

Ivre, elle rentrait chez elle, et dans le berceau, le petit corps froid de son fils.

La veille, il avait été malade.

– C’est de la mauvaise graine, avait dit Nini, ça ne craint rien.

Le froid l’avait achevé. Nini en était encore étonnée.

Ce n’était pas le sentiment maternel, mais Jack, une fois mort et enterré, son mari n’hésiterait pas à demander le divorce, à se débarrasser d’elle.

Puis il y avait eu l’entrevue avec lord Duncan, la voix mystérieuse qui lui ordonnait chez Duncan même de taire la mort de son fils.

Cela, c’était samedi.

À présent, ce dimanche soir, Nini Guinon, de plus en plus perplexe, attendait, dans son logement, au milieu du silence.

Les apaches, ses voisins étaient partis faire la bombe et avaient laissé Nini Guinon seule avec son enfant, car Nini Guinon, subtile et méfiante n’avait informé personne du décès du petit Jack, survenu l’avant-veille…

Nini Guinon, qui, machinalement, allait et venait dans la pièce, tressaillit en entendant sonner dix heures.

– Il devrait être là, murmura-t-elle…

La jeune femme, le matin même avait reçu par la poste un billet ainsi conçu :

« Serai avec Jack, chez toi, ce soir avant dix heures. »

Billet étrange en vérité, car le texte qui semblait écrit à l’encre, au bout de deux heures avait disparu et il n’était resté entre les mains de Nini qu’une feuille de papier blanc…

Le mystérieux billet était signé Fantômas, et elle se rappelait le mariage avec Ascott, puis la mort du père et du frère d’Ascott.

Oui, Fantômas.

Nini Guinon en était là de ses réflexions, lorsqu’un craquement se fit entendre à la porte de son logement :

Dominant ses nerfs, surmontant ses appréhensions, Nini Guinon fut à l’entrée du logis, et à travers la porte demanda :

– Qu’est-ce que c’est ?

Du dehors, une voix :

– Fantômas… Nini Guinon, ouvrez…

Elle ouvrit.

Fantômas se présenta à elle, mais Fantômas comme elle ne l’avait jamais vu encore. Le Fantômas de la légende qui, désormais, devenait pour elle celui de la réalité.

Manteau noir. Chapeau noir. Les traits dissimulés sous une cagoule, noire aussi. Il referma la porte derrière lui.

– Sotte, dit-il, avouer que Jack est mort, est-ce une chose à faire ? Le dire à Duncan que tu tiens uniquement parce qu’il se croit des devoirs de père envers cet enfant, c’est stupide. Heureusement que j’étais là. Jack est mort, vive Jack ! Tiens, prends-le.

Fantômas déroula des linges, et de ces linges émergea un joli bambin rose, robuste, bien bâti qui, innocemment sourit à la jeune femme, la considérant de ses grands yeux interrogateurs.

Nini Guinon était mère, après tout.

Les larmes lui montèrent aux yeux : elle songea soudain en voyant ce petit enfant, si joli, si vivant, si plein de santé, qu’à quelques pas de là, dans la pièce voisine, dissimulé sous les couvertures du berceau, gisait le petit cadavre…

– Nini, ordonna Fantômas, à partir de ce soir ce gamin-là qui s’appelait jusqu’à présent Daniel s’appelle Jack et c’est ton fils. Mercredi prochain tu montreras à lord Duncan l’être qui est né de tes entrailles… Tu lui feras voir Daniel, je veux dire Jack… car désormais il n’est plus de Daniel au monde ! Entends-tu ? est-ce compris ?…

– C’est compris, dit-elle, mais je me demande…

– Ne te demande rien, sotte, et obéis. Voilà ton fils… ne retiens que cela. Songe que sans moi tu étais perdue… Grâce à moi, tu es sauvée… ou est l’autre ?…

– L’autre ?

Mais Fantômas insistait :

– L’autre te dis-je ?…

Nini Guinon, avec des gestes d’automate, passa dans la pièce voisine.

Elle découvrit le berceau.

Sans délicatesse, mais sans brusquerie, Fantômas, avec l’allure d’un homme décidé s’empara du cadavre, l’enveloppa dans les mêmes linges qui lui avaient servi à apporter quelques instants auparavant le petit Daniel…

– Eh bien, quoi ? interrogeait-il, qu’attends-tu ?

Nini Guinon allait formuler quelques explications. Lorsqu’elle s’arrêta de parler, Fantômas lui-même écoutait.

De la première pièce du logement s’élevait un vagissement. C’était le petit Daniel que l’on avait laissé seul dans la pièce et qui pleurait :

– Maman !

Fantômas, de la main qui lui restait libre, empoigna Nini Guinon par la nuque, qui demeurait immobile, presque prostrée au pied du berceau vide :

– Eh bien, grogna-t-il, qu’attends-tu donc ?

Il ajouta avec un ricanement sardonique :

– Tu n’entends donc pas qu’il t’appelle ?… Nini Guinon, va t’occuper de ton fils… de ton fils Jack.

La jeune femme, affolée, revenait à peine de sa surprise, de son émotion qu’elle entendait claquer la porte…

Fantômas avait disparu. Avec lui s’en allait pour toujours le cadavre du petit Jack.

– Maman… criait le petit Daniel.


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