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Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Un bar avait relevé sa devanture et le patron de l’établissement, tout en fourbissant ses cuivres dès l’aube, était enchanté de servir à boire à des consommateurs levés dès potron-minet, ou alors pas encore couchés, pensait-il.

Les tenanciers de bar sont toujours satisfaits de voir venir chez eux les policemen ; la présence dans leur boutique des représentants de l’autorité est pour eux une garantie de bon renom et nombreux sont les patrons, à Londres, qui sont trop flattés de désaltérer pour rien ces messieurs les agents qui, cependant, sont des gens ayant bien souvent soif.

Shepard et son compagnon, debout le long du comptoir, devisaient à voix basse.

Shepard semblait ennuyé.

Aucun résultat intéressant. En dépit de ses efforts, il n’avait pu mettre la main sur le Bedeau qu’il recherchait depuis plusieurs jours.

C’était vexant, mais la partie n’était pas perdue. Shepard avait sa conviction, en dépit de ce que lui avait déclaré Beaumôme, que le Bedeau n’était pas à Paris, mais à Londres…

Il exposait sa façon de voir avec un grand luxe de détails, et le policeman, pendant ce temps, tout en se grattant violemment la gorge comme quelqu’un qu’étoufferait un whisky trop fort, prenait l’air d’un imbécile qui approuve de temps à autre, par des hochements de tête, les pronostics et déductions de son chef…

– Mais, interrogea-t-il enfin, pourquoi recherchez-vous ce Bedeau ?

Shepard toisa le policeman. Quelle question idiote. Il répondit néanmoins :

– Parbleu, j’ai mes raisons pour croire que cet individu est coupable d’avoir fait disparaître un détective de nos collègues… le détective French, qui était en mission en France pour retrouver… Mais, au fait, cela ne vous regarde pas…

– Vous avez raison, continua le policeman, cela ne me regarde pas de savoir que French, membre du Conseil des Cinq, était parti pour Paris afin de retrouver Mme Garrick, si toutefois celle-ci existait…

Shepard, cette fois, regarda le policeman, les yeux ronds.

Décidément, cet homme n’était pas un imbécile… Il n’y avait pas lieu de faire de mystère avec lui…

Shepard, alors, auquel le whisky déliait la langue, d’autant plus qu’il se trouvait en tête à tête avec un subordonné sympathique, confia au policier toutes ses appréhensions, toutes ses craintes.

Il lui racontait l’extraordinaire disparition de French, le vol non moins surprenant des photographies découvertes par Mme Davis dans l’officine de Sigissimons…

Le policeman l’arrêta pour déclarer :

– Dans toutes ces aventures, monsieur Shepard, il ne me semble pas que vous ayez eu la moindre communication avec la personnalité policière que French, votre collègue, était allé voir à Paris ?… Ce M. Juve, ce « fameux Juve », comme on dit, ne s’est-il donc pas mis en relations avec vous ?…

– Ma foi non, répondit Shepard, maintenant que j’y pense, je trouve ça surprenant…

Le policeman cligna des yeux, regarda fixement Shepard et, avec un léger sourire, lui demanda :

– Le connaissez-vous personnellement ?

– Qui donc ?

– Hé ! parbleu, Juve, M. Juve…

– Non, fit Shepard brusquement, mais peu importe, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Je regrette vivement que la perquisition de cette nuit ne m’ait pas donné satisfaction. J’ai manqué le Bedeau, peut-être de quelques minutes seulement. Par contre, j’ai perdu mon temps avec des gens insignifiants… ce jeune apache… ce Beaumôme ne m’inspire certainement pas grande confiance, mais, en tout cas, je n’ai rien à lui reprocher… ce nègre, ivrogne et imbécile, qui est tombé dans l’escalier, s’est cassé trois ou quatre dents… et enfin cette femme perdue, cette malheureuse Française, cette Nini Guinon…

– Nini… interrompit le policeman, l’avez-vous vue tout à l’heure ?…

– Eh bien, oui, fit Shepard, elle était installée chez une voisine…

– Elle ne vous a rien dit ? Elle ne s’est plainte de rien ?

– Non…

Il y eut un silence. Le policeman sembla réfléchir profondément avant de reprendre la parole. Enfin, préoccupé, soucieux, il demanda à son supérieur :

– Que diriez-vous, monsieur Shepard, si une femme, une mère à qui l’on vient de voler son enfant avait, après le vol, la chance inespérée de rencontrer des représentants de l’autorité, et qu’elle n’en profite pas pour les aviser de ce malheur ? Si, au contraire, elle taisait prudemment les détails de ce vol, dissimulait son émotion et son chagrin ?…

– Où voulez-vous en venir ? interrogea Shepard…

– À rien, poursuivit le policeman, je demande simplement ce que vous penseriez d’une femme qui aurait une telle attitude ?

– Ma foi, déclara le détective, je me demanderais si cette femme n’est pas elle-même bien suspecte, bien sujette à caution pour hésiter ainsi à solliciter l’appui de la justice…

– C’est ce que je voulais vous faire dire, conclut le policeman… Voulez-vous, monsieur Shepard, accepter un autre whisky chaud ?

***

Une heure après seulement, le détective et le policeman sortirent du bar.

Ils avaient absorbé de nombreux verres d’alcool et plusieurs sandwichs au jambon…

Shepard éprouvait désormais la plus grande sympathie pour ce policeman décidément intelligent et qui, chose curieuse, semblait, quoique n’étant pas du quartier, fort bien connaître tous les habitants de Belmont Street, et fréquenter la petite colonie française dont les apaches, tels que Beaumôme, le Bedeau, les femmes telles que Nini, le nègre tel que Job, étaient les plus beaux ornements…

Quant au policeman, il s’était prodigieusement amusé lorsque Shepard avait parlé du policier français, Juve en particulier.

***

C’était le matin, le mouvement recommençait dans Whitechapel, quartier sinistre la nuit, mais qui, au grand jour, avait repris le caractère nettement commercial de tous les autres quartiers de Londres.

Shepard et le policeman allaient se séparer, mais au moment des adieux le détective qui, depuis quelques instants semblait préoccupé, soucieux, dit à son compagnon :

– Écoutez, policeman, un vieux dicton anglais prétend que pour exercer votre métier, il faut être à la fois grand et bête… or, vous n’êtes ni l’un ni l’autre et, sans que je sache d’où vous tenez vos renseignements – ce qui ne me regarde pas mais fait honneur à vos capacités – j’estime qu’en me renseignant sur cette colonie française vous m’avez rendu cette nuit un signalé service… Je veux que vous m’en rendiez un autre. Les bons comptes ensuite feront de bons amis… Vous pourrez espérer ma protection… Policeman, êtes-vous disposé à m’aider de votre mieux pour sauver un innocent qui est en même temps un collègue ?

Énigmatique, le policeman répondit :

– Chef, je serai toujours à votre disposition.

– Il faut être mieux qu’à ma disposition, policeman. Il faut être presque mon associé… Je vous ai prévenu qu’il s’agissait d’une affaire délicate, puis-je compter que vous m’aiderez ? Naturellement, j’obtiendrai de votre chef de brigade l’autorisation de vous employer, mais je ne lui dirai pas à quelle besogne…

Le policeman scruta du regard le visage de Shepard pour bien lire le fond de sa pensée :

– Vous voulez, demanda-t-il, que je m’engage à commettre avec vous… même une illégalité ?

– Peut-être… avoua Shepard…

Le policeman baissa les yeux, considéra attentivement la pointe de ses souliers, puis, relevant la tête, il déclara :

– Je suis assez ambitieux et désireux d’arriver rapidement au grade de « sergeant ». Votre protection me sera fort utile. Si je vous promets mon dévouement, pourrai-je compter sur vous à mon tour ?

Le détective sourit. Du geste, il interrompit le brave policeman : on pouvait compter du lui.

Changeant alors de ton, le policeman interrogea :

– Quand avez-vous besoin de moi, chef ?

– Dans sept jours et pour quarante-huit heures, particulièrement les 14 et 15 juin…

Les deux hommes allaient se quitter. Au moment où ils se séparèrent, le policeman lâcha un dernier mot :

– La nuit du 14 au 15 juin… c’est à cette date, n’est-ce pas, que doit avoir lieu l’exécution de Garrick ?

Shepard eut un haut-le-corps : décidément ce policeman était d’une rare intelligence, il comprenait à demi-mot… il devinait avant qu’on lui expliquât.

– Oui, dit Shepard, c’est en effet, pour l’exécution de Garrick que j’ai besoin de vous.

Puis il s’éloigna à grands pas, cependant que le policeman demeuré immobile sur le trottoir souriait silencieusement en le regardant partir.

20 – TOUS POUR UN, UN POUR TOUS

Garrick marchait de long en large dans l’étroite cellule où il attendait la mort…

Il faisait clair dans ce réduit qu’éclairait une petite fenêtre, parcimonieusement percée dans une muraille épaisse à enlever tout espoir d’évasion possible…

Le condamné pouvait juste faire quelques pas de la lourde porte à la muraille.

Pour tout meuble, une couchette de bois, un escabeau dont les pieds de fer étaient fixés au sol.

Les mains derrière le dos, le front sombre, la mine soucieuse, Garrick, en sa promenade écourtée, donnait l’impression d’un fauve en cage, perpétuellement soucieux de découvrir entre les barreaux un moyen d’évasion…

Il est plus facile de fuir la cage de fer qu’une prison britannique, et Garrick condamné à être pendu par le cou savait qu’il le serait, obligatoirement, nécessairement, sans rémission. Chaque moment, chaque mouvement du balancier hâtait la terrible minute. Chaque instant vécu dans l’angoisse de la mort prochaine rendait encore plus certaine la venue de celle-ci.

Et Garrick, inlassablement se répétait ces quelques mots qui finissaient par n’avoir plus de sens à son oreille, mais qui reprenaient toute leur valeur dans l’éclair d’une pensée :

– Je vais mourir.

Soudain, le condamné s’arrêta.

Se trompait-il ? Était-il victime d’une de ces hallucinations comme en ont les condamnés, précisément ? Mais non, il avait reconnu le pas du gardien. La clef grinçait déjà dans la serrure… La porte s’ouvrait :

– Garrick, visite de l’aumônier.

– C’est vrai, j’avais oublié, se dit Garrick. Faisons bonne figure.

Et à voix haute et calme :

– Vraiment ? demanda-t-il, l’aumônier de la prison, ou un autre ?

« Ah ! le Révérend William Hope !… Dieu soit loué ! qu’il entre !

Soudain la figure de Garrick s’était éclairée.

L’ombre d’un sourire avait même distendu ses traits tandis qu’il demandait qu’on fasse venir le Révérend.

C’est que pour Garrick, pour Garrick qui était Tom Bob, même si le bas personnel de la prison l’ignorait, le Révérend William Hope n’était pas seulement un aumônier quelconque… c’était surtout un collègue, un camarade, un ami presque.

Garrick allait avoir cette dernière consolation de pouvoir causer à cœur ouvert, une fois encore, avant d’aller tendre le cou à la corde de la potence.

Le gardien, toutefois, s’était retiré. Il avait soigneusement verrouillé la porte, Garrick entendait son pas s’éloigner puis se rapprocher. Les grincements de serrure se firent de nouveau entendre, la porte s’entrebâilla une seconde fois, le geôlier, respectant les formes, annonçait suivant l’usage :

– Garrick, voici l’aumônier, le Révérend William Hope ! Monsieur le Révérend, vous êtes autorisé à passer une heure avec le condamné. Dans une heure je reviendrai vous prendre, mais si vous vouliez vous en aller avant, vous n’auriez qu’à frapper trois coups contre la porte…

Puis le geôlier se retira, enfermant le Révérend William Hope en tête à tête avec Garrick.

À peine étaient-ils seuls que les deux hommes, les mains tendues, échangeaient une étreinte rapide :

– Mon bon ami murmura William Hope… Du courage…

– Du courage ? j’en ai, riposta Garrick-Tom Bob ; j’en ai à revendre, du courage… mais c’est affreux quand même…

Le Révérend William Hope, la tête basse, l’air profondément ému, laissait parler le prisonnier…

Il se dégagea enfin de la poignée de main que Garrick éternisait, repoussa le malheureux vers le lit, cependant que lui-même s’installait sur l’escabeau…

– Tom Bob, dit-il d’une voix tremblante, ne perdons pas de temps… les minutes sont précieuses… je viens ici en ambassadeur, je viens au nom de tous les membres du Conseil des Cinq. Tom Bob il ne faut pas que vous mourriez…

Garrick en entendant ces étranges paroles – car il était, en vérité, étrange que les membres du Conseil des Cinq eussent seulement pensé à sauver leur malheureux chef, certes, injustement condamné, mais hélas bel et bien condamné, irrémédiablement perdu de ce fait – Garrick avait pâli…

Il se leva…

– William Hope, vous venez au nom des Cinq ?…

– Oui !

– Alors, jurez-moi, sur votre honneur – c’est la dernière consolation que je puisse espérer – que pas un de nos collègues ne doute de moi ? qu’aucun ne se refuse à admettre mon innocence ?

Devant l’émotion de son chef, ne cherchant plus qu’à mourir avec une réputation intacte, le pasteur se sentit encore plus troublé…

– Vous ne comprenez pas, Tom Bob, l’importance des paroles que je viens de prononcer… Le serment, je vous le fais bien volontiers, mais, pour Dieu, il est inutile, puisque si je suis ici, c’est pour vous demander, à vous, Tom Bob, comment nous pouvons vous sauver ?

– Me demander cela ? à moi ?

– À vous ….

– William Hope, je ne vous comprends pas ?…

– Tom Bob, reprit le révérend, calmez-vous je vous en prie, calmez-vous, ce que je vous dis est simple et j’ai besoin de toute votre attention… Écoutez-moi, Tom Bob : ce matin nous nous sommes tous réunis… Tous, hélas, nous ne sommes plus très nombreux. French est mort sans aucun doute… notre pauvre Conseil des Cinq est réduit à trois membres : Shepard, Mistress Davis et moi… eh bien, nous trois, Tom, nous trois, vous m’entendez, voyant que vous alliez être irrémédiablement exécuté, que nous n’avions aucun moyen légal de vous tirer d’affaire, nous avons résolu, de vous sauver quand même… de vous sauver, Tom Bob, je le répète, quand même…

– Hélas, Hope, on ne peut plus me sauver…

– Tom Bob, ne parlez pas ainsi…

– Vous avez donc un plan, Hope ? un plan d’évasion ?

Le Révérend secoua la tête :

– Non ! avouait-il, non, Tom. Tenez, ce matin, nous avons discuté, trois heures durant, nous avons échafaudé les projets les plus fous, nous avons envisagé les combinaisons les plus téméraires… nous n’avons pu rien arrêter… Tom Bob, en conseil, nous avons décidé, nous, les chefs de la police anglaise, que nous ne voulions pas que vous mouriez… nous nous sommes, hélas, avoué, aussi, que nous ne savions pas comment empêcher votre mort… Si je suis ici, Tom, c’est que Mistress Davis, oui, Mistress Davis, c’est à elle que revient l’honneur de cette idée, Mistress Davis nous a dit : « Il n’est qu’un homme assez habile pour pouvoir trouver un moyen de faire évader Tom Bob, et cet homme, c’est Tom Bob lui-même… » C’est pourquoi Tom, je suis ici… Ce que vous déciderez, nous le ferons. Ce que vous demanderez, encore une fois, nous l’exécuterons. Nous voulons vous sauver la vie, mais vous seul pouvez nous guider… parlez, Tom Bob, ce sont vos ordres que je viens prendre ?…

Garrick était bouleversé. Il n’ignorait pas que ses collègues du Conseil des Cinq lui vouaient une admiration profonde et une affection vraie. Mais…

Certes. Mais de là à croire que ce sentiment résisterait aux épreuves et au doute le plus légitime !… Eh bien oui, ces défenseurs de l’Ordre, voilà que pour le sauver, ils n’hésitaient pas à se révolter contre la Loi… Et, à mesure que William Hope parlait, Tom Bob se sentait les yeux humides. Mais il fallait garder son sang-froid. C’était le moment ou jamais.

William Hope avait raison : les minutes étaient précieuses… elles étaient comptées maintenant, il ne fallait pas les gaspiller…

– Révérend ! mon cher Révérend ! faisait simplement Tom Bob, je ne sais pas s’il est un mot au monde, dans n’importe quel langage que ce soit, pour dire merci à vous à Shepard et à Davis…

– Laissons cela, ce que nous ferons, ce que nous devons faire, nous le faisons parce que c’est notre devoir. Vous n’avez pas à nous en remercier, Tom Bob… dites-nous seulement…

Et William Hope ajouta en souriant :

– Oubliez que vous êtes le condamné Garrick, souvenez-vous que vous êtes le détective Tom Bob…

Or, le Révérend William Hope, parlant ainsi, employait précisément les mots qui pouvaient le mieux rappeler au sang-froid le condamné…

– Vous avez raison, Hope. Toutefois, encore un mot. Avant même que j’accepte de discuter avec vous quoi que ce soit, je tiens à vous dire que si je me décide à user de votre concours, ce n’est pas parce que vous êtes mes collègues, mais parce que je suis innocent, parce que je n’ai pas tué ma femme.

– De grâce, dit Hope, Tom Bob, parlons utilement, je n’ai peut-être plus que quelques minutes à rester avec vous… Votre innocence, personne n’en doute. Hélas, nous savons moins comment vous faire échapper d’ici… si l’on s’échappe d’une prison comme Pentonville.

Mais cette fois, Tom Bob sourit.

– Mon cher ami, vous n’y songez pas. On ne sort pas de cette prison. On ne quitte cette cellule que pour aller à la potence…

– Tom Bob, il n’est pourtant pas possible que nous vous laissions tuer, vous que nous savons innocent ?… il n’est pas possible, surtout, que vous, vous le roi des policiers, vous qui avez donné tant de preuves d’extraordinaire habileté, vous, enfin, Tom Bob vous ne trouviez pas moyen, avec notre aide, de sauver votre tête.

– C’est pourtant difficile, Hope…

– Ah ! ne parlez pas ainsi ! Vous désespérez…

– Je n’ai pas dit ça.

– Tom Bob, vous avez donc trouvé le moyen ?

Tom Bob se levait, marchait quelques secondes dans sa cellule…

Soudain, il interrogea :

– Hope, vous me répondrez franchement, n’est-ce pas ?

– Certes… mais que voulez-vous dire ?

– Vous n’essayerez pas de m’abuser d’un espoir trompeur ?… vous me direz la vérité ? toute la vérité ?… quelle qu’elle soit ?… même si elle doit signifier que je suis irrémédiablement perdu ?…

– Je vous dirai toute la vérité, Tom Bob… parlez ?

– Alors, avant tout Hope, dois-je ne compter que sur vous, sur mistress Davis et sur Shepard ?

– Je ne vous comprends pas ?

– Que pense le lord Chief-justice ?

– Il pense… il pense… Mon pauvre Tom Bob, il ne faut pas attendre un secours de ce côté…

Tom Bob baissa la tête, accablé…

Il avait presque espéré que le haut magistrat était au courant du projet d’évasion, qu’il l’autorisait, l’inspirait peut-être, fermait les yeux, de toute manière.

– Bien ! fit le condamné. Je ne compte donc que sur vous trois…

– Oui, sur nous trois, mais sur nous trois qui vous sommes dévoués jusqu’à la mort.

– C’est bien à elle que vous allez m’arracher, et j’espère qu’il n’en résultera rien de fâcheux pour vous…

– Vous avez donc un plan ?

– Oui…

– Réalisable, Tom ?

– Réalisable… Mais commençons par le commencement. Qui assistera à mon exécution ?

– Mais il ne faut pas que l’on vous exécute…

– Non, il faut que l’on m’exécute… Tenez, Hope, si vainement vous avez cherché, au Conseil des Cinq, le moyen de me sauver c’est que vous n’avez pas admis cette vérité première, cette vérité évidente, cependant : on ne sort d’un cachot comme celui-ci que pour aller à la potence…

– Mais alors… alors, fit-il, il est trop tard… beaucoup trop tard pour rien tenter ?…

– Vous vous trompez Hope…

– Tom… vous ne supposez pas qu’un coup de force… Ce serait impossible.

– Je ne vous propose pas un coup de force…

– De la ruse alors ? ah ! Tom ! vous me faites peur. Je vous l’ai dit, il n’y a que nous trois à comploter… Ne comptez pas sur le bourreau, même, nous ne sommes pas certains de le gagner…

– Je ne compte pas sur le bourreau…

– Expliquez-vous.

– Hope, un prochain matin on viendra me chercher pour me pendre, c’est inévitable, on me pendra… Mais cela, je m’en moque. Ce que je ne veux pas, c’est mourir d’être pendu…

– Je ne vous comprends pas.

Et une étrange terreur avait pris soudain le Révérend que Tom Bob eût perdu la raison, car maintenant Tom Bob riait… Oui, il riait cet homme qui, à l’aube devait marcher à la potence…

– Je suis en pleine possession de mon sang froid, déclara Tom Bob, qui lisait dans la pensée du Révérend et je ne dis rien de déraisonnable… donc, je me résigne, Hope, à être pendu, mais je ne veux pas mourir de cette pendaison.

– Mais comment empêcher…

– C’est infiniment simple. Voyons, mon cher Révérend, vous savez comment les choses se passent, n’est-ce pas ?… le bourreau vient me chercher… on m’emmène jusqu’à la potence, on me passe le nœud autour du cou, la trappe bascule, je roule dans le vide… comme je tombe de très haut et que la corde m’arrête dans ma chute, je me brise l’échine… Mort immédiate… bien !… une fois que je me suis brisé l’échine, le bourreau remonte sa corde et l’on me laisse ainsi pendu selon les prescriptions légales, pendant une bonne heure, ce qui fait que si par hasard je ne m’étais pas brisé les reins, je serais étranglé… mon Dieu Hope, cela signifie tout simplement, en somme, que j’ai deux fois à éviter la mort.

– Parlez… parlez, dit Hope, il me semble que je vis un cauchemar…

– Mon cher Hope, pour éviter ce qui paraît inévitable, que j’aie les reins brisés, il suffit tout bonnement et c’est un jeu pour des policiers comme vous, que le bourreau ne s’aperçoive pas qu’on a remplacé la corde choisie par lui, par une corde plus longue. De la sorte quand on basculera mon corps dans le vide, au lieu de rester suspendu brutalement dans le vide, je tomberai sur mes pieds… et certes il y a un grand risque, à ce moment, que je me casse les jambes, mais enfin je ne me romprai pas la colonne vertébrale… C’est toujours ça de pris. Vous me suivez ?

– Très bien ! affirmait William Hope… je sais que tout à l’heure le bourreau va venir précisément pour vous voir et calculer la longueur de la corde qu’il doit employer… Il est facile, en effet, de changer cette corde, d’en mettre une plus longue… malheureusement, comment empêcher, lorsque vous aurez ainsi une première fois échappé à la mort, mon cher Tom Bob, que vous ne soyez étranglé, après, lorsque le bourreau, même s’il ne s’aperçoit pas que vous êtes tombé sur le sol au lieu de rester suspendu dans le vide, tirera à nouveau sur sa corde et remontera votre corps pour le laisser pendu, une heure durant ?

– C’est, en effet, le plus difficile… non pas que la difficulté soit d’éviter la strangulation… cela c’est enfantin… Mais il faut qu’on ne s’aperçoive pas de la supercherie… en d’autres termes, là il faut une complicité…

– Hélas.

– Hope, coûte que coûte il faut que le policeman qui, pendant que je serai pendu, veillera mon corps jusqu’à ce que l’on vienne le décrocher, soit un complice… Hope ce sont les membres du conseil des Cinq qui sont chargés de désigner cet homme, il faut…

Le pasteur interrompit le condamné :

– Dieu soit loué ! dit-il, cet homme est déjà désigné, ce policeman a été choisi par Shepard, c’est un policeman qu’il connaît, il le gagnera… mais Tom Bob, comment faire pour que vous ne soyez pas étranglé ?

– Parce que, Hope, quand on viendra me chercher vous m’apporterez un mince tuyau de caoutchouc que j’avalerai, qui renforcera, si je peux m’exprimer ainsi, ma trachée-artère, qui empêchera celle-ci d’être comprimée par le nœud coulant, qui me permettra en somme de respirer… C’est un vieux truc, bien connu, Hope, il est certain, il est efficace et je vous le répète, il me sauvera, si…

– Si quoi ?

– Si, continuait Tom Bob le policeman qui veillera mon corps à ce moment, veut bien ne pas entendre ma respiration, probablement haletante…

Tom Bob allait encore parler, donner des détails et des explications peut-être nécessaires, lorsque la porte de sa cellule s’ouvrit : l’heure accordée à l’aumônier pour s’entretenir avec le condamné à mort était écoulée, le geôlier venait chercher le révérend…

C’est à peine si William Hope eut le temps de souffler à Tom Bob :

– Bien… bien… j’ai compris… Soyez sans crainte… il sera fait comme vous voulez, la corde sera truquée, je vous jure que l’on vous pendra avec elle… Nous vous sauverons…

Déjà le geôlier entrait…

Il convenait avant tout de ne point éveiller la défiance de cet homme…

William Hope n’eut garde de laisser voir son émotion.

Debout devant celui qui redevenait Garrick pour le gardien, William Hope leva une main dans la direction du ciel et l’air inspiré, la face grave :

– La miséricorde du Seigneur est infinie, dit-il, repentez-vous de vos fautes, et espérez, mon fils.

Donnant la réplique à merveille, Garrick répondit d’une voix grave :

– Oui, j’espère… j’espère la miséricorde du Seigneur…

Mais à ce moment il se produisit un incident surprenant.

Tandis que le révérend échangeait avec le condamné un ultime adieu, le geôlier qui s’était arrêté sur le seuil de la cellule s’effaça, se recula visiblement pour permettre à deux inconnus, qui se trouvaient dans le couloir communiquant au cachot, d’observer le condamné.

Tournant le dos à la porte, le révérend William Hope ne vit rien.

– Adieu, mon fils ! dit-il.

Et il s’éloigna…

Mais, hélas ! si William Hope n’avait pas vu, Garrick, lui, avait aperçu ces curieux…

Et, tandis que le geôlier, refermant la porte de la cellule, s’éloignait, Garrick-Tom Bob, comme une masse, s’écroulait sur son lit…

***

– Cette fois, je suis perdu !

… Il y avait bien deux heures que la visite de William Hope s’était terminée, et Garrick se relevait seulement du lit où il s’était laissé tomber, au moment où, par l’entrebâillement de la porte, il avait aperçu les deux inconnus qui le dévisageaient curieusement…

Il y avait deux heures de cela et, pourtant, Garrick-Tom Bob-Fantômas, cet homme qui avait donné tant de fois les preuves de son effarant sang-froid, de sa superbe maîtrise sur lui-même, tremblait encore, remué, ému autant qu’on peut l’être.

– C’est lui… c’est lui… répétait il, je l’ai reconnu ….

Qui avait-il donc reconnu ?…

Certes, des deux hommes que Garrick avait entrevus, l’un était au moins un sinistre personnage, le bourreau, le bourreau qui, comme l’avait annoncé William Hope, était venu dans la prison examiner l’homme qu’il devait exécuter le lendemain…

Mais son compagnon, un simple policeman, n’avait rien d’effarant.

Un policeman ? qu’était-ce qu’un policeman de si terrible ? William Hope n’avait-il pas dit que c’était précisément un ami de Shepard, qui aiderait le bourreau ? Ce devait être ce policeman…

Et le bourreau ? Sa seule vue devait-elle à ce point émouvoir Garrick, puisque Garrick, quelques instants avant, avait combiné tout un plan d’évasion ?

Le condamné pourtant ne se remettait pas de son émoi…

Il répétait, toujours presque machinalement :

– Je suis perdu… maintenant, je suis perdu…

Mais soudain, il se leva, il sauta d’un bond à la porte de sa cellule qu’il heurta violemment…

Un gardien accourait, le judas s’entrouvrait :

– Qu’y a-t-il ?

Garrick implora :

– Faites prévenir d’urgence le révérend William Hope que j’ai besoin de lui parler !

Le gardien secouait la tête :

– C’est impossible ! disait-il. Et d’ailleurs, vous venez de le voir ?…

Garrick insistait encore :

– J’ai une commission, une commission urgente à lui donner… ah ! par pitié ! on peut bien le prévenir ?… c’est ma dernière volonté… Je veux le voir, je veux le voir.

– Tant pis, dit le gardien, que vingt ans de métier avaient endurci.


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