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Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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27 – LES PETITS BÉNÉFICES DU BOURREAU

Dame Betty, ménagère diligente, mais perpétuellement grognon, s’était levée ce matin-là de moins bonne humeur que d’habitude.

Dame Betty était descendue en retard de quelques minutes sur l’horaire qu’elle s’était fixé depuis une dizaine d’années, et qui réglait minutieusement les opérations diverses qu’elle devait accomplir chaque jour, depuis la lecture de la Sainte Bible qu’elle faisait le matin, épouvantablement sévère derrière d’énormes lunettes rondes descendues sur son nez, jusqu’à la lecture du journal qu’elle entreprenait, le soir, après avoir mis ses papillotes… et qu’elle ne poursuivait jamais, le sommeil venant toujours l’interrompre.

Dame Betty, d’une main rageuse, décrocha les volets clôturant la boutique – bonbons et jouets – qui appartenait à son maître, le très honorable M. Joé Lamp.

Joé Lamp était exigeant. Il n’admettait point qu’on fût en retard, il ne tolérait pas que sa vieille servante fît manquer, par son peu de diligence, quelques heures de vente, quelques minutes même, et Dame Betty, qui partageait l’avarice de son maître, tenait à sa fortune comme elle eût tenu à la sienne propre, se gourmandait et tremblait dans l’attente des reproches de Joé Lamp…

– Monsieur a l’oreille si fine, pensait Betty, qu’à coup sûr, il va m’entendre enlever les volets. Il est huit heures cinq, il me grondera, il prétendra encore que j’ai manqué la pratique des garnements de Jackson Collège.

… À vrai dire, Dame Betty n’avait rien manqué du tout, les garnements dont elle parlait n’arrivant au collège voisin qu’à huit heures et demie. À vrai dire surtout, il n’était point nécessaire que Joé Lamp eût l’oreille fine pour entendre, du haut de sa chambre, Dame Betty décrocher les volets, car nerveuse, la vieille femme en se livrant à cette besogne ne manquait jamais de le faire avec une telle brutalité qu’elle causait un vacarme épouvantable.

Ce matin-là, comme les autres, le résultat d’une telle façon d’opérer ne se fit pas attendre :

– Betty.

La voix qui appelait était coléreuse, impérieuse et désagréable, une voix de tête qui disposait mal en faveur de l’interlocuteur.

Le personnage qui, d’ailleurs, continuait à appeler de plus en plus fort Betty, ne tarda pas à faire son apparition. C’était un petit homme, blond, pâle, mince, le teint jaune et les épaules voûtées qui, bien que de petite taille et possédant des jambes arquées, semblait toujours regarder ceux qui parlaient de haut en bas, comme les soupesant du regard et invariablement les estimant bien inférieurs, tant de valeur morale que de beauté physique, à lui-même.

Il s’appelait Joé Lamp, et c’était le patron de Dame Betty. Au surplus, il n’y avait pas à se tromper sur sa réelle qualité, à la façon dont il réprimandait, brutal et coléreux, sa fidèle femme de charge.

– Quoi ! criait-il, il est huit heures six et vous songez seulement, femme paresseuse que Dieu damnera, à servir la pratique… Dieux Gracieux ! Cela ne m’étonne point, maintenant, que les affaires soient de moins en moins bonnes. Parbleu, comme de mon temps, j’imagine, les bonbons et les jouets doivent séduire les enfants, et s’il s’en vend moins, c’est que les marchands de votre sorte suffiraient à mettre en fuite la clientèle. Vous imaginez-vous donc, Betty, qu’à Jackson Collège, les professeurs vont autoriser les élèves à sortir pendant les cours, pour vous acheter des sucreries ? Ne pouvez-vous faire l’effort nécessaire pour être prête à les recevoir lorsqu’ils se rendent à l’école ?

Dame Betty haussa les épaules et avec cette familiarité qui est l’apanage des vieux serviteurs, répondit :

– Vous avez tort, Joé Lamp, de vous mettre ainsi en colère… Je n’ai manqué aucun client et vous voilà tout congestionné.

– Ça ne vous regarde pas, Betty, allez plutôt vous occuper de vos caramels.

La vieille servante joignit les mains…

– Si c’est Dieu possible, dit-elle, mais, oui, vraiment, cela vous jouera un mauvais tour… Vous n’êtes pas de santé si solide… Et avec le métier que vous faites.

– Le métier que je fais ne vous regarde pas.

– Je m’en flatte, monsieur Joé…

– Et moi, Dame Betty, je vous ordonne de vous taire.

Le métier de Joé Lamp dont parlait, avec tant d’horreur, Dame Betty, était l’un des plus fréquents sujets de discussion entre la ménagère et son maître.

Joé Lamp n’était pas seulement marchand de bonbons et de jouets. De sa boutique il ne tirait que de maigres revenus, et pourtant, communément, dans tout Broadway on eût affirmé qu’il était riche, qu’il possédait de nombreux sacs de souverains, de nombreuses liasses de bons banknotes, encore quelques « Consolidés » qui ne devaient rien à personne…

Joé Lamp en effet, bien que petit, faible, coléreux et chétif, moralement et physiquement, exerçait depuis trois ans, une profession…

Lui qu’on voyait paisiblement débiter aux enfants de l’école des polichinelles de six pence, des caramels ou des bonbons à la menthe, revêtait à certains matins un veston noir de mauvaise coupe, mais d’allure officielle. Ces matins-là, Dame Betty se signait à tout bout de champ. Elle invoquait l’autorité des pasteurs pour se garantir des revenants, auxquels elle croyait avec plus de sincérité qu’elle ne croyait à Dieu : elle était bouleversée, elle ne pouvait tirer de sa pensée l’image de son maître, filant le long des rues vers le lointain quartier de la prison de Pentonville, de cette prison où il se rendait alors pour exercer son terrible office de bourreau.

Alors qu’en France M. de Paris est un objet d’effroi, un personnage mystérieux, horrifiant, le bourreau jouit en Angleterre de l’estime et de la considération publique. Il passe, en général, pour un fonctionnaire des plus ordinaires, faisant un métier d’importance quelconque, le faisant bien ou mal, et méritant seulement pour cela la considération ou la réprobation publique.

Or la malchance, le destin avait voulu que précisément à l’égard de la profession du bourreau, Dame Betty n’eut en rien les sentiments ordinaires. Tout le monde considérait Joé Lamp, tout le monde le félicitait d’avoir su devenir l’exécuteur des hautes œuvres, seule Dame Betty marquait à chaque occasion possible l’horreur que lui inspirait ces fonctions.

Or, depuis quelques jours, Dame Betty, plus que jamais, se montrait irritable. Dame Betty, déjà, tremblait, en songeant qu’à coup sûr, d’un matin à l’autre, elle allait encore voir son maître revêtir le sinistre veston noir et s’en aller à Pentonville nouer autour du cou du condamné la corde fatale qui devait le faire passer de vie à trépas…

Joé Lamp pourtant n’était pas homme à se laisser intimider.

– Allons, allons, dit-il, je n’ai que faire de vos stupides réflexions. Occupez-vous donc, ma chère, encore une fois, je vous l’ordonne, de votre commerce.

La vieille servante qui se permettait ainsi de discuter les opinions de son maître regagna la boutique, suivie de Joé Lamp.

Visiblement, d’ailleurs, ce dernier était préoccupé. Tandis que la vieille bonne, enfin obéissante, disposait à l’étalage le caramel qui devait servir, plus que tout autre friandise à attirer les disciples de Jackson Collège, Joé Lamp, tête basse, se promenait de long en large dans la boutique.

Il grommela bientôt quelque chose d’à peu près inintelligible, puis il appela encore :

– Betty ?

– Monsieur.

– Pourquoi êtes-vous si sottement peureuse, et si sottement stupide ? Pourquoi me reprochez-vous toujours d’avoir accepté d’être bourreau ? Savez-vous que cette charge me rapporte gros, et que j’ai précisément l’intention d’augmenter vos gages, d’ici quelque temps, de deux shillings par mois ?

La proposition était si extraordinaire que Dame Betty, de saisissement, abandonnait sa tâche et, les poings sur les hanches, considérait son maître.

– M’augmenter ? dit-elle. Seigneur Dieu, ce serait il possible ?… Voici quinze ans que je suis à votre service et jamais vous n’aviez parlé de pareille chose.

Puis, subitement soupçonneuse, Dame Betty reprit :

– Mais vous savez bien, monsieur Joé, que je ne veux pas de cet argent-là ?

– De quel argent, Dame Betty ?

– De l’argent que vous gagnez à faire sonner la cloche à Pentonville.

Joé Lamp tapa du pied :

– Hé ! qui vous parle de cela, vieille folle ? Ce que je gagne avec ma corde est pour moi et non pour vous, j’en ai la peine, je dois en avoir le profit. Mais, continua-t-il d’un ton plus doux, il y a, vous ne l’ignorez pas, des cas où je puis avoir un petit bénéfice, pour des services exceptionnels, par exemple. Et comme alors je pourrais avoir besoin de vous…

– Besoin de moi ? des petits bénéfices ? Monsieur Joé Lamp, que voulez-vous dire ?

Le bourreau haussa les épaules, marmotta encore quelques paroles incompréhensibles, puis, soudain :

– Betty, vous me donnerez un grand drap, un drap sans broderie…

– Et pourquoi faire, monsieur Joé Lamp ?

– Femme curieuse, ceci ne vous regarde pas… Pour emporter…

– Emporter où, monsieur Joé ?

Le malheureux Joé Lamp connaissait trop son irascible servante pour douter qu’il pût jamais fouiller dans le lourd bahut de chêne où celle-ci enfermait son trésor de linge, auquel elle tenait par-dessus tout, sans lui donner au moins quelques explications. Mais ces explications étaient périlleuses, et Joé Lamp resta quelques secondes n’osant s’expliquer.

– C’est… déclara-t-il enfin, c’est, Betty, un drap que je désire emporter à Pentonville…

– À Pentonville ! Et pourquoi faire ?

Joé Lamp ne pouvait plus reculer.

Dès qu’il avait nommé la prison, Dame Betty était devenue blême et s’était mise à parler d’un ton agressif. Certes, elle n’eût jamais donné, sans difficultés, un des draps dont elle avait la garde. Mais il lui semblait de plus en plus inadmissible qu’elle le donnât pour l’emporter à cet affreux endroit.

Aussi Joé Lamp perdait-il de plus en plus la tête, en voyant la colère empourprer, petit à petit, le visage de Dame Betty, lorsqu’un secours inespéré lui vint.

Dans la boutique de bonbons pénétrait un petit vieillard d’aspect peu engageant, de mine sordide, le visage hirsute :

C’était un homme, à en juger d’après les apparences, d’une soixantaine d’années et dont la profession, eût-on cru à première vue, était de ramasser les bouts de cigares ou encore de tondre les chiens. Mais les apparences étaient trompeuses, car à peine l’inconnu avait-il pénétré dans la boutique qu’il répondait à Dame Betty, s’avançant au-devant de lui pour lui offrir un des articles de son commerce :

– Je ne veux rien vous acheter, madame. Je suis le docteur Silver Smith, de l’Académie Royale, et je viens parler à M. Joé Lamp, le bourreau, je crois ?

Silver Smith tombait mal…

Dame Betty, à sa demande, roula des yeux effarés, donnait de violents signes d’effroi :

– Le bourreau ?… M. Joé Lamp ?… Ah ! bien alors, je vous laisse. Causez-lui tout votre saoul. C’est lui, le voilà.

Et, très peu protocolaire, Dame Betty désigna Joé Lamp au visiteur.

La vieille bonne estimait, pourtant, qu’elle avait ainsi fait tout le nécessaire, car elle pirouetta alors sur ses talons et s’empressa de disparaître.

Il fallait bien que ce fût Joé Lamp qui s’avançât :

– Monsieur le professeur, commença-t-il, en quoi puis-je avoir l’honneur ?…

– Vous êtes bien le bourreau ?

– Oui, monsieur le professeur…

– C’est bien vous qui devez, demain, pendre Garrick ?

– Oui, monsieur le professeur…

– Eh bien, monsieur le bourreau, si je suis en ce moment dans votre boutique, c’est tout bonnement pour vous acheter le cadavre de ce misérable, et m’entendre avec vous pour que vous me le livriez d’urgence, le plus rapidement possible, après l’exécution…

Mais tandis que le Professeur parlait, la figure de Joé Lamp blêmit, exprima une agitation extrême :

– C’est que… commençait-il, monsieur le professeur, je ne sais, en vérité… Pour tout dire… Figurez-vous que…

– Qu’est-ce qu’il y a donc ? interrompait le médecin… Ma demande n’a rien d’extraordinaire, je pense ?

– Non, bien sûr… mais…

– Mais quoi ?…

– Mais j’ai déjà vendu le cadavre…

Un étranger eût, certes, été surpris de la discussion qui s’engageait ainsi entre l’exécuteur des hautes œuvres de la Justice anglaise, et le professeur de l’Académie Royale. Cette discussion n’avait pourtant rien de surprenant. Ainsi que l’avait annoncé quelques instants auparavant à Dame Betty le shérif Joé Lamp, il est d’usage, en Angleterre, de laisser au bourreau quelques bénéfices qui lui permettent d’augmenter son salaire assez modique. C’est ainsi qu’il devient, après l’exécution, directement propriétaire des objets ayant été conservés par les condamnés dans leur cellule, ainsi encore qu’il peut disposer de leur corps, qu’il revend souvent aux familles, et parfois encore à certains médecins désireux de se livrer à des expériences scientifiques sur le cadavre des suppliciés.

Plus sévère que la loi française, peut-être moins inspirée des intérêts sacrés de la Science, la loi anglaise interdit, en effet, de façon générale, la dissection du corps humain. C’est ainsi que le titre et le diplôme du docteur en médecine peuvent fort bien, en Angleterre, s’obtenir sans que jamais les candidats aient eu l’occasion de se livrer à des travaux d’anatomie pratique.

Une seule exception existe à l’interdiction des dissections, la loi autorise expressément l’étude des cadavres de suppliciés. Et cette tolérance est, on le conçoit, largement exploitée par les médecins et les savants d’outre-Manche, qui, continuellement gênés dans leurs recherches par le rigorisme des lois, ne manquent pas d’acheter, souvent fort cher, le corps des misérables qu’on leur livre.

Malheureusement, Joé Lamp, ainsi qu’il était en train de le dire au professeur Silver Smith, avait déjà pris des engagements au sujet du corps de Garrick.

– J’ai vendu ce cadavre, répéta-t-il, monsieur le professeur, j’ai déjà promis de le livrer.

– C’est vrai ? demanda-t-il, à qui l’avez-vous vendu ?

– Si vrai, monsieur le professeur, affirmait Joé Lamp, qu’au moment même où vous êtes arrivé, j’étais en train de demander à ma vieille bonne un grand drap pour ensevelir le corps et en effectuer la livraison…

– Et vous avez déjà été payé ?

– Non, monsieur le professeur, mais…

– Eh bien, alors, rien n’est perdu…

– Comment, rien n’est perdu ?…

– Mais oui. Un contrat n’est valable, mon ami, que du moment où des arrhes ont été données. De quel prix étiez-vous convenu ? Je le double.

Joé Lamp hésita visiblement.

Il ne mentait pas en affirmant qu’il avait déjà vendu le cadavre de Garrick… Mais, après tout, le professeur avait raison : il n’avait fait que donner une acceptation de principe, il était encore libre, peut-être, de changer d’avis.

Timidement, Joé Lamp proposa :

– Dix livres sterling, monsieur le professeur, ce serait trop ?

Silver Smith ne sourcilla même pas, bien que la somme fût exagérée en effet.

– Je vous donnerai, dit-il, dix livres maintenant si vous acceptez, et dix livres de plus lorsque vous m’aurez apporté le condamné. Toutefois, comme il s’agit d’expériences excessivement importantes, j’entends être certain que vous ne me tromperez pas, et que vous exécuterez votre promesse, monsieur Lamp. C’est pourquoi, si nous tombons d’accord, je vais vous demander une promesse écrite. Cela vous va-t-il ?

– Monsieur le professeur, je ne peux pas refuser une offre aussi intéressante… Où devrai-je livrer le cadavre ?…

– D’abord, dit le professeur, mettez votre signature là. Bien, merci… Voici les dix livres promises… Maintenant, lisez cette autre note que voici, et qui vous donnera tous les renseignements nécessaires, pour que vous m’apportiez rapidement d’abord, et ensuite de la façon dont je l’entends, le cadavre que je viens de vous acheter. Vous comprenez, monsieur le bourreau ?

Joé Lamp, d’un coup d’œil, avait pris connaissance des instructions qu’on lui tendait.

– Je comprends…

Et, soudain, ravi du marché qu’il venait de conclure, Joé Lamp promit :

– Monsieur le professeur, vous pouvez être assuré que, quoi qu’il arrive, vous disséquerez le corps de Garrick, moins d’une heure après qu’on l’aura dépendu, exactement ainsi que vous me le demandez…

– Bien, bien mon ami, dit-il, j’ai confiance en vous puisque, vous le voyez, je paye d’avance, et maintenant je me hâte de rentrer chez moi, car il faut que j’installe mon laboratoire…

Quel eût été l’effroi du malheureux Garrick qui, ce matin-là, réfléchissait mornement dans sa cellule, s’il avait su qu’il existait d’aussi nombreux amateurs pour se disputer son corps, alors même qu’il était encore en vie…

28 – L’EXÉCUTION

De toutes les prisons anglaises, la maison d’arrêt de Pentonville, située au nord de Londres, est, sans contredit, la plus importante, et aussi la mieux organisée. Lors de sa construction, vers 1830, on la considérait comme étant le type accompli de la prison modèle. Elle se composait alors d’une demi-douzaine de corps de bâtiment comportant chacun quatre étages, ayant chacun un nombre équivalent de cellules, toutes construites sur les mêmes principes d’architecture et d’hygiène.

Depuis lors, les locaux pour contenir les prisonniers ont été de beaucoup augmentés. Toutefois, les cachots n’ont pas acquis une dimension plus considérable, tous sont construits en effet sur le même modèle : petites salles carrées ayant treize pieds de large et neuf de haut.

C’est à Pentonville que le législateur anglais a pour la première fois, dès sa mise en vigueur, appliqué le principe de l’isolement, principe généralisé depuis dans la plupart des prisons du monde entier. C’est pour cela qu’on trouve, à Pentonville, d’immenses préaux, de larges cours où se promènent les détenus, mais auxquels ils accèdent de leurs cellules respectives par de longs couloirs étroits, à seule fin de ne pas voir leurs compagnons et de n’être pas vus d’eux.

À l’extrémité du bâtiment se trouvent un certain nombre de cellules, exactement semblables aux autres, mais réservées à une catégorie de prisonniers d’une qualité particulière.

C’est en effet la partie de la prison réservée aux condamnés à mort.

Elle est toute proche du petit pavillon dans lequel s’effectuent les exécutions, pavillon que sépare de l’immeuble même de la prison une courette intérieure semée de gazon, riante pelouse qui recouvre les cercueils des condamnés qui ont subi la peine capitale et dont les corps n’ont été réclamés ni par la famille ni par la Faculté.

***

Cette nuit-là, comme les autres d’ailleurs, un silence absolu régnait à Pentonville et, dans les corridors déserts, seul le bruit du pas des gardiens effectuant leur ronde résonnait avec un bruit sourd.

La grande prison dormait, elle ne devait s’éveiller qu’à six heures, aux sons de la cloche, et pourtant, ce ne serait pas une journée comme les autres dont elle sonnerait l’avènement.

La nuit qui s’achevait allait en effet se terminer par un drame bref, rapide, mais dont l’horreur n’en serait pas moins grande pour cela : l’exécution du condamné Garrick.

Un événement de ce genre ne se produit pas sans être entouré d’un certain nombre de formalités. Il faut, pour mettre à mort un homme, remplir toute une série d’obligations, se conformer à un protocole qui n’est pas sans déterminer des frissons d’angoisse et d’épouvante chez ceux qui se trouvent devoir être, par leurs fonctions, intéressés à un titre quelconque à cette lugubre cérémonie.

Dans un couloir, à quelques pas de la cellule occupée par Garrick, deux gardiens causaient :

– Quelle heure est-il, Edward ?

L’interpellé regarda sa montre à la faible lueur d’une ampoule électrique.

– Quatre heures dix, murmura-t-il, nous n’en avons plus que pour quarante minutes.

Le premier des gardiens reprit :

– Avez-vous déjà vu une exécution, Edward ?

– Pas encore, Jacob, je suis à la prison depuis deux ans, mais je n’étais pas affecté aux condamnés à mort.

– Moi, j’ai déjà vu cela lorsque j’étais à Manchester.

– Est-ce horrible, interrogea Edward, dont les joues blêmissaient ?

– Cela dépend du condamné… il en est qui vont à la mort avec courage, d’autres qui s’évanouissent dès leur réveil, d’autres enfin qui se débattent, qui hurlent…

– Quelle sera l’attitude de Garrick ?

Son compagnon ne lui répondit pas.

Il alla sur la pointe des pieds, jusqu’à l’extrémité du couloir opposé à la cellule de Garrick :

– Qui va là ? fit-il d’une voix inquiète…

– Moi… répliqua quelqu’un sur un ton étouffé…

Jacob ne voyant pas son interlocuteur, insista :

– Moi… ça n’est pas un nom… comment vous appelez-vous ?

Le nouvel arrivant se fit connaître :

– Je vous dis que c’est moi… moi, Robert…

– Parbleu, fit Edward, d’un air qu’il s’efforçait de rendre enjoué, c’est le sacristain de la chapelle… Que vous faut-il, mon ami ?

Le gros homme, au teint terreux, à la face boursouflée, s’expliqua enfin :

– Je suis monté jusqu’ici, messieurs, mais je n’en avais pas la moindre envie, je vous assure, car je ne tiens pas à « le » voir, j’ai même très peur de « le » voir… Mais je ne peux pas retrouver mes allumettes, je suis venu vous en demander…

– Des allumettes ?

– C’est pour les cierges de la chapelle, des fois que le… le condamné voudrait entendre le service divin…

Jacob prit dans sa poche un briquet qu’il tendit au sacristain :

– Tenez, mon ami, fit-il, voilà votre affaire et… à tout à l’heure…

Le sacristain se retira en hâte :

– Oh, à tout à l’heure… à tout à l’heure, ça n’est pas certain, d’abord, peut-être Garrick ne voudra-t-il pas entendre l’office, et ensuite… comme je ne suis pas obligé d’y assister…

– Il n’en mène pas large, le pauvre, dit Edward, sûrement cette affaire va l’empêcher de dormir pendant plusieurs nuits.

– Bah, conclut Jacob, on oublie tout avec le temps, et puis il faut bien s’y faire, dans nos métiers, ce sont là de mauvais moments qu’on est obligé de passer…

Mais soudain Jacob revint à des idées plus précises :

– Il va être temps, fit-il, que nous descendions au greffe, pour recevoir Sir Ellis, le shérif, qui doit assister à l’exécution.

***

Garrick avait entendu les bruits du couloir du fond de sa cellule.

Le condamné n’avait pas dormi.

La première partie de sa nuit, il l’avait passée en proie à une agitation extrême, à une émotion fébrile.

Par le guichet, les gardiens de service qui l’avaient observé, l’avaient vu aller et venir dans l’étroite cellule, marchant nerveusement, se heurtant aux parois de l’étroite pièce comme un fauve en cage, et ils l’avaient observé minutieusement, redoutant que le prisonnier ne se livrât à quelque extrémité fâcheuse…

Puis, peu à peu ses nerfs avaient semblé se détendre, le calme avait réapparu sur son visage contracté, sa physionomie avait repris son apparence autoritaire et intelligente, qui faisait que dès que l’on considérait cet homme, on se sentait attiré vers lui, par une instinctive sympathie, subjugué même par son air de supériorité.

Le prisonnier, vers trois heures, avait installé son hamac. Il s’était étendu dessus, avait pris quelque repos, mais il n’avait pas dormi…

Une heure après, il se leva, rangea machinalement sa modeste literie, conformément aux règlements de la prison. Puis le plus calmement du monde, il se livra à une toilette sommaire.

Garrick, évidemment, voulait mourir en beauté, il avait réagi. Cet homme s’était-il résigné ? avait-il, après la période d’accablement, senti renaître en son cœur un nouvel espoir d’échapper au châtiment suprême ? En réalité, deux choses préoccupaient par-dessus tout le sinistre forban : la première, c’était qu’il n’avait aucune nouvelle de lady Beltham. Juve ne l’avait-il pas jointe ? Avait-elle refusé de venir ? Ces hypothèses apparaissaient invraisemblables à Fantômas, car rien n’était plus facile à Juve que de rencontrer lady Beltham, depuis les révélations de Beaumôme, et Fantômas ne pouvait admettre que lady Beltham lui gardât rancune de ses passagères amours avec Françoise Lemercier jusqu’à le laisser mourir.

Fantômas, en effet, ignorait que depuis la veille, les détectives, ses amis, avaient fait rigoureusement interdire à quiconque l’approche de sa cellule, et cela pour préparer plus sûrement le sauvetage de celui qu’ils prenaient plus que jamais pour Tom Bob, pour leur collègue, pour un homme innocent et pour un honnête homme.

La deuxième crainte de Fantômas était la suivante :

Juve l’avait-il trahi ?

Juve voulait-il désormais sa mort ?

Juve avait-il dévoilé et prouvé que Garrick, que Tom Bob, c’était Fantômas ?

« Jeu dangereux, pensait ce dernier, car si Juve a procédé ainsi, c’est qu’il renonce à tout espoir de jamais retrouver Fandor… or, je ne puis admettre qu’il se soit résigné à cette alternative, surtout vu son attitude jusqu’à présent… Non, ce n’est pas possible… Et cependant… Fantômas s’affolait…

Avait-il peur de la mort ? Non ! Mais il ne voulait pas mourir encore. Il ne le « fallait » pas. Il ne le « pouvait » pas… Quelque chose de puissant, d’énorme, de formidable l’obligeait à vivre… Ah, ce secret qui était tout le mystère de Fantômas, toute l’explication… et peut-être l’excuse de sa monstrueuse conduite, de sa criminelle existence…

Fantômas reprenait courage…

***

À la pâle lueur qui perçait à travers les vitres dépolies de sa cellule, le prisonnier solitaire, abandonné à ses réflexions, se rendit compte que l’heure décisive approchait.

Une heure allait encore passer, une heure, ni plus ni moins longue que les autres heures.

Lorsque cette heure serait écoulée, le corps vivant, sain, robuste de Fantômas ne serait plus qu’un cadavre… ou alors…

Un bruit de clefs grinçant dans la serrure fit tressaillir le condamné.

La porte de la cellule s’ouvrit. Deux hommes parurent, Fantômas connaissait l’un d’eux. Il le salua d’un sourire énigmatique. C’était son collègue, le révérend William Hope, qui allait l’assister jusqu’à l’instant suprême…

L’autre personnage, qui apparaissait blafard, l’œil hésitant, sous le regard perçant du condamné, se présenta lui-même :

Il annonça, d’une voix mal assurée, demeurant à l’entrée de la cellule, n’osant pas y pénétrer :

– Par ordonnance du roi… je suis le shérif de Londres… chargé d’assister, Garrick, à votre exécution… je souhaite que Dieu vous aide à supporter…

Le shérif n’en pouvait dire plus, le reste de son discours se perdit dans les balbutiements.

Ce fut Fantômas qui vint au secours de l’officier gouvernemental.

– Monsieur le shérif, déclara-t-il, je vous remercie des paroles que vous venez de prononcer, je m’efforcerai d’avoir du courage…

Il poursuivit, s’adressant à William Hope :

– Mon cher Révérend, priez donc, monsieur le shérif de s’asseoir sur cet escabeau, je crains qu’il ne se trouve mal…

Le shérif défaillait, en effet : c’était un homme tout jeune, trente ans à peine, et sincèrement ému. L’attitude ferme de Garrick ajoutait encore à son émoi, si c’était possible.

Il y eu un silence.

– C’est la première fois, sans doute, monsieur le shérif, demanda le condamné, que vous allez assister à une exécution capitale ?

Inintelligiblement, le shérif répondit « Oui » à la question de Tom Bob…

Le condamné à mort continua :

– Il ne faut pas vous en émouvoir outre mesure, les hasards de l’existence m’en ont fait voir quelques-unes… ce n’est pas très dramatique…

Il poursuivait, s’animant :

– Dans les autres pays, l’exécution des sentences capitales s’entoure assurément d’accessoires plus terrifiants qu’ici : la hache en Allemagne, la guillotine en France, le garrot en Espagne, déterminent de l’effroi et de l’horreur, non seulement par la brutalité de l’acte qui est commis, mais eu égard encore à la publicité malsaine que l’on donne à ces sinistres cérémonies… Chez nous, monsieur le shérif, les choses se passent dans l’intimité, on reste entre soi. La foule avide de ces émotions malsaines ne voit rien du tout, elle est contrainte d’attendre, devant un mur de la prison, et de se dire que derrière ce mur, il se passe quelque chose… On annonçait, jadis, l’exécution du condamné en hissant un drapeau noir au-dessus de l’immeuble dans lequel venait de s’accomplir le supplice. Je crois que désormais on se contente de sonner la cloche.

Le shérif tressaillit. Cinq heures moins le quart venaient de sonner à l’horloge lointaine de la prison, avec un son de glas.

– C’est funèbre, n’est-ce pas, dit Tom Bob.

Il ajoutait en soupirant :

– Quel horrible prologue à la pendaison…

Malgré toute sa volonté, Fantômas blêmit une seconde, son regard devint farouche, ses poings se crispèrent.

Instinctivement il observait autour de lui, comme s’il eût cherché une issue pour s’échapper, mais il n’y avait rien à faire, la lourde porte de la cellule s’était refermée sur ses deux visiteurs, les murs étaient impénétrables.

Tom Bob considéra fixement William Hope qui, depuis quelques instants, lui faisait signe qu’il voulait lui passer quelque chose…

Toutefois le shérif les regardait tous deux :

Certes, il avait l’air hébété, stupide, presque incapable de raisonner, mais néanmoins cet homme pouvait voir, il ne fallait encore rien tenter…

Tom Bob se ressaisit :

– La pendaison ? déclara-t-il… Ce n’est pas le vrai mot qu’il faudrait employer, car on ne pend plus de nos jours les condamnés à mort. Grâce aux dispositifs qui font que le plancher soudain s’effondre sur le poids du corps, c’est la rupture de la colonne vertébrale qui détermine le décès… décès subit, dit-on, décès absolu, affirment les spécialistes…

– Parfois, dit le shérif, dont la pensée chavirait… On n’en meurt pas toujours…

Fantômas le considérait d’un regard étonné :

– Croyez-vous, monsieur le shérif, fit-il avec une nuance de scepticisme… les exemples alors en ce cas sont bien rares… On raconte qu’autrefois des pendus se sont ranimés, je sais bien qu’on tente chaque fois, – pour être sûr de ne pas les enterrer vivants, – certaines formalités médicales…

Du ton d’un professeur qui fait un cours, l’extraordinaire condamné continuait… Désormais, c’était à William Hope qu’il semblait s’adresser, parlant à mi-voix, par mots brefs, saccadés, comme s’il espérait que le shérif n’entendrait pas ou tout au moins comprendrait mal.

– Il faut, disait-il, dans ces cas-là, des frictions et des révulsifs violents, telles que des applications d’eau chaude sur la surface du corps et aux jambes. On prétend qu’une saignée du pied ou de la veine jugulaire sont des moyens qui peuvent être efficaces, on doit pratiquer également la respiration artificielle…


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