Текст книги "Le pendu de Londres (Лондонская виселица)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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21 – L’OUVERTURE AU ROI
C’était le lendemain matin, dix heures sonnaient…
– Garrick, annonça le gardien, en ouvrant la porte de la cellule dans laquelle vivait Fantômas depuis de longues semaines déjà, Garrick, je vous amène un compagnon pour vous distraire…
Fantômas eut un sursaut. Derrière le gardien apparaissait la silhouette robuste et majestueuse d’un policeman…
Le gardien poursuivit :
– Un compagnon pour vous distraire, Garrick, l’autorité supérieure vient d’ordonner qu’il passera plusieurs heures avec vous. Vous êtes autorisé à jouer aux cartes, le policeman est d’ailleurs grand amateur…
Fantômas ne bronchait toujours pas.
Le policeman pendant le discours du gardien s’était lentement introduit dans la cellule. Le petit jour qui perçait à travers le vitrail dépoli, l’éclairait en plein visage.
– Salut, murmura Garrick d’une voix qu’il s’efforçait de rendre forte, afin de dissimuler son émotion…
– Salut, répondit le policeman…
Le gardien cependant avait fait mine de sortir :
– Je n’ai plus qu’à vous laisser, déclara-t-il…
Puis il ajouta :
– Ah ! j’allais oublier le plus important… le jeu de cartes… excusez-moi je reviens dans une seconde…
Le brave homme sortit.
Le condamné et le policeman demeuraient en présence immobiles, debout, l’un devant l’autre, se mesurant du regard.
Fantômas rompit l’entretien :
– Je suis Garrick, déclara-t-il, et vous policeman, quel est votre nom ?
Un léger sourire erra sur les lèvres du nouveau venu :
– Mon nom, articula-t-il lentement est inscrit sur le col de mon vêtement, je suis le policeman 416…
Au tour de Fantômas de sourire. Mais soudain, il rendit à sa physionomie son air d’impassibilité hautaine :
Le gardien rentra dans la cellule, il apporta un jeu de cartes, puis il se retira :
De nouveau, les deux hommes étaient seuls.
Quelques instants ils se regardèrent encore en silence : ils étaient l’un et l’autre affreusement pâles. Garrick cependant, surmontant son émotion, se disposait à faire les honneurs de sa cellule.
Avant de s’installer sur le bord de son hamac, il plaça l’escabeau, le montra au policeman.
– Asseyez-vous, dit-il, je vous en prie…
Sans mot dire le 416, posa à terre son casque en cuir bouilli, lâcha un cran de son ceinturon, et accepta l’offre du prisonnier…
Fantômas reprit :
– Nous n’avons rien à nous dire, n’est-ce pas ? Par conséquent, jouons…
D’une main qui ne tremblait pas, il étala le jeu de cartes devant son partenaire. Les deux hommes en silence coupèrent pour savoir qui donnerait.
Le sort désigna le policeman.
D’une main qui ne tremblait pas non plus, celui-ci distribua les cartes. Il retourna le roi.
Garrick ne put s’empêcher de pousser une exclamation de surprise :
– Mes compliments fit-il, vous avez de la chance, le roi et le roi de pique… mes compliments vous dis-je…
Le policeman considéra son jeu sans rien dire.
C’était à Garrick de commencer.
À ses attaques, le « 416 » répondit en faisant les deux levées avec la dame et le valet d’atout.
Garrick, hochant la tête, grommelait de brefs monosyllabes :
– Bon… bien, pas mal… vous allez peut-être faire le point… vous avez sans doute encore beaucoup d’atouts, policeman ?…
Mais à l’invite du « 416 » qui jetait une dame de cœur, le prisonnier répondait en prenant avec le huit de pique, puis, coup sur coup, possédant encore le neuf d’atout et le dix, il s’assura les deux dernières levées.
Cela lui en faisait trois en tout.
Si le policeman marquait un point pour avoir retourné le roi, le condamné en marquait un autre pour avoir gagné la première manche.
– Nous sommes quittes, s’écria Fantômas…
– Nous ne faisons que commencer, la lutte s’engage, il est difficile de prévoir quelle en sera l’issue…
Le policeman, toutefois s’arrêtait de mêler les cartes. Qu’allait donner son adversaire ?…
Celui-ci d’un rapide coup d’œil venait de s’assurer par le judas ménagé dans la porte de la cellule que le gardien s’était éloigné :
Fantômas revint vers son partenaire :
– Laissons cela, Juve, dit-il, en repoussant les cartes d’un geste brusque…
Le policeman ne cilla pas, il se contenta de prononcer un nom :
– Fantômas !
– Appelez-moi Garrick, dit l’autre, c’est mon droit, en Angleterre. D’ailleurs, ici tout le monde me connaît sous ce nom, il est inutile de m’en donner un autre…
Les yeux de Juve flambèrent, puis s’éteignirent.
– Soit, dit-il, continuons…
Mais Fantômas s’efforçait d’être aimable :
– Juve, déclara-t-il, tous mes compliments. Ce n’est pas mal travaillé du tout. Votre visite m’enchante. Et encore une fois, mes compliments…
Juve, que ce persiflage exaspérait, ne pouvait plus tenir, il éclata :
– Que voulez-vous que je fasse de vos compliments ? Je ne sais qu’une chose, c’est que je vous tiens, et que vous ne m’échapperez pas.
D’un regard mauvais, Fantômas considéra l’inspecteur de la Sûreté.
Y avait-il, chez cet homme, du remords ou de la crainte ? Juve lui faisait-il peur ? ou Fantômas méditait-il encore quelque atroce machination pour s’échapper des mains de son redoutable adversaire ? Hélas ! toute tentative brutale devait être irréalisable, Juve, évidemment, se tenait sur ses gardes, et Garrick, condamné notable, personnage important, était bien trop surveillé, épié dans la prison, et en évidence pour qu’il pût songer un instant à s’en évader par un coup de force.
Il l’avait reconnu lui-même, la veille, en causant avec William Hope, les prisons anglaises sont de véritables tombeaux. Il est impossible de s’en échapper… De plus, Fantômas était perplexe. Que venait faire Juve ? Par suite de quelles hautes influences ou par suite de quelle adroite combinaison, avait-il pu pénétrer jusqu’à la cellule de son ennemi irréductible ?
Était-il là en vertu d’un mandat ou par subterfuge ? Voilà ce que Fantômas aurait voulu savoir, et voilà ce que Juve ne lui dirait certainement pas.
Le bandit, sentant les chances inégales, se rendait compte qu’il fallait jouer de finesse, et, pour une fois, faire patte de velours.
– Je ne vous échapperai pas, répéta-t-il, c’est vrai, Juve, je suis à votre merci… Garrick est prisonnier, Garrick est en cellule et le policeman chargé de le surveiller, le policeman 416, n’est autre que l’inspecteur de la Sûreté française, le célèbre Juve, l’adversaire de Fantômas. Qui croirait ça ?
– En effet.
Mais Fantômas poursuivait :
– Il est curieux, n’est-il pas vrai, qu’un homme « comme vous », lorsqu’il se trouve en présence d’un homme « comme moi » en soit réduit à lui proposer une partie de cartes. Avec pour enjeu… mon Dieu, des haricots, sans doute.
Juve ne répondit pas.
« Certes, nous préférerions l’un et l’autre, nous rencontrer face à face les armes à la main…, car vous devez rêver, Juve, d’assouvir une terrible vengeance ?
– Je n’ai pas de vengeance à assouvir. J’ai des devoirs à remplir, j’ai à faire triompher la justice, le bon droit, la vérité. Je m’y emploierai par tous les moyens.
– J’en suis convaincu, interrompit Fantômas, je sais d’ailleurs qu’il vous est formellement interdit de toucher un seul des cheveux de ma tête. Je suis prisonnier, vous êtes mon gardien, vous êtes responsable de ma personne…, vous l’oubliez, Juve ?…
– Je ne l’oublie pas…
– Il est d’usage que les gardiens ou les agents auxquels on confie l’honneur et la charge de distraire les condamnés à mort, jusqu’à l’heure suprême de leur exécution, se fassent un peu les camarades… je n’ose pas dire les amis… de ceux dont ils égaient les derniers moments… Voulez-vous que nous vivions en bonne intelligence ?
Ah ! ce Fantômas ! il était extraordinaire.
– Soit, dit Juve… Jouons donc cartes sur table… le policeman 416, c’est moi, Juve… le condamné Garrick, c’est Fantômas… nous sommes bien d’accord ?
– Hélas ! Juve,. murmura-t-il, voilà que vous insistez encore… vous savez bien qu’il est impossible que le docteur Garrick, ici présent, que Garrick, incarné par moi, soit Fantômas. Je vous en prie, Juve, ne soyez pas entêté… qu’est-ce que Fantômas ? un être multiple composé de personnalités diverses… un être sans personnalité précise, sans caractère déterminé ?… Qui nous prouve que le Fantômas d’hier sera le même que le Fantômas de demain ? et que le Fantômas d’aujourd’hui n’est pas un autre Fantômas ?… Ce sont là des choses mystérieuses qui rendent toute précision impossible.
Furieux de voir que Fantômas le traitait comme un gamin, Juve donna un grand coup de poing sur la table…
– Suffit, s’écria-t-il, je sais mieux que personne quelle est l’habileté de Fantômas à travestir son corps comme il déguise sa pensée. Je sais que, merveilleux acteur, il excelle à affecter la silhouette des êtres les plus différents et, que de cette faculté extraordinaire, il en a merveilleusement tiré parti dans maintes circonstances… Mais il est une chose que Fantômas ne saurait modifier, qui fera que toujours je le reconnaîtrai, c’est son regard, ce sont ses yeux… je les reconnaîtrais entre mille… et c’est pourquoi je ne crois pas en Garrick, pas plus que je n’ai cru à tant d’autres personnages, sitôt que je me suis rendu compte que ces autres personnages – comme d’ailleurs Garrick – avaient le regard de Fantômas…
Machinalement le bandit baissa les yeux.
– Juve, supplia-t-il, laissez mon regard… ne vous en préoccupez pas et tenez… écoutez plutôt ceci : Deux versions opposées se sont accréditées à mon sujet depuis que je végète dans cette prison, et que j’y végète innocent… La première, celle de la magistrature et du public, à savoir que le personnage enfermé dans cette cellule est purement et simplement le docteur Garrick, coupable d’avoir assassiné sa femme pour s’enfuir avec sa maîtresse, Françoise Lemercier… L’autre opinion, celle de la police, des détectives, membres du Conseil des Cinq, la voici : le docteur Garrick est le détective Tom Bob ; Mme Garrick a disparu volontairement, par jalousie. Tom Bob, par suite, est innocent du meurtre inexistant de sa femme… Juve, croyez-moi, la version des détectives est la bonne… C’est Tom Bob qui est en prison. Tom Bob que vous avez connu, Tom Bob que vous retrouvez, victime d’une erreur judiciaire…
Tandis que Fantômas parlait, Juve l’écoutait, sans mot dire, et au fond de lui-même, il était obligé de s’avouer que pour une fois, pour la première peut-être, et dans une certaine mesure, le sinistre bandit avait raison.
Certes, deux ans auparavant, Fantômas n’avait dû sa personnalité de Tom Bob qu’à un meurtre infâme, un de plus dans sa longue carrière d’assassin, mais à part cela, tout ce qu’il disait était rigoureusement exact.
Fantômas, sous l’étiquette de Tom Bob, était depuis deux ans détective anglais, membre du Conseil des Cinq. Fantômas, qui était aussi le docteur Garrick, l’amant de Françoise Lemercier, n’était pas l’assassin de sa femme. Il était réellement innocent du crime qu’on lui reprochait et pour lequel on l’avait condamné.
Étrange, vraiment… Fantômas innocent, s’était fait mettre en prison.
– Juve, reprit Fantômas, souvenez-vous qu’il y a quelques semaines, j’ai eu la plus grande confiance en vous… et que je vous l’ai manifestée…
– Que voulez-vous dire ?
Fantômas baissa la voix. Il allait aborder un sujet éminemment grave, et ne voulait pas que les gardiens pussent l’entendre…
– Je vous ai envoyé, dit-il, il y a quelques semaines, mon collaborateur, – je veux dire le collaborateur de Tom Bob, – le détective French, pour vous demander ce qu’était devenue Mme Garrick ?
– Mme Garrick, s’écria Juve, vous voulez plutôt dire lady Beltham ?
Le policier, en proie à une indicible émotion, se leva, croisa ses bras sur sa poitrine et regarda son adversaire, qui lui aussi s’était dressé debout en face de lui.
– À mon tour d’interroger, reprit Juve, avant de vous répondre. Dites-moi, Fantômas, qu’avez-vous fait de Jérôme Fandor ?
Un profond silence suivit.
Les deux hommes en étaient arrivés au point capital de leur entretien. L’un et l’autre avaient le plus grand besoin de savoir. Tous deux voulaient connaître la vérité, et tous deux, d’ailleurs, se sentaient prêts à la dire. Mais hélas que pouvaient-ils répondre ?
Juve avait eu le beau geste, lorsqu’il avait incité, par l’intermédiaire de French, lady Beltham à revenir à Londres pour proclamer l’innocence de son mari. Juve ne voulait pas, en effet, – il avait une conscience trop droite pour cela, et une trop saine conception de l’équité – permettre que Fantômas fût condamné sous le nom de Garrick, alors, qu’en tant que Garrick, il était parfaitement innocent. Juve voulait aussi que la confusion du bandit fût plus grande et que Fantômas fût châtié, non pas sous un nom supposé et pour un crime inexistant, mais bien eu égard à sa sinistre qualité de Fantômas, pour les innombrables meurtres, les inqualifiables assassinats, les formidables crimes qu’il avait commis sous cette célèbre signature.
Et puis enfin, pour que le bon droit triomphât, ne convenait-il pas de savoir avant toute chose « qui était » Fantômas ?…
Malheureusement, le projet de Juve avait échoué d’une façon à la fois mystérieuse et tragique. Le détective French avait disparu pendant son retour vers l’Angleterre, et lady Beltham, profitant de cette circonstance qui lui rendait la liberté, avait négligé de se présenter devant la Cour, demeurait introuvable.
Juve allait-il être obligé d’avouer cette défaite à son adversaire ?
Fantômas d’autre part savait que s’il pouvait espérer quelque chose de Juve, un délai, un atermoiement quelconque, il ne l’obtiendrait, et ne gagnerait l’indulgence du policier, qu’à condition de lui fournir des renseignements précis sur ce qu’était devenu Jérôme Fandor.
Or le sort du journaliste constituait l’une des plus graves préoccupations du formidable Fantômas…
Lui non plus n’avait pas réussi à mener à bien le projet qu’il avait médité.
Certes il s’était emparé de Jérôme Fandor, il l’avait enfermé, ligoté dans un endroit mystérieux. Fantômas avait annoncé au journaliste qu’il le conservait désormais comme otage, et le conserverait jusqu’au jour où il n’aurait plus besoin de lui.
Mais voici que, par suite du départ inopiné de Françoise Lemercier, trompée par la découverte de ce maudit journal canadien, Fantômas parti à sa recherche et fortuitement obligé de rester à bord du Victoria, avait été pris dans un enchevêtrement d’aventures tel qu’il n’avait pu s’en dégager jusqu’ici.
Le hasard, quelquefois, fait mal les choses, et si Fantômas était anxieux sur son propre sort, il l’était tout autant sur celui de Jérôme Fandor, car il n’avait pas prévu ce qui lui était arrivé et se demandait ce qu’un destin aveugle avait réservé au journaliste depuis le jour où Fantômas, contrairement à ses intentions, avait cessé de s’occuper de lui…
Qu’allait-il pouvoir répondre à Juve ? et s’il le bernait d’un mensonge, le policier se laisserait-il longtemps piper aux apparences ?
Juve, catégorique et franc comme à son ordinaire, avoua nettement à Fantômas :
– Lady Beltham, je l’ai retrouvée et je l’ai reperdue. Elle n’avait qu’un geste à faire pour vous sauver… Je l’ai engagée à le faire, elle s’y est refusée. Quelle conclusion faut-il en tirer ?
Fantômas devint horriblement pâle.
Il se rendait compte qu’il ne pouvait pas douter des paroles de Juve.
Le cœur de lady Beltham lui était-il fermé à tout jamais ?
Fantômas ne pouvait, ne voulait pas le croire, tant il estimait puissante la fascination que jusqu’alors il avait exercée sur l’esprit de l’infortunée grande dame.
Et pourtant cela devait être. Juve ne mentait pas.
Oh, coûte que coûte, – il ne lui restait plus qu’un seul espoir, – il fallait reprendre lady Beltham, la retrouver, se faire libérer grâce à elle et pour cela, un seul homme pouvait l’aider… c’était Juve, Juve auquel, en échange, il allait rendre Fandor…
Fantômas redevint livide.
Juve s’en était aperçu, et le policier se demandait avec angoisse quel était l’extraordinaire combat qui se livrait dans l’âme du monstre…
Le policier, toutefois, ne souffla mot.
Il sentait que Fantômas, poussé à bout, allait certainement prononcer des paroles définitives, faire ses aveux. Juve avait le pressentiment que ce que Fantômas lui dirait, ce serait la vérité.
Après un long silence, Fantômas, dont le front pâle s’était couvert de sueur froide, se ressaisissait peu à peu.
Ah ! quelle belle énergie que celle de cet homme !
– Juve, murmura lentement le bandit, comme s’il sortait d’un long rêve, Juve, si vous avez perdu la trace de lady Beltham, je dois vous avouer, qu’après m’être emparé de Fandor, qu’après m’être promis de le conserver vivant pour me servir d’otage vis-à-vis de vous, j’ai perdu sa trace… et je ne sais pas ce qu’il est devenu…
– Fantômas, Fantômas, hurla Juve, dites-vous la vérité ?
– Sur ce que j’ai de plus sacré au monde, s’écria le bandit, je vous jure que je dis la vérité.
– Qu’aviez-vous fait de Fandor ?…
– Je l’avais enchaîné…
– Où cela ?
Mais Fantômas s’interrompit brusquement, déjà il changeait d’attitude.
Peut-être estimait-il qu’il en avait déjà trop dit…
Trop ? non pas, mais suffisamment, à coup sûr…
Juve, en effet, était haletant, suspendu aux lèvres du brigand, buvant littéralement ses paroles. Le policier, – cela était certain, – consentirait désormais à toutes les concessions pour obtenir de Fantômas les aveux qui lui permettraient de retrouver son malheureux ami.
Le bandit ajouta :
– Chaque jour, chaque heure qui s’écoule augmente les tortures de Jérôme Fandor…
Et Juve, en entendant ces mots, certain que Fantômas disait vrai, crispait les poings, écumait de rage, et cependant ne pouvait rien faire.
– Fantômas, supplia Juve, – car désormais le policier suppliait, – dites-moi où est Fandor, de grâce…
Fantômas l’interrompit :
– Pas de générosité entre nous, déclara-t-il, nous faisons des échanges, donnant donnant, c’est ma devise, Juve, vous retrouverez Jérôme Fandor si je revois lady Beltham.
– Foi d’honnête homme, Fantômas, vous la reverrez…
– Vous avez pour cela cinq jours au plus… cinq jours, entendez-vous, Juve ?…
– Cinq jours seulement ? interrogeait le policier… pourquoi ?
Fantômas eut un sourire amer, il ricana :
– Juve, parce que dans cinq jours, Garrick sera pendu…
Les deux hommes s’arrêtèrent brusquement.
Un pas furtif se faisait entendre dans le couloir. Bientôt une clé glissait dans la serrure, la porte de la cellule s’ouvrit, le gardien parut :
– Les deux heures sont écoulées, annonça-t-il, monsieur le policeman, votre service est terminé pour ce matin, moi, je m’en vais conduire Garrick au préau. Cet après-midi vous devrez lui tenir encore compagnie… de deux à quatre, c’est le règlement, et puis vous serez encore avec lui ce soir, de huit heures à dix heures, telles sont les instructions de M. le Directeur de la prison…
Pendant que Fantômas se préparait à suivre le gardien pour effectuer sa promenade quotidienne, Juve, que l’émotion faisait tituber, gagna la porte extérieure de la prison, et il se répétait :
– Donnant donnant… lady Beltham contre Fandor… Fandor en échange de lady Beltham… voilà les conditions de Fantômas, soit, je les accepte… après… nous verrons…
22 – LE PACTE DES SEIGNEURS
Une petite maison, toute modeste, du sud de Londres…
À la suite des terribles aventures qui avaient bouleversé sa vie de si tragique façon, Françoise Lemercier, victime de la destinée qui s’était acharnée sur elle et sur son amant, s’était retirée là pour y vivre en paix, d’une existence monotone, torturée sans cesse par le souvenir des jours heureux passés, par l’inquiétude et le chagrin jamais apaisé que lui avait valu la mort de son enfant, sa disparition au moins, puisqu’il semblait prouvé que le petit Daniel vivait toujours…
Ah ! ils étaient loin les moments exquis où Françoise était encore la maîtresse adorée de Garrick, où elle partageait sa vie entre les joies d’une carrière où elle réussissait, et les joies de son foyer où elle retrouvait à la fois un fils aimé et un amant chéri…
La jeune femme, de caractère sérieux, avait, plus qu’une autre, pâti des terribles incidents qui avaient endeuillé sa vie. Elle ne s’en était point remise, elle ne s’en remettait pas. Continuellement, elle pleurait et son fils et son amant.
Françoise Lemercier vivait, d’ailleurs, fort retirée ; ne recevant personne, n’ayant guère d’amis, ayant rompu presque avec toutes les relations qu’elle avait pu faire, tant auprès de ses camarades de théâtre qu’auprès de la colonie française de Londres.
C’était même un véritable événement, dans le quartier où Françoise, avec ses longs voiles de deuil, son air pâle et fatigué de femme chagrine, ne comptait que des sympathies, lorsque quelqu’un était admis à l’intérieur de la petite villa.
La jeune femme avait pourtant une amie, une amie intime, qui, certes n’était point qualifiée cependant pour mériter sa confiance…
Mais la sympathie a-t-elle jamais été autre chose que le résultat d’un sentiment spontané, est-elle jamais née d’un calcul, a-t-elle jamais procédé d’un raisonnement ?
Peu de temps après son retour en Angleterre, quelques jours après sa libération – car Françoise avait été ramenée en tant que prisonnière, par Shepard – elle avait rencontré dans une allée de Hyde Park, et tout à fait par hasard, croyait-elle, une jeune femme d’allure modeste, de mise sobre, qui soudain, en regardant un petit enfant qui passait s’était mise à sangloter…
Le spectacle d’un bébé attristait alors terriblement Françoise elle-même, et naturellement, la malheureuse maîtresse de Garrick n’avait pu s’empêcher de regarder avec sympathie l’inconnue qui sans doute, comme elle, pleurait la perte d’un enfant…
Les deux femmes attirées, eût-on cru, par une communauté de souffrances, s’étaient prises à causer, causerie banale d’abord, bientôt plus intime, car la jeune femme qui avait été remarquée par Françoise ne tardait pas à entrer dans la voie des confidences. Elle déclarait être Française, s’appeler Nini, elle prétendait être ouvrière, avoir eu un enfant d’un amant, l’avoir perdu…
C’était une histoire triste, banale, de pauvre femme trompée dans son amour, déçue dans ses espoirs maternels…
Françoise Lemercier, émue par les sentiments qu’invoquait cette compatriote, avait alors elle-même confessé qu’elle pleurait un petit garçon, et Nini s’était apitoyée, si bien que lorsque après une causerie de près d’une heure, les deux jeunes femmes se quittaient, elles avaient échangé une promesse de se revoir, et que si l’infâme Nini se félicitait d’avoir capté la confiance de la mère du petit Daniel, candidement Françoise Lemercier s’applaudissait que le hasard lui eût permis de rencontrer une personne qui sympathisât si profondément avec elle.
Des relations, d’abord espacées, bientôt suivies, vite intimes, s’étaient de la sorte établies entre Françoise et Nini. Toutefois, Nini, qui, en excellente comédienne, jouait à merveille son rôle d’héroïne touchante, obtenait beaucoup plus de Françoise des confidences qu’elle ne lui en faisait elle-même. Nini mentait avec une rare effronterie à la malheureuse mère de l’enfant volé. Elle donnait des détails sur l’atelier qu’elle avait fréquenté, elle contait de mirifiques histoires de dévouement, de labeur acharné, de privations supportées avec courage, avec ardeur.
Nini en faisait même tant et si bien qu’elle arriva de la sorte à devenir la meilleure amie de Françoise. Jusqu’au jour où, tout à fait prise d’amitié pour elle, Françoise lui avait proposé :
– Pourquoi ne viendriez-vous pas habiter avec moi ? Ma maison est bien trop grande pour moi seule, je suis triste et seule, je serais heureuse de vivre près de vous et bien entendu vous seriez libre de continuer à vous rendre à votre travail ?
La proposition de Françoise Lemercier pouvait avoir des avantages, mais comportait aussi des inconvénients, et une fille semblable à Nini ne devait guère être flattée d’aliéner ainsi sa liberté, de s’astreindre à jouer du matin au soir une comédie qu’elle n’avait jusqu’alors jouée que de temps en temps, quand elle voyait Françoise. Aussi, Nini, toujours mêlée au monde de la pègre, passionnément éprise de son existence de débauches crapuleuses, refusa-t-elle, sans toutefois enlever à Françoise Lemercier l’espérance qu’elle consentirait, un jour au l’autre à accepter son offre. Depuis, le temps avait passé, Françoise aimait de plus en plus sa compatriote. Un beau jour – c’était quelque temps après que Nini eût été à son tour mystérieusement privée du petit Daniel, devenu le petit Jack aux yeux de lord Duncan – Nini elle-même proposait à Françoise de venir habiter sous son toit.
– Du diable, avait songé Nini, si je me doute qui a pu me voler mon gosse… Mais enfin, une chose est certaine, c’est que si quelqu’un me l’a pris, ce doit être pour aller l’offrir à sa mère… Or, si je vis avec Françoise, j’arriverai bien à savoir quand on le lui offrira, et sachant cela, ou je ne m’appellerai plus Nini, ou c’est moi qui remettrai la main sur ce môme, et non sa godiche de mère…
Car Nini, plus que jamais tenait au petit Daniel, devenu le petit Jack. N’était-elle pas exposée à avoir, d’un moment à l’autre, besoin de la haute protection de son mari ? N’était-ce pas lui, en fin de compte qui lui assurait, parcimonieusement sans doute, car elle lui faisait horreur, mais effectivement, les ressources nécessaires à sa vie ? Et lord Duncan n’agirait-il pas ainsi, le cas échéant, pour la seule et unique raison qu’il croyait le petit Jack en vie, et qu’il entendait ne rien entreprendre contre la mère de son enfant ?
Nini avait raisonné juste…
Elle habitait déjà depuis quelque temps avec Françoise Lemercier quand, revenant d’une promenade en réalité, et soi disant de son travail, elle trouva son amie bouleversée :
– Ma chère Françoise, qu’avez-vous ?
Françoise qui étouffait mal des sanglots, paraissait en proie à la plus vive émotion :
– Tenez, disait-elle enfin, tendant à son amie une lettre qu’elle venait de recevoir, lisez… lisez… Ah ! je ne sais plus si je pleure de joie ou de chagrin, si je deviens folle… Dans toutes ces aventures qui m’arrivent, ma raison se perd, je ne peux même plus comprendre ce que je veux…
Avidement, Nini s’était emparée du morceau de papier que lui tendait Françoise. C’était une lettre manuscrite, écrite d’une écriture renversée, visiblement déguisée, méconnaissable, et pas de signature :
« Mademoiselle,
« Quelqu’un qui vous veut du bien vous offre ce compromis qui calmera au moins l’un de vos chagrins.
« On vous sait honnête femme, incapable de mensonge…
« Donnez votre parole d’honneur que vous ne chercherez jamais à revoir votre amant le Dr Garrick, qu’en aucun cas vous ne renouerez avec lui, que vous ne serez plus, pour rien au monde, sa maîtresse, et l’on vous fait retrouver votre enfant, et l’on vous rend le petit Daniel…
« Si vous acceptez ce que l’on vous propose, mettez tout simplement des rideaux rouges à votre fenêtre. On comprendra ce signal, et l’on vous fixera un rendez-vous. »
Nini lisait et relisait, atterrée, bouleversée, morte d’effroi, cette lettre étrange.
Ah ! on offrait à Françoise de lui rendre Daniel…
Mais on savait donc où était l’enfant ?
Qui le savait ? quel était cet « on » mystérieux ? Quel personnage énigmatique avait pu voler à Nini le faux petit Jack, et connaissant l’existence de Françoise, offrait de lui restituer l’enfant ?
Et puis, que voulait dire, même, la condition de cette restitution ? « Promettez de ne jamais revoir votre amant… »
La misérable Nini se sentait prise de vertige.
Elle songeait au terrible danger que laissait présager pour elle cette lettre anonyme.
Que faire ?
Soudain Nini retrouva son sang-froid…
Avec une subite présence d’esprit elle venait d’envisager, en une seconde, tous les détails de l’aventure, et elle croyait comprendre. Oui, elle comprenait qui pouvait avoir intérêt à ce que Françoise ne revît jamais Garrick, qui pouvait connaître la jeune femme, qui pouvait lui offrir de lui restituer le petit Daniel.
Nini, traîtreusement, se composa une attitude de douloureuse sympathie.
C’est d’une voix douce, attendrie, compatissante, qu’elle demanda :
– Et qu’avez-vous répondu, Françoise ?
– Garrick est perdu. Jusqu’ici j’avais voulu espérer, mais cette fois je ne peux plus. Même après sa condamnation, je pensais que l’on retrouverait sa femme, et qu’il serait innocenté. Mais maintenant il est trop tard. Dans quelques jours il va mourir, je ne peux plus, rien pour lui. J’ai bien le droit de sauver mon fils…
– Vous acceptez donc ?
– Oui, j’accepte, j’accepte pour Daniel.
***
Deux heures après cette scène où Nini avait si cruellement abusé Françoise, s’était à ce point jouée de ses sentiments que la jeune femme demeurait persuadée que son amie l’aimait de toute son âme, Nini, dans une rue écartée retrouvait Beaumôme…
L’apache avait l’air soucieux :
– Et alors ? interrogea-t-il, quoi qui se passe ? Tout ça, c’est des affaires, vois-tu, Nini, qui commencent à me cavaler salement… Qu’est-ce qu’elle t’a dit, ta gonzesse ?
Nini, elle aussi, avait repris un visage mauvais. Certes, elle s’applaudissait d’avoir su jouer la comédie, elle s’applaudissait d’avoir ainsi dupé Françoise, mais elle se rendait compte qu’elle n’était pas près de sortir d’embarras… Les pires dangers s’accumulaient, les menaces s’amassaient à l’horizon. Et l’affreuse fille se disait en elle-même :
– Si je veux me tirer de tout ce guêpier, va falloir que je joue serré, va falloir que je fasse de la place.
Nini était donc de méchante humeur. Elle haussa les épaules :
– Je ne dis pas la messe dehors, fit-elle, si tu veux causer, rentrons.
Beaumôme crut voir le ciel s’ouvrir devant lui.
– Tiens, s’écria-t-il, je ne demande pas mieux, moi, allons à ta turne, Nini… on causera d’affaires, si besoin en est, et puis, après, dame… Je pense bien que tu songeras à donner, enfin, à ton homme, des preuves de ta tendresse ? car c’est pas pour dire, mais…
Nini, en réponse, haussa encore les épaules, colère… puis elle se fit doucereuse :
– Beaumôme, commença-t-elle, je crois bien que je vais avoir un nouveau service à te demander. Mais là, tu sais, ça sera le dernier, après…
– Ouais, pensait Beaumôme, j’parie qu’elle va encore me demander une petite exécution ?…
***
Quelques jours après, dans le salon de Françoise Lemercier, un très modeste salon, une sorte de parloir, car la jeune femme n’était pas riche, des hommes graves discutaient.