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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 03:47

Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Juve appuya sur le bouton de la sonnette et sortit de la cellule du prévenu.

***

Le lendemain matin, dans le cabinet de M. Mourier, M me Granjeard et ses deux fils écoutaient avec ravissement le magistrat instructeur :

– Je signe une ordonnance de non-lieu, déclarait en effet M. Mourier, je vous libère tous les trois, car je ne vous le cache pas, la preuve de votre innocence est entièrement faite. Non, ne me remerciez pas, ce n’est pas moi qui ai découvert la vérité, c’est un modeste héros, c’est le policier Juve qui n’est même pas venu recevoir vos remerciements.

Les Granjeard se regardaient. M me Granjeard pensait :

– J’ai sauvé mes fils en acceptant les propositions de Juve.

De son côté, Paul Granjeard se disait :

– J’ai sauvé ma mère en achetant ce policier.

Mais, M. Mourier poursuivait :

– Juve, en effet a fini par découvrir le testament de M. Didier Granjeard. Il est en quelque sorte la preuve de la culpabilité de Blanche Perrier. Cette femme avait intérêt au crime, de plus, elle est en fuite. Tenez, lisez ce document.

La mère et les deux fils, se saisirent avidement de ce que M. Mourier considérait de bonne foi comme étant les dispositions testamentaires du malheureux Didier Granjeard. Mais, tandis qu’ils lisaient, sans même les comprendre les phrases énonçant les dons et les legs, une même stupeur les paralysait.

Le testament n’avait pas été écrit par Didier. M me Granjeard ne reconnaissait pas l’écriture de son fils. Paul Granjeard ne reconnaissait pas l’écriture de son frère. Ni Paul Granjeard, ni M me Granjeard pourtant n’osèrent prévenir le juge de la falsification qu’ils subodoraient.

– C’est faire condamner ma mère, se dit Paul Granjeard.

– C’est faire condamner mon fils, pensait M me Granjeard.

Robert Granjeard, lui, ne comprenait pas, mais voyant l’émotion de ses parents, il se tut lui aussi.

Et M. Mourier, se trompant au bouleversement de ceux qu’il croyait innocents, ajoutait :

– Je garde ce document au dossier, ce document que m’a confié Juve. En tout cas, vous êtes libres, voici l’ordonnance de non-lieu, vous êtes, je vous le répète, et grâce à Juve, hors de cause.

13 – LE RENDEZ-VOUS

– Avec tout ça, je n’ai vraiment pas de chance. Il fait toujours nuit, un froid de tous les diables, et je vais avoir une occasion numéro un d’attraper un formidable rhume. Ça, c’est véritablement désagréable. Me faire tuer, me faire écrabouiller, je veux bien. Ça entre en quelque sorte dans les risques de mon métier, mais m’enrhumer comme un imbécile, parler du nez pendant huit jours, être contraint d’avaler des pâtes de réglisse ou des bois de guimauve, ah non, je ne marche pas, j’aimerais mieux me plaindre à l’Administration.

Dans le hall de la gare Montparnasse, Fandor venait d’arriver et flânait tout en monologuant, devant les boutiques des libraires. Le jeune homme, d’un coup d’œil, avait vérifié l’heure à la grande horloge de la gare, qui, par exception, marchait ce jour-là. Il était en avance, il n’avait pas besoin de se presser. Jérôme Fandor, tranquillement donc, arpentait cinq grandes minutes les alentours du quai de départ, et s’amusait notamment à abrutir complètement l’intelligence des employés en leur demandant, les uns après les autres, de quel quai devait partir exactement l’express de Cherbourg. Nul ne pouvait le renseigner. La gare Montparnasse, qui dépend de l’Ouest-État, a ceci en effet de particulier, qu’elle est si exiguë, si mal aménagée, si peu apte à rendre les services qu’on lui demande, qu’il est matériellement impossible aux contrôleurs de la voie d’affirmer d’une façon certaine qu’un train arrivera à tel quai plutôt qu’à tel autre, que tel express démarrera d’une voie, plutôt que de la suivante. Le service se fait au petit bonheur, au hasard de l’encombrement, il y a des coutumes vénérables sur lesquelles on se base, on sait par exemple que le train devant arriver à huit heures et demie n’est jamais là, et on en profite pour faire partir sur la voie où il doit se ranger l’express de neuf heures moins le quart, mais enfin, il est difficile d’être certain que, par hasard un train étant exact, l’express ne sera pas obligé de s’en aller d’ailleurs.

– Donc, conclut Fandor, qui, pour la dixième fois, têtu et obstiné, interviewait un employé très galonné, donc, vous ne pouvez pas me dire de façon certaine si l’express de Cherbourg partira de la voie 10 ou de la voie 5 ?

– Monsieur, il partira de la voie 7, le voilà, vous pouvez monter en voiture.

Lentement, en effet, avec des précautions extrêmes, un train était refoulé en gare. Fandor remercia l’employé, se dirigea, lui aussi, vers le rapide.

– Très bien, ce train, murmurait-il, tout en longeant les wagons, très confortables, les sleeping, très moelleux le capitonnage des premières… En seconde, c’est encore potable, en troisième, hum, c’est beaucoup moins bien, mais enfin cela n’a rien d’horrible. Allons, allons, le matériel s’améliore tous les jours, dommage que je n’en profiterai pas.

Enfin, Fandor n’avait pas de bagages, curieusement, car ce n’était point son habitude, il était vêtu en sportman. Une veste à gros plis tombait sur un pantalon de velours, dont les jambes étaient emprisonnées sous des guêtres de chasseur alpin. En bandoulière, il portait un sac, dans lequel il avait dû cacher très peu d’objets, mais des objets de valeur, car, de temps à autre, d’un mouvement instinctif, il s’assurait que la serrure en était bien fermée, qu’il n’avait rien perdu de ce que contenait cette mystérieuse valise. Or, Fandor, tout en se mêlant à la foule des voyageurs, longeant toujours l’express, se dirigeant vers la tête du train. L’express était très long, le train du soir est le plus usité de ceux qui mettent Cherbourg en communication avec Paris, il y avait là, se préparant à partir, ou venus accompagner des amis ou des parents, nombre de voyageurs, et plus d’un col bleu d’officier de marine, rentrant de permission, était curieusement et sympathiquement examiné par Fandor qui avait une prédilection pour les soldats de l’armée de mer. Tandis qu’on enfilait les bagages dans le fourgon du train, Fandor finit par arriver à la tête du convoi. Là, appuyés sur un chariot vide, tenant avec nonchalance des balais et des plumeaux, des hommes d’équipe faisaient cercle, fumant, causant, n’ayant nullement l’air de se livrer à un travail quelconque. Fandor s’approcha d’eux :

– Dites donc, messieurs, commença-t-il, un petit renseignement s’il vous plaît ? Un pari que je viens de faire : est-ce que ça n’est pas ce train-là qui emmène le wagon pénitentiaire ?

Les facteurs se regardèrent les uns les autres, étonnés peut-être de la question, et peut-être fort mal renseignés. Le chef de train qui, assis sur une caisse d’emballage, commençait à pointer des paperasses, avait heureusement saisi la question du journaliste :

– Parfaitement, monsieur, répondit-il, c’est bien cet express-là auquel on attelle le wagon pénitentiaire.

– Mais comment se fait-il alors, qu’il ne soit pas là ?

– Parce qu’on ne fait pas monter les détenus dans la gare, faisait l’homme. Ils embarquent un peu plus loin sur les voies, on attelle le wagon à la locomotive. Puis il est refoulé avec elle et comme il continue directement jusqu’à Cherbourg, il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’il soit en tête de train.

Jérôme Fandor n’en demandait pas plus.

À la réponse du chef de train qu’il remercia de son obligeance, un sourire indéfinissable avait paru sur ses lèvres.

Parbleu, il le savait bien que c’était l’express de Cherbourg qui emmenait le wagon pénitentiaire. Depuis huit jours, il multipliait les démarches, au ministère et dans les bureaux de la gare, avec quelle habileté, pour arriver à se documenter sur la question. Non seulement il savait que l’express de Cherbourg allait emmener le wagon pénitentiaire, mais encore il connaissait dans ses moindres détails la disposition matérielle de ces wagons. Fandor savait qu’il était exactement disposé comme les voitures cellulaires que l’on rencontre dans Paris. Le couloir central divisant le wagon en deux parties est percé de part et d’autre d’une série de petites portes qui toutes communiquent avec un étroit réduit où peut prendre place un prisonnier ou une prisonnière. Les sièges sont d’ailleurs disposés exactement encore comme dans les voitures qui servent au transfert des détenus.

Fandor, documenté sur les dispositions du wagon, savait qu’un garde, un gendarme, ou le plus souvent des agents de la Sûreté, voyagent, installés dans le couloir central, afin de veiller au bon ordre et, le cas échéant, couper court à toute tentative d’évasion. Il n’ignorait pas davantage que le wagon pénitentiaire ne sert que très rarement. On ne l’attelle en effet aux trains qui se rendent en province que lorsqu’il y a lieu de transporter le même jour pour la même destination un nombre important de prisonniers.

Fandor qui avait continué sa promenade le long du quai, après une attente qui devait lui paraître interminable, vit la locomotive manœuvrer dans les lointains de la gare, puis, s’atteler enfin à une masse grise, indistincte dans la nuit et avec de sourds halètements, de subits échappements de vapeur, reculer lentement, pour prendre sa place en tête du fourgon. L’employé qui l’avait renseigné ne s’était pas trompé, la locomotive avait bien été s’atteler au wagon pénitentiaire. Or, ce wagon, ce wagon rébarbatif fait de tôle, qui ne portait aucune vitre, où se découpaient seulement les minces jours de souffrance de tout petits volets aux mailles serrées, ce wagon pénitentiaire, Fandor le regardait avec des yeux que l’émotion, une émotion bizarre, eût-on cru, faisait troubles et indistincts. Fandor pourtant réagit :

– Crédibisèque, murmura-t-il, il ne sera pas dit que je me laisserai accabler par l’énervement au moment de réussir. Allons, je ne risque pas grand-chose… En ce qui la concerne, je suis prêt à tout.

Sans mot dire, Fandor revint sur ses pas. Il s’éloigna de la tête du train, il rentra sous la marquise et se dirigea vers la queue du convoi. Fandor sortait du quai où il venait de faire les cent pas, il s’élança bientôt, marchant de plus en plus vite, le long d’un quai voisin, sur lequel il s’engageait, tout en jetant un rapide coup d’œil pour s’assurer que nul employé n’avait remarqué son passage. Sur le quai où passait le jeune homme, un train de banlieue stationnait, qui partirait après l’express. Sa présence n’avait donc rien là qui pût paraître extraordinaire. Or, Fandor, n’était pas arrivé en tête du train de banlieue qu’il avisait un compartiment encore désert, y montait, fermait soigneusement la portière, puis, traversant le compartiment, descendait à contre-voie. Il se trouvait alors tout naturellement entre le flanc de l’un des énormes et lourds wagons qui devaient former le rapide de Cherbourg. Mais que voulait donc Fandor ?

Serré entre les deux trains, ayant peu de place disponible, le jeune homme se livrait à une opération bizarre. Il releva le col de sa veste, le ferma hermétiquement, au moyen des pattes qu’il comportait. Il ferma encore l’emmanchure de ses manches, assujettit sur son dos, au moyen d’une ceinture, le bienheureux sac qu’il portait, puis il tira de l’une de ses poches de très longues cordes, une mince courroie. Cela fait, prêt sans doute à l’expédition qu’il méditait, Jérôme Fandor toussa, rit, s’accroupit.

– Et maintenant, messieurs, dames, murmura le journaliste, en voiture !

Une seconde plus tard, Jérôme Fandor s’était glissé sous le compartiment pénitentiaire. Quelques minutes plus tard, il était sinon confortablement, du moins solidement attaché à l’essieu des roues du dernier boggey.

À cet instant, sur le quai du rapide, des portières claquaient, des employés pressaient les voyageurs, des coups de sifflets retentissaient. On allait partir. On partait. Or, Fandor, accroupi dans une position épouvantable, ne manifestait nullement l’envie de quitter son poste. Avait-il résolu de voyager ainsi, attaché à l’essieu sous le wagon pénitentiaire ? Que méditait-il donc ? Quel projet formidable et audacieux pensait-il réaliser ?

Jérôme Fandor, au moment précis où le rapide démarrait, tandis qu’il sortait de la gare, lentement d’abord, plus vite ensuite, franchissant les aiguilles, sautant au passage des blocs de sûreté, Jérôme Fandor songeait :

– Si rien n’est venu contrarier mes projets, si réellement tout s’est bien passé, je suis séparé d’Hélène par cinquante centimètres de tôle peut-être, et cinquante centimètres de tôle, ça se perce, ça se démolit.

***

Deux heures plus tard, le rapide de Cherbourg, à toute allure, filait dans la nuit noire. On avait dépassé Évreux, nul autre arrêt n’était à craindre avant une bonne heure au moins. Or, à cet instant, tandis que le train cahoté roulait à une vitesse vertigineuse, un homme qui n’était autre que Jérôme Fandor se livrait à la plus périlleuse des acrobaties. Jérôme Fandor, jusqu’à ce moment, en effet, s’était tenu collé à son essieu qu’il serrait entre ses deux bras avec une énergie farouche. Dissimulé sous l’un des premiers wagons du convoi, il était perpétuellement recouvert par les escarbilles enflammées qui s’échappaient du foyer de la locomotive. De plus, une fumée âcre, mélangée de vapeur brûlante, l’environnait constamment. Situation intenable, position effroyable que celle du journaliste mais cependant, il n’avait pas lâché prise. Pas une seule seconde, il n’avait songé à abandonner son perchoir incommode.

Évreux dépassé, Jérôme Fandor dont les mains étaient écorchées, dont les vêtements étaient en lambeaux, dont le visage saignait, car une pierre arrachée du ballast l’avait frappé au front, Jérôme Fandor commençait à se délier. Il devait alors non seulement lutter contre la fatigue qui résultait de sa longue station sous le wagon, contre le froid qui roidissait ses membres, contre le vertige qui le prenait par moments, à considérer le sol fuyant tout près de lui, à une allure folle, mais encore il devait résister aux secousses de la vitesse. Le rapide, en effet, ayant le champ libre devant lui, fonçait dans la nuit, d’autant qu’il avait du retard à rattraper.

N’importe. Fandor, tranquillement, défaisait ses cordes, réalisait des prodiges d’équilibre, des merveilles d’adresse et de sang-froid, il se libérait, il était libre. Autour de lui, courant en-dessous du plancher du wagon une infinité de tuyauteries passaient. Il y avait là le canal central de l’air comprimé, puis encore des tuyaux de vapeur, les commandes des freins de secours, les canalisations électriques, les commandes de gaz d’éclairage, tout un enchevêtrement de câbles. C’était à ces câbles, à ces tuyaux, à ces conduites que Jérôme Fandor devait confier sa vie. Cramponné des deux mains à l’appui branlant que pouvait lui offrir le tube de cuivre rouge du frein d’air comprimé, Jérôme Fandor rampait sous le wagon. La vitesse, à cette minute, était si grande, qu’il était littéralement suffoqué par le vent que déplaçait le convoi. Il devait tourner la tête pour respirer, et en même temps bander ses muscles, tendre ses nerfs pour ne point faiblir, pour se retenir, et même pour se tenir très droit, car s’il avait laissé le moins du monde pendre son corps, il eût certainement raclé les traverses du ballast.

– Si rien ne cloche, songeait seulement le journaliste, si je ne me tue pas, je réussirai. Seulement voilà, j’ai beaucoup de chances de me tuer.

Complètement dégagé de l’essieu, il se trouvait maintenant suspendu au centre même du wagon, n’ayant plus d’autre appui que les tuyauteries branlantes auxquelles il se cramponnait. Or, comme il avançait avec précaution, déplaçant une main après s’être assuré de la prise qu’il pouvait trouver, voilà qu’il fit une abominable découverte. Le tuyau d’air comprimé qui lui servait dans son périlleux voyage était mal attaché. Il se cassait petit à petit, il allait dans quelques secondes céder sous son poids.

Jérôme Fandor se rendait compte qu’à côté de lui, rien d’autre ne pouvait lui permettre de s’accrocher… Les fils d’éclairage étaient trop faibles. La tuyauterie de secours était trop éloignée.

– Je suis fichu, se dit le journaliste. Jamais je n’arriverai au bout.

Il eut la force d’âme pourtant de ne pas précipiter la manœuvre. Aussi lentement qu’auparavant, avec des gestes aussi mesurés, il réussit à avancer d’un mètre encore. Mais aller plus loin c’était folie. Jérôme Fandor venait de s’apercevoir qu’une des pattes d’attache de la tuyauterie était défaite. Sans soutien dès lors, le tuyau ballottait à cet endroit. Il ne pouvait plus se confier à lui.

– De mieux en mieux, murmura Fandor, je suis irrémédiablement fichu.

En dépit de sa résistance, d’ailleurs, la tête commençait à lui tourner. Le sang affluait à ses oreilles qui bourdonnaient, une crampe horrible lui tordait le cou. Il fut sur le point de se laisser aller.

– Je suis perdu, se dit-il.

Il allait ouvrir les mains, se laisser tomber sur le ballast, quand une pensée se fit jour dans son esprit :

– Hélène m’attend ! Manquer le rendez-vous ? jamais !

Fandor, risquant le tout pour le tout, trouva moyen de prendre dans sa poche, une petite lampe électrique qu’il avait emportée par acquit de conscience. Les timides rayons éclairaient un instant le dessous du wagon, le journaliste poussa un soupir de soulagement :

– Allons, le diable est avec moi.

Il laissa tomber la lampe. Il tendit le bras, il réussit un tour de force, et sans même savoir comment il pouvait y réussir, il attrapa une nouvelle tuyauterie, la tuyauterie du lavabo qui, par bonheur, au milieu du wagon rejoignait la timone du frein. Cinq minutes plus tard, Jérôme Fandor à moitié mort, mais sauf, se trouvait à cheval sur les tampons qui séparaient le wagon pénitentiaire des autres wagons.

Le long du wagon, pour la facilité des manœuvres, des crampons de fer saillaient, destinés à permettre aux hommes d’équipes de monter sur la toiture. Jérôme Fandor les franchit, sans plus s’occuper des cahots qui cependant menaçaient à chaque instant de lui faire lâcher prise. On eût juré qu’un homme, dans les conditions où il se trouvait, ne pouvait parvenir sur le toit du wagon pénitentiaire. Fandor lui, s’y hissa en un rien de temps.

Restait le plus difficile. Le toit du wagon, en effet, apparaissait redoutablement lisse. S’y maintenir semblait quasi impossible. Mais à coup sûr, Jérôme Fandor avait prévu la difficulté. De sa poche, il tirait encore une série de cordes, l’une d’elles se terminait par un nœud coulant, il l’envoyait autour du chapiteau formé au centre du wagon par le support de la lanterne.

À plat ventre alors, les bras écartés, les jambes étendues, il avança sur le toit du wagon. Bientôt il eut rejoint le chapiteau de la lanterne. Il l’étreignit de ses jambes nerveuses, puis, tranquillement, ayant atteint le terme de sa course, évidemment renseigné et documenté, il tira de son sac, qu’il parvint à faire glisser le long de son corps, un petit vilebrequin, une scie et il se mit en devoir de découper le toit du wagon.

 ***

Les gardiens dormaient. En tout, vingt-quatre prisonniers et trois prisonnières à convoyer jusqu’à Cherbourg. Les prisonniers étaient pour la plupart des matelots arrêtés à Paris alors qu’ils tiraient une « bordée ». L’autorité civile devait les remettre aux mains des autorités militaires.

Les prisonnières étaient deux femmes arrêtées pour un meurtre commis aux environs de Cherbourg, outre Hélène, Hélène que, pour les besoins de l’instruction, on transférait de Saint-Lazare à la prison de Cherbourg.

Hélène avait éprouvé une joie folle en apprenant son départ.

– Quand on vous transférera, avait dit Fandor, je vous ferai évader, Hélène. Coûte que coûte, je vous ferai évader.

Depuis elle vivait dans cet espoir, avec cette pensée qui ne l’abandonnait pas une seconde. Elle ne voyait pas comment Fandor pouvait réellement la tirer de sa terrible situation, mais du moment qu’il avait promis, il tiendrait parole. Or, jusqu’alors, et il était bientôt minuit, rien n’était venu apprendre à Hélène que Fandor fût réellement en train de préparer son évasion. Montée dans le wagon pénitentiaire en même temps que les deux autres prisonnières, dont l’une n’était autre que la vieille paralytique, Hélène avait été enfermée dans son étroit compartiment et là, elle attendait, presque sans espoir. Et puis soudain, au-dessous de sa tête, juste au sommet de son étroit compartiment, un bruit régulier, continuel, extraordinaire. Hélène se redressa. En un instant, toute son attention se concentra sur ce bruit.

– Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce qui se passe ? se demanda la jeune fille.

En dépit du bruit de la marche du train, elle entendait nettement le va-et-vient, elle ne pouvait s’y tromper, le va-et-vient d’un outil qui, sans doute, entamait le plafond de sa cellule. Et, dans la pénombre, Hélène se redressa. Elle réussit à s’extraire en quelque sorte de son cachot, s’écorchant les genoux, elle trouva le moyen de se désemboîter de son banc, elle monta dessus, elle passa sa main sur le plafond. Hélène fut sur le point de hurler de douleur. Tâtonnant, sa main avait rencontré un mince outil qui avait transpercé le plafond : la lame d’une scie, et cette scie l’avait coupée.

– Miséricorde, pensa la jeune fille, c’est Fandor, ce ne peut être que Fandor.

À la joie de la délivrance proche succédait pourtant une horrible inquiétude. Fandor, en sciant le plafond, faisait en réalité un bruit croissant. Hélène l’avait entendu, les gardiens allaient l’entendre ! On viendrait, on trouverait le plafond à moitié ouvert. L’évasion serait manquée. Or, à ce moment, comme le bruit redoublait, comme il y avait réellement danger que les gardiens ne fussent attirés par les manœuvres de Fandor, dans la cellule contiguë à la cellule d’Hélène, quelqu’un se mit à chanter à plein gosier.

Et, sans comprendre, ravie pourtant, Hélène pensa :

– Mais c’est la vieille paralytique qui hurle de la sorte. Ah Dieu soit loué ! Si elle continue à faire cette vie, on n’entendra plus Fandor.

***

– Tenez-vous bien, n’ayez pas peur, là, laissez-vous glisser dans mes bras, vous sentez les crampons de fer ? Parfait, le train va tout doucement à cause des travaux, vous allez sauter. Quand je vous le dirai.

C’était chose faite. L’évasion avait réussi.

Hélène, grâce à lui, avait pu se hisser de son wagon. Parvenue sur le toit, les deux amoureux avaient échangé un long, un ardent baiser, puis, sans mot dire, car les minutes pressaient, l’un et l’autre s’étaient remis à fuir.

Fandor avait guidé la jeune fille, il l’avait fait sortir de son compartiment, alors que le train s’engageait dans un long tunnel où les travaux effectués obligeaient le convoi à ralentir. Sans trop de difficultés, Hélène, qui, d’ailleurs, au Natal, avait pris l’habitude des exercices physiques, se laissait glisser comme le lui recommandait Fandor, sur les tampons d’attelage. Fandor, maintenant, examinait autant qu’il le pouvait les dispositions du tunnel.

– Il est très long, expliqua-t-il à la jeune fille, il se termine par une gare, mais nous tâcherons de sortir par la prise d’air qu’il y a au milieu, car, à l’autre extrémité, je sais qu’il y a des ouvriers qui préviennent les trains des travaux. Et maintenant, attention, nous allons sauter.

Il prenait la jeune fille sous le bras, il la maintenait solidement.

– Vous vous pencherez dans le sens contraire à la marche. Vous n’avez pas peur ?

– Je n’ai pas peur, répondit Hélène.

– Vous êtes vaillante, ma chérie. Eh bien, nous sauterons à trois. Je compte : un, deux…

À trois, ils s’élancèrent dans le vide.

Heureusement, Fandor avait merveilleusement choisi son moment. Le train, en effet, ainsi qu’il l’avait prévu, marchait à toute petite allure en raison des réparations effectuées sur la voie. Jérôme Fandor et Hélène évitèrent heureusement d’être jetés sous les roues du convoi. Ils roulèrent bien sur le sol, mais leur chute ne fut pas trop terrible :

– Vous n’avez rien ? cria Fandor.

– Rien du tout, répondit Hélène.

Et, en même temps, avec une gaminerie délicieuse, elle se redressa, elle jeta dans le noir du tunnel où les lumières rouges du train s’éloignaient, un grand cri, un cri de délivrance :

– Vive la liberté !

***

Vingt minutes plus tard, après avoir éprouvé la joie la plus folle au moment où il faisait évader Hélène, Jérôme Fandor était en proie au plus stupide étonnement, et à la plus morne inquiétude.

Il se trouvait toujours dans le tunnel où l’évasion s’était produite, mais il s’y trouvait seul. Hélène n’était plus là. Hélène, en quelque sorte, avait mystérieusement disparu sous ses yeux, sans qu’il pût rien faire pour la rejoindre.

Ayant repris leur marche, en effet, le journaliste et la jeune fille avaient rapidement atteint la prise d’air sur laquelle Fandor comptait pour sortir du tunnel sans être obligé de passer par l’une de ses extrémités, qui était dangereusement gardée, l’une par la gare, l’autre par les ouvriers chargés d’avertir les trains. Malheureusement, la prise d’air qui devait permettre au journaliste et à sa fiancée, de s’évader définitivement, était constituée par une sorte de cheminée débouchant probablement en pleine montagne, et creusée dans la voûte du tunnel qu’elle perçait presque à son sommet.

Fandor n’avait pas pensé à cela !

Trompé par des renseignements inexacts, il avait cru que la prise d’air descendait jusqu’au sol, il n’en était rien, et dès lors, il se demandait comment lui et Hélène allaient pouvoir se hisser dans ce conduit dont l’orifice était ironiquement dressé à plus de cinq mètres au-dessus de leur tête.

Le jeune homme et la jeune fille, perplexes, réfléchissaient encore, lorsqu’ils eurent une surprise absolument extraordinaire. Devant eux, en effet, quelque chose descendait lentement qui raclait les parois de la fameuse prise d’air. Et Jérôme Fandor et Hélène qui, d’abord, avaient cru à quelque éboulement de terrain, à une pierre dégringolant à la suite d’une pluie quelconque, demeuraient muets d’effroi et de joie à la fois en reconnaissant qu’il s’agissait d’une échelle, d’une échelle qui, miraculeusement, semblait venir s’offrir à eux pour faciliter leur escalade.

Jérôme Fandor n’hésita pas.

– Mordieu, murmura-t-il, quand j’ai eu besoin d’une échelle pour sortir de Saint-Lazare, il s’est trouvé une vieille femme extraordinaire pour m’en apporter une juste à point. Tout à l’heure, quand, dans votre wagon, je faisais trop de bruit en sciant le plafond, une autre vieille femme ou la même, je n’en sais rien, s’est trouvée chanter juste au bon moment. Et voici que maintenant, comme nous ne savons de quelle façon nous en aller, une échelle nous arrive, c’est peut-être une troisième vieille femme qui nous l’envoie, car enfin, ce ne peut pas être la même que celle qui chantait dans le wagon ?

Ce n’était pas le moment d’épiloguer.

– Montez, conseillait Fandor à Hélène, cette échelle est fragile et pourrait se rompre sous notre poids. Montez seule, une fois hors de danger et au sommet du puits, vous m’appeliez et je vous rejoins.

Hélène s’empressa d’obéir au jeune homme et gravit quelques échelons. Mais, elle n’en gravit que trois ou quatre. À peine avait-elle commencé à monter, en effet, qu’elle poussait un cri terrible, un cri auquel répondait une exclamation de Jérôme Fandor.

L’échelle à laquelle se cramponnait la jeune fille, venait de bouger en effet. On la hissait. Elle remontait vers l’ouverture. Et, tandis qu’Hélène instinctivement, s’accrochait à l’échelle, sans penser à sauter en arrière, Fandor avait beau, lui, jurer, hurler, faire un vacarme de tous les diables, il ne parvenait pas à rattraper le dernier échelon. On lui enlevait Hélène sous les yeux.

***

Vingt minutes plus tard, n’entendant rien, perdu dans la nuit du tunnel, comprenant bien qu’Hélène, puisqu’elle ne lui donnait pas signe de vie, avait été victime de quelque aventure extraordinaire, Jérôme Fandor se décidait à abandonner l’orifice de la cheminée d’aération.

Un train de marchandises traversait à ce moment le tunnel. Jérôme Fandor, la mort dans l’âme, y monta. Il se faufila dans un wagon, un wagon qu’occupaient d’énormes vaches, qui, de leur mufle roux, le flairèrent mélancoliques, et là, à bout de forces, brisé de fatigue, accablé, il se laissa tomber sur leur litière, et s’endormit d’un sommeil de plomb.

14 – NUIT DE TERREUR

– Qui va là ?

– Qui est là ?

Deux voix retentissaient dans la nuit, troublaient le silence de cette maison déserte où les rares bruits résonnaient, se répétaient lugubrement.

Il semblait que ces deux cris avaient été poussés par deux voix de femmes, l’une atterrée, l’autre un peu plus grave mais gouailleuse. Les interrogations avec un peu plus de nervosité dans le ton reprirent :

– Qui va là ?

– Qui est là ?

Soudain, la lumière qui filtrait sous le pas d’une porte soigneusement close s’éteignit brusquement, puis ce fut le silence qui dura un instant. Enfin la première voix reprit :

– Répondez, c’est moi qui ai marché. N’ayez pas peur.

– Non, non je ne veux pas.

Puis, plus rien, le silence.

Vingt minutes environ passèrent sans que le moindre appel eût été formulé, sans qu’aucune des objurgations faites n’eût été reprise. Et cependant, quelqu’un de l’autre côté de la porte, non pas dans la pièce qui la fermait, mais dans l’antichambre, attendait anxieusement :

 Cette personne n’était autre qu’Hélène. La jeune fille, abasourdie, semblait stupéfaite, affolée. Après être demeurée comme prostrée dans cette antichambre où il faisait froid, où l’on n’entendait plus rien, lasse évidemment, d’insister pour se faire ouvrir la porte à laquelle elle frappait, la jeune fille en poussant un profond soupir, recula lentement. Elle parvint au faîte d’un escalier, en prit la rampe, comme si elle eût craint d’être trahie par ses forces, puis elle descendit les marches une à une, en tapinois.

Arrivée au bas de l’escalier, dans le grand hall de la maison où elle se trouvait et qu’éclairait médiocrement une petite ampoule électrique, la jeune fille s’arrêta et avisant une bergère, s’y laissa tomber exténuée. Où se trouvait Hélène ? que lui était-il donc arrivé ?

La jeune fille, comme dans un rêve, revit les derniers événements.


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