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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Fantômas, à deux ou trois reprises, avait poussé des jurons d’impatience. En vain, avait-il cherché à recharger son revolver, il n’avait pas trouvé une seule balle, il avait déjà tellement tiré qu’il ne lui restait plus de munitions :

– Quelle malchance, jura-t-il, est-ce qu’elle va m’échapper ?

Le monstre grinça des dents :

– Il faut pourtant que je la tue, cette mort est indispensable au plan que j’ai échafaudé, à toute la combinaison que je prépare. Blanche épargnée, vivante, ce serait la ruine de mes espérances et de mes projets.

Cependant, de l’extérieur, parvenaient des bruits qui faisaient tressaillir Fantômas.

Blanche Perrier les avait entendus aussi. Elle n’était pas de ces femmes qui se résignent aisément et que le désespoir ou la terreur paralyse. Elle sentait sa vigueur décupler. Les bruits lointains d’abord, mais qui se rapprochaient, lui donnèrent de l’espoir.

– Au secours, au secours ! hurla-t-elle.

Puis, elle s’arrêta une seconde, pour écouter, cependant que Fantômas grommelait :

– Malédiction !

Tous deux, en effet, avaient entendu que de l’extérieur, des voix avaient répondu à l’appel :

– Courage, avait crié quelqu’un, courage, on arrive !

Fantômas trépignait de colère, et se rendait compte que c’était désormais une lutte de vitesse, pour lui, avec les sauveteurs éventuels de Blanche, lutte dans laquelle il fallait triompher.

– Blanche ordonna-t-il, laisse-toi prendre. Obéis-moi, ta mort est certaine, mieux vaut pour toi qu’elle soit douce et rapide. Si tu résistes elle sera d’autant plus douloureuse.

Blanche se mit à rire. Se laisser prendre ? Ah, plutôt tout faire, même l’impossible. Désormais, elle se sentait un courage inouï pour résister. N’avait-elle pas entendu dire : on vient ? N’était-elle pas sûre que, dans quelques minutes, les hommes dont elle entendait le bruit des pas allaient venir l’arracher au monstre qui la menaçait ?

Mais Fantômas ne se résignait pas à laisser échapper ainsi sa victime, dont la mort revêtait une si grande importance à ses yeux. Le bandit avait jeté son arme, désormais inutile. Il poursuivait la malheureuse, courant après elle dans la pièce mal éclairée, encombrée d’un extraordinaire désordre : bassines de zinc, étagères en bois. De tous côtés, des ficelles étaient tendues comme pour supporter du linge. Il y avait de longues tables en équilibre sur des tréteaux. Toutes choses qui constituaient des obstacles et rendaient la poursuite de Fantômas plus difficile, la protection de Blanche Perrier plus certaine.

Mais soudain, au moment où Blanche échappait encore une fois à son terrible poursuivant, elle se sentit arrêtée net, renversée en arrière et elle ne comprenait pas pourquoi.

La chose cependant était simple : sa longue chevelure venait de se prendre dans un instrument bizarre, mais dont la présence dans cette ancienne buanderie s’expliquait. Ses lourdes nattes s’étaient engagées entre les deux cylindres en bois d’une machine à calendrer le linge, et dès lors, il semblait à le jeune femme que tout mouvement lui fût interdit. Fantômas, en une seconde, s’apercevait de la situation, et poussait un cri de triomphe, car il se rendait compte de tout le parti qu’il pouvait en tirer.

D’un geste violent, le monstre s’empara de la manivelle, et lui imprimant un mouvement brusque, il actionna la crémaillère. Celle-ci fit tourner le cylindre, et dès lors un cri effroyable de douleur humaine retentit, cependant que les yeux de Fantômas, pourtant habitués à voir tant d’horribles choses, se détournaient une seconde, pour ne pas contempler ce spectacle.

Attirée entre les deux rouleaux, et comme prise dans un engrenage, la chevelure épaisse et lourde de Blanche Perrier avait disparu, puis une force invincible avait attiré la tête de la jeune femme contre les rouleaux mêmes. L’effort continuait, un craquement effroyable se produisit, et tout à coup, en une seconde l’infortunée Blanche Perrier était scalpée vivante, sa peau s’arrachait à la nuque, entraînait ses oreilles, son front, ses joues, ne firent plus qu’une bouillie sanglante.

Mais Fantômas, après son premier mouvement d’émotion, prit une décision définitive. Hurlant sa rage et sa colère, il apostropha la malheureuse :

– Crève donc et qu’il ne soit plus question de toi.

Il ramassa le revolver qu’il avait lâché, en assena un coup violent sur le crâne de la pauvre femme, dont la cervelle jaillit de toutes parts.

Il était temps, Fantômas entendait toute une troupe de gens qui s’appelaient les uns les autres :

– La police, grommela-t-il, eh bien, ils s’en arrangeront.

Avec une surprenante agilité, repoussant du pied le cadavre qui baignait dans une mare de sang, Fantômas s’aida de la machine à calandrer pour monter jusqu’au niveau d’une fenêtre percée haut dans la pièce, puis, ouvrant la croisée, il sauta dans le vide, tomba dans le jardin, disparut dans la nuit.

Il s’était à peine enfui, que la porte de la buanderie s’ouvrait, un policier pénétra et s’arrêta sur le seuil, terrifié.

C’était Michel, l’un des meilleurs policiers, inspecteur de la Sûreté.

– Trop tard, murmura-t-il.

Puis d’une voix vibrante, il appela :

« Juve, Juve, venez donc. »

20 – LE BATEAU DES MOUCHES

Pris par derrière, violemment jeté sur le sol, accablé par une grêle de coups de poing qui lui meurtrissaient le crâne, Jérôme Fandor, au moment même où il pensait se saisir de Fantômas, avait été renversé et mis dans l’impossibilité de se défendre sans qu’il eût trop le temps de se rendre compte de ce qui se passait.

– Eh bien, pensait Fandor, elle est saumâtre, celle-là. Je vois le Fantômas devant moi. Je m’élance pour l’attraper. Je tends le bras et crac. C’est lui qui m’attrape par derrière, c’est lui qui me tambourine la tête avec ses poings. Il y a de quoi renoncer aux plus louables intentions.

Jérôme Fandor, en même temps, essayait de se dégager. Jamais, avec son caractère intrépide, son courage à toute épreuve, il n’eût accepté de ne point résister à un agresseur quelconque. De plus, instinctivement, et bien qu’il n’eût vu personne, il avait l’intuition que c’était Fantômas qui s’acharnait sur lui. C’était là un motif suffisant pour le pousser à résister de son mieux. À tâcher d’échapper à son agresseur, même si en résistant il risquait d’augmenter sa rage et de recevoir un coup de poignard ou quelques balles de revolver.

– Gigotons, se disait Fandor.

En conscience, Fandor s’appliquait à « gigoter » de son mieux. On lui maintenait la tête contre le sol. De la terre lui entrait dans les yeux, dans le nez, dans la bouche. Il étouffait à moitié, mais, profitant de ce que ses jambes étaient encore libres de toute entrave, que ses bras n’étaient point ligotés, il ruait tout en s’efforçant de secouer le poids qu’il avait sur la tête. Les ruades de Fandor ne rencontraient que le vide et, en voulant libérer sa tête, il parvenait tout bonnement à s’enfoncer le visage plus profond dans le sable, à se meurtrir douloureusement. Voilà. Il étouffait. L’horrible sensation de la mort commençait, que c’en était fini de lui et que selon son expression favorite : « le petit bonhomme était fichu ».

Fandor, heureusement, avait plus d’un tour dans son sac. Au moment même où il se sentait mourir, philosophe, il décida :

– Sapristi, puisqu’il le faut, mourons.

Cette décision, à laquelle se résignait si à propos Fandor était en réalité le fruit d’une réflexion fort avisée. Le journaliste, en effet, ne s’illusionnait pas le moins du monde sur le péril réel où il se trouvait :

– Si je continue à me débattre, se disait-il, il est évident que le premier résultat auquel je vais arriver sera de me faire tuer complètement, ensuite de me faire briser le crâne par l’énergumène qui me tient en sa puissance. Au contraire, si je meurs, il va me lâcher et dame, alors, j’ai une petite chance de ressusciter le moment venu.

– Mourons, dit Fandor.

Une dernier fois ses jambes battirent l’air, puis il ne résista plus, mou comme un sac de son. Et il mourut.

À présent, l’assassin ne le sentant plus se débattre, desserrait un peu son étreinte, cessait de le frapper, Fandor eut tout juste le temps de happer une bouffée d’air, de reprendre connaissance. Déjà, il se sentait saisi par les pieds, emporté en l’espace de quelques mètres, puis, jeté brutalement dans quelque chose, une caisse peut-être, où il se meurtrissait douloureusement, et là, enfin, réellement, il perdit conscience.

***

Quand il revint à la vie, il s’aperçut avec stupeur, non seulement qu’on venait de le précipiter dans un tonneau, mais encore qu’on avait rabattu le couvercle de ce tonneau, et qu’en grande hâte, à vigoureux coups de maillet, on en clouait le couvercle.

Certes, il avait frôlé la mort de près nombre de fois. Nombre de fois il avait senti le souffle glacial du sépulcre lui effleurer le front et il était toujours prêt à faire le sacrifice de sa vie, mais là, il eut peur, ou presque.

– Bouclé, se dit-il, je suis irrémédiablement bouclé dans ce tonneau. Hum, c’est un drôle de cercueil que l’on m’a choisi.

Et, comme il était très faible, étourdi encore par les coups qu’il avait reçus, mal remis de sa syncope, il demeura sans mouvement, cependant que l’on continuait de clouer le couvercle de son cercueil.

Enfin, les coups de maillet s’arrêtèrent. Jérôme Fandor, avait retrouvé toute sa lucidité. Il ne se rendait que mieux compte de ce que sa situation avait d’aventureux :

– Ce qui m’arrive est bien simple, se déclarait-il, j’ai été pris par Fantômas, Fantômas me croit mort et m’a enfermé dans un tonneau. Fantômas va laisser ce tonneau dans quelque coin ignoré et comme je n’ai aucun moyen de défoncer mon cercueil improvisé, je vais tout doucement crever de faim, de soif, d’asphyxie. C’est réjouissant.

Or, les réflexions du jeune homme, au moment même, furent brusquement interrompues.

Sa cachette se renversait à l’improviste, on roulait le tonneau et Jérôme Fandor, Diogène d’un nouveau genre, était bien obligé de subir l’étourdissant supplice de ce voyage à l’intérieur d’une barrique qui pivotait sur elle-même.

– Jadis, songeait le journaliste, j’ai déjà voyagé à l’intérieur d’un tonneau, mais c’était sans couvercle. Juve était avec moi et enfin nous échappions à Fantômas. Tandis qu’en ce moment… Où menait-on le tonneau ? Jérôme Fandor se le demandait. Après l’avoir roulé quelques minutes, lui avoir fait parcourir une soixantaine de mètres peut-être, Jérôme Fandor eut l’impression qu’on le relevait. Par bonheur, il avait la tête en haut. En même temps, il avait découvert une petite fente pour lui permettre de voir et lui éviter l’asphyxie.

Brusquement, il entendit quelqu’un qui disait :

– Dites donc, prenez garde, si cette sacrée barrique roulait, elle tomberait dans le trou.

Nouvel et surprenant accident, l’air du tonneau était naturellement chargé de vapeurs alcooliques et ces vapeurs finirent même par lui monter tellement au cerveau, que lentement, mais sûrement grisé, il se prit à chanter.

– C’est rigolo en diable, hurla le jeune homme, c’est farce comme tout, ce qui m’arrive, hé, là-bas, tavernier de mon cœur, ne me laisse pas moisir là-dedans ! Tue-moi, mais ne vous payez pas ma tête. Cré bon sang, si ça vous chante, enfermez-moi dans un tonneau plein, mais pas dans un tonneau vide.

Et puis, Fandor s’arrêta de parler. La vérité alors lui apparut :

– Qu’est-ce que je radote ? se demanda-t-il, je deviens saoul, vingt mille diables. Nous voilà propre. Pas à dire, coûte que coûte, il faut que je sorte de là.

Réagissant de toutes ses forces contre l’ivresse qui lui alourdissait les paupières, Fandor s’arc-bouta contre les parois du tonneau, s’efforçant de les défoncer. Il ne parvint même pas à les ébranler.

– De mieux en mieux. C’est solide comme un tonneau de vin de champagne. Non, au fait ce serait plutôt un bocal de cornichons, et moi, le cornichon. Ce que je dois avoir l’air cloche là-dedans.

N’avait-il pas entendu, quelques minutes avant, une voix qui disait :

– Si ce tonneau roulait, il tomberait dans le trou ?

Cela ne signifiait-il rien ? n’y avait-il rien à tirer de cette seule indication qu’il possédait relativement à sa situation ?

Fandor, après deux secondes de réflexion, se tenait ce discours :

– Mon tonneau est évidemment à côté d’un trou quelconque, je peux à la rigueur, en m’agitant comme un forcené, le faire dégringoler dans ce trou. Bon. Supposons que je le fasse, qu’arrivera-t-il ? De trois choses l’une : d’abord, si le trou est profond, j’ai grande chance de me briser le crâne, ensuite si le trou n’est pas trop profond, je peux espérer casser le tonneau sans trop me casser moi-même et de cette façon m’évader. Enfin, si le trou n’est pas profond du tout je n’obtiendrai aucun résultat, mais en tout cas je ne serai probablement pas plus en mauvaise posture que maintenant. Essayons. Il vaut encore mieux se briser le crâne que de périr lentement comme un rat muré dans un trou.

Il se recueillit un instant, une seconde. Il revit les visages de ceux qui lui étaient chers. Il songea à Hélène qui certainement devait être en sûreté, hors du couvent maudit. Il pensa à Juve peut-être encore en vie, mais il se roidit vite contre son émotion, il se brusqua :

– Allons-y.

À l’intérieur de son tonneau, Jérôme Fandor se livrait à une fantastique manœuvre. Comme un diable dans un bénitier, comme une sauterelle enfermée par des enfants dans une boîte, le journaliste s’agita, se démena.

Il finit de la sorte par ébranler le tonneau, il se mit dans la posture avec laquelle il avait le plus de facilité pour se renverser. Il en profita et, à un moment donné, alors qu’il ne s’y attendait plus, le tonneau bascula, roula quelques centimètres sur le sol, puis Jérôme Fandor le sentit crouler, c’était la chute.

La dégringolade ne dura même pas une seconde. Très vite, il toucha le fond du trou où il venait de choir.

Et, Jérôme Fandor qui s’était terriblement meurtri mais sans rien perdre de sa présence d’esprit, fulmina :

– Crédibisèque, pensait le journaliste, c’était bien la peine, tout à l’heure, de parler d’un trou. Mon tonneau n’est nullement disloqué, je me suis à peine fait mal. Parbleu, j’ai dû choir d’un mètre cinquante, de deux mètres tout au plus.

Où était-il maintenant ? Où sa prison avait-elle roulé ? Jérôme Fandor ne pouvait s’en faire aucune idée. L’ivresse, d’ailleurs, contre laquelle il avait lutté jusqu’alors, s’emparait de plus en plus de sa raison. Il comprenait qu’il était perdu, qu’il n’avait aucune chance de se tirer d’affaire, que personne ne pouvait venir à son secours. Dès lors, à quoi bon servait de lutter encore ?

Et quelques minutes après avoir eu le courage de risquer la chute du tonneau, Jérôme Fandor se résignait complètement au trépas inévitable. Il ferma les yeux. Il se laissa aller à la somnolence qui le gagnait. Débine noire. Il murmura pour lui seul :

– Mon pauvre vieux Fandor, tu étais un bon camarade, tiens, voilà mon dernier adieu, il est sincère.

***

Tandis que Fandor se débattait dans son tonneau que se passait-il dans le couvent de l’Assomption ?

Sous la conduite de la grosse vieille femme, ou plutôt de l’agent de police qui se cachait évidemment sous ce déguisement, les sergents de ville, fébrilement, fouillaient le couvent.

Ils ne trouvaient personne. Bien entendu, ils étaient arrivés trop tard. Mais ils découvraient en revanche le cadavre effroyablement mutilé de la malheureuse Blanche Perrier. Et juste au moment où Fandor se disait à lui-même un dernier adieu, les agents emportaient sur une civière improvisée faite de quelques planches, les restes de la malheureuse jeune femme.

En tête, précisément la grosse vieille femme. Elle guidait les porteurs, elle indiquait la marche à suivre :

– Par ici, mes amis, nous allons immédiatement appeler un fiacre et faire transporter le corps au domicile de la défunte. Ah, attendez un instant que je vous ouvre la porte.

Sous la conduite de la grosse vieille femme en effet, le cortège venait d’arriver au rez-de-chaussée de l’immeuble, devant une porte qui donnait sur le jardin.

La grosse femme fit jouer des verrous compliqués, tourna une clé dans la serrure, voulant ouvrir une porte qui résistait.

– Tiens.

Naturellement, la grosse vieille femme s’acharna à ouvrir le battant qui ne voulait pas tourner. Elle devait être, cette extraordinaire personne, d’une force herculéenne, car, s’y arc-boutant, elle réussit à repousser le battant. Il n’était pas fermé en effet, mais simplement maintenu, appuyé par un gros tonneau qui avait roulé tout contre.

– Au diable la barrique, pesta la grosse vieille femme qui, par le battant entrebâillé, apercevait ce qui lui faisait obstacle.

L’étrange personne donnait un coup d’épaule, le battant poussait le tonneau, qui roulait, la porte s’ouvrit, les agents pouvaient passer.

***

Dans son tonneau, Jérôme Fandor, aux trois quarts ivre, venait de se souhaiter son dernier adieu, lorsqu’à nouveau, une catastrophe se produisit, d’abord incompréhensible.

Depuis la chute, son tonneau n’était plus debout mais couché. Il avait eu la sensation qu’il avait rebondi plusieurs fois, roulé, puis qu’il s’était calé contre quelque chose. Jérôme Fandor ne bougeait plus, se tenait immobile, mais, soudain, le tonneau se mit à marcher, roula sur quelques mètres.

Mais le sol lui avait manqué encore une fois et Jérôme Fandor, précipité contre les parois de sa prison, manquait de s’y fendre le crâne, tandis que, tombant cette fois de très haut, le tonneau heurtait semblait-il des murailles, rebondissait de droite à gauche, roulait toujours.

Cela ne dura qu’une seconde, cette chute vertigineuse.

– C’est invraisemblable se disait Fandor, je retombe encore, où diable suis-je tombé ? en tout cas, je vais me briser le crâne.

Il se trompait. Au même moment, dans un heurt plus violent, le tonneau se disloqua et l’habitant de la barrique eut la surprise de choir, non pas sur un terrain solide, mais bien dans une masse d’eau profonde dans laquelle il coulait.

Non seulement l’eau amortit sa chute, mais encore sa fraîcheur rappela au sentiment des choses l’ivrogne involontaire.

Jérôme Fandor revint à la surface dégrisé et prêt à tirer parti des événements. Il comprenait d’ailleurs aussi ce qui venait de lui arriver.

Le tonneau était tombé dans un puits ; dans sa chute il s’était brisé et Jérôme Fandor avait la bonne chance de découvrir que le puits étant d’un ancien et petit modèle, il y avait une corde au bout de laquelle était attaché un seau qui pendait à portée de sa main.

– Hourrah ! s’écria le journaliste.

Et sans plus s’étonner, car, au fond de lui-même, il avait une telle confiance en son étoile qu’il acceptait son sauvetage comme une chose toute naturelle, Jérôme Fandor agrippa la corde et commença à se hisser hors du puits.

Le journaliste était évidemment doué d’un caractère extraordinaire, pour n’être pas complètement abruti par la série des aventures fantastiques qu’il venait de vivre, et aussi Jérôme Fandor, grâce à son existence perpétuellement acrobatique et dure, avait des muscles d’une résistance extrême. Comme les boxeurs et les gens qui luttent, le journaliste était presque insensible aux coups. Il se blessait rarement. De plus, gymnaste consommé, sa souplesse le préservait des chutes dangereuses.

Hors du puits, Jérôme Fandor, à bout de force, mais vaillant, s’assit sur la margelle.

– C’est simple comme bonjour, se dit Fandor, seulement il fallait y penser. Tout de même, je voudrais bien savoir qui a ouvert la porte. Celui-là m’a rendu un rude service, sans peut-être s’en douter.

Il était dit, malheureusement, que Jérôme Fandor ne devait pas pouvoir se reposer ce jour-là.

Une balle lui siffla aux oreilles, écorchant une pierre contre laquelle il était appuyé.

– Bigre, hurla Fandor, déjà sur ses pieds et courant à travers le parc peuplé d’ombres, il grêle des pruneaux.

La nuit était venue cependant. Dans le parc, Jérôme Fandor se faufilait avec d’autant plus de prestesse que, derrière lui, il apercevait sept ou huit inconnus à sa poursuite.

– Très mauvais, se dit le journaliste, des képis, des sabres, des boutons qui luisent. Ce sont de respectables flics qui me donnent la chasse. Décidément je n’ai pas de chance. Je sors des mains de Fantômas pour tomber dans celles des cognes.

Fuyant toujours, Fandor s’orienta dans le parc, trouva une porte ouverte, se jeta dans la rue de l’Assomption. Derrière lui, à cent mètres, des agents débouchaient, eux aussi, du couvent, hurlant à qui mieux mieux :

– À l’assassin ! Arrêtez-le !

– Ils sont charmants, pensa Fandor, et d’une discrétion.

À huit heures du soir, la rue de l’Assomption est quasi déserte, Jérôme Fandor, au grand galop, la suivit. Rue Raynouard, il remontait de quelques mètres, puis tourna à droite, s’élança vers les berges de la Seine. Arrivé près du fleuve il souffla :

– Je pense qu’ils ont perdu mes traces.

Les agents avaient si peu perdu de vue Fandor qu’ils apparaissaient en haut des berges :

– Cela se gâte.

Il jeta les yeux autour de lui, épouvanté, cherchant un endroit où se dissimuler. Il n’y en avait pas.

– Décidément, c’est charmant, reprit-il, sérieusement alarmé.

Mais, après une pause, une seconde d’hésitation, il éclata de rire :

– Ah, zut, après tout, murmura-t-il, il y a déjà sur la Seine les bateaux-mouches, je m’en vais lancer un bateau de mouches.

Le jeu de mots ne valait rien. L’idée était bonne. En trois enjambées, Jérôme Fandor franchit une légère passerelle reliant une péniche au quai.

On l’avait vu, les agents hurlaient :

– Il est pris ! Hardi, il est pris !

– Pas encore, murmurait Fandor.

En même temps, sachant bien qu’à bord de la péniche il était à peu près invisible, Fandor se laissait couler dans la Seine.

Et, tandis que les agents, les cinq agents lancés à sa poursuite, grimpaient à bord du chaland, Fandor nageait, lui, vers la berge.

Le journaliste était à peine revenu sur les quais qu’il se précipitait vers les amarres du chaland. En quelques mouvements adroits il les avait défaites. La Seine était grosse, déjà la péniche s’éloignait, emportée par le courant.

À bord, les agents cherchaient toujours le fugitif.

– Dites donc, cria Fandor, j’aime autant vous prévenir tout de suite que je rentre chez moi.

Et, tandis que les braves serviteurs de la Préfecture s’effaraient, entendant cette voix gouailleuse, Jérôme Fandor, sans se presser, s’éloigna. Les agents à la dérive ne risquaient rien. De toute façon, c’était leur métier.

21 – LE 22 ET LE 41

– Séraphin, cria le père Pioche, d’une voix tonitruante, il faut préparer d’urgence le cabinet 22. Il va venir des clients de luxe, ils m’ont téléphoné tout à l’heure qu’ils le retenaient pour la nuit entière.

– On s’en occupe, patron, on s’en occupe, répliqua Séraphin qui émergeait des profondeurs de la cave où il séjournait depuis une bonne demi-heure, sous le vague prétexte de ranger les bouteilles.

La communication téléphonique informant le père Pioche, « qu’un client le luxe », comme il disait, retenait pour ce soir-là, le cabinet 22, avait déterminé le branle-bas dans l’établissement, ou pour mieux dire dans le sinistre bouge que tenait le gargotier dans une petite rue, derrière l’avenue du Maine, et qui s’intitulait pompeusement : Au Drapeau.

Le père Pioche, en effet, n’était guère habitué à louer les cases infectes qu’il désignait pompeusement sur sa vitrine, « Salons de Société » et « Cabinets particuliers ». Les hôtes habituels du cabaret étaient des gaillards qui n’avaient pas pour coutume de se faire servir à part lorsqu’ils faisaient une partie fine.

Or, les vitres dépolies du cabaret et les gros volets que, dès onze heures du soir, le père Pioche mettait sur sa devanture, suffisaient amplement d’ordinaire, à donner de la sécurité à ses hôtes.

Pioche, cependant, s’affairait. Armé d’un plumeau, il était monté lui-même par le petit escalier, raide comme une échelle, qui faisait communiquer le premier étage de son établissement directement avec la rue et il époussetait de son mieux le canapé avachi, que séparait de deux chaises défraîchies une table oblongue sur laquelle Séraphin s’empressait à dresser un couvert.

– Patron, interrogeait le domestique, dont la tête hirsute et les gros poings noueux étaient tout à fait de circonstance dans ce bouge que l’on ne pouvait fermer chaque soir qu’en distribuant aux clients force bourrades, pour les faire sortir, patron, expliquez-moi donc une chose ?

– De quoi qu’il s’agit ? interrogea Pioche.

– Eh bien ! fit Séraphin, vous allez me trouver curieux, mais je voudrais bien savoir, puisqu’il n’y a que deux salons dans votre boutique, pourquoi celui-ci s’appelle le 22 et l’autre le 41 ?

– Espèce d’imbécile, répliqua Pioche, si j’ai donné ces numéros-là, c’est histoire de faire croire aux clients que ma boîte est beaucoup plus importante qu’elle n’en a l’air et qu’elle comporte au moins une cinquantaine de cabinets particuliers.

– Tiens, je n’aurais jamais pensé à cela.

– Et puis, le 22 c’est de circonstance, ici, c’est comme aux lotos, 22, c’est deux cocottes. Tu comprends bien que si le client de luxe qui vient de me téléphoner a retenu ce salon, c’est parce qu’il n’a pas l’intention d’y venir tout seul, mais au contraire avec une dame. Les dames qui viennent comme ça dans les cabinets particuliers, d’ordinaire ne sont pas des vertus farouches.

– J’comprends, fit Séraphin.

– Ah, il doit s’en passer des choses.

– C’est pour cela fit-il, qu’il y a tellement de trous dans la cloison, histoire de rigoler pour les voisins.

La sonnerie du téléphone retentit.

– Pourvu, grommela Pioche, que ce ne soit pas le client qui change d’idée ?

Mais à peine le patron du Drapeau avait-il décroché que sa physionomie prit un air réjoui :

– C’est entendu, monsieur et cher client, vous pouvez compter sur moi. Bon, vous ne serez pas dérangé, vous n’aurez qu’à monter directement et demander le 41.

Pioche raccrocha le récepteur, puis, d’une voix vibrante d’enthousiasme, il hurla dans la cage de l’escalier :

– Séraphin. Voilà, patron.

– Séraphin, ça barde aujourd’hui, il faut préparer aussi le 41, pour trois personnes.

Le père Pioche se frotta les mains :

– Ça va, dit-il, décidément les affaires vont de mieux en mieux. Pourvu qu’on ne vienne plus me retenir ce soir de cabinets particuliers, je ne saurais plus où loger mes clients. Si… à la rigueur on pourrait déménager la chambre de Séraphin et la transformer en salon.

***

Vers neuf heures, rasant les murs, marchant d’un pas pressé, un jeune homme, convenablement vêtu, mais qui avait relevé le col de son pardessus et rabaissé son chapeau sur ses yeux, grimpa rapidement le petit escalier qui conduisait au premier étage du Drapeauet pénétra directement dans le cabinet 22. C’était le premier des clients qui avait retenu la pièce. Cinq minutes plus tard, un pas léger. Une jeune femme arrivait, le visage dissimulé derrière une triple voilette. À peine fut-elle en présence du jeune homme qui l’attendait, que l’un et l’autre se rapprochèrent, s’étreignirent les mains chaleureusement :

– Hélène.

– Fandor.

– Merci d’être venue, murmura le jeune homme.

– Que je suis heureuse de vous voir, expliquez-moi.

Fandor lui fit signe de se taire. La porte du cabinet s’était entrebâillée et la tête hirsute de Séraphin apparaissait :

Le domestique tenait à la main un carton sur lequel figurait une liste copieuse de plats mirifiques. Voyant qu’on ne le renvoyait pas, il entra tout à fait dans la pièce et cependant qu’Hélène, lui tournant le dos, se débarrassait de son chapeau et de son voile, Séraphin, s’efforçant d’affecter l’air d’un maître d’hôtel bien stylé, proposa à Fandor un menu de sa composition.

Séraphin prétendit avoir servi autrefois dans les restaurants élégants et comme si la cuisine du père Pioche avait disposé de tout ce qu’il émanerait, Séraphin offrait :

– Un potage bisque pour commencer ? ensuite des écrevisses ou du homard grillé ? puis un petit perdreau, du foie gras avec de la salade ?

Séraphin parlait au hasard et sans crainte, bien convaincu que le client n’accepterait pas. Mais Fandor qui n’écoutait pas, répondit machinalement à toutes les propositions du garçon et celui-ci, dépité lorsqu’il redescendit à la cuisine, annonça au père Pioche la commande qu’il avait reçue ;

– Non, mais tu n’es pas fou, s’écria le gargotier, penses-tu que j’ai tous ces trucs-là et d’abord, je les aurais que je ne les donnerai pas, les clients du Drapeaulorsqu’ils demandent des choses semblables, c’est qu’ils ont bien l’intention de ne pas les payer. Tu vas leur coller du petit salé pour commencer, puis ils prendront le lapin sauté qui est le plat du jour. Apporte-leur une bouteille de bouché à trois francs. Colle-leur ça d’autorité. Tu peux être tranquille. Ils ne rouspéteront pas. Ce sont des amoureux. Ça se voit tout de suite et ils se fichent pas mal du menu.

Dix minutes après, le père Pioche et son garçon s’occupaient activement des clients qui avaient retenu le cabinet 41. Là, il y avait deux hommes et une femme et lorsque cette femme était arrivée, Pioche et Séraphin s’étaient regardés, interdits, stupéfaits. Ils la connaissaient fort bien et c’est ce qui déterminait leur étonnement, car la cliente, ce soir-là, du 41, était une habituée du rez-de-chaussée.

– Dites donc, patron, déclarait Séraphin, à l’oreille de Pioche, je donnerais ma tête à couper que la poule du 41 n’est autre que Fleur-de-Rogue, la pierreuse qui était encore ici il y a trois jours en train de râler pour se faire offrir un verre par des types à la coule du genre Bec-de-Gaz et d’Œil-de-Bœuf ?

– Parbleu, tu penses, je l’ai reconnue. Elle s’est fringuée de son mieux. Même qu’elle a collé des plumes neuves sur son chapeau. Mais elle a un blair qu’elle ne change pas quand elle veut. Elle aura beau essayer de changer sa tournure, on la reconnaîtra à tous les coups.

– Moi, fit Séraphin, lorsqu’elle est arrivée, je n’ai pas eu l’air de savoir qui c’était.

– Hé, je pense bien, il ne manquerait plus que ça ! depuis quand qu’on ferait des indiscrétions ici ? Penses-tu que si Fleur-de-Rogue a voulu monter comme ça en cabinet avec deux types c’est qu’elle a fait un bon chopin.

– D’autant qu’ils ont l’air d’être des gars costauds, quand ils marchent ça résonne, on voit que c’est des gens bien, et qu’ils ont des louis plein leurs poches.


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