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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 03:47

Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Eh bien, Landry, vous allez, séance tenante lui régler son compte et la flanquer à la porte immédiatement. Je veux que, dans dix minutes, elle ne fasse plus partie de la maison.

– Ma mère ! s’écria Didier.

– Tais-toi ! ordonna la veuve Granjeard, qui, se tournant vers Landry, abasourdi par cet ordre inattendu, ordonna :

– Allez, je n’ai plus rien à vous dire.

Cependant que Paul approuvait sa mère, Robert prenait à part Didier et, d’un ton doucereux, il engageait Didier à ne pas faire d’esclandre :

– Il ne faut pas heurter notre mère, disait-il, les choses s’arrangeront. Après tout, si cette ouvrière est une brave femme, on pourra lui donner un petit secours, payer les mois de nourrice de son enfant.

Didier ne voulut rien entendre, il revint à la charge au contraire :

– Ma mère, dites-moi une dernière fois : voulez-vous me permettre d’agir en homme d’honneur, me laisser faire mon devoir ? Je dois régulariser ma situation, épouser ma maîtresse, donner un nom à notre enfant, puis je disparaîtrai d’entre vous, je ne serai rien dans vos affaires, pour lesquelles je n’ai, d’ailleurs, aucune disposition. Ma mère, ne m’empêchez pas de remplir mon devoir.

– Imbécile, cria M me Granjeard au comble de l’exaspération, tu ne te rends donc pas compte des stupidités que tu dis, ne pas t’associer à tes frères, vouloir retirer de l’argent de l’usine, mais c’est nuire à la maison, c’est faire du tort à tout le monde, jamais, jamais, entends-tu bien, je ne te donnerai un sou, j’aimerai mieux mourir sur place à l’instant même que de modifier ma décision.

– Hélas, ma mère, lui répondit son fils, d’une voix qui tremblait d’émotion et dont le timbre net exprimait la ferme résolution, serai-je donc obligé de demander justice aux tribunaux et de plaider contre vous ? Ne m’y contraignez pas, je vous en supplie.

– Si tu m’attaques, Didier, tu trouveras à qui répondre, je te prie de me croire ! Tu veux me demander des comptes ? ah, tu veux exiger de l’argent, sous prétexte que tu es majeur, c’est peut-être ton droit de procéder de la sorte, mais le mien est de me défendre et de sauvegarder les intérêts de tes frères. N’aie pas peur, je connais la Loi et si tu veux détruire notre entente et ruiner nos projets je saurai bien m’arranger, pour que tu ne puisses rien nous prendre. Il y a une chose à laquelle tu ne songes pas, Didier, c’est que je puis demander ton interdiction aux tribunaux, tu peux être certain que je n’y manquerai pas. En voilà assez, débrouille-toi comme tu voudras, je ne veux plus que l’on me parle de ces sottes histoires. Au travail. Nous avons perdu deux heures, les affaires vont en souffrir.

Dociles et fort heureux de n’avoir plus à intervenir dans cette discussion pénible. Paul et Robert s’éclipsèrent, retournèrent à leurs bureaux respectifs cependant que Didier ne gagnait pas les ateliers. Il prit son chapeau et, après avoir salué sa mère, quitta la maison, gagna la rue, sans avoir prononcé un mot.

M me Granjeard, perplexe, le regarda partir. Nerveusement, elle haussa les épaules, serra les dents, puis, soudain, incapable de rester sans agir, elle rappela ses deux fils :

– Paul ! Robert !

Les jeunes gens accoururent auprès de leur mère :

– Que va-t-il faire ? Croyez-vous que Didier ait réellement l’intention de retirer sa part de votre association ?

Paul hocha la tête affirmativement, Robert esquissa un geste vague :

– Eh bien, grommela M me Granjeard, ça nous met dans de beaux draps ! Ah, l’imbécile, l’imbécile. Dire que sans lui tout s’arrangeait si bien. Jamais dans une famille, on avait vu un accord pareil à celui qui nous unit et qui fait notre force.

Mais, soudain, M me Granjeard s’arrêta, son visage prit une expression de triomphe :

– N’ayez crainte, mes fils, déclara-t-elle, ce n’est pas parce qu’une brebis galeuse se glisse dans un troupeau que celui-ci doit être sacrifié. Si l’un de nous manque à son devoir, qu’il disparaisse et laisse la place aux autres, Didier veut s’en aller, qu’il s’en aille, nous, serrons les rangs.

3 – AMANT ET MAÎTRESSE

Huit heures du matin, le facteur frappe à la porte de la loge :

– Quoi qu’il y a ? fit une voix.

– C’est le courrier, madame la concierge, un journal pour le bijoutier du premier et une lettre pour une locataire.

– C’est bon, fit la même voix qui provenait de l’intérieur de la loge, attendez une minute, j’arrive.

Le facteur patienta quelques secondes au bout desquelles la porte vitrée donnant sur un couloir étroit et sombre, s’entrebâilla. Le gros bras nu d’une vieille femme à sa toilette s’allongea pour prendre le maigre courrier que tendait le facteur. Puis, en gens habitués à se voir chaque matin, ils échangèrent quelques paroles :

– Mauvais temps pour cette saison.

– Oui, l’hiver n’arrête pas et le soleil se fait rare.

Les deux interlocuteurs avaient peine à s’entendre car, de la rue voisine, s’élevait le vacarme assourdissant de mioches pour lesquels l’heure d’entrer à l’école n’avait pas encore sonné.

– Quelle racaille, dans ce quartier, grommela le facteur, dans votre impasse, c’est pire qu’à l’auberge du tohu-bohu.

– C’est pas une raison, monsieur, dit la concierge, parce que vous avez été habitué à un quartier élégant, que vous avez été en service aux Batignolles, pour salir l’impasse Urbain. Le quartier de la Chapelle n’est, bien sûr, pas de grand luxe, mais on y trouve de braves gens et si les enfants y font du bruit, ça prouve qu’ils ont de bons poumons.

– Oh, ça n’est pas pour critiquer, je disais cela comme j’aurais dit autre chose.

L’homme, d’ailleurs, referma son sac, et, saluant de la main, quitta le couloir. La concierge, sans la moindre vergogne, fit glisser le journal hors de la bande qui le maintenait :

– Le bijoutier, murmura-t-elle, n’en a pas besoin avant midi, j’ai bien le temps de le lire, avant lui.

Et, tout de suite, sans s’inquiéter des nouvelles de la première page, elle courut au feuilleton qu’elle suivait avidement. Cependant, son attention était distraite par la lettre qui lui avait été remise pour une de ses locataires. Elle épela lentement :

«  Mademoiselle Blanche Perrier… » Oui, c’est bien cela, six étages à m’envoyer tout à l’heure, elle n’est pas descendue ce matin pour aller à son travail cette petite. Son gosse serait-il malade ? Non, c’est plutôt qu’il y a du chômage à son atelier.

La brave femme tournait et retournait en tous sens l’enveloppe, cherchant même à voir au travers pour s’efforcer de savoir qui pouvait écrire à Blanche Perrier, car la jeune fille recevait fort peu de lettres.

Soudain, la concierge poussa une exclamation :

– Parbleu, j’y suis, dit-elle, c’est le proprio qui la relance. Oui, je reconnais la couleur des enveloppes et la façon de coller le timbre. Sûr et certain c’est rapport au terme qu’elle n’a pas fini de payer, pauv’ gamine. Faut-y qu’elle en batte une dèche noire, et c’est-y malheureux que son ami qui a l’air si gentil ne puisse pas lui donner plus d’argent. Il est vrai qu’ils en ont des charges, ces deux amoureux-là, d’autant plus que la mère a pas voulu placer son gosse en nourrice, alors elle est obligée de le mettre à la maternelle, ça fait des frais, des histoires. Les enfants, c’est pas des trucs à avoir quand on n’est pas millionnaire. Probable que si elle ne paye pas ce qu’elle doit dans les quarante-huit heures, on va la foutre à la porte. Eh bien, c’est pas pour les étrennes qu’elle me donne, mais j’en aurai de la peine, car après tout, elle est gentille, cette petite.

Mais une ombre venait de se glisser, rapide et silencieuse dans le couloir de la maison, sans s’arrêter, comme d’usage, devant la loge.

Le balai à la main – car la concierge était une femme prudente – elle bondit hors de son réduit obscur, et d’une voix aigre, cria :

– Qu’est-ce que c’est ? qui c’est qu’on demande ?

– Vous bilez pas la petite mère, on ne vient pas pour vous barboter votre escalier, ni les tapis qui sont absents.

– Ah c’est toi, Riquet ? Sale petite fripouille, qu’est-ce que tu fiches encore par ici ?

– Bon Dieu, que vous êtes curieuse, c’est vrai que ça fait partie de votre métier. Eh ben voilà, j’me promène. Je m’en vais voir une copine, la petite Blanche.

La concierge rentra un instant dans sa loge, puis en ressortit précipitamment :

– Ça se trouve bien, fit-elle, subitement radoucie, puisque tu montes chez elle, tu lui donneras cette lettre à M lle Perrier. Dépêche-toi, fit-elle, tu vois bien qu’il y a écrit dessus : « pressé ».

– Qui c’est, interrogea-t-il, qui lui écrit ?

– Comment veux-tu que je le devine ? Ça vient sûrement du proprio.

– Alors, conclut Riquet, en mettant froidement la lettre dans sa poche, les lettres de proprio ça ne peut être que des embêtements, je la lui donnerai le plus tard possible.

Sans s’inquiéter des protestations de la concierge, Riquet sifflant la dernière chanson à la mode s’élança lestement dans l’escalier et gravit à toute allure les deux premiers étages. Après quoi, il ralentit son ascension, fuma une cigarette puis se décida enfin à monter encore deux étages. Il parvint à la porte du logement de Blanche Perrier, frappa un coup discret. Ce fut la jeune femme qui vint lui ouvrir.

C’était une blonde au teint pâle, diaphane, aux yeux étrangement brillants. Elle sourit en apercevant Riquet, et lui fit signe d’entrer, tout en s’excusant du léger désordre qui régnait dans son modeste logis.

– Alors, ça va ? demanda Riquet.

– Ça va. Ce n’est pas une heure pour faire les visites, aussi tu m’excuseras de te recevoir comme ça, en négligé.

– Non mais, c’est-y que tu vas faire des manières avec moi ? on est tous les deux des ouvriers et pas des gens du grand monde. Manquerait pus que tu m’offres de m’asseoir dans un fauteuil et de prendre une tasse de thé.

Riquet, d’ailleurs, s’était avancé au fond du logement constitué par deux pièces. La première servait d’antichambre et de cuisine, la seconde de chambre à coucher et de salle à manger. Riquet avait avisé le petit Jacques qui jouait sur le tapis usé jusqu’à la corde avec une vieille poupée toute fanée. Il prit l’enfant dans ses bras, l’éleva jusqu’à la hauteur de son visage et appliqua sur ses joues rebondies deux baisers retentissants :

– Ça boulotte le gosse ? Il a l’air joliment solide ton salé.

– Ah, s’écria Blanche Perrier, c’est pas faute de le nourrir, et ça coûte, va ! Tu comprends bien que je mets tous mes sous dans sa nourriture. J’achète ce qu’il y a de mieux comme lait cacheté pour l’élever et dame…

– Et dame, les sous, c’est rare, n’est-ce pas, Blanche ?

– Oui, d’autant plus qu’il m’est arrivé une sale histoire.

– Je sais, dit-il, le père Landry, mon dab, t’a donné ton compte à l’usine. C’est justement pour ça que je viens te voir… II ne faut pas que tu lui en veuilles. C’est pas de sa faute.

– Oui, fit Blanche, il avait reçu des ordres de la patronne, et c’est rapport à Didier qu’on m’a jetée dehors.

– Tu crois qu’il a parlé à sa famille ? interrogea Riquet.

– J’en suis sûre.

Les deux interlocuteurs s’arrêtèrent de parler, on venait de frapper à la porte. Une grosse voix annonça :

– C’est la Compagnie laitière.

Blanche tressaillit :

– Mon Dieu que faire ? Voilà trois fois qu’ils reviennent et je leur dois de l’argent.

– Laisse-moi les recevoir, dit Riquet, qui se précipitait à la porte.

Un garçon livreur se trouvait là, une bouteille de lait d’une main, une facture de l’autre.

– C’est M me Perrier, fit-il que je demande, rapport à la note. Si elle ne paye pas, la Compagnie ne livrera plus.

– C’est bon, c’est bon, fit Riquet, donne toujours ta fiole, mon vieux.

– C’est quinze francs fit l’homme.

– Quinze francs le litre ? s’écria Riquet scandalisé.

– Non, expliqua le livreur, mais il y a eu du retard dans les paiements, et aujourd’hui, ça fait une note de quinze francs.

– Voilà toujours une thune, fit-il, en acompte.

Le garçon livreur hésitait, mais Riquet insista, lui frappant sur l’épaule :

– Prends toujours ça, et donne la bouteille, demain on paiera, c’est couru d’avance.

Riquet lança une plaisanterie qui fit rire le livreur, et celui-ci céda.

Blanche Perrier, toute tremblante, avait écouté avec anxiété cet entretien, se demandant quelle allait en être l’issue. Elle remercia chaleureusement Riquet :

– Sans toi, dit-elle, je ne sais pas comment j’aurais fait. Et je me demande ce que je vais devenir. Plus de travail, des dettes de tous les côtés.

– Bah, on se débrouillera pour t’aider et puis tu as un bon métier dans les mains, tu trouveras une nouvelle place.

– C’est si difficile, et avec mon gosse, je ne peux pas travailler régulièrement comme une autre.

– Fais autre chose : des ménages, tâche d’aller figurer au cinéma, vends des fleurs.

Cependant, Riquet prêtait l’oreille. À travers la cloison, on entendait de temps à autre une sorte de roulement, de léger grondement, qui s’interrompait, puis recommençait, s’arrêtait encore pour reprendre ensuite :

– Tiens, Taxi n’est pas encore descendu ?

– Je ne sais pas, dit Blanche, j’ai eu tant à faire ce matin que je ne me suis pas occupée de lui.

– Ces mendiants-là, c’est toujours riche comme Crésus, j’ai bien envie d’aller taper à sa porte pour taper ensuite à sa bourse.

– Ah, je t’en supplie, ne lui demande rien. De toi je veux bien accepter, parce que je te connais depuis longtemps et que je ne fais pas de manières avec un ami.

– T’occupe pas, Blanche, fit-il, c’est pas des choses qui te regardent, je suis bien libre, pas vrai, d’aller demander à Taxi de m’avancer une thune ou deux. Quand je les aurai, je les dépenserai comme il me plaira.

Blanche Perrier voulait protester encore, car elle savait bien que l’argent emprunté par Riquet ne tarderait pas à lui être donné de force. Mais le gamin était déjà hors du logement, et il tambourinait à la porte de la pièce voisine.

Le même roulement que l’on avait entendu quelques instants auparavant recommençait. Puis, la porte s’entrebâillait, Riquet pénétrait chez le voisin et éclatait de rire en l’apercevant. Peut-être y avait-il de quoi. L’individu en face duquel Riquet se trouvait désormais et qui n’était connu que sous le sobriquet de Taxi, était une sorte de mendiant aux allures dépenaillées, qui, sans doute, devait avoir quelque infirmité, quelque paralysie des jambes, car il circulait sans cesse, même dans son logement, accroupi ou pour mieux dire assis en tailleur sur une sorte de petit traîneau à trois roues qu’il faisait avancer ou reculer en le poussant avec des fers à repasser qu’il tenait dans les mains, et avec lesquels il se dirigeait, semblable en tous points à un cul-de-jatte qui aurait eu des jambes, mais des jambes inutilisables. Il paraissait jeune encore, portait une chevelure hirsute et une barbe longue aussi mal faite qu’il était possible d’imaginer.

– Bonjour Taxi.

– Bonjour Riquet.

– Alors, ça va ?

– Ça va.

L’infirme avait reculé son véhicule, puis il tendait le bras vers une bouteille à demi pleine, qui se trouvait sur une table encombrée d’objets. Il la posait par terre et, extrayant de dessous l’armoire deux verres à peu près propres, il les emplit jusqu’au bord.

– Tu vas prendre le vin blanc avec moi, Riquet.

– Ce n’est pas de refus, faisait le gamin qui s’assit sur le plancher.

« Sacré Taxi, fit-il, toujours du bon vin dans ta cave.

– Qu’est-ce que tu veux ? fit l’infirme, c’est mon seul luxe, et je n’ai pas d’autres dépenses. Tu comprends bien qu’avec une académie comme la mienne, j’ai pas beaucoup à compter sur les affaires de cœur.

– Parbleu, et tu t’en consoles en soignant ton ventre.

– Comme tu dis, jeune fripouille.

– C’est égal, tu dois ramasser pas mal de fafiots au bout de ta semaine.

– C’est selon, ça dépend des quartiers. Mais pourquoi me demandes-tu tout cela ?

– Tiens, fit Riquet, histoire de savoir s’il y a du blé dans tes profondes.

– Bois donc, Riquet.

– Puisque tu es plein aux as, faudrait voir à me refiler quelque pognon, rapport à une gerce qui se trouve dans la débine.

– Nom d’un chien grommela le mendiant, si tu crois que je vais turbiner pour t’aider à faire le coq dans un poulailler dont je ne peux même pas voir les poules, ce qui me rincerait l’œil de temps à autre.

– La môme Perrier est dans une mouise, tout ce qu’il y a de tassé. Elle avait même pas un rond dans sa tôle tout à l’heure, et il faut raquer une douloureuse demain matin pour le biberon du salé.

– Ça, c’est une autre affaire. Du moment qu’il s’agit d’une aminche.

Avec des gestes difficultueux, l’infirme tira du fond de sa poche une vieille bourse en cuir où il prit deux pièces d’or.

– Ça fera-t-y le compte ?

Tout joyeux Riquet s’empara de l’argent :

– C’est tout ce qu’il y a de bien, c’est même mieux que ce que j’aurais pensé. Attends, Taxi, que j’aille lui porter ça tout de suite, sûr que pour te remercier elle voudra t’embrasser.

– Pas besoin de remerciement, fit-il d’abord, il est temps que j’aille au turbin. J’ai fait le lézard ce matin, faudra rattraper ça tantôt. Aide-moi à arriver jusqu’à l’escalier.

Riquet s’empressa de rendre service à Taxi. Au surplus, c’était pour le gavroche un amusement toujours nouveau que de voir l’infirme descendre ses six étages. Taxi commençait par s’assujettir le chariot autour des reins, par une solide courroie. Puis, ayant traversé l’étroit palier qui le séparait des premières marches, il laissait rouler le véhicule supportant tout son poids jusqu’au bas des étages, en ayant soin de se maintenir pour en modérer l’allure, en se cramponnant aux balustres de fer de la rampe de l’escalier. Cette descente quotidienne faisait grand tapage et ameutait généralement les locataires de la maison. Mais cela n’était pas pour déplaire à Taxi, qui était la gaieté en personne, ayant toujours une blague à dire ou à faire aux commères et aux camarades sur son passage.

Taxi, lorsqu’il atteignit le trottoir, roula jusqu’à la rue de la Chapelle, puis, tranquillement, il attendit le passage du tramway, se hissa sur la plate-forme à la portée de ses bras et, dès lors, attendit d’arriver dans les quartiers élégants où il allait faire sa collecte habituelle.

Auparavant, Taxi avait dû accepter d’entrer un instant chez la jeune femme. À toute force, celle-ci voulait le remercier. Elle était rougissante et honteuse d’accepter de semblables avances.

– Didier ne tardera pas à venir et je pourrai rembourser.

– J’y compte bien, d’ailleurs, avait déclaré Taxi, et je sais que tu rends toujours l’argent qu’on te prête. C’est pour ça que je ne me fais jamais prier pour t’en donner, lorsque j’en ai, il faut s’entraider.

Blanche, toutefois, avait quelque chose à demander à l’infirme. Profitant d’un moment où Riquet jouait avec le petit Jacques dans la pièce voisine, elle s’agenouilla sur le sol pour être à la hauteur du quasi-cul-de-jatte et interrogea :

– Toi qui circules beaucoup dans Paris, Taxi, as-tu pu faire ma commission ?

– Quelle commission ? demanda-t-il.

– Tu sais bien, poursuivit Blanche, il s’agissait d’aller porter une lettre au domicile d’une jeune fille que j’ai connue autrefois lorsque j’habitais à Belleville. Une fleuriste, on la surnomme La Guêpe à cause de sa jolie taille, mais de son vrai nom, c’est Hélène.

– Non, j’ai pas pu faire ta commission, j’ai toujours ta lettre dans ma poche. C’est très difficile pour moi d’aller à Belleville, c’est loin, ça monte et les clients y sont rares. D’abord, qu’est-ce que tu lui veux, à cette fille ?

– Oh pardonne-moi, Taxi, ça n’est pas pressé. J’aurais simplement voulu avoir de ses nouvelles, mais je vois que ça t’ennuie. N’en parlons plus.

Taxi, en effet, devait être ennuyé par cette conversation, car il avait froncé les sourcils, mais, surtout, une vive rougeur lui était montée au front et il avait tressailli comme malgré lui.

– Je suis en retard, je suis en retard, grommela-t-il.

Et, en hâte, il se fit rouler sur le palier, commença à dégringoler les marches, ce qui attira aussitôt Riquet qui, portant le petit Jacques, n’eut aucune peine à le faire éclater de rire :

– Regarde le bonhomme, vois comme il dégringole les escaliers. Écoute sur les marches, boum, boum. Non, mais ce qu’il est rigolo, ce Taxi.

Mais brusquement, Riquet rentra dans le logement de Blanche Perrier, déposa l’enfant à côté de sa mère, et murmura à l’oreille de cette dernière :

– Je me débine, Blanche Perrier, v’là ton homme !

– Vrai ? s’écria la jeune femme, dont les yeux pétillaient de joie.

– Puisque je te le dis. Je l’ai vu, comme je te vois… Il montait l’escalier pendant que Taxi dégringolait en bas. Même qu’il a failli y avoir un abordage. Au revoir, ma vieille, à bientôt, on viendra prendre de tes nouvelles.

Riquet s’était à peine éclipsé qu’entrait Didier Granjeard.

– Blanchette, ma pauvre petite Blanchette, murmura-t-il, quel malheur, que de choses, que de tristesses.

Mais avant de s’en entretenir, il tendit des billets de banque à Blanche :

– Ce sont mes économies. Avec ça, tu peux parer au plus pressé. Après, on verra.

Et il lui expliqua où en était ses affaires.

Attentivement, Blanche Perrier l’écouta : les chiffres que Didier lui avait donnés l’étourdissaient un peu, elle en comprenait mal l’importance, n’ayant jamais ouï parler d’aussi fortes sommes d’argent. Mais elle était intelligente et se rendait compte qu’il s’agissait d’intérêts énormes et que la fortune de Didier dépendait de son attitude à elle.

Blanche Perrier n’hésita pas :

– Didier, fit-elle, écoute bien ce que je vais te dire : tu vois que je te parle sans arrière-pensée. Je me suis donnée à toi librement, voici deux ans, non point parce que tu étais le fils du patron de la maison dans laquelle je travaillais comme ouvrière, et que j’espérais tirer de nos relations un bénéfice. Je n’aurais d’ailleurs pas agi de la sorte. C’est au-dessus de mes forces. J’ai été ta maîtresse simplement, parce que je t’aimais, mon Didier, je ne t’ai jamais rien demandé, tu ne m’as rien promis, et nous n’avons d’engagement ni l’un ni l’autre. Si tu restes avec moi en dépit de ta famille, tu auras les pires ennuis et la plus grande misère. Si tu me quittes, au contraire, c’est pour toi la richesse et le bonheur. N’hésite pas, Didier, va-t’en, oublie-moi, comme je m’efforcerai de t’oublier.

Mais Didier l’interrompit. Il prit la main de Blanche Perrier, obligea la jeune femme à se retourner à demi. Et comme celle-ci obéissait, tous deux se trouvèrent face à face avec le petit Jacques qui jouait paisiblement sur le plancher avec sa vieille poupée :

– Blanchette, murmura doucement Didier, je me demande à quoi tu penses ? Mais, même si nous devions agir ainsi l’un et l’autre, si nous pouvions nous séparer comme cela, froidement, quelque chose devrait nous retenir, quelqu’un nous retiendrait, notre enfant, Blanchette… Nous sommes désormais l’un à l’autre, unis pour toujours. Je ne t’abandonne pas, tu ne me quitte jamais.

– Je ne suis qu’une pauvre ouvrière, murmura-t-elle, et je ne sais pas dire de beaux mots comme toi, mon Didier, mais je comprends à tes paroles combien tu m’aimes.

***

Les deux amants avaient passé, après leurs tendres effusions du matin, une journée très douce et très calme. Il avait fait beau dans l’après-midi et comme un rayon de soleil était venu vers quatre heures rompre la monotonie pluvieuse du temps, ils avaient été en bons bourgeois paisibles, promener le petit Jacques au Square de la Chapelle. L’enfant y avait joué, puis, on était rentré, Blanche Perrier avait fait en cours de route quelques emplettes pour le dîner que les amants méditaient de partager dans leur modeste logis. Didier, un peu moins triste, était allé acheter une bonne bouteille de vin.

Dans l’atmosphère tiède du petit logement, Blanche avait rapidement préparé son dîner, mis le couvert cependant que Didier, étudiant la position de quelques meubles qui garnissaient à peine le logement bien simple et bien exigu pourtant,, s’était dit qu’il lui faudrait acheter une armoire et une table pour ses propres affaires. Entre-temps, il avait expliqué à Blanche qu’il trouverait certainement du travail. Un de ses amis lui avait promis de le faire entrer comme courtier dans une compagnie d’assurances. Blanche se placerait dans quelque industrie, après tout, on ne vivrait pas trop mal, on pourrait être heureux.

Et puis enfin Didier ne désespérait pas d’obtenir de sa mère l’argent auquel il avait droit.

Blanche Perrier ne comprenait pas grand chose à ces histoires compliquées de comptes, elle n’en retenait que ceci : c’est que si Didier avait voulu l’abandonner, il pourrait être millionnaire, alors que s’il restait avec elle, il se condamnait à la pauvreté.

Après le dîner, Didier écrivit une lettre.

– Pour qui est-ce ? demanda Blanche.

– C’est pour ma mère, fit le jeune homme. Je tiens à préciser nettement la situation, je lui raconte que je ne veux pas rentrer chez elle et que je ne la reverrai pas avant que nos affaires ne soient définitivement réglées.

– Tu aurais dû la prévenir plus tôt.

– Pourquoi ?

– Elle t’attend peut-être ce soir, tu aurais dû rentrer, oui, tu devrais même rentrer, qui sait après tout si ta mère n’a pas changé d’opinion, si elle n’est pas décidée à s’arranger avec toi.

– J’en doute, on voit que tu ne la connais pas.

– C’est égal, fit Blanche, tu ferais mieux de partir, demain tu reviendras pour ne plus me quitter, mais ce soir, crois-moi, rentre chez ta mère.

Didier hésitait.

Perplexe, Didier se leva après avoir achevé sa lettre :

– Je descends, dit-il, mais je crois bien que je remonterai.

– Tu auras tort, fit Blanche, crois-moi, rentre chez ta mère, ce soir au moins.

Didier prit son chapeau. Il embrassa sa maîtresse.

– Je ne sais pas du tout ce que je vais faire, dit-il, et c’est très délicat pour moi de choisir. Écoute, c’est bien simple : si, dans un quart d’heure, je ne suis pas remonté, c’est que j’aurai suivi ton conseil et alors, je ne te reverrai plus que demain.

Assurément sa résolution était prise lorsqu’il arriva rue de la Chapelle, car il courut à la poste et jeta sa lettre dans la boîte. Il rebroussa chemin, ensuite revint dans la direction de l’impasse Urbain. Mais Didier s’arrêta encore.

– À quelle heure sera-t-elle distribuée ? se demandait-il.

Il revint au bureau, lut l’inscription : sa lettre ne parviendrait à sa mère que le lendemain vers onze heures.

– C’est bien tard, pensa-t-il, et malgré tout elle se tourmentera inutilement. Si seulement je pouvais la faire prévenir.

Mais Didier ne s’arrêta pas à ce projet, il savait que sa mère et ses frères se couchaient de bonne heure :

– Quel scandale si j’envoyais un messager quelconque. Il ne parviendrait à l’usine que vers minuit. Non il faut éviter cela.

Retourner, remonter chez Blanche, c’était évidemment la solution qui tentait le plus Didier, mais il ne s’y arrêta pas encore. La jeune femme avait eu raison en lui conseillant de ne pas exaspérer la colère de sa mère. Mieux valait, peut-être encore, essayer de s’arranger avec elle et s’efforcer par conséquent de lui déplaire le moins possible.

Pendant une bonne demi-heure, Didier qui n’était pas l’homme des décisions rapides, erra sur le trottoir de la rue de la Chapelle. Il s’aperçut enfin du temps perdu et son incertitude ne fit que s’accroître.

– Je monte chez Blanche, se dit-il, tant pis.

Mais une pensée l’arrêta. Il y avait déjà près d’une heure qu’il avait quitté sa maîtresse et il ne possédait pas la clef du logement, il allait donc falloir la troubler dans son sommeil, réveiller aussi peut-être le petit Jacques.

Brusquement, Didier après avoir pris cette résolution adopta le parti contraire :

– Je rentre à Saint-Denis, fit-il.

Et, pour ne pas changer d’avis, il courut jusqu’à la barrière dans l’intention de prendre le dernier tramway. Au moment où il franchissait la grille d’octroi, il vit partir le véhicule, celui-ci était trop loin déjà pour que le jeune homme put le rattraper. Cette malchance aurait dû dès lors modifier sa décision, il n’en fut rien !

– Tant pis, se dit Didier, je rentrerai à pied, ça me changera les idées.

4 – LUI, TOUJOURS LUI ET SA GRANDE OMBRE

À mi-chemin de la grande avenue qui joint la barrière de la Chapelle à Saint-Denis se trouve une voie déserte et sinistre, plantée d’arbres maigres et sans branches, bordée par des terrains vagues où la Compagnie des Chemins de fer du Nord a construit ses ateliers pour la réparation des wagons et des locomotives. La nuit, cette partie de l’avenue est noire. Seul un point se trouve éclairé. C’est la façade des ateliers de la Compagnie du Nord.

Là, dans un renfoncement de palissade, se dresse un cabaret. Ce n’est pas un des honnêtes mastroquets de la banlieue parisienne, mais un bouge qui sue le vice et le crime, poussé là comme un champignon vénéneux. Sa clientèle se compose de tous les rôdeurs des fortifications, de tous les trimardeurs vivant de besognes louches aux portes de l’octroi, les « apaches », quoi !

Le troquet ne porte aucune enseigne. Dans la journée, mal clos par des volets de bois que le vent agite et secoue, il paraît désert, abandonné, et le plafond de la boutique est si bas qu’il semble prêt à rentrer sous le sol pour y cacher sa honte.

Le soir, dès la nuit tombée, lorsque la clignotante lumière des réverbères troue seule l’ombre épaisse, le cabaret se réveille. Le patron du nom d’Hilaire est un colosse. Aidé d’autres garçons à biceps, il décroche les volets, sort quelques tables, suspend quelques enseignes, allume les lampes. Et dès lors, le bouge illuminé de gaz, avec ses glaces impénétrables tant la buée les recouvre vite, apparaît comme une sorte d’épouvantable rendez-vous.

Une porte basse dont le bec-de-cane extérieur est presque toujours absent, sert d’entrée. Il faut frapper. Un garçon survient, vous examine, ouvre, referme sur vous. Qui ne connaît le lieu a l’impression, quand la porte retombe, qu’il est littéralement prisonnier. Dans le bouge, règne toujours la même atmosphère empuantie de relents de pipe et d’alcools. Le comptoir est surchargé de flacons divers, le patron trempe, de ses grosses mains rouges, des verres sales dans une eau laiteuse. Un alambic ronronne dans un coin. On cause. On parle. Il y a peu de monde, et pourtant, quand par hasard un passant attardé s’y arrête un instant, il se sent immédiatement de trop. Il s’en va.


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