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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 03:47

Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Fandor était seul déjà depuis quelques instants, lorsqu’il entendit un bruit de pas lourds et hésitants dans l’escalier. Le journaliste prêta l’oreille et, pour savoir quels étaient les gens qui montaient, il alla, sur la pointe des pieds, regarder par la porte entrouverte, le journaliste recula aussitôt. Son visage avait changé d’expression, un pli lui barrait le front.

– Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? grommela-t-il, en s’installant prestement sur son chariot.

À peine avait-il repris son attitude de mendiant-infirme qu’un coup sec était frappé à la porte, puis, comme celle-ci était entrebâillée, quelqu’un la poussait, dans la première pièce du petit logement, s’introduisit un individu, puis un second, puis un troisième. Fandor, dissimulé dans l’angle de la pièce du fond les regardait venir :

– Sapristi, se dit-il, voilà du sale monde, ou je ne m’y connais pas ou ça m’a tout l’air d’être des gens de la Préfecture. Que diable peuvent-ils bien venir faire ici ?

Soudain, le faux mendiant se mordit la lèvre :

– Bougre, pensa-t-il, ça va mal tourner tout à l’heure.

Fandor, en effet, venait de reconnaître l’un des individus qui s’introduisaient non sans une certaine hésitation, dans le domicile de Blanche Perrier. C’était un homme d’une trentaine d’années environ, au visage énergique, à la lèvre barrée d’une forte moustache noire. Mais l’homme avait cette particularité, facile à noter qu’il était borgne. L’œil gauche manquait, Fandor l’avait reconnu. C’était l’inspecteur Léon, l’un des subordonnés de Juve.

– Pourvu, pensa Fandor, que cet animal de Léon ne me reconnaisse pas, cela ferait du grabuge.

Machinalement, et sous prétexte de se gratter, il embrouilla son épaisse perruque de cheveux mal soignés.

Les policiers, en apercevant cet être accroupi sur le sol, et dont le sommet de la tête était au niveau du haut de la table, s’étaient arrêtés un instant, ne s’attendant guère, semblait-il, à le trouver là.

Léon l’interrogeait poliment d’ailleurs :

– Pardon, monsieur, fit-il, en touchant du doigt son chapeau, ne sommes-nous pas ici chez M me Blanche Perrier ?

– Possible, qu’est-ce que vous lui voulez ?

– Nous avons à lui parler.

– Eh bien, m’est avis qu’il vous faudra repasser. Elle est sortie.

– Sera-t-elle longtemps ? insista Léon.

– Je n’en sais rien.

– Vous devriez le savoir, vous êtes chez elle.

– Vous y êtes bien vous-même.

Pour la forme, l’inspecteur de police jeta un rapide coup d’œil dans les divers recoins du modeste logement, comme pour s’assurer que la personne qu’il cherchait ne s’y était point cachée. Puis, se tournant vers ses hommes, il déclara simplement :

– Allons-nous-en, nous reviendrons.

– Ouf, pensa Fandor, nous l’échappons belle.

Les policiers s’étaient à peine éloignés que le journaliste se jetait sur leurs traces. Il écouta ce que disait Léon à ses hommes pendant qu’ils descendaient l’escalier :

– Vous allez rester dans le couloir de la maison au rez-de-chaussée. Moi, je vais jusqu’au bout de l’impasse. Cette Blanche Perrier que le juge d’instruction nous a chargés d’arrêter ne doit pas être loin. Dès que je la verrai, je donne un coup de sifflet pour vous prévenir et vous l’abordez.

Fandor n’en entendait pas plus, mais il était suffisamment édifié :

– Bon sang de bon Dieu, jura-t-il, ça y est. Encore une gaffe de plus. Voilà que Mourier s’en mêle et que cet animal de juge d’instruction s’engage sur une mauvaise piste. Arrêter Blanche Perrier, pourquoi faire ? Pauvre petite, je ne lui donne pas cinq minutes avant de tomber entre les pattes de ces bougres-là. Eh bien, il va y en avoir une scène ici tout à l’heure.

***

Blanche Perrier, bien avant le moment où les trois policiers s’étaient introduits dans l’immeuble qu’elle habitait, avait quitté l’impasse Urbain, et, tenant le petit Jacques par la main, s’était rendue rue de la Chapelle où elle méditait d’effectuer ses emplettes. Soudain, comme elle passait sur le trottoir, elle entendit prononcer son nom. La jeune femme se retourna, ne vit personne d’abord, et elle allait continuer son chemin lorsque, derrière elle, tout près de son oreille, si près même qu’elle sentit une haleine tiède lui frôler la nuque, le même appel fut répété.

Blanche était à ce moment-là sur le bord du trottoir et dépassait sans y faire attention une voiture automobile arrêtée à proximité. La jeune femme, étonnée, se retourna. La rue était mal éclairée à cet endroit mais, malgré la quasi-obscurité qui y régnait, la jeune femme vit enfin son interlocuteur et elle sursauta. Non seulement l’homme qui l’avait appelée était coiffé d’un grand chapeau de feutre dont les bords étaient abaissés, mais il portait sur le visage un masque, un loup noir. Au même instant, Blanche Perrier sentit que quelque chose l’enveloppait, qu’elle était immobilisée, paralysée, elle voulut crier, un foulard lui comprima les lèvres. Au même instant elle se sentit enlever, jeter dans la voiture automobile qui démarra rapidement. Atterrée, la jeune femme s’efforça de s’arracher à l’étreinte qui la maîtrisait, mais quelqu’un, l’un des agresseurs qui se trouvaient avec elle dans l’intérieur de la voiture, resserra encore ses liens, et lui couvrit les yeux d’un bandeau.

La voiture ralentit. Portière claquée. Le mystérieux individu qui venait de l’enlever devait être descendu. La voiture reprit son allure, Blanche Perrier faillit s’évanouir. Elle était seule dans ce véhicule qui l’emmenait elle ne savait où, et une atroce douleur lui étreignait le cœur : on lui avait arraché son petit Jacques. Qu’était devenu l’enfant ?

Trois heures durant, la voiture continua de rouler toujours plus vite, et donnant l’impression à la captive qu’après avoir été retenue par des embarras et des rues encombrées, la machine allait désormais sur des routes désertes. On ralentit enfin. La voiture s’arrêta. Quelques instants auparavant, Blanche Perrier avait entendu neuf coups sonner à une lointaine horloge. Trois heures déjà qu’on l’avait enlevée de force, jetée dans ce véhicule mystérieux.

La portière s’ouvrit, Blanche Perrier sentit qu’une main robuste et vigoureuse la prenait par le bras, la tirait contre lui.

Son supplice ne devait plus durer. Une à une, les cordes qui la serraient se délièrent et les bandeaux qui lui couvraient les yeux et la bouche tombèrent. Ouvrant des yeux hagards et terrifiés, Blanche Perrier regarda autour d’elle. Elle se trouvait devant le perron d’une maison d’assez belle apparence dont la porte était ouverte. Un homme était à côté d’elle, un seul, celui qui l’avait enlevée, c’était assurément lui qui avait conduit l’automobile jusqu’à ce lieu. II avait toujours son loup noir sur le visage. Blanche Perrier se laissa tomber à genoux, joignit les mains :

– Que me voulez-vous ? Qu’avez-vous fait de mon enfant ?

– Je n’ai pas à répondre à vos questions, Blanche Perrier. Qu’il vous suffise de savoir que si vous exécutez les ordres que je vais vous donner, il ne vous sera point fait de mal.

– Mais mon enfant ?

– Si vous obéissez, il sera épargné. Voici une maison, dans laquelle vous allez entrer. Vous monterez au premier étage. Vous pénétrerez dans une chambre, une fois là, vous attendrez. Est-ce clair ?

– J’attendrai quoi ?

– Vous verrez bien.

Et Blanche Perrier, dont le cœur battait à rompre la poitrine, s’introduisit dans la maison conformément aux ordres reçus. Elle sentit un froid glacial lui tomber sur les épaules, cependant qu’une forte odeur de moisi et de renfermé la prenait à la gorge. S’aidant de la rampe, elle gravit un escalier large, aux marches de pierre et parvint, comme l’avait annoncé l’homme, dans la chambre, où il lui était recommandé d’attendre. Cette pièce était sombre, nullement éclairée et par la fenêtre sans rideaux, tombait un rayon de lune qui permettait à la jeune femme de se rendre compte de l’endroit où elle se trouvait. La pièce était meublée d’un grand lit de fer, d’une table ronde, de deux armoires sans glace et de chaises de paille. Machinalement, elle allait jusqu’à la fenêtre et regarda dehors. Il lui sembla qu’elle était au milieu de la campagne, dans une maison grande et de belle apparence, et qu’entouraient des arbres dont la ramure touffue lui dissimulait l’horizon. Chose curieuse, alors qu’elle s’approchait de la fenêtre. Blanche Perrier vit l’automobile qui l’avait amenée disparaître à l’extrémité d’une allée sablée qui tournait devant la maison. Son cœur se serra. Elle ne tenait pas à revoir celui qui l’avait amenée, mais elle frissonnait à l’idée de l’inconnu, se demandant de quel événement nouveau elle allait être la victime. Soudain, dans le silence, une question :

– Blanche Perrier ? êtes-vous là ?

Soudain, un bain de lumière. Blanche Perrier vit un inconnu devant elle. Il n’était pas masqué et la jeune femme, en l’apercevant, le reconnut. Elle poussa une exclamation de surprise, presque de joie :

– Monsieur, Monsieur, s’écria-t-elle, je vous reconnais, vous êtes, vous êtes…

– Je vous connais aussi, madame, je suis la personne qui, ce matin même, au palais de Justice, a eu l’occasion de s’entretenir avec vous.

Blanche Perrier poussa un soupir de soulagement.

– Monsieur, sauvez-moi. Je viens d’être enlevée par des bandits, j’ignore ce qu’ils me veulent, mais que m’importe mon sort si je sais ce qu’il advient de mon enfant ? savez-vous quelque chose ? Où est mon petit Jacques ?

– Rassurez-vous, madame, dit-il, il n’a été fait aucun mal à votre enfant, et il ne tient qu’à vous de le revoir d’ici peu, dans quelques instants même. Il est ici.

– Ah monsieur.

– Un instant, donnant, donnant.

– Qu’y a-t-il ? Qu’allez-vous me demander ?

– De vous asseoir, d’abord, et de m’écouter ensuite.

Blanche obéit, l’homme parla :

– Je tiens d’abord à vous dire, madame, qui je suis : Juve, inspecteur de la Sûreté, je vous dis mon nom pour vous seule, dans votre intérêt, je vous engage à ne faire savoir à qui que ce soit que nous sommes en relations. C’est moi, oui, c’est moi, qui vous ai fait enlever ce soir, dans une automobile à mon service.

– Monsieur, vous plaisantez ? ou alors, vous mentez, vous n’êtes pas de la police ?

– Je ne plaisante pas, madame, et je vous dis l’exacte vérité, c’est moi qui vous ai fait enlever, et voici pourquoi : par suite des insinuations, voire même des accusations portées contre vous par la famille Granjeard, M. Mourier, le juge d’instruction, a décidé cette après-midi de vous faire arrêter.

– Moi, monsieur ?

– Vous, madame, précisa l’homme qui poursuivit :

– Sans mon intervention, à l’heure qu’il est, vous coucheriez en prison. Or cela m’a déplu, et j’estime que le juge fait une maladresse en voulant s’emparer de vous. Je vous ai donc fait fuir, dissimulée à ses recherches. Vous pouvez m’en être reconnaissante.

Blanche avait écouté avec stupeur le début de ce récit. C’était d’abord un sentiment de gratitude qu’elle éprouvait pour cet homme, mais une seconde pensée lui vint à l’esprit :

– Mais cela ne me convient pas du tout, Monsieur. Je veux retourner à Paris. J’irai voir le juge d’instruction. Je lui dirai…

Juve lui coupa la parole :

– Je veux, est un mot, déclara-t-il d’un ton sec, que l’on n’emploie guère avec moi. Il faut m’obéir lorsque je donne des ordres, et je n’accepte jamais qu’ils soient discutés.

– Mais, que voulez-vous de moi ?

– J’allais vous le dire lorsque vous m’avez interrompu, je reprends. D’ici quelques jours, peut-être après-demain, peut-être plus tard, je vous amènerai une compagne, dont je vous instituerai la gardienne, vous serez deux ici, vous et cette jeune fille.

– Et mon enfant ?

– Mettons que vous serez trois puisque votre enfant va vous être rendu. Je continue : cette jeune fille, vous en aurez le plus grand soin et si elle manifeste des velléités de s’en aller, vous l’en empêcherez, même par la force. Est-ce compris ? est-ce entendu ? À ce prix seulement, vous reverrez votre fils.

– Mais que signifient toutes ces choses ? quel est le but mystérieux que vous poursuivez ? Pourquoi me faut-il promettre, obéir ?

– Vraiment, votre curiosité passe les bornes, je vous ai dit ce qu’il fallait faire, et vous obéirez.

– Je n’obéirai pas, je lutterai contre vous.

– Oh oh ! C’est de l’audace, mais je vous pardonne, vous êtes sous l’empire de la colère, vous ne savez pas ce que vous dites, ni à qui vous parlez. D’ailleurs, vous n’aurez pas à lutter contre moi, je m’en vais. Dans quelques minutes, vous serez seule avec votre fils, dans cette belle maison, dont je vous défends de sortir, dont je vous défie même de sortir, mais où vous trouverez tout.

– Monsieur, rien à faire, je vous jure que, sitôt que vous serez parti et que j’aurai retrouvé mon enfant, puisque vous me dites qu’il va m’être rendu, lui et moi, nous ne resterons pas une minute de plus dans cette maison sinistre.

– Venez, dit l’homme, je vais vous conduire auprès de Jacques.

Blanche se précipita. Le policier l’avait attirée sur le palier, puis, il la faisait entrer dans une pièce voisine. À peine s’y trouvait-elle, que la jeune femme poussait un cri de joie. Sur un épais tapis qui recouvrait le sol, le petit Jacques était assis, jouant avec une préoccupation intense, ayant devant lui un superbe chemin de fer mécanique, tout neuf.

– Jacques, mon enfant, mon chéri, s’écria la pauvre mère en l’apercevant.

Mais elle s’arrêta net, paralysée de stupeur. Elle voulut dire un mot, sa gorge se gonfla, des larmes jaillirent de ses yeux, à peine put elle balbutier :

– Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce que ça signifie ?

Juve la regarda narquois :

– Vous voyez, fit-il, que j’avais raison de vous dire que vous ne quitteriez pas cette maison sans ma volonté.

Blanche baissa la tête, elle reconnaissait que le policier ne s’était pas trompé, qu’il avait usé, en effet, du meilleur moyen pour que sa prisonnière ne cherchât point à s’évader. Juve avait attaché son enfant d’une longue chaîne d’acier fixée à une extrémité de la pièce par un bout et par l’autre à une sorte de bracelet qui serrait le petit Jacques à la cheville droite, permettait certes à l’enfant, d’aller et venir, mais lui interdisait de sortir de la chambre, où il se trouvait.

– Jamais, déclara Juve triomphant, jamais, vous ne quitterez cette maison, car il vous faudrait abandonner votre fils, et vous ne ferez pas cela, je le sais.

12 – LE DOUTE

– 4 h 10, il ne peut plus tarder. Voyons, d’après les renseignements que j’ai reçus il doit porter une barbe noire, des moustaches longues relevées à la Guillaume, et d’ailleurs ce signalement est absolument superflu, car, à coup sûr il sera reconnu, une veste gris bleue, une casquette plate, les mains couvertes de cambouis et d’écorchures, je vais le reconnaître facilement.

Boulevard Arago, dans le renfoncement d’une porte, un homme se tenait dissimulé, évitant soigneusement de se faire voir des passants et les guettant cependant avec une anxiété qui croissait de minute en minute.

Il y avait peu de monde sur le boulevard, la pluie tombait sans discontinuer et le ciel était si noir, si lourd, si bas, que d’une minute à l’autre il allait sans doute être impossible de distinguer qui que ce soit. L’homme qui attendait ainsi était vêtu pauvrement, mais proprement, d’un grand veston, d’une casquette, d’un pantalon taché, de souliers assez grossiers ; il tressaillait soudain :

– Oh, oh, on dirait. Si je ne me trompe pas…

Suivant le trottoir, le collet de la vareuse relevé, la casquette plate enfoncée autant qu’il était possible sur le crâne, marchant vite, un homme venait en tenue de chauffeur d’automobile : il se dirigeait vers la prison de la Santé dont la porte s’apercevait un peu plus loin.

Or, comme le mécanicien allait dépasser l’inconnu qui attendait sous le porche, celui-ci, brusquement, s’avança au-devant de lui, lui barrant le passage :

– M’sieu, appela-t-il d’une voix dolente, faites-moi la charité, donnez-moi vingt sous.

S’entendant héler le mécanicien s’était arrêté, mais il avait repris sa marche :

– Ah bien, ça n’est pas le jour, mon pauvre vieux, si tu crois que j’suis en train de faire des cadeaux, tu te fourres le doigt dans l’œil. Mince, j’ai trop de déveine.

– Vingt sous. Vingt sous seulement. Vous êtes mécanicien, vous gagnez des ors, moi, j’nai rien.

– Va travailler, mon vieux.

– J’peux pas, m’sieu, j’sors de prison, de là-dedans, tenez, de la Santé, on me refuse partout.

– Ah, tu sors de la prison ? interrogea-t-il, eh bien, mon gaillard, tu n’as décidément pas de veine de t’adresser à moi. Moi j’y entre. Je vais me constituer prisonnier.

Le mendiant parut ahuri :

– Vous allez en prison, monsieur ? Qui qu’c’est qui vous y force ?

– Ce qui m’y force ? Je me le demande. Faut même que je sois rudement bête pour m’être laissé faire. Enfin ce qui est, est, et ça ne sert à rien de rouspéter. Et puis ça ne te regarde pas. J’ai pas d’argent à te donner, fous moi le camp.

– Comme ça, c’est-y pour longtemps que vous allez à la Santé ?

– Pour un jour. Jusqu’à demain midi. Voilà. Paraît que j’montais les Champs-Élysées à plus de cent à l’heure. C’est les flics qui ont dit cette imbécillité-là et puis, je ne sais pas, je ne me suis pas défendu à la correctionnelle. Enfin, i’m’ont collé un jour de prison, les salauds.

– Oh, si c’est pour un jour que vous y allez, il n’y a pas tant besoin de se faire du mauvais sang, vous serez quitte demain. Pensez donc, moi j’viens d’en tirer trois berges, ça, ça compte, mais vous, un jour. C’est même pas la peine d’en parler.

– Un jour, tu crois que ça n’est rien toi. Eh bien mon colon, ça me coûte cent francs. Demain, justement j’avais des Américains à conduire à Fontainebleau et cette sacrée machine-là, ça me fait rater l’affaire. Un jour de prison ? bien sûr, ce n’est rien, mais cent francs, ah, nom d’un chien !

Or, comme le mécanicien haussant les épaules, tapant du pied allait définitivement entrer dans la prison pour demander le chemin du greffe et aller purger sa peine, l’inconnu qui venait de le faire bavarder, brusquement, lui posait la main sur le bras, cependant qu’il lui soufflait à voix basse :

– Dites donc. Ça vous coûte cent francs d’être prisonnier demain. Eh bien, moi pour vingt francs, je vous remplace, si vous voulez ? Ça colle-t’y ? Vous me passez vos papiers, je me constitue pour vous et demain, à six heures, vous me donnez les vingt balles. Hein ?

– Tu ferais cela ? toi ?

– Naturliche.

– Et si on est pincés ?

– Oh, il n’y a pas de casse à craindre. D’abord, ce serait moi qui serait pincé et puis pourquoi que je serais pincé ? Acceptez donc, mon prince. Quoi, vingt francs que je vous demande, ça n’est pas cher et des fois, en plus du prix convenu vos clients vous donneront peut-être encore un pourboire. Allons, vous y avez tout intérêt.

– Alors, pour vingt francs, tu consens à faire mon jour de prison ?

– Puisque je vous le dis.

Deux minutes encore le mécanicien hésita, puis il posa la main sur le bras de l’homme :

– Viens, j’paie la goutte et j’te passe les papiers.

***

Trois quarts d’heure plus tard, au greffe de la Santé, dans un petit bâtiment propret situé au fond de la cour d’honneur, derrière les murs ornés de fleurs, l’individu qui se présentait pour se constituer prisonnier n’était autre que le mendiant qui avait sollicité et obtenu de prendre la place du brave mécanicien condamné.

Mais, autant son attitude était humble et apitoyante tant qu’il s’était entretenu avec le chauffeur, autant il le prenait de haut avec les employés de la prison :

– Vous en avez un culot, vous de prétendre encore que je me laisse fouiller et de m’envoyer à la douche et de me faire déposer mon argent, de me traiter comme un assassin. Je ne suis pas un misérable, moi, c’est un jour de prison que je viens faire, je ne veux pas que l’on me touche, le premier qui m’approche…

Les employés du greffe avaient éclaté de rire.

– Après tout, il a raison ce bonhomme, déclarait un gardien-chef, j’comprends qu’il rouspète, moi. Un jour de prison pour excès de vitesse, c’est vexant. Allons, ne te fâche pas mon vieux, on ne te fera pas passer à la douche, parce que c’est toi, seulement ne nous fait pas d’embêtements, hein ? Le règlement, c’est le règlement, faut que tu déposes ce que t’as sur toi.

– Ça, c’est bien dit, du moment que l’on y met les formes, j’veux bien m’laisser faire. Seulement j’veux pas qu’on m’touche, là, c’est mon idée à moi, c’que j’ai, j’vas vous l’donner. Voilà, j’ai rien d’autre.

– Donne ta cravate aussi.

– Ma cravate ? demanda-t-il, pourquoi faire ?

– Pour que tu ne t’étrangles pas avec !

– Ah bien, vous en avez de bonnes, en voilà des rigolos. Que j’vous donne ma cravate ? et puis quoi encore ? Non, je refuse. Vous ne l’aurez pas.

Le gardien-chef ordonna à l’un de ses subordonnés :

– Thomas, enlevez sa cravate.

Alors ce fut épique. L’homme voulut résister. Il n’était pas méchant, évidemment, mais il était en colère.

Bondissant dans tout le greffe, lançant des blagues en même temps que des exclamations de rage, il échappait aux gardiens, bouleversait les bureaux, ne voulait pas se laisser faire. À la fin cependant on s’empara de lui, on lui ôta sa cravate. Et comme après tout il paraissait brave homme, les gardiens ne lui gardèrent pas rancune de son extraordinaire résistance :

– Allons, viens, commanda l’un d’eux. Assez rigolé comme ça. Il est sept heures du soir. On va te boucler, à onze heures et demie demain matin tu seras libre. Eh bien mon vieux, si tous les clients faisaient du foin comme toi !…

À onze heures et demie, en effet, le lendemain matin, l’extraordinaire individu qui avait remplacé le brave mécanicien était extrait de la cellule où il avait passé la nuit, pour être ramené au greffe. Les employés de service n’étaient point les mêmes, on lui rendit sans difficulté ses affaires, on le remit en liberté.

Or, à peine l’homme avait-il franchi la porte de la Santé qu’il traversa le trottoir en courant, héla un fiacre, donna une adresse au cocher et sauta en voiture. Le fiacre n’avait pas démarré, la portière n’était pas retombée que l’homme éclatait de rire :

– C’est le plus beau tour que j’ai jamais joué de ma vie, se déclara-t-il en aparté, et franchement, je peux être fier de mon succès.

Tout en parlant, il tirait de la doublure de son veston un papier qui s’y trouvait dissimulé et l’examinait soigneusement.

– Voilà, murmurait-il, voilà qui va m’ouvrir toutes les portes de cette infernale prison et me permettre d’accomplir en paix ce que je veux accomplir. Ont-ils été bêtes à ce greffe ? à ma résistance, ils n’ont vu que du feu. Les idiots. Leur remettre ma cravate, hé, je m’en moquais bien, ce qui était important c’était de saisir dans le casier à droite une formule de permis de communiquer, d’apposer le sceau de la prison, mine de rien, puis de fourrer le tout dans ma poche.

Qu’est-ce que tout cela voulait dire ? Étrange histoire. Riquet, s’il avait rencontré l’homme du fiacre, eût été enthousiasmé par le récit de son entreprise. En effet, l’homme qui avait abordé le chauffeur allant se constituer prisonnier, qui l’avait décidé à se faire remplacer par lui, c’était Juve encore qui, jouant une habile comédie avait réussi dans le greffe de la prison, sous l’œil même des employés et sans que ceux-ci pussent s’en apercevoir, à voler un permis de communiquer, à y apposer le sceau.

Juve avait raison de le dire. Il venait bien de jouer là un des plus beaux tours de sa carrière. Mais, à la vérité, pourquoi Juve avait-il agi ainsi ? Pourquoi, s’il avait besoin de communiquer avec un prisonnier, n’avait-il pas demandé un permis plus régulier à M. Havard, qui le savait en vie ? Pourquoi s’était-il exposé ainsi ? Il eût fallu, sans doute, pénétrer l’âme de Juve pour avoir la clef de tous ces mystères. Le policier était trop réfléchi, trop habile pour avoir agi à la légère. S’il s’était conduit de cette façon bizarre, c’était qu’évidemment il obéissait à une impérieuse nécessité. Si dans le fiacre qui l’emportait, Juve riait en considérant le permis de communiquer volé, c’est qu’il attachait une grande importance à cette pièce.

***

À six heures du soir, le même jour, un visiteur qui n’était autre que Juve, mais un Juve ayant repris ses apparences de policier correct, bourgeoisement habillé, se présentait au greffe de la Santé, non plus au greffe principal où sont reçus les condamnés qui viennent purger leur peine, mais bien au greffe annexe où l’on doit présenter les permis de communiquer permettant d’être mis en présence des prisonniers, détenus par mesure de prévention.

Juve avisait l’employé chargé des visa, lui tendait son permis :

– Puis-je être mis en présence de M. Paul Granjeard ? demanda-t-il. Je suis inspecteur de la Sûreté.

L’employé vérifia le titre, lut un nom qui n’était pas le nom de Juve, vérifia encore le sceau du greffe central et le tout étant régulier, appuya sur un timbre :

– Monsieur l’inspecteur, je vous fais conduire par un gardien.

Quelques minutes plus tard, Juve était introduit dans un petit parloir où, sous la conduite d’un brigadier, venait le rejoindre Paul Granjeard.

– Monsieur l’inspecteur, déclara le brigadier en se retirant, quand vous aurez fini de communiquer, vous n’aurez qu’à vous servir de cette sonnette, je viendrai reprendre le prisonnier.

– C’est parfait, répondit-il.

Et, en même temps, il se retourna vers le prisonnier, auquel, jusqu’alors, il avait pris grand soin de dissimuler son visage.

Or, à peine Paul Granjeard avait-il aperçu Juve que le jeune homme pâlit :

– Comment ? c’est vous, vous, monsieur Juve ? mais on m’avait dit ?

– Je suis ici sous un nom supposé, monsieur Granjeard, c’est pourquoi on vous a dit que c’était l’inspecteur Binet qui venait vous entretenir.

– Mais pourquoi ?

– Vous allez le savoir.

– Pas de mauvaises nouvelles, au moins ?

– De très mauvaises nouvelles au contraire : Asseyez-vous, monsieur. Nous n’avons que quelques mots à dire, et j’ai peur pour vous de ce que je vais vous apprendre.

– Que savez-vous ? Qu’avez-vous appris ? Que voulez-vous de moi ?

– Je connais l’assassin de votre frère.

– Dites-moi son nom.

– Pas encore. Monsieur Paul Granjeard, vous êtes innocent. Votre frère est innocent aussi.

– Mais je le sais bien, nous sommes tous innocents. C’est Blanche Perrier qui…

– Ce n’est pas Blanche Perrier qui a tué, qui a fait tuer votre frère. Si c’était Blanche Perrier, je serais venu ici avec la certitude de vous causer un grand bonheur, car en vous disant « vous êtes innocent » je vous aurais dit aussi, vous allez être libre, vous allez retrouver libres, votre frère et votre mère.

– Eh bien ? mais, ah ça, que voulez-vous me dire ?

– Ne m’interrompez pas, monsieur Granjeard, ce que je viens vous dire ici est grave, très grave. Je viens vous le dire, songez-y bien, sous un faux nom, en me cachant, moi Juve. C’est donc que j’ai pitié de vous. Vous ne vous y trompez pas, n’est-ce pas ?

– Parlez, parlez.

– Monsieur Paul Granjeard, vous êtes innocent. Votre frère est innocent, mais je connais le nom de l’assassin, je sais qui a fait tuer votre frère, qui l’a fait tuer pour éviter que l’usine ne soit privée de capitaux qui lui étaient nécessaires. Allons, monsieur Paul Granjeard, soyez courageux, l’assassin c’est…

– C’est qui ?

– C’est votre mère.

– C’est ma mère qui a fait tuer mon frère ? répéta lentement Paul Granjeard, lorsque après quelques minutes de silence effaré, il sembla reprendre conscience des paroles du policier. Ah, c’est horrible, ça n’est pas possible. C’est faux !

– Je suis certain de ce que j’avance.

Alors, dans le petit parloir de la prison, Paul Granjeard, comme assommé par la révélation du policier, se dressait, portait les mains à sa gorge, puis, étouffant presque, tomba à genoux, sanglotant.

Juve, lui les bras croisés, adossé à la muraille, contemplait ce désespoir sans rien dire. C’est seulement quand Paul Granjeard eut longuement sangloté, quand il eut en quelque sorte épuisé sa douleur, que Juve recommença à parler.

– Monsieur Granjeard, dit Juve, j’ai terriblement pitié de vous, oh, terriblement, croyez-le. Écoutez, ce qui arrive est abominable. Je suis fautif, moi aussi. D’abord je croyais, oui, je vous l’avoue, je croyais que votre frère et vous, vous étiez les coupables, je supposais que votre mère était innocente. Hélas, j’ai enquêté, je sais, vous me comprenez bien, je sais que vous, vous êtes innocent et que votre mère est coupable. Que faire ? Ah, oui, j’ai pitié de vous, car en somme ce n’est pas elle, c’est vous qui allez expier.

– Monsieur, si ma mère a réellement commis cet horrible forfait, elle n’a pu s’y décider que dans un moment de folie, sauvez-là ! Je vous en conjure, sauvez-là ! Sauvez-là, mon frère et moi, durant notre vie entière nous serons vos esclaves, notre fortune vous appartiendra, mais ne laissez pas accuser ma mère. Sauvez-là, sauvez-là ! Il ne faut pas que vous l’accusiez, il ne le faut pas, ce serait mal, elle est folle. Elle a été folle.

– Il y a des tiers, monsieur, qui savent comme moi que votre mère est coupable, et même si je me laissais fléchir par votre douleur, ils parleraient, il faudrait acheter leur silence… et…

– Payez-le… donnez-leur tout ce que je possède.

– Il faudrait cinq cent mille francs.

– Vous les aurez. Mais sauvez ma mère.

Juve ne répondait d’abord ni oui ni non. Un long moment passait, peut-être un combat affreux se livrait-il dans l’âme du policier, il pouvait en effet, s’il voulait, faire remettre en liberté toute la famille Granjeard, mais le devait-il ? Non certes, les coupables doivent être punis et Juve était trop la droiture et la justice même pour hésiter un seul instant, cependant le célèbre inspecteur avait certainement un but, une idée, puisqu’il répondit à Paul Granjeard en ces termes :

– Écoutez-moi, ordonna le policier, vous ne m’avez pas vu. Ce n’est pas l’inspecteur Juve qui est venu vous rendre visite aujourd’hui, c’est l’inspecteur Binet. Vous ne parlerez de ma visite à personne, vous me le jurez sur votre honneur ?

– Je vous le jure.

– Bien. Maintenant je vais essayer de sauver votre mère, je ne vous promets rien. Je ferai mon possible. L’argent vous importe peu, je le comprends, vous me rembourserez ce que j’aurai déboursé. Voilà tout. Demain peut-être, vous serez tous libres.


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