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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 03:47

Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Faudra saler la note, disait-il, si ces gens-là peuvent raquer. Une fois n’est pas coutume et ça n’arrive pas tous les jours qu’on loue en même temps les deux cabinets.

Fandor et Hélène s’arrêtèrent un instant et prêtèrent l’oreille : on parlait dans la salle voisine et comme ils n’en étaient séparés que par une mince cloison, ils entendaient très nettement tout ce que l’on pouvait dire.

Or, il y avait là des voix dont les deux amoureux reconnaissaient le timbre, et qui, instinctivement, les faisait tressaillir. Brusquement Hélène se rapprocha de Fandor :

– Pourquoi m’avez-vous donné rendez-vous dans ce bouge où je me demande si nous sommes en sécurité ?

– Vous n’avez rien à craindre avec moi. L’endroit est misérable. Mais vous n’ignorez pas comment nous vivons tous les deux. Il est de notre devoir d’être prudents, de ne risquer de nous faire connaître qu’à bon escient et d’éviter les endroits trop connus où on pourrait nous voir. Mais qu’avez-vous ?

– Rien, absolument rien.

Mais le journaliste se rendait parfaitement compte qu’Hélène dissimulait sa pensée. Elle venait d’avoir une émotion et cette émotion avait été déterminée par un éclat de voix qui venait de l’autre côté de la cloison.

Dans cette pièce, le cabinet 41, trois personnages se trouvaient en présence. La seule femme était bien Fleur-de-Rogue, ainsi que l’avait reconnue le gargotier et son acolyte. La farouche pierreuse était assise à côté d’un homme qui n’était autre que son amant, le sinistre Bedeau. Celui-ci paraissait fort ennuyé. Il ne toucha point au lapin sauté que, d’autorité, Séraphin était venu déposer sur la table. Le nez dans son assiette, tête basse, il écoutait en silence les reproches que lui adressait le troisième personnage assis en face de lui.

– C’est vrai, reconnut le Bedeau, lorsque enfin il se décida à parler, c’est vrai que j’ai été bien toquard dans cette affaire-là.

– C’est-à-dire, reprit son interlocuteur, que tu as été lâche, ignoble et capon, désobéissant aussi. Tu as laissé partir Hélène, malgré mes ordres.

– Patron, balbutia le Bedeau, faut pas m’en vouloir. Je ne l’ai pas fait exprès, je ne tenais qu’à une chose, c’était à vous obéir, à surveiller les prisonnières, je n’ai pourtant songé qu’à ça.

Un coup de poing formidable ébranla la table et celui que le Bedeau reconnaissait pour un chef, interrompit en criant :

– Ça n’est pas vrai. Tu as fui, tu as quitté le couvent de l’Assomption sans te préoccuper des gens que je t’avais donnés à garder. Uniquement pour te sauver avec l’argent que tu avais trouvé. Je le sais, n’essaye pas de mentir.

Ce fut Fleur-de-Rogue qui répondit pour le Bedeau :

– Vous avez raison, maître, dit-elle, et autant l’avouer, le Bedeau a été emballé à l’idée qu’il y avait du pèze dans le coffre et il a perdu la boule. Moi-même je suis coupable, j’aurais dû l’empêcher de faire cette bêtise, je l’ai poussé à se débiner mais si on fait des gaffes, on est là pour les réparer. J’ai dit comme ça au Bedeau tout à l’heure : « Le patron nous donne rendez-vous, c’est sûrement que nous allons prendre l’engueulade, eh bien, tant pis. Il faut y aller carrément, et puisqu’on a fait un bon chopin avec le coffre, faut lui dire nettement, part à deux. »

Cependant que Fleur-de-Rogue parlait, l’homme s’était radouci. Ses traits énergiques et durs se détendaient, il répondit :

– Tu me plais, Fleur-de-Rogue. Tu as du culot. Le Bedeau peut se dire que si je suis disposé à l’épargner, c’est uniquement grâce à toi et pour te faire plaisir. Maintenant, Fleur-de-Rogue, écoute bien ceci : ce coffret, tu l’as rapporté ici dans l’intention généreuse d’en partager le contenu avec moi je ne t’en remercie pas, car tu n’as fait que ton devoir, toutefois, il ne s’agit pas de partager mais de me donner tout ou pour mieux dire de me donner ce qui m’est dû et me rendre le coffre et l’argent. Vous ne vous imaginez pas, vous autres poursuivit-il, en haussant le ton, que Fantômas est un homme à consentir un partage avec les gens qu’il emploie ?

Fantômas ?

C’était en effet Fantômas, qui se trouvait tenir tête au redoutable Bedeau et à sa tragique maîtresse. L’empire que le Génie du Crime exerçait sur l’apache et sur la pierreuse était tel que l’un et l’autre filaient doux.

Le Bedeau, toutefois, en apprenant que la totalité de l’argent qu’il avait découvert, allait lui échapper, essaya de solliciter une indemnité quelconque, une petite part personnelle.

– Imbécile, triple idiot, fit Fantômas, t’imagines-tu par hasard que tu as découvert quelque chose et que tu puisses avoir un droit de propriété sur ce coffret ? Mais malheureux, l’argent que tu as trouvé, les billets de banque enfermés dans cette cassette tout a été apporté par moi dans la cave du couvent. Le contenant et le contenu m’appartiennent et la meilleure preuve est que si tu as trouvé à côté du coffre une clé permettant de l’ouvrir, j’ai, moi aussi, le double de cette clé, et que je m’en vais, à l’instant même vérifier le contenu de cette cassette qui m’appartient.

– Fantômas, proféra le Bedeau, je te jure que la somme est intacte, tu peux vérifier.

Dompté désormais, résigné à tout perdre, le Bedeau, de plus en plus confus, allait chercher le coffret qu’il avait déposé dans un angle de la pièce. Puis il fit silence et Fantômas, qui lui tournait le dos, ainsi qu’à Fleur-de-Rogue, ouvrit lentement la cassette et s’assura qu’elle contenait toujours les liasses de billets de banque qu’il avait déposés quelque temps auparavant, billets de banque qui n’étaient autres d’ailleurs que ceux qu’il avait obtenu, tant de la veuve Granjeard que de son fils Paul, lorsque, se faisant passer pour Juve auprès d’eux, il avait réussi l’abominable chantage qui devait lui rapporter un million.

– Fleur-de-Rogue, fit Fantômas, et toi le Bedeau, écoutez bien ceci, je vous épargne, je ne vous punis pas des fautes que vous avez commises. Quoi qu’on dise le contraire, je suis bon. Mais c’est à une condition. Tu garderas ce trésor, le Bedeau, je te le confie, qu’il te soit plus cher et plus précieux que la prunelle de tes yeux. Tu t’engages, quoi qu’il arrive, à le défendre jusqu’à la mort.

Le Bedeau leva la main.

– C’est juré, patron.

– Bien, fit Fantômas. D’ailleurs si tu ne tenais pas ta parole, aussi vrai que je suis le Génie du Crime, tu périrais dans les tortures les plus affreuses.

Les trois interlocuteurs s’arrêtèrent soudain : ils venaient d’entendre du bruit dans la pièce voisine. Fantômas fit un signe. Ils bondirent au rez-de-chaussée, non point par l’escalier qui faisait directement communiquer le premier étage avec la rue, mais par celui qui descendait dans la salle commune.

Ils bousculèrent le père Pioche, le renversèrent :

– Misérable, hurla Fantômas, en décochant un formidable coup de poing dans le visage du gargotier, misérable. Qui donc t’as payé pour venir nous espionner ? Qui donc as-tu mis dans le cabinet voisin de celui que j’occupais ?

Pioche s’était à peine redressé et allait balbutier quelques excuses sans bien comprendre ce dont il était coupable, que son interpellateur qui, majestueusement, traversait la salle commune, atteignait la porte et s’éclipsa.

– Bon Dieu, jura Pioche, au milieu des éclats de rire de l’assistance, ce salaud-là se débine sans payer, heureusement qu’il reste les autres.

Pioche monta. Le cabinet 41 était vide. Fleur-de-Rogue et le Bedeau avaient disparu, mais, après un instant de stupéfaction et de désespoir, Pioche se rassura :

– Qu’est-ce que cela me fait ? C’est à Fleur-de-Rogue que je m’en prendrai.

Le départ des trois interlocuteurs avait été soudain et rapide et non sans raison, Fantômas, le Bedeau et Fleur-de-Rogue s’étaient aperçus, en effet, tout d’un coup, que dans le cabinet voisin il y avait du monde. Or, ils se doutaient que ces gens devaient écouter, et comme ils craignaient d’être découverts, appréhendés par eux, ils s’étaient sauvés, trouvant préférable de ne pas risquer une bagarre dans un semblable lieu. Toutefois, si Fantômas et ses compagnons s’étaient imaginé qu’ils avaient autour d’eux des adversaires, le Génie du Crime était à cent lieues de songer que ceux-là même qui les écoutaient n’étaient autres que Fandor et sa fille. Fantômas, assurément, malgré son audace et sa témérité, aurait frémi s’il avait su qu’à travers la mince cloison qui séparait la pièce dans laquelle il se trouvait, du cabinet 22, le canon d’un revolver avait été, quelques instants, braqué sur sa poitrine.

Fandor, en effet, en écoutant la conversation dont il percevait nettement les échos, n’avait pas tardé à reconnaître ceux qui occupaient le cabinet voisin.

Avec stupeur, il s’était aperçu de la présence de Fleur-de-Rogue et du Bedeau, avec une indicible colère il avait reconnu Fantômas.

Et dès lors, le jeune homme, comme électrisé, avait bondi, pris son arme dans la poche de son pardessus. Mais Hélène était là et la jeune fille ne pouvait oublier, malgré tout, que Fantômas était l’auteur de ses jours et que son devoir à elle était de le protéger en dépit de tout et contre tous.

Fandor, le bras tendu, avait visé à travers la cloison par un interstice des planches disjointes, la poitrine de Fantômas qu’il voulait transpercer.

Mais Hélène s’était précipitée devant le journaliste, elle avait interposé son corps souple et élégant entre le canon du revolver et la cloison menacée :

– Vous ne tirerez pas, Fandor, avait-elle murmuré.

Le journaliste, en effet, avait laissé tomber son arme.

– Hélène, murmura-t-il, en s’efforçant d’écarter la jeune fille pour sortir de la pièce, laissez-moi, il faut que j’intervienne, Fantômas est là, à ma merci et je ne puis…

Mais Hélène avait arrêté Fandor, elle l’avait retenu en nouant autour de son cou ses deux bras, en unissant ses lèvres aux siennes.

Cela n’avait duré qu’un instant, qu’une seconde, mais Fantômas et ses compagnons en avaient profité pour disparaître. Fandor s’était arraché à l’étreinte amoureuse d’Hélène, mais lorsqu’il sortit du cabinet 22, le 41 était vide.

22 – LA LOGIQUE DE RIQUET

Debout dans le cabinet de son fils Paul, M me Granjeard, le véritable directeur de l’usine, l’âme même de la formidable industrie qui représentait sa fortune, dictait ses instructions à Paul Granjeard.

– Tu leur répondras, disait-elle, désignant une lettre que son fils venait de lui passer, que nous n’avons pas cette sorte de fers et que nous ne tenons pas à les avoir. Écris cela sur un ton désagréable, qu’ils comprennent bien que s’ils veulent s’adresser à un concurrent, ils devront rompre toutes relations commerciales avec nous. On n’a pas idée de cela. Voilà maintenant que les clients se documentent avant de s’adresser à nous. Je les ai moi-même reçus la semaine dernière, j’avais étudié la question, et ils ne s’en rapportent pas à ce que je leur ai dit. Nous avons autre chose à faire qu’à discuter technique pour des commandes de si peu d’importance.

Au même moment, on frappait à la porte de la pièce. M me Granjeard répondit :

– Entrez.

C’était une nommée Julie, récemment engagée par les Granjeard et qui, certainement, n’était pas des mieux stylées.

– Madame, commençait la bonne, c’est comme qui dirait un courtier en vins qui voudrait à toute force vous parler.

– Dites que je ne suis pas là.

– Faites excuse. Madame, mais il sait que vous êtes là, je le lui ai dit…

– Vous êtes une sotte. Arrangez-vous pour qu’il s’en aille.

– C’est que, Madame, il a dit comme ça, que je vous prévienne qu’il venait de la part de M. Théodor.

– Il vient de la part de M. Théodor ? Allons, bon, faites-le entrer dans le petit salon.

M me Granjeard, d’abord bien décidée à ne pas recevoir le courtier en vins qui venait l’importuner chez elle, avait brusquement changé d’avis en entendant le nom de M. Théodor.

M. Théodor était, en effet, un oncle éloigné de la famille Granjeard, un oncle célibataire qui possédait une grosse fortune. Ce parent, depuis la mort mystérieuse de Didier Granjeard, n’avait donné aucun signe de vie à ses parents. Plus même, il avait paru terriblement impressionné par les malheurs successifs qui s’étaient abattus sur les Granjeard, et notamment par leur arrestation. Si vraiment il recommandait quelqu’un, ce n’était pas le moment de le froisser en refusant de recevoir son protégé.

M me Granjeard se tourna vers son fils :

– Il n’en fait jamais d’autres, l’oncle Théodor.

Abandonnant son fils à son travail, M me Granjeard se rendit dans le petit salon où le courtier l’attendait. C’était un homme d’une quarantaine d’années, sobrement vêtu, dont la figure intelligente semblait voilée d’un air de défiance perpétuelle. Il se leva à l’entrée de M me Granjeard, s’inclina très bas, puis, sur son invitation, choisit un fauteuil à contre-jour :

– Madame, commença le courtier, je viens vous trouver de la part de M. Théodor, qui m’a assuré que vous voudriez bien écouter avec indulgence les propositions commerciales que j’ai l’intention de vous soumettre.

– Mes caves sont pleines, Monsieur.

– Sans doute, ripostait le courtier, sans doute. Mais je sais que votre défunt mari, le regretté M. Granjeard, avait organisé pour le service de ses ouvriers une sorte de magasin où ses hommes pouvaient acheter à des prix défiant toute concurrence, les produits nécessaires à leur ménage.

– Vous voulez parler de la cantine de l’usine ?

– Oui, Madame. M. Granjeard, je crois, s’occupait lui-même d’acheter les approvisionnements et les revendait à perte à ses ouvriers, ce qui était une manière délicate de leur faire du bien. Dans ces conditions, Madame…

– Mon mari faisait comme bon lui semblait, Monsieur. Depuis sa mort, moi et mes fils, qui sont mes associés, nous faisons comme bon nous semble. Mes approvisionnements pour la cantine ont donc changé de nature. Mon mari agissait par philanthropie, je prétends agir là comme ailleurs, en commerçante. Je n’ai donc nullement l’intention de vendre du vin à perte, au contraire. Quelles sont vos qualités ? Quels sont vos prix ? C’est sur ces bases, que peut-être, nous pouvons arriver à nous entendre.

– Madame, je suis heureux que vous arriviez, en effet, à parler prix et catalogue. Voulez-vous jeter un coup d’œil sur ceci ?

Le courtier tendait à M me Granjeard un prospectus, que celle-ci commençait à examiner. Quel était ce courtier ?

Il s’était recommandé, à vrai dire, du nom de l’oncle Théodor, mais il n’avait apporté à l’appui de cette recommandation aucune pièce, aucune lettre.

Lorsque le courtier, en effet, avait sonné à la grille, et avait été reçu par Julie, puis introduit dans la maison, un homme qui prenait grand-garde de n’être point aperçu, s’était mystérieusement glissée dans le jardin entourant la demeure particulière des Granjeard.

Il était vêtu d’un pardessus de couleur sombre, coiffé d’un chapeau mou enfoncé très avant sur son crâne, il suivait les murailles du jardin, courbé en deux, évitant les endroits découverts, marchant de préférence dans les plates-bandes, entre les massifs des lilas même.

Et, au moment même où M me Granjeard commençait à causer avec le courtier, dans le petit salon, l’individu s’étant assuré que nul ne l’épiait, gravit rapidement les marches du perron, s’introduisit avec une rapidité et une audace extrêmes, dans le vestibule de la maison.

Si le personnage du courtier était mystérieux et énigmatique, l’homme qui pénétrait ainsi chez les Granjeard devait avoir de puissantes raisons pour désirer n’être pas vu, pour désirer surtout réussir une certaine opération.

Parvenu dans le vestibule, marchant avec une habileté extrême, sans faire le moindre bruit, l’inconnu examina au portemanteau installé dans l’entrée, des pardessus d’hommes, les pardessus des fils Granjeard, qu’il repoussait l’un après l’autre.

Au portemanteau, accroché par une manche, il avisa un dernier paletot qu’il retournait en tous sens, avec un sourire de satisfaction :

– Cette fois, je ne me trompe pas, murmurait-il, voilà bien le vêtement de ce damné courtier. Hé, hé, j’imagine que nous allons nous amuser.

Mais au moment même l’homme pâlit. Un pas avait retenti dans le couloir voisin, dans lai direction du vestibule.

– Bigre, murmura l’homme, vais-je me faire prendre sottement ici ?

Il s’enfonça, immobile, dans une encoignure de porte, retenant sa respiration. Le vestibule, par bonheur, était sombre, M me Granjeard, en femme économe, n’y laissait jamais allumer l’électricité, même à la tombée de la nuit, et Julie traversa dans son entier la pièce sans se douter que quelqu’un y était caché.

La bonne avait à peine disparu que l’homme sortait de l’ombre.

Il revint vers le pardessus accroché au porte-parapluie, il fouilla, eut l’air de rire, haussa les épaules, puis, furtif, sans faire le moindre bruit, il sortit de la maison, regagna le jardin, se perdit dans la nuit.

Ce mystérieux visiteur avait été véritablement bien inspiré en ne s’attardant pas davantage dans le vestibule de l’usine Granjeard. Il était à peine sorti, en effet, que la porte du petit salon s’ouvrit, le courtier en vins était reconduit par M me Granjeard en personne.

– C’est entendu, Monsieur, déclarait cette personne revêche, vous allez examiner avec les propriétaires à quel prix vous pourrez me fournir ces pièces de vin dans les quantités que je vous indique. Écrivez-moi alors, nous verrons si nous pouvons nous entendre.

Au porte-parapluie le courtier reprit son paletot. Il salua une dernière fois la directrice de l’usine.

– Il me reste, Madame, à vous remercier de votre bienveillant accueil. J’espère, en effet, que nous arriverons facilement à nous entendre.

Dehors, la porte de l’hôtel refermée, le courtier se frotta les mains.

– Évidemment, murmurait-il, évidemment, je n’ai rien appris de bien sensationnel au cours de ma visite, toutefois, si je ne me trompe pas, je peux tenir pour assuré que M me Granjeard est, avant tout, une femme intéressée avec qui il ne faudrait pas badiner en matière d’argent. Hé, hé, le renseignement a son importance.

Tout en songeant, le courtier s’orientait dans Saint-Denis, retrouvait la ligne des tramways qui rentrent dans Paris, grimpait dans une voiture. Il était décidément fort occupé, car il ne remarqua même pas l’attention avec laquelle un jeune garçon montait derrière lui en voiture, et venu s’asseoir à ses côtés, le dévisageait.

– Cette M me Granjeard, pensait le courtier, elle n’a d’autre souci que de faire fortune. Elle parle de son mari mort sans la moindre émotion. À trois reprises j’ai prononcé le nom de ce malheureux Didier, et je ne l’ai même pas vue tressaillir. Allons, jolie nature encore.

Le tramway, rapide, car les tramways de pénétration ont l’avantage d’aller beaucoup plus vite que les tramways circulant dans Paris, venait de franchir la barrière quand le courtier, soupirant profondément, releva la tête, chercha à s’orienter.

Il était près de sept heures et demie du soir. Il faisait froid. Les vitres de la voiture disparaissaient sous la buée. Le courtier, tout naturellement, se leva à moitié, chercha à distinguer la rue où il se trouvait et, gêné par la buée des vitres, voulut prendre dans sa poche de pardessus sa paire de gants et s’en servir afin de nettoyer le carreau.

Or, à ce moment précis, tandis qu’il fouillait dans sa poche, un cri d’horreur s’échappa des lèvres de tous les voyageurs qui se trouvaient avec lui dans le tramway.

Le courtier avait bien mis la main dans sa poche, il avait bien retiré sa paire de gants, mais sans s’en apercevoir il avait fait tomber encore de sa propre poche quelque chose qui était épouvantable à regarder, qui gisait sur le plancher de la voiture, qui était une longue chevelure, une chevelure de femme, une chevelure à laquelle adhéraient encore des morceaux de chair sanglants.

À la minute, tandis que les voyageurs, pris de panique, hurlaient d’effroi, le courtier se retourna et considéra, lui aussi, le scalpe tombé entre les banquettes. Il ne pâlit pas, l’étrange courtier, mais il poussa un sourd juron.

– Crédibisèque, qu’est-ce que cela veut dire ?

À ce moment, on cria :

– À l’assassin, arrêtez-le, arrêtez-le.

Le courtier, encore mal remis de son propre étonnement, vit autour de lui des poings tendus menaçants, des visages que la colère et le dégoût rendaient furieux.

– Mais sapristi, commença-t-il, qu’est-ce que vous avez donc tous ? Qu’est-ce qui a jeté ça ?

Il se baissa, il ramassa la chevelure, il la considéra l’œil stupéfait. Les vociférations continuaient cependant. On se remit à crier :

– À l’assassin, arrêtez-le, arrêtez-le !

Le courtier pourtant, son premier effroi passé, semblait retrouver un grand sang-froid. D’un geste autoritaire il écarta ceux qui se bousculaient près de lui :

– Conducteur, criait-il, ne laissez descendre personne.

Et, en même temps, se dirigeant vers la sortie de la voiture, à haute voix, l’étrange personne commanda :

– Je vérifierai l’identité de toutes les personnes présentes, par conséquent, inutile de vouloir résister. Que la personne qui a perdu cette chevelure se livre d’elle-même.

C’était là, pour les assistants, des paroles extraordinaires, car chacun était persuadé que le scalp était bel et bien tombé des poches de ce voyageur.

Pourtant, au moment même où il affirmait qu’il vérifierait l’identité de toutes les personnes présentes, une voix s’éleva tranquille, qui répondit :

– Eh bien quoi, faites pas de pétard, puisque je suis fait, j’aime autant le dire tout de suite, c’est moi qui ai laissé tomber ça.

C’était un gosse qui riait, avec une belle quiétude, s’avançant vers le courtier :

– Emmenez-moi, disait-il, c’est moi qui ai perdu le scalp que vous tenez, mais je ne tiens pas à me faire étriper par la foule.

La déclaration du gosse – c’était le gamin qui, depuis Saint-Denis avait dévisagé le courtier – fit stupeur.

Un instant, on se tut. Déjà le courtier avait mis sa main sur l’épaule du gamin, le poussant vers la sortie de la voiture ;

– Suis-moi.

Le conducteur toutefois, barra le passage.

– Qui c’est que vous êtes ? demandait-il, ah, mais ça ne peut pas se passer comme ça, faut chercher les agents.

Pour toute réponse, le courtier prit dans sa poche une sorte de petit carton qu’il plaça sous les yeux de l’employé.

– Inspecteur de police. Faites arrêter, et repartez tout de suite. J’emmène le gamin.

Il tenait en effet par l’épaule solidement le gosse, qui s’était livré de lui-même.

Il le fit descendre et descendit en même temps que lui.

– Repartez, cria l’inspecteur de police au conducteur du tramway.

Et, en même temps, il entraînait brutalement l’enfant. Les deux hommes firent ainsi quelques pas, puis le faux courtier s’arrêta et considérant son prisonnier :

– Ah çà, demanda-t-il, qui diable es-tu ? Et qu’est-ce qui t’a pris de dire que tu avais perdu cette chevelure, quand elle était tombée de ma poche ?

Le gosse lui fit cette réponse extraordinaire :

– M’sieu Juve, vous pourriez bien m’offrir une tasse de café, sauf votre respect, c’est mon heure. Et puis, en prenant un petit noir j’pourrai peut-être bien vous dire des choses intéressantes.

***

Dix minutes plus tard, le policier Juve, – car c’était bien en effet le véritable Juve qui avait joué le rôle de courtier en vins chez M me Granjeard – s’attablait dans un mastroquet de la rue de Maubeuge en face de son jeune prisonnier.

Le policier était abasourdi : il regardait le gamin déguster avec un calme parfait une tasse de café, avec des yeux qu’une stupéfaction profonde arrondissait :

– Ah çà, déclarait Juve, mais me diras-tu, Riquet de malheur, comment…

– C’est rien farce. Alors, M’sieu Juve, vous savez mon nom ?

Juve se mordit les lèvres. Il y avait longtemps qu’il s’occupait de l’affaire Granjeard, longtemps qu’il avait deviné que Riquet était un personnage intéressant à étudier, mais il n’était peut-être pas très habile de sa part d’avoir laissé deviner au gamin qu’il le connaissait parfaitement.

La gaffe était faite pourtant, et il était trop tard pour nier la chose.

– Parfaitement, répondait Juve, je sais que tu t’appelles Riquet, mais toi comment sais-tu que je suis Juve ?

C’était au tour de Riquet d’éclater de rire.

– Quand vous êtes monté dans le tramway, dit-il, je vous ai parfaitement identifié. Tiens, voilà plus de trois ans que, chaque jour, sauf votre respect, M’sieu Juve, je lis dans tous les journaux des aventures où vous avez été mêlé, ça serait tout de même malheureux que je n’aie pas reconnu votre signalement, surtout après vous avoir vu sortir de chez les Granjeard, et puis enfin, depuis plusieurs jours je vous guettais, je voulais être sûr de quelque chose.

Étonné, Juve répétait :

– Tu m’as vu sortir de l’usine ?

– Oui, m’sieu Juve. Même je vous ai filé.

– Tu m’as filé ?

Juve allait de stupéfaction en stupéfaction, son étonnement était si comique que Riquet n’insistait pas.

Il avait l’âme satisfaite d’ailleurs, il se sentait envahi d’une réelle fierté à la pensée qu’il étonnait Juve.

– Écoutez, faisait-il, je vais vous cracher tout mon boniment. Voilà : quand je vous ai vu sortir de chez les Granjeard, je me suis dit : Voilà Juve, le vrai Juve. Bon. Là-dessus, je vous emboîte le pas, vous montez dans le tramway, j’y monte, vous prenez une paire de gants dans votre poche, et vous flanquez par terre un scalp. Naturellement, ça fait du raffut. Hé, hé, que j’me dis, Juve va avoir des embêtements. Là-dessus, pour donner le change, avec un culot pas ordinaire, vous demandez que le coupable se livre. Bon, que j’me dis, voilà une présentation pas banale. Et pour vous rendre service, pour faire vot’ connaissance, tranquillement, je réponds que c’est moi qui ai perdu la chevelure. C’est pas imaginé, hein ?

C’était si bien imaginé que Juve était dans l’admiration.

– Mais enfin, sapristi de sapristi, que sais-tu donc de toute cette affaire ? Quel rôle exact y as-tu joué ? Crois-tu que les Granjeard sont coupables ?

Riquet n’hésitait pas.

– Les Granjeard coupables ? répondit-il, jamais de la vie. Celui qui a fait le coup, c’est le faux Juve, c’est Fantômas, c’est mon ex-ami.

Et Riquet, tranquillement, avec des arguments qu’il lui était facile d’étayer de preuves, fit à Juve le récit de ses aventures personnelles.

Il contait comment il avait fait connaissance avec le faux Juve sur les ruines mêmes de la rue Bonaparte, comment, quelques jours plus tard, il avait reconnu, dans le personnage de Taxi, le célèbre Jérôme Fandor, comment enfin, espionnant le faux Juve, il avait été amené à monter dans l’automobile qui avait conduit Hélène au couvent de l’Assomption. Il dit enfin tout ce qu’il avait appris d’extraordinaire au sujet de ce faux Juve, qui était, qui ne pouvait être que Fantômas.

– Ce qui a fini de m’ouvrir l’œil, affirmait Riquet, c’est ma promenade dans le coffre de l’auto. J’ai entendu à ce moment un des types qui était dans la voiture appeler l’autre : Patron, puis Maître, puis, enfin, Fantômas. Vous pensez bien que j’en menais pas large. Si j’étais trouvé dans ce coffre, y avait pas de doute, le Juve-Fantômas me zigouillait.

« M’sieu Juve, conclut Riquet, je me souviens aussi que le jour du crime, le jour où Didier a été assassiné et jeté à la Seine, le faux Juve s’est éloigné quelques instants après des berges du fleuve. Moi j’étais couché justement par là, dans les herbes du quai. Très bien. D’abord, tant que j’ai cru que le faux Juve était le vrai Juve, je n’y avais pas pensé. Mais depuis que je sais que le faux Juve est Fantômas, je comprends très bien l’aventure : si Fantômas revenait des bords de la Seine, au moment où l’on y jetait le corps de Didier, c’est qu’assurément il venait de participer à l’assassinat et puis, il y a eu d’autres trucs très louches. Mais c’est pas pour dire m’sieu Juve, le gars Fantômas a le chic pour chiper une ressemblance, c’est vous tout craché. Mince alors, ce qu’il sait se maquiller, le frère. Par exemple, ce que je ne sais pas, c’est ce qu’il faut faire maintenant ?

Mais à cela, c’était Juve qui répondit, et Juve répondit avec un sourire tranquille et froid :

– Ce qu’il faut faire, Riquet ? C’est pincer Fantômas, et je m’en charge.

23 – CELUI QU’ON NE TUE PAS

Fandor, au moment même où Hélène nouait ses bras autour de son cou en le suppliant de ne pas se jeter à la poursuite du Bedeau et de Fantômas, n’avait pas autrement insisté. Ce n’était pas à coup sûr que l’héroïque jeune homme eût manqué de courage ou bien qu’il n’eût pas la forte envie de mettre la main au collet de l’insaisissable et monstrueux bandit. À ce moment certes, comme à n’importe quel autre moment de sa vie, Fandor, au contraire, aurait fait bon marché de l’existence, pour avoir la joie d’engager avec Fantômas une lutte directe, une lutte d’homme à homme, au cours de laquelle il pouvait espérer, grâce à sa jeunesse, à sa force, à son habileté, remporter la victoire.

Mais, à vrai dire, Fandor s’était senti immobilisé, enchaîné littéralement par l’étreinte d’Hélène. C’était son père qu’elle prétendait sauvegarder en suppliant Fandor, et Fandor n’avait pu passer outre, ne s’était pas senti le courage spécial qu’il lui aurait fallu pour repousser celle qu’il aimait et pour, devant elle, sous ses yeux, tenter d’appréhender le roi du Crime.

Pour une fois, l’amour avait vaincu Fandor. Pour une fois il avait cédé. Il avait beau se le reprocher comme on se reproche un manquement au devoir, il ne parvenait pas à éprouver de remords cuisants.

Fandor n’avait pas quitté Hélène d’ailleurs, que déjà, dans son esprit, naissaient des plans de poursuite les uns après les autres.

– Ils m’ont filé entre les doigts, se disait Fandor, n’empêche, je les ai identifiés. Fantômas, certes, est difficile à joindre, difficile à rencontrer et nul ne peut se vanter à l’avance de le retrouver suivant son bon plaisir, en face de lui. En revanche, le Bedeau doit être facile à découvrir, je le repincerai.

Le lendemain même, avec l’incroyable ténacité qui le caractérisait, Jérôme Fandor se mettait en campagne. Dès quatre heures du matin, le journaliste courait les bars qui pullulent aux environs des Halles et où, faisant bavarder les uns et les autres, il pouvait espérer trouver quelque indice qui lui permît de découvrir le Bedeau.

Aux Halles, Jérôme Fandor fit buisson creux. Il n’apprit rien qui fût de nature à le renseigner. Si ce n’est que, depuis fort longtemps le Bedeau avait cessé de fréquenter ces bouges. Ses meilleurs amis même ne savaient trop ce qu’il était devenu.


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