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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 03:47

Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Fandor interrompit sa gigue, souffla, se frotta les mains, fit trois grimaces de plaisir dans la glace de sa cheminée, puis poursuivit son raisonnement :

– Admettons que Fantômas ait tourné en rond pour rallonger la route. La première conclusion à en tirer, c’est qu’Hélène et Blanche sont prisonnières dans l’enceinte de Paris. Cela explique parfaitement, dès lors, que Riquet, tombé dans la rivière souterraine, ait pu être amené à la Seine au pont de Grenelle en trente-cinq minutes. Il y a mieux, cela va peut-être me donner le moyen de retrouver en l’espace d une seconde la prison de mes deux amies.

Tout en parlant, Fandor choisissait dans une valise cachée sous son lit, la chemise toilée sur laquelle on lisait : Plan de Paris.

Fandor fouilla dans ce dossier. C’était la collection très complète de tous les plans qui ont été publiés : plans ordinaires, plans des tramways, du Métropolitain, des monuments, des théâtres, des curiosités, cartes géologiques.

Et soudain, Fandor poussa un cri de triomphe en retrouvant le seul plan qu’il cherchait : le plan de l’hydrographie du sous-sol parisien.

– Parbleu, chantonna le journaliste, en dépliant la feuille, c’est bien le diable si je ne trouve pas là-dessus la rivière souterraine qui a si proprement emporté mon pauvre Riquet, et c’est le diable encore, si, en vérifiant les immeubles sous lesquels passent les diverses rivières du sous-sol parisien, je n’arrive pas à découvrir le château que je cherche, soi disant un ancien couvent.

Une heure plus tard, Fandor était sûr de son fait. Il partait vers le château mystérieux.

Fandor, subitement, avait pensé au couvent de l’Assomption.

Désaffecté depuis peu, le couvent de l’Assomption se trouve dans le plus complet abandon, étant confié aux soins d’un liquidateur. Il y a là un vaste parc où l’on se croirait à cent lieues de Paris, d’énormes bâtiments, avec une infinité de murs d’enceinte, et il était très possible, en effet, que les deux prisonnières y eussent été conduites. Et elles pouvaient parfaitement ignorer qu’elles étaient dans Paris, et qu’elles se trouvaient dans ce couvent.

Une heure plus tard, parvenu rue de l’Assomption, à deux pas de la rue Mozart, où les tramways d’Auteuil-Madeleine passent majestueux et lents, il vérifiait combien l’endroit était merveilleusement propice à un emprisonnement semblable à celui dont il s’occupait. Les maisons voisines tournent le dos au couvent. De plus, le parc lui-même, énorme, complètement négligé, rempli de fourrés touffus, est bordé de tout un côté par un autre grand jardin qui dépend d’une villa voisine.

Les murs qui entourent le couvent sont hauts, et l’escalade eût assurément attiré l’attention des passants, provoqué un scandale, ce qu’il fallait éviter à tout prix, au cas d’une erreur possible. Par bonheur, le hasard, une fois encore, devait servir le journaliste. Le long du trottoir, en effet, stationnait une grande voiture d’épicier, dont les chevaux, à demi dételés, avalaient tranquillement une musette d’avoine, tandis que leurs conducteurs devaient déjeuner en un mastroquet voisin. Jérôme Fandor avisa cette voiture, sourit, et, leste comme un chat, escalada sa toiture. Il était nu tête, vêtu de pauvres habits, on dut le prendre pour un livreur, personne ne s’étonna.

« Très bien, pensa Fandor.

Parvenu sur ce toit de voiture Jérôme Fandor était à peu près de niveau avec le sommet de la muraille du couvent dont seule la largeur du trottoir le séparait.

Prendre son élan, sauter de la voiture sur le mur, rester une demi-seconde à peine en équilibre sur ce mur et se laisser dégringoler dans le parc, c’était un jeu pour le journaliste.

– De mieux en mieux, se déclara Fandor qui, tombé dans un buisson de ronces, se déchirait la peau aux pointes acérées.

Il traversa le parc dans son entier, puis se heurta à une nouvelle muraille qui devait clore le jardin proprement dit.

Mais, si Jérôme Fandor avait hésité à franchir par escalade le mur de la rue de l’Assomption, il n’avait plus à s’embarrasser de la crainte des passants pour vaincre ce nouvel obstacle.

Intrépide, il s’accrocha aux pierres branlantes, trouva prise dans les lézardes du pan de mur. Une seconde après il était au faîte, une seconde encore et il se trouvait à l’intérieur de la seconde enceinte.

Or, Jérôme Fandor n’était pas de l’autre côté de ce mur qu’il apercevait, gracieusement dressée devant le perron d’une immense bâtisse, la jolie statue de l’Amour apprivoisant les deux colombes.

Alors Fandor, oubliant toute prudence, allait s’élancer en courant, et de toutes ses forces, crier :

– Hélène, Hélène, me voilà, vous êtes sauvée !

Il s’arrêta, réfléchit.

– Non, se dit-il, attendons la nuit pour nous montrer.

Et jusqu’à neuf heures du soir, il demeura tapi dans un fourré.

***

En quelques mots entrecoupés, Jérôme Fandor, ayant enfin retrouvé Hélène et Blanche Perrier, décida d’un plan de fuite :

– Fuyez, avait dit le jeune homme, vous êtes au couvent de l’Assomption, prisonnières de Fantômas.

– Non, de Juve, avaient crié Blanche et Hélène.

Il ne les écoutait déjà plus.

– Je ne peux pas fuir… Mon enfant ! cria Blanche.

– Cette chaînette ne vous retiendra pas longtemps, dit Fandor.

Et, tandis qu’Hélène entraînait Blanche, tandis qu’elle la forçait à s’enfuir, Jérôme Fandor, se servant d’une pierre comme d’une enclume, en prenant une autre pour marteau, il brisait la chaîne qui retenait le petit Jacques.

La chaîne brisée, Fandor, en deux bonds, en effet, courut au mur que venaient de franchir Blanche et Hélène. Serrant l’enfant dans ses bras, il gravit l’échelle puis, s’asseyant à califourchon sur la muraille, il passa l’enfant à sa fiancée :

– Prenez-le, Hélène, l’autre mur est au bout du jardin, courez-y vite, il y a un tas de sable qui va presque jusqu’au sommet, vous pourrez sauter facilement.

Mais déjà, Fandor avait aperçu, près des bâtiments du couvent, l’ombre d’un homme qui s’avançait, chargé d’un objet visiblement très lourd.

Deux autres personnages le suivaient. Or, Jérôme Fandor n’avait pas vu ces ombres qu’il perdait toute prudence. Une colère rapide, furieuse, folle, l’envahit. Ces ombres qu’il apercevait c’étaient assurément les ravisseurs d’Hélène, Fantômas devait se trouver au milieu d’eux. Et il allait perdre cette occasion de l’empoigner au collet ? de se jeter sur lui ? Jamais.

Fandor cria à Blanche et à Hélène :

– Fuyez toujours, je vous rejoins tout de suite.

En même temps, redescendant l’échelle, Fandor s’élança sur les ombres entrevues.

Il allait les rejoindre. Soudain, un bras s’était tendu. Un revolver avait été braqué. Dans le parc, la détonation d’une arme à feu éclata sèche et brutale. La voix de Fandor s’éleva joyeuse :

– Manqué.

L’intrépide jeune homme s’élança. À peine avait-il fait trois pas qu’il se sentit pris par derrière, renversé, étouffé à demi.

18 – FUITES ET POURSUITES

Que s’était-il passé ? quels étaient donc les événements qui avaient déterminé ce coup de feu, cette attaque dans l’ombre, cette agression inattendue ?

Ce même soir, en effet, mais beaucoup plus tôt, vers neuf heures, dans un bouge du quartier Montparnasse, deux hommes attablés devant des bouteilles, venaient de crier, en apercevant une femme :

– Tiens, te voilà, Fleur-de-Rogue ? Amène-toi donc, prends un verre avec nous.

La personne qu’on avait ainsi interpellée était une jeune femme brune, aux yeux farouches. Une pierreuse, mais une pierreuse d’un caractère spécial, qui faisait qu’elle ne passait pas inaperçue au milieu de ses compagnes.

Elle n’était pas jolie, mais les traits de sa physionomie avaient une expression qui surprenait et troublait à la fois.

Aujourd’hui, dans la salle enfumée du bar interlope, elle venait de reconnaître deux vieilles connaissances : les inséparables Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf.

Les deux gaillards légèrement ivres, mais qui, néanmoins faisaient bonne contenance, avaient désigné un siège à Fleur-de-Rogue :

– Qu’est-ce que tu liches, la môme ? demanda Bec-de-Gaz. Commande ce qu’il te plaira, on est en pèze, aujourd’hui.

– J’ai encore deux heures devant moi, murmura Fleur-de-Rogue. Il y a du bon. On cause.

– Et le Bedeau ? demanda Œil-de-Bœuf. On ne voit plus ton homme depuis longtemps ? C’est-y qu’il se serait fait poisser ?

– Mais oui, le Bedeau est à l’ombre depuis plusieurs mois. Il sera en liberté dans quelques jours.

Fleur-de-Rogue mentait sciemment en faisant cette déclaration. Elle savait parfaitement, au contraire, que son amant était libre et où il se trouvait. Précisément, la veille au soir, elle l’avait encore vu, et si elle regardait la pendule, c’est parce qu’elle avait rendez-vous avec lui. Mais la consigne était d’affirmer que le Bedeau se trouvait en prison afin de ne pas attirer l’attention des camarades sur sa disparition des endroits familiers qu’il fréquentait autrefois. Et Fleur-de-Rogue avait respecté l’ordre de son terrible amant.

Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz n’insistèrent pas autrement d’ailleurs pour avoir des nouvelles de leur copain. Ils se contentèrent de s’extasier sur les charmes de l’existence lorsqu’on peut la vivre librement, sans rien faire et qu’on a de l’argent :

– Crois-tu, disait Bec-de-Gaz, qu’on est bien ici. Nous autres, on y passe tout notre temps.

À la vérité c’était un affreux bouge, sale, étroit, enfumé qui s’ouvrait sur l’une des ruelles mal famées que l’on trouve derrière l’avenue du Maine. L’établissement s’appelait : «  Au Drapeau », et le père Pioche, patron dudit établissement, était très fier de cette raison sociale.

Il n’y avait pas de drapeau au-dessus de la porte, mais simplement une hampe pour l’y fixer, et chacun, disait le père Pioche, « peut ainsi se l’imaginer, ce drapeau, selon ses opinions ». L’établissement était fort bien achalandé.

Tout ce que Paris comptait d’apaches en herbe ou confirmés, de candidats souteneurs ou de vieux récidivistes de la profession, se réunissaient dans le bouge de Pioche.

On voyait là, autour des tables, de très jeunes gens aux cheveux collés sur les tempes affectant de se donner des allures bourgeoises, accompagnés de filles coiffées de grands chapeaux à la mode. Ces couples regardaient d’un œil de respect et d’envie les anciens, les gens célèbres, comme Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf, comme Mort-Subite, comme le grand Jules, comme Bébé lui-même qui, richement entretenu par une marchande de journaux de la rue de Rennes, s’engraissait béatement depuis quelques semaines.

Vers onze heures et demie, Fleur-de-Rogue quitta l’assommoir, après avoir pris congé de ses amis. Elle était fatiguée, disait-elle, elle voulait rentrer se coucher.

Sitôt dehors, la pierreuse sauta dans un taxi-automobile et dit au mécanicien de la conduire à l’extrémité du pont de Grenelle.

Fleur-de-Rogue paya sa course, puis s’achemina par la rue de Boulainvilliers jusqu’au carrefour de la rue de La Fontaine et de la rue de l’Assomption. Le Bedeau, en effet, lui avait dit la veille :

– Tu viendras, à minuit, rue de l’Assomption. Tu prendras le trottoir de gauche. Tu remonteras la rue d’une allure assez vive, tant que tu rencontreras des maisons, et d’une allure beaucoup plus lente lorsque tu suivras un grand mur dans lequel s’ouvrent quelques brèches. Tu compteras ces brèches. Une, deux, trois. À la troisième, ouvre l’œil, c’est par là que viendra quelque chose, un objet lourd et précieux que je te passerai et avec lequel il faudra t’esquiver en douce, sans te faire remarquer. C’est du nanan. Pas de blague.

Fleur-de-Rogue se répétait ces instructions alors qu’elle gravissait la rue de l’Assomption et que, conformément aux instructions reçues, elle ralentissait en apercevant sur sa gauche le mur signalé par le Bedeau.

Ce mur n’était autre, en effet que la clôture de l’ancien couvent des dames de l’Assomption, abandonné par les religieuses.

La rue était déserte, Fleur-de-Rogue se félicitait déjà à l’idée qu’elle allait pouvoir attendre, assise sur le bord du trottoir, sans que son attitude éveillât en rien l’attention du voisinage. Mais à peine, s’était-elle installée face à la brèche annoncée par le Bedeau, que la pierreuse faisait le geste de rattacher le lacet de son soulier, puis se levait et s’en allait.

Son œil perspicace avait découvert quelqu’un qui pouvait être suspect et par précaution, Fleur-de-Rogue s’écartait.

La maîtresse du Bedeau venait de voir, en effet, errant comme elle dans la rue de l’Assomption, la silhouette massive d’une femme aux larges épaules, au dos courbé mais qui, si elle s’était redressée, aurait eu évidemment une stature bien au-dessus de la moyenne.

– Elle marche comme un homme, avait remarqué Fleur-de-Rogue en se rendant compte de la dimension des pas que faisait la mystérieuse personne.

La pierreuse, décidément était perspicace, et elle remarqua que la grosse femme, en dépassant la troisième brèche du mur avait jeté dans la fissure un coup d’œil rapide. Qu’est-ce que cela signifiait ?

– L’affaire, pensa la pierreuse, sera plus difficile qu’on ne le croit. Les combinaisons du Bedeau doivent être connues de la police. M’est avis que cette femme est là pour espionner.

Profitant de ce que la mystérieuse personne remontait assez loin de la brèche, en direction de la rue Mozart, Fleur-de-Rogue se rapprocha du mur et d’une voix assez forte imita le bourdonnement d’une mouche, de façon à faire comprendre au Bedeau, s’il était dans le voisinage, qu’il fallait se méfier.

Ce bruit caractéristique, en effet, signifie pour les apaches qu’il y a de la police aux alentours. La nuit était silencieuse. Fleur-de-Rogue avait entendu au loin sonner minuit. C’était l’heure indiquée par le Bedeau, et Fleur-de-Rogue savait que son amant n’était jamais en retard. Elle se félicitait déjà de ce que, à ce moment précis, la rue fût redevenue déserte. La grosse femme avait disparu. Soudain Fleur-de-Rogue prêta l’oreille : de l’autre côté du mur des pas précipités.

– Le voilà, fit-elle.

Et elle s’approchait de la brèche, mais soudain elle s’arrêta net et tressauta.

Un coup de feu, puis un second, puis trois ou quatre venaient de retentir, une odeur de poudre monta, des cris retentirent. On devait se battre de l’autre côté du mur, dans l’ombre, sous les arbres.

À ce moment précis, la pierreuse qui, depuis quelques instants, avait perdu de vue la grosse vieille femme la vit surgir à l’extrémité de la rue.

– Bon, grogna-t-elle, elle est sûrement de la police, ça va faire du vilain.

Fleur-de-Rogue se demandait une seconde quelle devait être son attitude, mais elle n’eut pas le temps d’y réfléchir.

De la brèche du mur surgissait en effet quelqu’un qui, passant par-dessus cet obstacle, sautait dans la rue et lourdement s’abattait sur le trottoir, au pied même de Fleur-de-Rogue ;

– Le Bedeau, s’écria la pierreuse, toute heureuse de voir son amant sain et sauf.

Le Bedeau, très essoufflé par la course qu’il venait de faire dans le parc ne répondit pas tout d’abord, il se releva et sa maîtresse remarqua qu’il portait sous le bras, une sorte de coffret rectangulaire.

Le Bedeau grommela :

– Cavalons. Direction Grenelle.

Et, sans se préoccuper de la pierreuse, il partit en avant.

Fleur-de-Rogue le rattrapa :

– Qu’est-ce qui se passe ? interrogea-t-elle, tout en courant comme lui.

– Ça va mal, débinons.

Puis il ajouta :

– Tiens, je suis crevé, prends ce truc-là.

La pierreuse reçut le coffret, une sorte de boîte métallique dont l’acier se reflétait à la lune.

– Cache ça dans ton tablier.

Les deux amants s’étaient arrêtés un instant. Instinctivement ils regardèrent derrière eux, puis, poussant un cri de rage, ils repartirent à toute allure, ils venaient de s’apercevoir qu’on s’acharnait à les poursuivre et Fleur-de-Rogue murmura :

– C’est la grosse vieille femme de tout à l’heure, je suis sûre que c’est une mouche. Le Bedeau, cavalons !

De toutes leurs forces les deux amants coururent encore, gagnèrent le pont de Grenelle, le franchirent de toute la vitesse de leurs jambes, puis suivirent les berges sombres et mystérieuses de la Seine.

En réalité, une aussi longue fuite était inutile, car la grosse vieille femme qui les intriguait tant ne s’était pas donné la peine de leur courir après.

Au bout de quelques mètres, elle avait rebroussé chemin. Au surplus de nouveaux coups de feu avaient retenti, provenant de l’intérieur du parc du couvent de l’Assomption.

Comme elle revenait sur ses pas, la grosse vieille femme voyait par l’anfractuosité, qu’un éboulement récent avait faite dans le mur, quelqu’un en train de s’enfuir. C’était une femme qui portait également un paquet, mais, semblait-il, avec d’extrêmes précautions. Le paquet était lourd. La femme ne courut pas longtemps. Elle s’en alla dans la direction opposée à celle prise par le Bedeau et sa maîtresse. Elle remonta vers la rue Mozart.

Avant d’y arriver, elle était rejointe par la grosse femme qui, décidément, courait avec une agilité que l’on n’aurait guère soupçonnée chez une personne aussi alourdie par l’âge.

La fuyarde et sa poursuivante se rejoignirent au coin de la rue Pajoux, rue déserte, silencieuse qui précède la rue Mozart.

La vieille, avec un geste d’autorité laissa tomber une lourde main sur l’épaule de la femme qui se sauvait.

Celle-ci se retourna en poussant un cri, mais demeura stupéfaite de s’entendre appeler par son nom :

– Hélène, avait dit d’un ton de parfaite surprise et d’une voix étrangement masculine la mystérieuse grosse femme.

C’était Hélène, en effet, qui se trouvait là. Hélène seule ? non. La jeune fille, en effet, portait le petit Jacques.

Hélène, après être restée interdite un instant, reconnaissait son interlocutrice :

– Ah çà, fit-elle, mais c’est l’épileptique de Saint-Lazare ?

La vieille hocha la tête, sourit énigmatiquement. Hélène tressaillit, murmura :

– De la police, hein ?

– Peut-être, fit la vieille.

La jeune fille pâlit. Était-elle reprise ? Lui allait-il falloir réintégrer de nouveau l’affreuse prison dans laquelle elle avait passé de si longues semaines et dont elle s’était échappée si miraculeusement ?

– Laissez-moi partir, laissez-moi libre.

– À une condition : dites-moi, Hélène, ce qu’est devenu Fandor ?

La fille de Fantômas sursauta :

Par exemple. Elle allait de surprises en surprises et, assurément, la grosse vieille femme qui lui posait une telle question ne devait pas être une policière ordinaire.

Hélène s’efforçait de la reconnaître.

– Où est Fandor ? répéta la vieille.

– Mais il est parti, il s’est sauvé avec nous de la prison dans laquelle nous étions enfermés, de cet abominable couvent. Il est parti avec Blanche, comme nous l’avions décidé. Avant les coups de feu, avant la bataille, ils sont partis tous les deux dans la direction opposée à celle que j’ai prise.

La grosse femme hocha la tête, répliqua nettement :

– Non. Ceux qui ont descendu la rue de l’Assomption, tandis que vous la remontiez, Hélène, ce ne sont ni Blanche Perrier, ni Fandor mais bien le Bedeau et sa maîtresse Fleur-de-Rogue.

– Mais comment savez-vous cela ?

– Parce que je les ai reconnus.

– Mais qui êtes-vous ?

– Peu importe.

– Si Blanche et Fandor ne sont pas sortis c’est qu’ils sont restés dans le parc, sous les arbres, peut-être sont-ils tombés victimes de ceux qui tiraient ?

– Étaient-ils donc avec vous ?

– Je viens de vous le dire, répéta Hélène. Nous étions en train de nous sauver tous les trois. J’avais l’enfant que Fandor avait détaché de l’horrible chaîne qui le maintenait.

– L’enfant ? la chaîne ?

Mais Hélène poursuivait, sentant d’instinct qu’elle pouvait parler devant cette femme, devinant que cette mystérieuse inconnue était sûrement une alliée pour elle et ses amis.

– Au moment, continua-t-elle, où Blanche et moi, qui tenais son enfant, nous approchions de la brèche, Fandor nous a rejoints, puis nous avons entendu des coups de feu, des cris, j’ai passé le mur, derrière un homme et une femme qui se sauvaient, ainsi que je vous l’ai dit et que je prenais encore un instant pour Fandor et Blanche.

– C’étaient le Bedeau et Fleur-de-Rogue.

– Mais alors, hurla Hélène, qui comprenait soudain, Blanche et Fandor ne se sont pas sauvés. Ils sont encore là-bas ? Alors ces coups de feu, ces cris ? Ah, mon Dieu.

La jeune fille porta la main à sa poitrine comme pour y chercher son cœur qui s’arrêtait de battre. Elle voulut courir. Les jambes lui manquaient, et puis n’y avait-il pas le petit Jacques qui, inquiet, pleurnicheur, se suspendait à sa main, la retenait de toutes ses forces ? D’ailleurs, Hélène était seule désormais avec l’enfant sur le trottoir de la rue Pajoux, rue déserte, obscure, silencieuse. À peine avait-elle parlé que la grosse femme avait bondi loin d’elle, se précipitant dans la direction du couvent de l’Assomption.

Plusieurs coups de sifflets avaient retenti alors et de divers endroits des ombres avaient surgi, des silhouettes d’hommes. C’étaient des agents de police qui, dissimulés aux abords de la rue de l’Assomption, accouraient au signal.

Assurément, la grosse vieille femme devait être un chef, car quelques instants après elle franchissait le mur du couvent de l’Assomption, et derrière elle, s’introduisirent dans le parc une demi-douzaine d’hommes de police armés jusqu’aux dents.

Qui donc les dirigeait ? Quel but poursuivaient-ils ?

19 – L’EFFROYABLE ASSASSINAT

Incompréhensible et inexplicable, telle était la situation aux yeux de chacun de ceux qui, à un titre quelconque, en avaient été les acteurs depuis le début de cette nuit extraordinaire où la fuite plus ou moins réussie des prisonniers et de leurs gardiens, s’était compliquée de batailles, poursuites et coups de revolver.

Hélène, qui s’était enfuie avec le petit Jacques, avait appris une chose par l’intermédiaire de la vieille femme épileptique qu’elle soupçonnait d’être un policier : c’était que le couple, parti dans la direction opposée à la sienne, était constitué non point par Fandor et Blanche mais par le Bedeau et sa maîtresse Fleur-de-Rogue.

La jeune fille avait donc été fort alarmée, se demandant ce qu’il était advenu du journaliste et de son amie. Mais elle n’avait pas pu rentrer dans la propriété, et, se conformant au plan adopté avec ses compagnons quelques instants auparavant, elle avait décidé de se rendre au rendez-vous qu’ils s’étaient fixé les uns et les autres, pour se rejoindre après leur évasion.

En réalité, Fandor, au moment où il s’était élancé à la poursuite de l’individu qu’il croyait être Fantômas, avait été brusquement appréhendé, renversé en arrière. Quant à Blanche, terrifiée par le tapage, les cris et les détonations, et croyant suivre Hélène qui emportait son fils, elle s’élançait en courant dans une allée du parc, qu’elle suivait à perdre haleine. L’allée était obscure, étroite, à chaque instant la malheureuse femme se heurtait à un obstacle du chemin, se prenait le pied dans une racine, elle tombait, se meurtrissait les genoux, les mains, mais, ardente à fuir, elle se relevait, courait encore. Au bout de quelques instants. Blanche manqua défaillir, une balle avait sifflé à son oreille. On la poursuivait donc ? Elle étouffa un cri de terreur, pressa encore son allure qui devint une course folle, désordonnée.

Le chemin tourna. Soudain, Blanche s’arrêta net :

– Mon Dieu, cria-t-elle, sur le ton d’un indicible désespoir.

L’infortunée jeune femme, tombait à genoux sur une marche de pierre, la première marche d’un perron qu’elle connaissait bien, d’un perron qui n’était autre que celui qui accédait à l’entrée principale du couvent dans lequel elle était captive depuis quelque temps et dont elle venait d’essayer de s’enfuir.

Blanche se demandait comment il se faisait, qu’après être sortie de cette maison, quelques instants auparavant, elle se retrouvait maintenant à son point de départ, et la malheureuse était si troublée, si désorientée, qu’elle ne se rendait pas compte que, pendant sa course folle, elle avait suivi une allée circulaire qui l’avait effectivement ramenée à son point de départ.

Un pale rayon de lune éclairait le perron, et Blanche Perrier eut peur d’être remarquée, aperçue, par les mystérieux agresseurs, les terribles meurtriers qui, depuis dix minutes, tiraient des coups de fusil ou de revolver dans l’ombre épaisse du parc.

Alors machinalement, n’osant pas rebrousser chemin, elle regagna la maison dans l’espoir d’y trouver une plus grande sécurité. L’intérieur du couvent semblait désert, des portes étaient ouvertes, les rares meubles laissés dans les pièces après le départ des religieuses avaient été bousculés, renversés. Assurément, dans ces salles, il y avait eu lutte, quelques instants auparavant.

Blanche s’arrêta une seconde, pour souffler. Mais sa tranquillité ne devait point durer. Elle entendit des bruits de pas précipités à l’extérieur de la maison, des pas qui se rapprochaient. Des claquements secs retentirent également, et bien qu’elle fût peu au courant de ces choses, la malheureuse soupçonna qu’il devait s’agir d’armes que l’on rechargeait.

Puis, brusquement, presque sous la fenêtre de la pièce, où elle se trouvait, la fusillade crépita. Des lueurs rouges, sinistres, vinrent frapper ses yeux agrandis par la terreur. Blanche entendit des cris de fureur et de souffrance, et stimulée par une épouvante qui croissait sans cesse, elle quitta la pièce où elle s’était dissimulée, alla droit devant elle, avançant toujours au hasard des portes ouvertes qui semblaient lui indiquer le chemin à suivre.

Sans doute, Blanche avait bien fait. Les bruits de pas se rapprochaient. Ils provenaient de la maison, et c’était désormais dans le hall que les coups de feu retentissaient, suivis de bruits bizarres, de cliquetis qui faisaient comprendre que des objets lourds tombaient sur le sol, ou que des vitres perforées par les balles venaient se briser sur les dalles de pierre.

Blanche qui, enfin, s’était arrêtée dans une pièce située tout à l’extrémité de la maison, répéta :

– C’est une boucherie, une effroyable boucherie.

Ses dents claquaient de peur et ses exclamations interrompaient une plainte sourde, monotone.

– Mon enfant, qu’est devenu mon enfant ?

Soudain, la porte de la pièce dans laquelle elle se trouvait, et qu’elle avait refermée de son mieux, s’ébranla, s’ouvrit tout entière.

Blanche sentit son cœur battre violemment dans sa poitrine, l’homme qui s’introduisait dans la cachette où la malheureuse se croyait en sécurité, venait de pousser un formidable juron et à haute voix, il grommela :

– Imbécile que je suis, ce n’est plus la peine de tourner le commutateur, cet animal de Bedeau depuis qu’il est parti, a naturellement abandonné le moteur qui faisait marcher l’électricité, nous n’avons plus de lumière.

Blanche l’entendait, elle se félicitait déjà du renseignement. Peut-être allait-elle passer inaperçue du fait que la lumière manquait ?

Et, dans l’angle de la pièce où elle se trouvait, elle se recroquevilla de son mieux, se fit toute petite, s’empêcha de respirer pour ne pas attirer l’attention de l’arrivant. Mais son espoir ne devait pas être exaucé, car l’homme avait fait craquer une allumette, il l’approcha d’une lanterne qu’il avait apportée avec lui, la mèche s’alluma, la lampe projeta une lueur blafarde sur la salle, que l’homme examina soigneusement aux rayons de son fanal.

Blanche fut éclairée par ce rayon, et l’apercevant, l’homme poussa un cri de triomphe.

Mais la jeune femme qui voyait l’arrivant avait, elle aussi, un cri, et ce cri n’était point un cri de terreur, mais plutôt un cri de soulagement, presque de satisfaction :

– Juve, c’est Juve, je suis sauvée.

Blanche alla vers le policier, l’homme qu’elle reconnaissait pour être celui qui, quelques jours auparavant, l’avait enfermée dans le couvent, rendue prisonnière, et constituée gardienne de son amie Hélène :

– Monsieur ? Monsieur ? interrogea Blanche alarmée, que se passe-t-il ? renseignez-moi ! Que signifient ces coups de feu ? Où est mon enfant ? Où sont mes amis ?

L’homme avait posé sa lanterne sur une petite table ; il considéra Blanche d’un air sinistre, les bras croisés, le front plissé. Puis il ricana.

– Blanche Perrier, déclara-t-il, le moment des explications est venu. Écoute. Tu m’as désobéi, tu vas être châtiée. Ta punition servira d’exemple, montrera que ce n’est jamais impunément que l’on enfreint mes ordres.

– Mais qu’ai-je fait ? demanda-t-elle interdite, en quoi vous ai-je désobéi ?

– Tu as cherché à fuir malgré ma défense, tu as quitté le couvent en emmenant avec toi Hélène et ton enfant.

– Mais, protesta Blanche au comble de la stupéfaction, si j’ai agi de la sorte, c’est sur les conseils de votre meilleur ami, de celui que vous considérez, comme votre frère, comme votre fils, sur le conseil de Jérôme Fandor.

– Ah, ah, Fandor, mon meilleur ami ? mon frère ? mon fils ? ah oui donc !

Il s’arrêta un instant, fit quelques pas, dans la pièce, jeta sur Blanche de plus en plus abasourdie, des regards féroces, puis, soudain, il bondit sur elle, lui prit le poignet, attira la jeune femme contre lui.

– Écoute bien, Blanche Perrier, dit-il, et retiens ce que je vais te dire, car ce sont les dernières paroles que tu entendras.

– Les dernières paroles ?

– Les dernières paroles, car tu vas mourir.

– Mourir ? pourquoi ? Qu’ai-je fait ? Grâce, Juve, Juve, défendez-moi !

– Te défendre ? Allons donc. C’est moi qui vais te tuer.

Déployant une vigueur extraordinaire de la part de sa frêle personne, Blanche Perrier s’arracha à l’étreinte de celui qui la maintenait.

– C’est impossible, hurla-t-elle, Juve ne tue pas. Juve n’est pas un assassin. Juve, au contraire, sauvegarde et protège.

Elle n’acheva pas.

– Triple sotte, tu n’as donc pas compris qui je suis ? Moi, l’homme qui te parle en ce moment ? Celui qui va te châtier et te faire périr ? Aussi bien en ai-je assez de passer sans cesse pour Juve, Juve le perspicace, Juve l’honnête homme, Juve l’irréprochable. Non, non, je ne suis pas cela et je m’en vante. Regarde-moi bien Blanche Perrier, pour que tes yeux emportent jusqu’au fond de la tombe le souvenir de mon visage. Je ne suis pas Juve. Je suis Fantômas. Fantômas !

Blanche Perrier bondit à travers la pièce comme une bête fauve, comme une folle. Elle allait au hasard, se heurtant aux murs, trébuchant dans les meubles, ensanglantant ses mains au contact de pointes qu’elle rencontrait, de vitres brisées, mais, insensible, indifférente, elle allait quand même, comme si elle voulait enfoncer les murs, rompre les cloisons. Le sang coulait sur tout son corps, elle était à demi dévêtue, ses vêtements se déchiraient, tombaient par lambeaux, et sa lourde, son opulente chevelure complètement défaite, flottait sur sa nuque et ses épaules. Assurément, elle était belle à voir, dans la tragique horreur de son épouvante.


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