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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Puis, Fandor s’était posé une question. Que Juve fût réellement mort, qu’il se fût laissé enfermer chez lui par Fantômas, qu’il eût été victime de l’incendie, c’était incroyable puisque la paralysie de Juve n’était qu’illusoire. Discrètement, Fandor avait enquêté. Il s’était rendu rue Bonaparte et s’il n’avait pu pénétrer dans les décombres, il avait pu du moins, interviewer de nombreux témoins. Et Fandor avait tressailli en apprenant qu’au plus fort de l’incendie, quelqu’un avait prononcé cette phrase, surprenante à coup sûr :

– Juve est mort, c’est vrai, ou s’il n’est pas mort, il n’en vaut guère mieux !

Fandor n’avait pas hésité :

– Un seul homme a pu parler de la sorte : Juve.

D’autres faits, depuis, étaient venus rassurer le journaliste. Certes, les journaux avaient multiplié les articles biographiques sur le malheureux policier décédé. Certes, le bruit du trépas s’était accrédité, mais M. Havard non seulement n’avait pas semblé affecté, mais encore, pour parler vulgairement, « n’avait même pas marqué le coup. »

– C’est tout de même rigolo, se disait le journaliste, on ne songe même pas à inscrire Juve, sur la plaque des Victimes du Devoir.

Rassuré, le jeune homme s’était dit alors :

– Juve ne donne pas de ses nouvelles, pour mieux rester dans l’ombre. Je vais me cacher moi aussi.

Fandor avait beaucoup ri de l’invention de Juve se faisant passer pour paralytique. Aujourd’hui, il l’avait froidement copié : seulement, comme le repos lui coûtait, il s’était donné une paralysie spéciale. Il s’était fait paralytique-mendiant, paralytique mobile.

Mais que faisait donc Fandor à la porte de la prison Saint-Lazare ?

Riquet allait parler, révéler à Fandor qu’il connaissait Juve quand le journaliste sauta dehors, lui disant :

– Le môme, attends-moi ici, sans faute.

Fandor cependant, remontait vers Saint-Lazare. Il arriva juste à temps pour voir se refermer devant lui, sur le « panier à salade », retour du Palais de Justice, les portes de la prison. Il vit une grosse vieille femme s’agitant entre deux gardiens, visiblement au paroxysme de la colère.

– Avec tout ça, je n’a rien vu de la rentrée du Palais, pourvu qu’il n’y ait pas eu une nouvelle pomme de terre.

Or, chose bizarre, la vieille femme ramassée par les agents songeait à la même minute :

– Je n’ai pas perdu ma matinée, puisque j’ai pu le voir.

Que signifiait tout cela ?

Fandor, à pas lents, reprit, rêveur, la direction du cabaret où Riquet l’attendait.

– Il est extraordinaire ce gosse, se disait Fandor, et c’est peut-être une excellente recrue. Vif, intelligent, aimant la police, il peut m’être utile. Tout de même, qu’a-t-il surpris au juste ? Que j’ai ramassé une pomme de terre tombée du « panier à salade ». Bah, cela n’est pas bien grave. J’imagine que ce fait ne le conduira pas à inventer que je viens de prendre rendez-vous avec Hélène à l’intérieur même de cette prison.

Fandor, souriait maintenant.

Dans la pomme de terre qu’il avait ramassée, en effet, il avait trouvé, dissimulé, un mince petit papier, un petit papier sur lequel celle qu’il aimait, Hélène, la fille de Fantômas, toujours détenue à Saint-Lazare depuis que Juve avait ordonné son arrestation, avait écrit :

Je suis à l’infirmerie, si vous pouvez venir me rejoindre, venez.

Et ces seuls mots, ces mots qu’il se répétait en lui-même à toute seconde, ces mots qui demandaient quelque chose de presque impossible – comment parvenir, en effet, jusqu’à l’infirmerie de la prison ? – Fandor n’était pas loin de les regarder comme une promesse formelle de bonheur.

6 – L’ENQUÊTE DE JUVE

Limoneuse, car les crues de l’hiver avaient effroyablement grossi son cours, la Seine coulait à grands flots rapides le long des flancs de la Marie-Jeanne, la vieille péniche amarrée à quelques encablures de l’écluse de Saint-Denis. Le bouillonnement des eaux secouait lentement la grande barque et le patron lui-même, mollement étendu sur le pont arrondi de son embarcation, goûtait l’oisiveté de cette minute, sommeillant à demi, attendant que l’écluse s’ouvrît pour livrer passage à son bateau. Il faisait beau et le vent très doux irisait juste assez le sommet des petites vagues pour que le soleil pût s’y réfléchir, y allumer les scintillements d’une infinité de diamants.

Or, tandis que le père Denis sommeillait, l’un de ses hommes, un marinier à la figure joviale, trop souvent rougie peut-être par les chaleurs de l’alcool, l’apostropha :

– Hé, patron, réveillez-vous, v’là vingt-cinq francs qui passent.

– Quéque tu racontes ? vingt-cinq francs qui passent ? où ça ?

– Dans la flotte, patron, zyeutez plutôt. À droite là. Juste où c’est qu’il y a le morceau de bois.

En avant de la péniche, poussée vers elle par le courant, une masse noire flottante à demi submergée, s’avançait. De prime abord, c’était un paquet quelconque, un amas d’étoffe, un chiffon peut-être, un bois flottant. Eh non, c’était un noyé.

– Vingt-cinq francs qui passent, répétait le marinier. Tout de même, si on se donnait la peine d’aller les cueillir au passage ?

En parlant, le brave homme traversait le pont de la péniche, se disposant à descendre dans un bachot attaché derrière la Marie-Jeanne, à l’abri de son gouvernail.

– Quèque qu’tu vas faire ?

– Patron, j’vais le crocher au passage. Vous ne venez pas me prêter la main ?

– Bouge pas, commandait-il, reste-là, mon vieux. Ah, plus souvent que j’irai te prêter la main ou même que je te laisserai retirer un macchabée de l’eau. Ah malheur, on voit bien que tu es jeune. Pourquoi que tu veux l’arrêter celui-là ? il s’en va, laisse-le s’en aller.

– C’est vingt-cinq francs patron, qu’on donne à la Préfecture.

– Peuh, on dit ça. Vingt-cinq francs. Bien sûr, c’est vingt-cinq francs qu’on donne, mais faut s’déranger dix fois, faut donner son nom, son adresse, faut écrire des lettres, signer des paperasses et un tas de choses encore, et des histoires à n’en plus finir. Vingt-cinq francs à toucher, tu dis ? Dans l’temps, moi aussi, quand j’en voyais des noyés, je les repêchais, mais, maintenant, ah zut alors, un coup de chapeau et bonsoir monsieur, voilà ce que je fais et ce que je leur dis. Reste tranquille. Bien du plaisir. Tu ne t’imagines pas ce que c’est que d’repêcher un noyé.

– Ça va alors, s’il faut écrire, qu’il aille plus loin le pauvre bougre. Après tout, il est aussi bien dans le jus qu’ailleurs.

Tout le temps qu’ils causaient, le courant avait entraîné le malheureux noyé loin du père Denis et de son acolyte. Il était loin maintenant de la péniche, presque à ras de l’écluse où les courants divers commençaient à se le disputer.

– Guette voir, disait le père Denis, le pauvre vieux. J’parie qu’il va rater la porte et descendre en faisant le saut du barrage. Comme ça, une fois, pour un qui était dans la flotte depuis déjà longtemps, à l’écluse de Saint-Cloud, j’ai vu la tête d’un côté, les jambes et les bras d’un autre.

Le père Denis, qui ne quittait pas des yeux le cadavre, lequel en effet semblait prêt à s’engouffrer non dans l’écluse mais bien dans les tourbillons du barrage où le fleuve écumait, soudain poussa un soupir de soulagement :

– Tiens, non, j’aime mieux ça. Regarde, il vient de tourner à gauche. Allez, hop, à la manœuvre, mon vieux. Lâche les écoutes. C’est notre tour. On va l’écluser avec nous.

La Marie-Jeanne, quelques instants après en effet entrait dans l’écluse où le cadavre s’était engagé, lui aussi, ses flancs raclaient des deux côtés l’étroite chambre dans laquelle elle s’était engagée pour franchir la marche de la rivière.

Quand la péniche fut passée, le cadavre était tout à l’entrée de l’écluse, mais quand la péniche y prit sa place, on ne le voyait plus, sans doute, heurté par le bateau, il avait coulé, il était maintenu sous les flancs de la péniche.

– Hé, l’éclusier, hurla le marinier en second, voulez-vous vingt-cinq francs ?

L’homme qui geignait à la manivelle commandant les vannes s’interrompit dans son travail :

– Vingt-cinq francs ? c’est pas de refus. Quoi qu’i’ faut faire ?

– Il y en a un qui est dans la flotte, vous n’avez qu’à le gaffer, c’est l’prix.

Mais déjà l’éclusier s’était remis à sa manivelle :

– Ah bien, pour ce qui est de moi, c’est pas ces vingt-cinq francs-là qui m’enrichiront. Il est dans le jus, qu’il y reste. Merci de l’occasion, on a trop d’embêtements.

Le père Denis triomphait :

– Là, qu’est-ce que je disais ?

Un quart d’heure plus tard, la Marie-Jeanne, halée par deux vigoureux percherons, sortait de l’écluse, s’engageait dans Saint-Denis.

En même temps qu’elle, happé par les remous, le cadavre était sorti de l’écluse. Il sautilla à quelques mètres de la proue du petit bateau. Celui qui avait été un homme et qui n’était plus qu’une charogne abominable flottait dans le courant, se promenait décidément libre, ironique, moqueur, devant tous et devant tout. La société avait établi une prime de vingt-cinq francs pour que lui et ses pareils fussent repêchés, mais sans doute il avait conscience, ce cadavre, que son misérable squelette inspirait une horreur plus grande que l’appât d’un gain si modeste, puisqu’il continuait son chemin, protégé par sa hideur lamentable.

– Dommage, tout de même, murmura le père Denis qui, de temps à autre, jetait un mauvais regard au mort, il va juste aussi vite que nous ou à peu près, il nous accompagnera jusqu’à ce soir. J’aime pas ça.

À quelque distance de Saint-Denis, cependant, un canot de promenade, monté par deux jeunes gens accompagnés de deux jolies filles, faisaient force de rames. De la frêle embarcation, on aperçut le noyé :

– Tiens, regardez, qu’est-ce que c’est ?

À l’exclamation de l’une des canotières, les autres se retournèrent et des cris d’horreur jaillirent.

– Mais c’est un mort, c’est un noyé.

L’un des jeunes gens alors lança une plaisanterie d’un goût douteux :

– On le repêche ? on l’invite avec nous ?

– Ah, non alors, quelle horreur. Qu’il aille se faire pendre ailleurs.

Le mort continua son chemin, ballotté par les flots.

***

L’usine Granjeard, après une période d’inactivité, qui n’avait pas été longue d’ailleurs, bourdonnait de ses multiples ateliers. Va-et-vient perpétuel des ouvriers tôliers, clouant à grands renforts de masses énormes de formidables rivets, marteaux pilons haletant aux ateliers de forges, machines trieuses des ateliers de clouterie, ronflement des dynamos, sifflet des machines à vapeur scandant le vacarme de l’énorme entrepôt. Or, subitement, vers onze heures du matin le silence. L’électricité s’éteint. Les machines s’arrêtent.

Que se passe-t-il ?

Le contremaître Landry frappe discrètement à la porte du cabinet de Paul Granjeard :

– Entrez Landry. Qu’est-ce que vous voulez ?

– Monsieur l’ingénieur, il y a une avarie.

– En effet, je viens d’entendre la cloche. Qu’est-ce que c’est ?

– La pompe à eau ne fonctionne plus.

– Diable. Qu’est-ce qu’elle a ?

– Je ne sais pas, monsieur l’ingénieur, j’ai envoyé les hommes à la bouche de la Seine, ils sont en train de regarder. Je suis venu vous prévenir.

– Vous avez bien fait. Je vous accompagne.

L’usine était bâtie le long des bords de la Seine qui, par une pompe gigantesque, alimentait les chaudières. Or, c’était cette pompe à eau qui venait de s’arrêter. Au lieu du torrent d’eau qu’elle chargeait habituellement, il ne passait plus dans les tuyaux qu’un mince filet de liquide. La prise devait être obstruée le long des berges de la Seine. Paul Granjeard, suivi du contremaître principal, atteignit le lieu de l’accident.

– Eh bien ? qu’est-ce qu’il y a ?

Quatre ou cinq ouvriers étaient couchés sur les quais même, regardant l’eau, cependant que d’autres, dans des barques, armés de gaffes, s’occupaient à déboucher la prise d’eau.

– Qu’est-ce qu’il y a ? répétait Paul Granjeard.

L’un des hommes se retourna :

– Monsieur l’ingénieur, c’est un cadavre, c’est un mort que le courant est venu coller là. La prise d’eau l’a aplati contre la grille. Alors il bouche tout.

– Eh bien, repêchez-le.

Ce qu’ils firent. Avec des cordes, on attacha ses pauvres jambes, puis les ouvriers halèrent le mort qu’on hissa sur la berge.

– Eh bien, il n’est pas beau, s’écria l’un des ouvriers. Ah là là, monsieur l’ingénieur, c’est pas du riche travail qu’on fait ce matin.

Paul Granjeard s’était penché sur le noyé au moment où, à force de gaffes, on le ramenait à la surface du fleuve. Et quand il avait été étendu sur la berge, Paul Granjeard s’était pris à examiner ce corps avec un dégoût mêlé de curiosité, une sorte d’attirance aussi.

C’était le corps d’un homme jeune, Il était dévêtu, aucun linge ne voilait sa nudité, à peine un soulier demeurait-il, déchiqueté. Peut-être avait-il longtemps séjourné dans l’eau car il était boursouflé, gonflé, ignoble à voir. Le visage lui-même n’avait plus rien d’humain. Les cheveux collés, aplatis, étaient emmêlés de limon et de boue, les yeux rentrés dans les orbites, arrachés presque, étaient sans regard, les lèvres blanches, une bouffissure gonflait à ce point les joues et le nez que les traits étaient absolument déformés, à peine pouvait-on remarquer la trace bleue de la barbe et de la moustache qui étaient rasées.

– Pouah, déclarait Paul Granjeard, se redressant, l’abominable spectacle.

Déjà tourbillonnaient les mouches. Une pestilence montait qui fit reculer l’assistance.

– Jetez une toile là-dessus, ordonna Paul Granjeard, et vous, Landry, courez jusqu’au poste faire la déclaration, que l’on nous délivre de ce cadavre rapidement. Je ne tiens pas à ce qu’il y ait une épidémie ici. Ni même à ce que ma mère apprenne la trouvaille qu’on a faite.

Brusquement redressé, l’ingénieur se retourna vers les autres ouvriers :

– Eh bien vous, qu’est-ce que vous attendez ? Allons, à l’atelier ! La prise d’eau est débouchée, le travail va reprendre.

Sous une toile, sous une bâche qu’un ouvrier avait été chercher, le corps fut laissé sur le quai de l’usine.

***

– Alors, vous n’aimez pas les escargots ? Eh bien vous avez tort, vous avez absolument tort. Évidemment, c’est lourd à l’estomac, mais c’est savoureux.

– Oui, la sauce, parce que pour l’escargot lui-même.

– Et puis, il ne s’agit pas de cela. Qu’est-ce que vous me conseillez de faire ?

M. Bagot, commissaire de police de Saint-Denis, déjeunait au restaurant de la Mairie, avec un homme grave, fort intelligent, qu’il fréquentait depuis une dizaine de Jours.

– Qu’est-ce que vous me conseillez de faire ? répétait M. Bagot, la pince à escargot d’une main, la fourchette de l’autre et sa serviette soigneusement nouée derrière la tête, d’un grand nœud qui lui faisait derrière la tête deux énormes oreilles d’âne.

– Mais je ne vous conseille rien, moi.

– Allons donc.

Et comme l’ami du commissaire souriait, M. Bagot reprit :

– Si vous étiez Juve, si vous m’aviez dit que vous étiez Juve ?

– Oui, mais je ne vous l’ai pas dit.

– C’est entendu, vous ne me l’avez pas dit. Mais quand, avant-hier, je vous ai dit, moi : « Sacré nom d’un chien, vous êtes Juve » vous ne m’avez pas juré le contraire.

– D’accord.

– Donc, si vous étiez Juve, qu’est-ce que vous feriez ?

– Si j’étais M. Bagot, je me frotterais les mains.

– Je ne vous comprends pas du tout.

– Laissez donc. Mangez vos escargots, monsieur Bagot et écoutez-moi : si j’étais vous, si j’étais à votre place, je me frotterais les mains. Pourquoi ? C’est bien simple. Vous avez deux affaires intéressantes à étudier, et deux affaires qui, pour un policier subtil comme vous, vont vous valoir un beau triomphe.

M. Bagot était de plus en plus stupéfait :

– Expliquez-vous. Quelles sont ces deux affaires ?

– D’abord, expliqua Juve, il y a ce rapport d’agent qui vous signale qu’un gardien de nuit du dépôt des wagons-lits a entendu crier et se débattre quelqu’un. Vers une heure du matin. Du côté de l’avenue de Saint-Denis. Et la veille, la découverte du wagon ensanglanté dans l’entrepôt.

– Eh bien ?

– Eh bien, mon cher commissaire, ce wagon trouvé taché de sang dans un entrepôt désert aux environs duquel on a entendu crier quelqu’un, c’est la preuve qu’il s’est passé quelque chose. Vous allez faire des recherches, découvrir peut-être un mystère passionnant ?

– Peut-être. Mais la seconde affaire ?

– Ce noyé repêché ce matin, j’imagine que vous allez tâcher de découvrir son identité, que vous allez vous assurer qu’il ne s’agit pas d’un homme qui a été la victime d’assassins.

M. Bagot ne laissa pas à Juve le temps d’achever :

– Oh, si vous étiez Juve, mon cher ami, si vous étiez réellement Juve, j’attacherais de l’importance à vos paroles, car je me dirais : Juve sait quelque chose, mais franchement, là, eh bien, je crois que vous exagérez ! Vous croyez qu’il s’est passé quelque chose à l’entrepôt des chemins de fer du Nord ? C’est possible, mais rien ne le prouve. Vous affirmez que le noyé de ce matin à l’usine Granjeard a été assassiné ? Admissible, mais rien ne me le prouve. Je sais bien qu’il porte des traces de coups et blessures, mais cela ne signifie rien, les hélices de bateaux, les écluses, le choc des objets flottants souvent meurtrissent les noyés.

Juve interrompit M. Bagot. Il avait fini de déjeuner. Le commissaire lui, venait de se mettre à table et Juve, debout, lui frappait amicalement sur l’épaule :

– Monsieur Bagot, lui disait-il, je crois que vous n’avez pas confiance. Allons. Si vous ne pensiez pas qu’il s’est passé quelque chose de mystérieux dans l’entrepôt des wagons-lits, pourquoi auriez-vous convoqué le cabaretier Hilaire ? Si le mort repêché ne vous semblait pas intéressant à examiner, pourquoi donc auriez-vous décidé de l’enfermer au frigorifique de votre morgue ? Pourquoi auriez-vous passé commande par téléphone chez le pharmacien, d’un pot de pommade pour enduire le visage de ce mort ? Bagot vous êtes un cachottier. Allons, à demain.

– Moi, murmurait le commissaire de police resté seul, moi j’ai décidé d’entendre le cabaretier Hilaire ? Je veux mettre de la pommade sur le visage de ce noyé ? Mais jamais de la vie. Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Ah çà, il est fou cet homme.

M. Bagot réfléchit longtemps :

– Tout de même, se dit-il, si je ne m’étais pas trompé…

***

Au même moment, Juve, car c’était bien Juve, longeait les bords de la Seine, se dirigeant vers l’entrepôt des chemins de fer. Et Juve, de son côté, songeait :

– Ce commissaire est complètement idiot, tout de même, je lui ai fait entendre que j’étais Juve, et à moins qu’il ne soit plus bête que nature, il interrogera Hilaire, il mettra la pommade que j’ai commandée sur le visage de ce noyé.

7 – UNE VISITE INATTENDUE

– Ah par exemple, voilà une affaire qui commençait de la façon la plus banale et qui menace de prendre des proportions extraordinaires.

C’était l’infirme Taxi, ou pour mieux dire Fandor, qui, dans sa modeste chambre du sixième, impasse Urbain, monologuait en lisant dans le journal le détail du « crime de la Plaine Saint-Denis ».

Toutefois, ce qu’il ne pouvait lire entre les lignes ni même soupçonner, c’est que l’inspirateur du commissaire de police, le personnage qui avait aidé celui-ci à reconstituer le crime et le trajet du cadavre, n’était autre que l’homme mystérieux rencontré dans un café par le commissaire.

– Drôle d’affaire, soupira Fandor.

Puis il regarda un modeste réveil-matin qui lui servait de pendule :

– Dix heures, déjà, bien que je n’ai nullement sommeil il est temps que je me couche si je veux avoir mon compte de repos, car dans cette sacrée maison, étant donnée la clientèle de braves ouvriers et d’honnêtes employés qui l’habite, il n’y a plus moyen de fermer l’œil dès cinq heures du matin.

Fandor, toutefois, avant de se dévêtir, prit son petit chariot d’infirme qu’il avait laissé à l’entrée de son logement. Pourquoi Fandor, chaque soir avant de se coucher, se donnait-il donc la peine de prendre son chariot et de le pousser sur le plancher pendant quelques minutes, s’efforçant de le faire rouler sur le sol de façon à être entendu par l’immeuble entier ? C’est que, jusqu’à présent il avait accoutumé ses voisins à entendre le roulement de son chariot à des heures à peu près régulières, et il ne fallait pas déranger leurs habitudes, pour ne pas éveiller de soupçons. Déjà Fandor se sentait suspect aux yeux de certains qui se demandaient si l’infirme du sixième l’était autant qu’il voulait bien le dire et de plus, son attitude de l’après-midi, dans le faubourg Saint-Denis, n’avait pas été pour inspirer confiance, si d’aventure quelqu’un de ses voisins en eût entendu parler.

Or, tandis que, machinalement, Fandor faisait rouler son véhicule, il eut un cri de surprise.

– Çà, par exemple, s’écria-t-il, c’est plus fort que tout ça. Voilà que ma voiture a grandi, il faut croire que le grand air lui profite. C’est égal, je paie des prunes à qui m’explique comment il se fait que, du jour au lendemain, un chariot de paralytique se met à grandir.

Fandor constatait que son chariot qui, jusqu’alors, passait facilement entre la table et l’armoire adossée au mur, ne parvenait plus désormais à s’incruster entre ces deux meubles.

De deux choses l’une : ou la table s’était rapprochée de l’armoire, ou l’écartement des roues avait augmenté. La table n’avait pas bougé. C’était indiscutable, il y avait dans la poussière du sol des indications qui le certifiaient. D’autre part, en considérant son véhicule, Fandor se rendait parfaitement compte que l’essieu avait subi des modifications absolument inattendues. Cet essieu, en effet, était trop large pour la caisse qu’il supportait. Jusqu’alors les roues se trouvaient à une distance infime du montant de la caisse. Maintenant, on pouvait passer la main entière entre celles-ci et les roues.

– Oh oh, murmura Fandor, voilà qui est bizarre.

Le journaliste venait de remarquer sur les planches du parquet, à quelque distance du chariot, deux petites traces blanches à peine perceptibles. Il s’efforça de les effacer du bout de l’index : c’était de la craie.

Il prit un mètre, mesura la distance qui séparait les deux marques, distance égale à celle qui séparait les deux roues de son véhicule et il nota quatre-vingt-deux centimètres. Fandor se releva, alla s’asseoir au pied de son lit, se prit la tête à deux mains et réfléchit longuement.

Puis il relut le journal :

– Parbleu, grogna-t-il, la coïncidence est si extraordinaire qu’elle ne peut résulter que d’une volonté humaine :

Le magistrat en faisant en sens inverse le parcours qu’avait dû suivre sur terre le cadavre du mystérieux mort transporté par ses assassins, a constaté sur le sol à maintes reprises, deux traces de roues parallèles, qui, évidemment étaient les roues d’un véhicule, dont les meurtriers se sont servis pour transporter leur victime. Ce véhicule n’a pas été retrouvé, mais on y parviendra sans doute car on a relevé certaines dimensions sur les traces et notamment celle de l’écartement des roues qui se trouve être d’environ quatre-vingts centimètres.

– C’est clair comme le jour, se disait Fandor, quatre-vingts, quatre-vingt-deux centimètres, autant dire la même chose, le mystérieux mort de la Plaine Saint-Denis a été transporté dans un chariot et il se trouve que, désormais, mon véhicule, qui était plus étroit hier, a aujourd’hui les dimensions de ce chariot suspect. Est-ce donc que l’on a l’intention de me faire passer pour coupable dans cette affaire dont j’ignore le premier mot ? Mais il n’y a pas de doute, tout cela est grave. Très grave. Plus grave qu’on pourrait l’imaginer. Ceci n’est qu’un commencement. Qui diable peut-être l’auteur de cette abominable machination qui tend à me faire passer pour responsable d’un crime dont je suis innocent. Qui ? Lui ?

On avait insinué que le cadavre brûlé trouvé dans l’immeuble de Juve était celui de Juve. C’était la version officielle, mais Fandor n’y croyait pas. Il avait conclu, lui, que le mort carbonisé rue Bonaparte n’était autre que l’effrayant Génie du Crime. Fallait-il donc revenir sur cette opinion ? Fantômas vivait-il encore ?

– Sale affaire.

Depuis quarante-huit heures, il avait noté la présence dans le voisinage de l’impasse Urbain, d’une série d’individus, qui, à leur silhouette particulière, étaient aisément reconnaissables. C’étaient des policiers, des agents en bourgeois.

Fandor n’avait tout d’abord prêté qu’une médiocre attention à leur présence, mais il se rendait compte maintenant que cette surveillance avait été prévue contre lui.

– C’est que, monologua Fandor, je ne tiens pas du tout à entrer en ce moment en relations avec la police, ni à fournir des explications à la Sûreté. J’ai mieux à faire, il s’agit pour moi de m’occuper d’Hélène et si j’ai adopté ce déguisement depuis quelques semaines, si je joue les mendiants et les faux infirmes sur la place de Paris et particulièrement aux abords de la prison de Saint-Lazare, ce n’est pas pour me brûler au moment où je crois que je vais réussir à tirer ma pauvre amie de là. Allons, mon petit Fandor, prends tes cliques et tes claques, et tires-toi d’ici.

Comme il abordait les premières marches, quelqu’un sortit du logement voisin : c’était Blanche Perrier. La jeune femme avait été attirée par ce bruit insolite, elle n’était pas couchée.

– Tiens, fit-elle, surprise de voir l’infirme sortir à cette heure, c’est vous, monsieur Taxi, vous vous en allez ?

Le journaliste répliqua brièvement :

– Je m’en vais faire un tour, je crève de soif, faut que je descende chez le bistro.

Complaisante, Blanche Perrier, se proposait déjà à lui faire boire quelque chose pour lui éviter la descente difficile et l’ascension encore plus pénible des six étages.

– Il faut absolument que je sorte.

– Ah, monsieur Taxi, je suis terriblement inquiète. Voilà deux jours que je n’ai pas de nouvelles de Didier, depuis qu’il est rentré chez ses parents, il n’est pas reparu.

– Ne vous frappez pas, madame Blanche, il reviendra, votre amoureux.

– Oh, je l’espère bien, sans doute, mais enfin, j’ai peur.

Fandor, lui aussi, avait peur. Une idée soudaine avait germé dans son esprit.

– Je vous assure qu’il ne faut pas vous faire de bile, ces histoires-là, ça traîne toujours, mais ça s’arrange ensuite. Allons bonsoir, madame Blanche, rentrez chez vous, moi je m’en vais.

La jeune femme se retira, et sitôt qu’il fut seul, dans l’escalier obscur, Fandor au lieu de descendre, comme à son ordinaire, en se cramponnant aux barres de l’escalier et en faisant rouler son chariot sur les marches, mit simplement celui-ci sous son bras et descendit à toute allure les six étages.

La porte de la rue était entrebâillée, il se glissa dehors, ni vu ni connu.

***

– Alors, Fleur-de-Flic, quoi de nouveau ?

– Hum, pas grand chose, monsieur Juve, pardon, monsieur Lambert. Je vous demande pardon, monsieur Lambert, excusez-moi, monsieur Lambert, de vous appeler toujours monsieur Juve, mais j’oublie sans cesse que monsieur Juve n’est autre que monsieur Lambert.

Riquet venait de recevoir de son interlocuteur un grand coup de poing dans les côtes. Il rougit.

Riquet et Juve étaient installés au fond de la boutique d’un marchand de vins de la rue de la Chapelle depuis neuf heures et demie. Onze heures venait de sonner et ils causaient encore à voix basse, mystérieux :

C’était Juve qui interrogeait minutieusement, sans en avoir l’air, le jeune gavroche qui, tout heureux d’être l’ami d’un tel personnage et d’avoir des secrets avec lui, cherchait tous les détails capables d’intéresser son interlocuteur. Les récents événements qui s’étaient déroulés dans la Plaine Saint-Denis, de même que les incidents relatifs à Blanche Perrier, au courant desquels il se trouvait, défrayaient la conversation.

Après un silence, Juve demanda :

– Alors dis-moi, petit, toi qui es retourné à la maison Granjeard depuis la dispute intervenue entre Didier et sa famille, dis-moi donc un peu la tête que faisaient la veuve et les deux frères aînés ?

– Ma foi, ça n’est pas très commode de préciser, car j’ai peu vu les patrons hier et aujourd’hui.

– Je croyais que tu étais tout le temps en relations avec eux ? que tu faisais leurs courses ?

– Oui, sans doute autrefois, mais désormais depuis le renvoi de Blanche, c’est moi qui la remplace à la clouterie et là on est plus loin des « singes ». Pas moyen de dévisager leur bobine.

– Enfin, insista Juve, n’as-tu pas entendu dire, n’as-tu pas remarqué qu’ils étaient étonnés de ne pas voir revenir leur fils ?

– Eh bien non, répliqua Riquet, les rares fois où je les ai vus, ils paraissaient comme à l’ordinaire. D’ailleurs, paraît que M. Didier leur a déclaré le jour de l’engueulade qu’il ne reviendrait pas.

– Dis-moi, Fleur-de-Flic, je me demande ce qu’a pu devenir Didier. En sortant du magasin, n’es-tu pas allé voir chez Blanche s’il s’y trouvait comme je te l’ai recommandé ?

– Oui, répondit le gavroche, je suis monté chez Blanche Perrier, elle était sortie. Mais, monsieur Juve, pardon, monsieur Lambert, puisque nous causons de ces trucs-là, j’ai quelque chose d’autre.

– Quoi donc ?

– C’est une idée, comme ça qui m’est venue, pendant que j’étais sur le carré du sixième.

– De quel sixième ?

– Hé, parbleu ! du sixième de l’impasse Urbain. Savez-vous qui est le voisin de Blanche Perrier ?

– Pas le moins du monde.

– C’est un drôle de type. Une espèce d’infirme qui fait le mendiant dans la journée et qui, le soir, traîne dans les cabarets. Précisément, le soir du crime, on l’a vu dans un bouge de la Plaine Saint-Denis.

– Comment sais-tu que c’est lui ?

– Oh, il est facilement reconnaissante, car cet infirme-là se ballade toujours dans une espèce de chariot.

– Un chariot, s’écria le policier, il me semble que je comprends où tu veux en venir ?

– Ah, tant mieux, fit Riquet, j’avais peur de ne pas être clair.

– C’est limpide comme de l’eau de roche. Continue.

– Alors, autant vous dire que j’ai pensé que le chariot de l’infirme et celui sur lequel on a transporté le mort de la Plaine Saint-Denis pourraient bien être le même.

– Oh, oh, tu vas vite, fit Juve.

– J’ai voulu m’en assurer et je suis rentré dans la taule de Taxi, le mendiant. Qu’est-ce que vous voulez, j’suis curieux de ma nature, quand j’ai besoin de savoir quelque chose, je n’hésite pas à me renseigner.

– Fleur-de-Flic, tu es en train de devenir un grand policier. Qu’as-tu découvert ?

– Le chariot de l’infirme a le même écartement de roues que celui qui a servi à transporter le cadavre mystérieux. J’ai mesuré ses dimensions, là, comme ça, en un clin d’œil, pendant que l’infirme était occupé dans la pièce à côté.


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