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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Ah, oui, hurla Hélène, sauvez-nous, sauvez-nous. Allez prévenir Jérôme Fandor.

Riquet ne demandait pas mieux. Il commençait à trouver étrange la conduite de Juve. Enfermer ainsi ces deux femmes… Subitement, comme malgré lui, il éprouvait le besoin de confier à quelqu’un ses appréhensions. Seulement le gamin ne voulait pas trahir Juve. Il n’était qu’un seul être à qui, sans trop indisposer contre lui le policier, il pouvait parler : Jérôme Fandor. Riquet, cependant calma Hélène. Protecteur il lui répondit :

– Vous bilez donc pas, d’abord ça me coupe mes moyens. Je peux pas voir des femmes se faire de la bile. Bien sûr que je vais y aller le trouver m’sieu Fandor. Même voilà ce qu’on va faire : De toute façon, vous m’attendrez ici, qu’il arrive n’importe quoi. C’est rapport au salé, ce que je vous dis, affirmait-il, ici, vous ne devez pas vous amuser beaucoup, mais après tout, vous ne semblez pas courir de danger immédiat. Tandis qu’en voulant vous esbigner, vous pourriez vous faire casser la margoulette. Bon. Quant à moi, je m’en vais tranquillement redescendre dans les caves. Puisque vous avez cherché partout madame Blanche, et vous mam’zelle Hélène, le moyen de vous en aller, en passant par le parc, et que vous n’avez rien trouvé, c’est probablement que le chemin est d’un autre côté. J’ai comme une idée que, par les sous-sols, il doit y avoir une communication avec l’extérieur. Bien du plaisir. Là-dessus je vous quitte. Je vous fait la révérence, j’m’en vais. J’en ai soupé de l’endroit. Je ne suis pas gros, c’est bien le diable si je ne trouve pas moyen de sortir. Et maintenant v’là trois heures qui s’aboulent faut que j’me tire des pattes, pendant qu’y fait encore nuit.

***

Ayant retrouvé le chemin des caves sans trop de peine, Riquet, quelques instants après, s’orientait donc dans les sous-sols du château. Il possédait pour s’éclairer, un vague bout de bougie, et une boîte d’allumettes.

Il devait visiter d’immenses sous-sols, suintants d’humidité, remplis d’objets à l’abandon, où, sans doute, il y avait de nombreux pièges, de nombreuses fosses à éviter, où toujours il pouvait craindre la surprise d’un gardien lui tombant dessus à l’improviste.

Riquet, le plus tranquillement du monde, sifflotant un refrain populaire, fouillait partout, perquisitionnait avec ardeur, se souciait aussi peu que possible des dangers qu’il courait, semblait n’être préoccupé que de trouver le moyen de quitter la maison inconnue :

– Bon Dieu, que je sorte seulement, se répétait-il de temps à autre, et après, on verra à se reposer. Je suis toujours à trois heures de Paris, en automobile, c’est vrai. Ça doit bien représenter quinze ou dix-huit heures de marche à pied. Je trouverai peut-être l’occasion de brûler le dur.

Or, tandis que Riquet découvrait dans un coin de la cave une sorte de petit escalier, tortueux et noir, qui s’enfonçait sous le sol, tandis qu’il commençait à en descendre les degrés, en se demandant si, par hasard, il n’avait pas la bonne fortune d’avoir découvert un souterrain, le gosse prêta l’oreille.

– C’est rigolo, se disait-il, j’entends comme un bruit d’eau. Est-ce que, par hasard, il y aurait une rivière qui passerait sous cette espèce de château-couvent ?

Riquet, dont la bougie était totalement usée et qui venait de perdre ses allumettes en faisant une chute, continua à descendre. Brusquement, il eut la sensation que l’escalier plongeait, en effet, dans une nappe d’eau. L’air qu’il respirait était plus humide, le froid des caves se faisait plus pénétrant.

– Mais qu’est-ce que ça veut dire ? monologuait-il, c’est donc là que les anciens châtelains avaient leur salle de bains ? ou bien que les moines venaient laver leur linge ?

Riquet descendit lentement, prenant garde de ne pas tomber. Or, soudain, comme il quittait une marche, il jeta un cri d’épouvante. C’est qu’en effet, sans que rien ait pu l’en avertir, il était précisément arrivé au bas de l’escalier. Son pied n’avait plus rencontré d’autres marches et, comme il était penché en avant, c’est en vain qu’il avait essayé de se retenir. Il était tombé, il avait glissé, roulé dans le vide. Dans une rivière, dans une nappe d’eau étendue sous le mystérieux château. Un autre, d’effroi, de surprise, d’épouvante, eût peut-être été paralysé. Mais Riquet, trop de fois, s’était amusé à se baigner dans la Seine, soit aux bains à quatre sous, soit au quai d’Austerlitz, en dépit des agents, pour n’être pas bon nageur. Tombé à l’eau, il se laissa couler, frappa le fond d’un vigoureux coup de talon, revint à la surface, faisant la planche.

– Oh oh, murmurait-il, en reprenant haleine, voilà décidément que je varie les plaisirs. Ah çà, dans quoi suis-je tombé ?

Mais ce n’était véritablement pas le moment de réfléchir longuement. La nappe d’eau dans laquelle se débattait l’apprenti était glaciale, Riquet sentit qu’à peine d’être rapidement paralysé par le froid, il fallait nager :

– Très joli, le lac, songeait-il en lui-même, mais je voudrais bien savoir où je m’en vais accoster.

Hélas, Riquet n’était pas au bout de ses peines, il n’avait pas fait une vingtaine de brasses, en effet, qu’il avait l’épouvantable angoisse de se sentir happé par un courant des plus vifs, qui l’entraînait en dépit d’une résistance désespérée.

– Bougre, pensa Riquet, je me demande comment cela va se terminer ? Si la rivière coule si vite, c’est qu’elle doit aller se jeter dans une autre plus grande. Suivons-là, après tout, qu’est-ce qui prouve que le courant ne va pas m’entraîner hors de ce château ?

Mais Riquet ne réfléchit pas davantage. Au même moment un choc terriblement violent sur le crâne l’étourdit à moitié. En même temps, il eut l’impression qu’il coulait, que l’eau lui passait par-dessus la tête. Il avait beau nager de toute sa force, il était englouti, irrémédiablement.

L’apprenti devina la vérité : la rivière souterraine devait être canalisée dans quelque gigantesque tuyauterie qu’elle emplissait complètement. Il venait de s’engager dans cette tuyauterie. Il y était entraîné. Il allait périr noyé, sans rémission.

***

– Où suis-je ?

Tiens, Riquet était étendu dans une sorte d’appareil dont sa tête seule dépassait. En même temps, sur tout son corps, une brûlure ardente lui donnait une impression de bien-être extraordinaire. Cela lui faisait mal, en même temps que cela le ragaillardissait.

– Où suis-je ?

Autour de lui, penchées sur lui, il voyait de bonnes grosses têtes moustachues, des têtes qui lui demandaient avec sollicitude :

– Eh bien, petit gars, ça va mieux ?

– Ça va tout à fait bien, répondait-il, tout à fait bien. Seulement, où diable que je me trouve ?

– P’tit gars, tu es dans l’appareil à ranimer les noyés du poste de secours du quai de Grenelle.

On lui expliqua, mais ce fut long.

– Dame, c’est bien simple, déclara l’un d’eux, mon collègue et moi nous étions de service sur le quai, tout près du pont. Et puis nous t’avons aperçu. Tu te débattais dans la Seine. Heureusement, on sait nager. On s’est mis à l’eau. On a pu te ramener et te voilà. Bah, dans un quart d’heure, tu seras d’aplomb.

– Çà, pensait le gamin, c’est vraiment plus fort que de jouer au bouchon.

La pendule indiquait trois heures trente-cinq. Riquet demanda :

– C’est le jour ou c’est la nuit ?

– C’est la nuit, voyons. Comment, tu ne te rappelles pas ?

Riquet se rappelait parfaitement, au contraire. Il se rappelait qu’au moment où il avait quitté Blanche et Hélène, il était trois heures précises, donc, il y avait trente-cinq minutes à peine qu’il avait quitté les deux jeunes femmes. En trente-cinq minutes, la rivière souterraine dans laquelle il avait si bien failli périr l’avait donc conduit du château à la Seine, où on l’avait repêché ? D’autant plus extraordinaire que Blanche Perrier, Hélène et lui le savaient, il fallait près de trois heures d’automobile pour aller de Paris au château inconnu.

– Bien sûr, je deviens marteau, se dit le pauvre Riquet. Tout de même, avant de me rendre à Bicêtre, je vais tâcher d’aller trouver Jérôme Fandor. Si je peux le joindre, celui-là, peut-être bien qu’il sera assez costaud pour m’expliquer mon aventure, car c’est pas pour dire, elle me semble bizarre, mon aventure.

Trois quarts d’heure plus tard, Riquet se dirigeait vers la demeure de Taxi, en souhaitant de tout son cœur que Jérôme Fandor y fût revenu.

16 – ÉTRANGES PROPOSITIONS

M me Granjeard et son fils Paul, assis l’un en face de l’autre, dépouillaient leur courrier. Huit jours s’étaient écoulés depuis leur libération et la mère et les fils avaient repris leurs habitudes.

En lisant les lettres que lui passait son fils, M me Granjeard fronça les sourcils, se mordit les lèvres, cependant qu’elle grommelait :

– As-tu vu Paul ? Voilà Bichat et Compagnie qui annulent leur commande ?

Elle ajouta :

– C’est très curieux, les Tourbis ont l’air de faire des difficultés au sujet de la dernière livraison. On leur a pourtant bien donné ce qu’ils voulaient. Je n’y comprends rien.

Paul hocha la tête, approuvant le monologue de sa mère, mais ne répondit pas. On apporta un télégramme, l’ingénieur le lut et nerveusement froissa le papier bleu, le jeta au panier :

– Désespérant, fit-il.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Rien, dit Paul nerveusement, ou plutôt si, tiens, la Société des Forges nous annonce que décidément elle ne passe pas la commande pour laquelle nous étions d’accord.

– Ah, fit simplement M me Granjeard, dont les joues se décolorèrent.

À ce moment on frappa à la porte :

– Entrez.

Quelqu’un pénétra dans la pièce, souleva sa casquette, c’était Landry, le contremaître :

– Pardon, excuse, si je vous dérange, fit-il, en s’adressant à M me Granjeard, mais c’est les quinze cents kilos de plaques de tôle que le camionnage apporte.

– Eh bien, ça va bien, dit M me Granjeard, faites-les placer dans le hangar.

– Elles y sont, dit le contremaître.

– Je suppose que vous avez vérifié la livraison ?

– Sans doute, fit le contremaître, tout est bien en état, mais…

– Mais quoi ?

– Eh bien, le camionneur dit comme ça qu’il faut qu’on le paie. La marchandise est envoyée contre remboursement.

M me Granjeard se leva :

– C’est un peu raide, fit-elle, des fournisseurs que nous avons depuis dix ans et que l’on paie toujours à trois mois, qu’est-ce qui leur a pris ?

M me Granjeard se montait :

– Mais c’est une erreur, sûrement. Ce n’est pas que je refuse de payer, mais enfin il y a là une question de principe avec laquelle je ne transigerai pas.

Paul Granjeard, de plus en plus sombre, questionnait son contremaître :

– Combien doit-on ?

– Quatre mille deux cents francs.

L’ingénieur instinctivement, se fouilla pour tirer son trousseau de clés et fit mine d’aller vers son coffre-fort particulier, mais il interrompit ce mouvement et, se tournant vers sa mère, il lui déclara :

– Mieux vaut en finir et payer, que d’avoir des histoires. Voulez-vous donner la somme, ma mère ?

M me Granjeard avait, elle aussi, un coffre qui lui servait de caisse particulière. Machinalement, elle esquissa le mouvement de s’en approcher, puis elle s’arrêta :

– Après tout, fit-elle négligemment, règle toi-même, je ne dois pas avoir de monnaie.

– Moi non plus, dit Paul.

De la pièce voisine, simplement séparée par une cloison qui s’arrêtait à mi-hauteur, Robert Granjeard avait entendu toute cette conversation, sans y prendre part. Il crut, toutefois, devoir intervenir.

Quittant le bureau devant lequel il travaillait et abandonnant les écritures compliquées auxquelles il se livrait, le jeune homme prit son chapeau.

– Le plus simple, déclara-t-il, c’est que j’aille à l’agence du Comptoir National, je prendrai la somme exacte qu’il faut pour payer cette note. Landry, venez avec moi.

Robert Granjeard sortit du bureau avec le contremaître. Sa mère et son frère aîné restaient en tête-à-tête, seuls, silencieux.

L’un et l’autre, d’abord, affectèrent de ne point s’adresser la parole, de paraître plongés dans des travaux absorbants. Mais évidemment, ils avaient, tous deux quelque chose sur le cœur. M me Granjeard n’y put tenir. Ce fut elle qui rompit le silence.

– Paul, appela-t-elle.

– Qu’est-ce qu’il y a maman ?

– Il y a, déclara-t-elle, que la maison nous claque dans la main. Pas besoin de s’illusionner, cette affaire qui nous est arrivée nous fait le plus grand tort.

– Nous étions innocents. D’ailleurs nous avons obtenu un non-lieu.

– Notre meilleur client nous abandonne, nos plus anciens fournisseurs doutent de notre crédit. Ils exigent des paiements d’avance. Du train dont ça va, nous serons par terre dans trois mois.

– Que voulez-vous y faire ? Nous travaillons comme par le passé. Pour moi j’en fais plus encore qu’auparavant. Vous-même, ma mère…

– Il ne s’agit pas de savoir si nous travaillons beaucoup, mais bien de déterminer si nous travaillons utilement. Nous venons de recevoir un choc. Notre réputation commerciale est compromise. Il faut la relever à tout prix.

– Quoi faire ?

– Nous avons de l’argent disponible, dépensons-le. Faisons de la réclame. Baissons nos prix. Concurrençons nos collègues. Marchons à caisse ouverte pendant le temps qu’il faudra pour rattraper les affaires, pour les augmenter, et surtout faisons dire partout, dans les journaux, dans le monde, que nous avons été victimes de la mauvaise chance, que nous ne sommes pour rien, absolument pour rien dans la mort de Didier, et que la maison Granjeard, loin de diminuer, augmente, qu’elle crée des succursales partout. Qu’est-ce que tu veux, inventons n’importe quoi, faisons quelque chose pour qu’on parle de nous.

La porte s’ouvrit. Robert entra :

– C’est réglé ? demanda sa mère.

– Oui, j’ai remis les fonds à Landry, il s’occupe avec l’employé du chemin de fer qui accompagne le camionneur de faire régulariser la facture.

– Bien, Écoute, Robert, ton frère et moi, nous venons de prendre une grande décision, en ce qui concerne notre association. Il est bon que tu sois au courant.

– Un instant Nous causerons plus tard. En rentrant ici j’ai rencontré quelqu’un qui venait nous voir et que j’ai dû faire entrer dans le petit salon où il attend en ce moment.

– Qui ?

– Juve, l’inspecteur de la Sûreté.

M me Granjeard devint toute pâle.

– Encore cet homme, fit-elle, qu’est-ce qu’il peut bien nous vouloir ?

– Je me demande quel parti pris vous avez contre ce policier. Certes il a été rude avec nous, brutal lorsqu’il nous a fait arrêter, mais il a été aussi ardent ensuite, à faciliter notre liberté lorsqu’il a reconnu notre innocence, dit Robert.

Étouffant un soupir, cependant que son fils Paul se mordait les lèvres, M me Granjeard précéda ses deux enfants dans le salon où Juve attendait, en effet.

Le policier s’inclina gravement :

– Je vous présente mes hommages, Madame, fit-il.

Puis, il inclinait légèrement la tête dans la direction des hommes, et sans préambule entra dans le vif du sujet :

– Je suis venu vous voir, dit-il, parce que ça va mal, je pressens des ennuis. Voici, dit-il, la situation. M. Mourier, le juge d’instruction chargé de l’affaire que vous savez, a découvert quelque chose de très embêtant…

– Parlez, je vous en prie, supplia M me Granjeard.

– Mais oui, monsieur, insista Robert, allez.

– Eh bien, reprit Juve, le magistrat s’est aperçu que le testament grâce auquel vous avez été libérés les uns et les autres n’a pas été rédigé par Didier. C’est un faux.

Les trois Granjeard n’osaient se regarder. Ils se sentaient coupables de n’avoir pas avoué, la première fois que le juge instructeur leur avait montré le document, qu’il n’émanait pas de la victime. Ils le savaient, ils s’étaient tus.

– Vous comprenez bien, expliquait Juve, que tout peut être remis en cause, que tout peut recommencer.

Accablée, M me Granjeard se tamponnait les yeux avec son mouchoir, Paul s’était laissé choir sur un fauteuil, la tête entre les mains.

– Où en est-on ? demanda Robert.

Le policier reconnut que, depuis une semaine, l’instruction n’avait pas fait un pas.

– Monsieur Juve, il y a une certaine piste dont nul n’a parlé et que la justice paraît avoir complètement abandonnée.

– Laquelle, monsieur ?

–Celle, dit Robert Granjeard, du chariot, du fameux chariot sur lequel on a transporté le cadavre si horriblement mutilé de mon malheureux frère et dont les dimensions de roues coïncidaient avec celles d’un chariot d’infirme habitant près de la rue de la Chapelle.

Juve l’interrompit :

– D’où tenez-vous cette histoire-là ?

– Mon contremaître Landry me l’a racontée, il la tenait lui-même de son fils, Riquet, un de mes apprentis.

– Tout ce que vous venez de me raconter, monsieur, est exact. J’avais précisément l’intention de vous parler de cette piste très intéressante, plus intéressante même peut-être que vous ne pouvez vous l’imaginer. Ce mendiant est assurément suspect, cet infirme qui ne l’est pas. De là à conclure qu’il est coupable… Des preuves sont nécessaires, je ne vois pas trop comment…

– Ce mendiant, monsieur Juve, habite impasse Urbain, dans un logement voisin de celui qui est occupé par cette jeune fille, Blanche Perrier, la maîtresse de mon malheureux frère. Par elle, ne pourrait-on pas avoir des renseignements ?

– J’allais vous le proposer, fit Juve. Vous avez là une excellente idée. Mais voir Blanche Perrier ? Nous irons peut-être à l’encontre de nos intérêts et je dis nos, car, avec votre autorisation, votre cause devient la mienne, si vous le voulez bien ?

– Merci.

– D’abord, Blanche Perrier a disparu. Il est vrai que je pourrai la retrouver, je sais même où elle est. Un instant, j’ai eu l’idée de vous l’amener ici, je ne l’ai pas fait.

– Pourquoi ? demanda Robert.

– Eh bien, s’écria Juve. C’est facile à comprendre, après tout, cette femme ne peut être que votre ennemie. D’autre part, elle est d’accord avec le mendiant et même, si la culpabilité de ce dernier nous apparaissait évidente, il est bien certain qu’à eux deux, ils s’arrangeront certainement pour se trouver un alibi.

Le visage de Robert exprimait la désolation :

– C’est vrai, que pourrait-on bien faire ?

Juve poursuivait :

– Les déclarations de Blanche Perrier seraient dangereuses pour nous. C’est bien évident. Plus j’y réfléchis, plus j’en acquiers la conviction. Au lieu de la faire interroger, au lieu de la ramener de notre côté, il serait préférable qu’elle disparaisse. Blanche Perrier écartée, la compromission du mendiant sera certaine. Il faudrait expédier Blanche dans un autre monde.

Juve avait prononcé ces dernières paroles d’un ton si énigmatique et d’une voix si basse, que les Granjeard eurent peur un instant d’avoir mal compris. Ils tressaillirent :

– Dans quoi avez-vous dit ? interrogea M me Granjeard.

Juve reprit en souriant :

– J’ai dit dans un autre monde, mais non pas ainsi que vous le pensez peut-être en ce moment, « dans l’autre monde ».

M me Granjeard protestait :

– Mais, monsieur, jamais…

– Malheureusement, c’est difficile. Ces sortes de départs, naturellement, sont difficiles à obtenir.

– Vous voulez dire ?

– Ils coûtent cher. Il faut beaucoup d’argent.

– Et pourquoi donc ? demanda Paul Granjeard, je ne comprends pas.

Son frère Robert se chargea de lui donner des explications :

– C’est très clair, en effet, fit-il, ce que nous propose monsieur Juve.

– Oh, pardon, dit Juve, je ne vous propose rien du tout.

– Mettons que je me sois trompé, recommença Robert, je reprends donc l’idée qui me vient à l’esprit et, pour simplifier la situation, on pourrait peut-être obtenir de cette Blanche Perrier qu’elle s’en aille, qu’elle quitte la France, à seule fin que son témoignage, jusqu’à présent intéressé à notre perte ne puisse pas venir nous gêner dans l’œuvre d’éclaircissement, le démasquage des coupables que nous poursuivons, étant naturellement bien entendu que nous croyons fermement que le mendiant infirme est au nombre des auteurs du crime et que la présence de Blanche Perrier lui permettrait peut-être de se disculper.

– C’est cela même, déclara Juve, et vous avez bien saisi la situation.

– Dès lors, poursuivit Robert, nous n’avons pas à nous gêner entre nous : qu’est-ce que vous pensez que ça coûterait de faire disparaître cette personne ? de l’envoyer loin, très loin ?

– Hum, dit le policier, je ne sais pas, il faudrait voir. C’est une situation à assurer. Il y a des gens à subventionner pour obtenir leur silence. Mais c’est cher. Voyons, disposeriez-vous de deux cents à trois cent mille francs ?

– Deux à trois cent mille francs, mais c’est une somme énorme, Monsieur Juve, voyons, ne vous chargeriez-vous pas de la chose à moins cher ?

– Pardon, Monsieur, mais je crois que vous cherchez à négocier avec moi. Vous faites erreur et je vous interromps tout de suite. Je ne viens pas vous proposer un marché, vous offrir une affaire. Vous m’avez demandé un avis, je vous donne un conseil et voilà tout.

– Excusez-moi, dit Robert, je suis maladroit dans ma façon de procéder. Je voulais vous demander si, étant donné le grand intérêt que vous nous portez, le désir que vous avez, comme nous, de voir triompher la vérité, vous consentiriez à être notre intermédiaire auprès des personnes susceptibles de décider Blanche Perrier à disparaître pour un temps assez long, de façon qu’elle ne vienne point entraver par de fausses déclarations l’action de la justice qui, dès lors, sur votre initiative, s’orienterait très catégoriquement sur la piste du mendiant.

– Ceci est tout différent, répliqua Juve et, dès lors, vous pouvez être assuré que mon concours vous est acquis, le cas échéant. Je vous répète toutefois qu’il est parfaitement inutile de rien entreprendre avant d’avoir une somme liquide de deux à trois cent mille francs.

– Nous vous la donnerons, cette somme, déclara Robert.

– Pardon, fit M me Granjeard, mais il me semble, mon cher enfant, que tu prends des décisions bien importantes sans m’en avoir référé.

– Vous refuseriez, Madame ? demanda le policier.

Paul Granjeard intervint :

– Ma mère, Monsieur, fit-il, n’a pas dit cela, mais il s’agit d’une grosse somme et, nous autres, commerçants, nous n’avons l’habitude de ne nous engager que lorsque nous sommes certains de pouvoir tenir.

– Je le comprends, fit Juve, alors, je n’insiste pas… il sera toujours temps de prendre une décision.

– Ma décision est toute prise, Monsieur, dit M me Granjeard, quoi qu’il advienne, je ne sortirai pas un sou. Je suis sûre que telle aussi est l’opinion de mon fils, du moins de mon fils Paul.

La veuve du marchand de fer se tournait vers son aîné :

– Qu’en penses-tu ?

– Après tout, ma mère a raison, monsieur, et d’ailleurs où prendrait-on cet argent, nous ne disposons pas des fonds nécessaires.

Robert intervint dans la discussion :

– Je vous assure, dit-il, que l’idée que j’ai émise mérite d’être prise en considération. La question d’argent n’existe pas. D’autant que depuis la mort de notre malheureux père nous avons, mon frère et vous aussi, ma mère, chacun une somme de cinq cent mille francs liquide.

Sa mère, sèchement, lui avait coupé la parole :

– Il suffit, Robert, ne parlons plus de cela.

Juve s’était levé, il salua respectueusement M me Granjeard, tendit la main à ses deux fils :

– Vous aurez, murmura-t-il énigmatiquement, peut-être l’occasion de revenir bientôt sur votre décision. Souvenez-vous qu’à l’heure actuelle, M. Mourier, juge d’instruction, vous considère comme très suspects, eu égard au faux testament de Didier dont vous n’avez pas révélé le caractère apocryphe. L’opinion publique vous accuse et d’autre part, on s’attend que Blanche Perrier fasse un jour, peut-être un jour très prochain, de graves révélations. Retenez bien ce que je vous dis, ce ne sont pas des propos en l’air. Vous savez qui je suis pour le public, pour tout le monde, et vous connaissez mon adresse. Je vous quitte. Au plaisir de vous revoir. Et retenez bien que la personne à redouter c’est Blanche Perrier.

17 – AU COUVENT

Dans son misérable logis où il continuait à habiter sous son nom d’emprunt, Taxi, ou plutôt Jérôme Fandor, eût été curieux à contempler. Fandor avait reçu la visite de Riquet, et, par le jeune homme, avait appris les péripéties d’Hélène depuis sa soudaine disparition dans la cheminée d’aération du tunnel par où elle s’était évadée.

Il avait appris, en outre, que Riquet s’était caché dans le coffre d’une automobile qui stationnait à la porte de la prison de Saint-Lazare, avait fait un voyage des moins confortables. Enfin, était descendu de voiture dans le château mystérieux où Blanche Perrier avec Hélène étaient retenues prisonnières.

Riquet n’avait pas dit à Fandor que l’automobile était occupée par Juve. Sans qu’il pût s’en rendre compte exactement, Fandor se doutait bien que Riquet lui avait caché quelque chose, mais il était à cent lieues d’imaginer que c’était la rencontre de son ami, le fameux policier que tout le monde s’obstinait à considérer comme mort, et que lui seul, Fandor, soupçonnait d’être encore en vie.

– Riquet, s’était dit Fandor, ne m’explique pas par quel mystérieux hasard il s’est trouvé enfermé dans le coffre de cette automobile. Soyons discret et ne cherchons pas à le savoir trop exactement. Hum, il y a bien des outils dans le coffre d’une automobile capables de séduire un individu de l’espèce de Riquet, et de réveiller en lui des instincts de chapardeur.

Justifiant de la sorte la montée de Riquet à bord de la voiture inconnue, Fandor qui ne songeait pas à imaginer que Riquet se taisait tout simplement parce que, ne comprenant rien à l’attitude de Juve, il ne voulait pas se mêler de quelque chose qui lui faisait un peu peur, Fandor s’occupait seulement de démêler l’intrigue qui semblait se nouer autour d’Hélène et de Blanche Perrier.

Petit à petit, Fandor désespérait de trouver le mot de l’énigme en ce qui concernait la raison de la captivité de Blanche, ou de l’enlèvement d’Hélène.

En revanche, il ne voulait pas s’avouer à lui-même qu’il était infiniment difficile avec les pauvres renseignements dont il disposait, de définir exactement l’endroit où pouvait se trouver le château dont Riquet lui avait parlé. Riquet, d’ailleurs, avait été peu explicite. Ce qu’il avait dit du château, où son séjour n’avait duré que quelques instants, stupéfiait et ahurissait Fandor.

– C’est un lieu, avait affirmé le jeune apprenti, qui est à trois heures de Paris, quand on y va, et à trente-cinq minutes quand on en sort. Il y a une rivière qui passe en dessous et dans le jardin il y a des marronniers. Enfin les murs sont élevés, les caves sont profondes, et j’ai relevé sur la façade une statue qui représente un petit bonhomme tout nu, avec des pigeons sur l’épaule. Le type qui m’a pris pour un revenant a raconté que c’était un ancien couvent.

Riquet n’avait rien dit de plus, et Fandor avait eu beau torturer les phrases de son indicateur bénévole, il ne pouvait leur faire dire beaucoup plus. Certes, le renseignement était précieux, qui le mettait à même de deviner que la façade du château était ornée d’une statue de l’amour apprivoisant des colombes. La composition même de ce groupe, permettait de deviner à peu près à quel style appartenait l’architecture de l’habitation, mais il y a en France une infinité de châteaux, et Fandor se disait avec juste raison qu’une vie entière lui suffirait à peine pour visiter après les avoir découvertes, toutes les maisons dont la façade pouvait comporter la statue d’un Amour surchargé de colombes. Il est vrai que Riquet également avait déclaré à Fandor que ce château était un ancien couvent. Cela tout d’abord semblait inadmissible au journaliste qui ne pouvait croire que la statue de l’amour figurât ainsi devant le perron d’une demeure aussi sainte.

Et puis, il y avait un autre détail qui, dans sa précision, apparaissait absolument incohérent. S’il fallait trois heures de route pour se rendre à ce château, avec une auto marchant à toute vitesse, comment Riquet pouvait-il en être revenu en trente-cinq minutes, emporté par le courant d’une rivière souterraine ?

Jérôme Fandor, sitôt Riquet parti, avait commencé par pousser avec une conviction profonde la longue série de tous les jurons de son répertoire. Il s’était mis dans une colère abominable. Il s’était révélé à lui-même qu’il en avait assez, qu’il en avait trop, qu’il fallait que ces aventures finissent, qu’elles le rendraient fou. Et puis, quand il avait assez tempêté, quand sa violence même avait eu calmé l’irritation de ses nerfs, il s’était convaincu qu’il importait de partir immédiatement à la recherche d’Hélène.

– J’ai trois choses, trois indices pour me guider, s’était dit Fandor, d’abord, la statue de l’Amour, ensuite, le temps qu’il faut pour aller ou revenir de cet endroit mystérieux. Enfin, je sais que ledit château est un ancien couvent.

Jérôme Fandor, réflexion faite, avait sauté sur son chapeau : de La Chapelle, il s’était rendu en toute hâte sur les boulevards où il avait fait l’acquisition de « l’Annuaire des châteaux de France ».

Rentré chez lui, une par une, Fandor avait feuilleté chaque page, examiné chaque gravure, lu ligne par ligne toutes les indications, tous les renseignements pouvant coïncider avec les déclarations de Riquet : malheureusement le journaliste s’était vite rendu compte qu’il existait une infinité de châteaux dont le parc était planté de marronniers et la façade plus ou moins ornée d’une statue. Comment donc choisir, trouver parmi tant de domaines, la demeure où gémissait Hélène ?

Or, tandis que ses recherches ne lui donnaient aucun résultat, tandis que ses yeux commençaient à pleurer de fatigue et de rage, tandis qu’il s’énervait de plus en plus, brusquement Fandor se redressa tout à coup pour exécuter une gigue effrénée qu’il dansa dans sa chambrette. Certes, les locataires voisins eussent été fort effrayés d’apercevoir les entrechats que réussissait à la perfection ce pauvre paralytique Taxi dont ils avaient si grand-pitié.

Jérôme Fandor venait d’avoir une idée :

– Mon petit Fandor, s’était dit le journaliste, se parlant à lui-même ainsi qu’il avait coutume de le faire dans ses moments d’expansion, mon petit Fandor, tu es le plus immonde des crétins de l’univers. Ta cervelle doit être en putréfaction. Ton idiotie ferait reculer d’horreur un académicien de l’Académie française. Enfin, je ne te reconnais plus. Parbleu, un endroit dont il faut trente-cinq minutes pour s’évader par la voie de l’eau en se trouvant amené à la Seine est un endroit qui est à trente-cinq minutes de la Seine. Il n’y a pas à aller contre. C’est un fait indiscutable. Maintenant il est très facile, en cas de besoin, de mettre trois heures pour y parvenir.


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