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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 03:47

Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Bravo, petit. C’est très important, ça.

– N’est-ce pas ? fit Riquet. C’est Taxi qui est le coupable ?

– Tu vas trop vite, petit. Et puis ne m’as-tu pas dit que ce mendiant était infirme ? Les infirmes ont plus que les autres de la peine à commettre des crimes.

– Les vrais infirmes oui, mais les faux ?

– C’est un simulateur ?

– Oui.

– Alors c’est différent, en effet, et ce que tu me dis, bien que je m’en défende, me fait croire de plus en plus que nous sommes sur la bonne piste désormais. Tout porte à croire, en effet, que ce Taxi, c’est l’assassin.

– Aïe, je vous attendais-là, mais patience, dans cinq minutes, vous ne rigolerez plus.

– Je ne rigole jamais, Riquet, lorsqu’il s’agit de choses sérieuses. Mais pourquoi me dis-tu que je vais être ennuyé ?

– Oh, c’est simple comme tout, vous allez le comprendre lorsque vous saurez quel est le véritable nom de l’infirme connu sous le sobriquet de Taxi.

– Dis-le.

– Taxi, monsieur Juve, c’est Fandor.

– Fleur-de-Flic, tu as trop bu de vin blanc.

Mais le gamin protesta :

– Sur la tête de ma mère, je vous jure que je ne suis pas saoul, et je vous jure aussi que l’infirme et votre ami le journaliste ne font qu’un même et seul personnage.

– Explique-toi, petit, explique-toi.

Riquet n’hésita plus alors à tout confier à son ami. Après quoi, le policier reprit très grave :

– Écoute bien, petit, il y a un mystère que nous devons éclaircir et dans le plus bref délai. De deux choses l’une, ou tu te trompes, ou tu as raison. Si tu fais erreur et si le faux infirme n’est pas Fandor, comme je l’espère, nous n’hésiterons pas à arrêter ce suspect mendiant. Si au contraire c’est Fandor…

– Eh bien ? si c’est Fandor ?

– Eh bien, poursuivit Juve nettement, si c’est Fandor et qu’il soit coupable, je ferai mon devoir jusqu’au bout. Allons-y.

Juve se leva.

– Où cela ?

– Impasse Urbain, dit le policier.

Quelques instants plus tard, l’homme et l’adolescent se retrouvaient dans la rue, marchant silencieusement, côte à côte. Riquet ne se sentait pas de joie, décidément, comme l’avait dit Juve, il était en train de devenir un grand policier.

Ils approchaient de l’immeuble dans lequel habitaient le fameux Taxi et Blanche Perrier, lorsque Riquet s’arrêta brusquement :

– Qu’est-ce qu’il y a ? fit Juve.

– Regardez.

C’était une sorte de poussette, de petit véhicule constitué par une grossière caisse de bois montée sur un essieu, aux extrémités duquel des roues étaient assujetties. Le chariot gisait dans le ruisseau en piètre état. La caisse était défoncée, l’essieu brisé, les roues tordues.

– Aussi sûr que je suis ici, déclara-t-il, c’est le chariot de Fandor. Mais lui, qu’est-il devenu ?

Juve s’était rapproché, il arracha l’engin du ruisseau, le mit sous son bras et fit volte-face.

– Juve, que faites-vous ? interrogea Riquet. Renoncez-vous à votre projet ? ne montons-nous pas voir ?

– C’est inutile, du moment que la cage est dans la rue, tu peux être sûr que l’oiseau est envolé, d’ailleurs je me contente d’emporter ceci comme pièce à conviction, l’avenir nous dira le parti qu’il faut en tirer, car demain il y aura du nouveau, tu peux m’en croire.

– Est-ce au sujet de Fandor ? interrogea Riquet anxieusement.

Évasivement Juve répondit :

– Au sujet de Fandor, je ne puis te le dire, mais au sujet du mort, certainement.

– Ah, s’écria Riquet, je suis sûr que vous savez qui est le cadavre.

– Hum, ne cherche pas à me faire bavarder Riquet, je ne te dirai qu’une seule chose, mais celle-là, je te l’affirme : avant demain soir, il va y avoir un coup de théâtre.

8 – UNE ARRESTATION

M. Bagot, le commissaire de police de Saint-Denis, arriva fort tard ce matin-là à son commissariat, où on l’attendait depuis plusieurs heures.

– Rien de particulier ? demanda le commissaire, en entrant.

– Rien, monsieur le commissaire, absolument rien. Nous n’avons, depuis hier soir, qu’un ivrogne arrêté pour outrages aux agents, et un marchand des quatre-saisons, qui n’avait pas sa carte de circulation.

– Bien, fit M. Bagot, d’un air distrait, où sont ces gaillards-là ?

– Au violon, monsieur le commissaire.

– Vous avez fait le nécessaire et vérifié leur identité ?

– Oui, monsieur le commissaire.

– Alors tout va bien. On ne m’a pas demandé ?

Le secrétaire sourit :

– Si, tous ces gens qui sont là, et l’employé désignait la foule entassée dans la salle d’attente.

M. Bagot passa dans son bureau, non sans avoir invité son secrétaire à l’y suivre.

Lorsque les deux hommes furent seuls, M. Bagot répéta sa question, en la précisant :

– Vous êtes sûr que personne ne m’a demandé ? Je veux dire, demander par mon nom. Personnellement.

– Non, monsieur le commissaire.

– Bien, fit M. Bagot, vous pouvez vous retirer.

– Monsieur le commissaire, recevrez-vous tout ce monde ?

– Pas tout de suite, en tout cas. Je vais voir d’abord les affaires que j’ai à débrouiller, et ce courrier.

M. Bagot décacheta les lettres. Une à une, il les parcourut. Un document, machinalement, lui fit faire la grimace. Il grommela :

– Naturellement, je m’y attendais.

C’était une lettre à en tête du Parquet du Tribunal de la Seine. Le substitut de service qui, conformément à l’usage, avait signé d’une façon illisible, réclamait en termes nets et précis, une solution dans l’affaire que l’opinion publique qualifiait désormais de : « Crime de la Plaine Saint-Denis ».

– Une solution, une solution, monologua le commissaire en levant les bras au ciel. Comme c’est facile. Ces ronds-de-cuir sont extraordinaires, ils s’imaginent que je puis aller plus vite que je ne vais. Ils ont le cul sur leur tabouret et ça vient vous presser.

Le commissaire s’arrêta de décacheter. Il se renversa en arrière dans son fauteuil, alluma un cigare, en tira des bouffées méthodiques, puis, après avoir longuement considéré le plafond, il se leva, alla à un placard, dont il retira un dossier assez volumineux :

– L’affaire de Saint-Denis, dit-il, la voilà parbleu. Les paperasses commencent déjà à s’entasser. Il faudra que je dise à mon secrétaire de les mettre dans une chemise plus solide, cerclée d’une sangle. J’ai comme une idée que ce dossier-là va encore grossir.

Le magistrat feuilleta les documents, puis il s’arrêta, regarda l’heure.

– Dix heures et demie déjà. C’est assommant, la matinée va se passer sans nouvelles de Juve. Si c’est lui…

M. Bagot ne pouvait oublier que c’était à cet homme étrange, mais intelligent à coup sûr, qu’il devait d’avoir pu reconstituer une partie du crime. Et, à certains détails, à certaines paroles prononcées, M. Bagot avait acquis la conviction, d’abord, qu’il avait affaire à un agent de la Sûreté, ensuite que son collaborateur bénévole devait être le fameux policier Juve, qui, pour des raisons ignorées de M. Bagot, vivait en se faisant appeler autrement.

Mais pourquoi Juve, une fois le cadavre du noyé envoyé à la morgue, avait-il déclaré :

– Inutile de chercher à savoir qui c’est pour le moment. Dans quelques jours, le mort révélera tout seul son identité.

Or, les quelques jours s’étaient écoulés. Il y en avait six exactement que le noyé avait été sorti de l’eau, et M. Bagot n’avait plus entendu parler de son aimable collaborateur.

– Il faudra bien, pensait-il, que je sorte d’une façon ou d’une autre de cette affaire, et si à midi mon Juve n’est par revenu, eh bien, j’agirai seul.

Il en était là de ses réflexions, lorsqu’un coup discret fut frappé à sa porte. Le secrétaire apparut.

– Monsieur le commissaire, fit-il, il y a quelqu’un qui vous demande, qui veut vous voir en particulier. C’est précisément le monsieur qui…

– Qu’il entre tout de suite.

Une seconde plus tard, M. Bagot poussait un soupir de soulagement. Le visiteur annoncé était bien Juve.

– Enfin, vous voilà monsieur Juve.

– Mon cher Bagot, je vous en prie, appelez-moi Jandrop. Je ne suis qu’un petit rentier. Un tout petit rentier.

– Bien, fit le commissaire. C’est une affaire entendue, je sais qui vous êtes, c’est-à-dire ce que vous dites être. Un tout petit rentier, M. Jandrop, Eh bien ! m’apportez-vous du nouveau ?

– Je l’espère, fit-il. Si vous voulez bien, nous allons rendre visite à l’infortuné défunt, et lui demander de bien vouloir nous faire connaître son identité.

– C’est-à-dire ?

– C’est à dire que nous allons le prier de nous révéler son nom.

– Vous plaisantez ?

– Je jure que je suis très sérieux. Le mort parlera. Enfin, nous saurons quelque chose.

– Dieu vous entende, murmura le commissaire, qui prit son chapeau, et quitta son cabinet avec son compagnon.

Dix minutes après, les deux hommes étaient à la morgue de Saint-Denis, non loin du poste de secours et de la bascule de l’octroi. C’était un local exigu, une petite maison construite en brique, entourée de hauts murs, et autour de laquelle le gardien entretenait un modeste jardinet où picoraient des poules étiques.

Sur la demande de Juve, M. Bagot avait amené avec lui son premier secrétaire, Gaston, et les deux agents de service au commissariat, plus un brigadier.

Le gardien de la morgue, à l’arrivée du magistrat et de ses collaborateurs, s’en vint les recevoir, la casquette à la main.

– Ouvrez-nous le caveau, ordonna le magistrat.

L’employé obéit, fit tourner une clé, qui grinça dans une grosse serrure, et les visiteurs pénétrèrent dans une salle mal éclairée, aux murs froids et nus, et sur le sol de laquelle, sous un plancher en lattes, courait une eau sans cesse renouvelée.

Sur l’ordre du commissaire, un des agents souleva le linceul en grosse toile grise. Des piqûres anatomiques avaient été faites au cadavre, pour en empêcher la décomposition. Ce corps avait singulièrement diminué de volume, depuis le jour où on l’avait retiré de l’eau. Le visage s’était dégonflé, le ventre ne ballonnait plus. Aussitôt que ses yeux se furent fixés sur les traits du défunt, M. Bagot poussa une exclamation de surprise :

– Ah par exemple, fit-il, je ne le reconnais pas. Mais ce n’est plus le même ?

Le magistrat se tournait vers Juve qu’il considérait avec un regard interrogateur. Le mystérieux policier sourit :

– Plus le même ? répéta-t-il, je vous assure que si, monsieur le commissaire. Mais il y a un détail en apparence insignifiant et qui suffit à changer complètement sa physionomie.

– Quel détail ?

– Il y a tout simplement ceci : c’est que la barbe de cet homme a poussé.

– C’est vrai.

– Dans maintes circonstances, monsieur le commissaire, cela a suffi à des gens qui ne voulaient pas être reconnus pour se rendre méconnaissables.

– Et alors ? reprit le magistrat, vous m’aviez dit tout à l’heure que nous allions connaître l’identité de ce mort. Est-ce grâce à sa barbe ?

– Vous l’avez dit, monsieur, répondit Juve, ce mort va parler.

– Comment ?

– Il va parler, vous dis-je, précisa Juve, par votre bouche.

Le commissaire tressaillit. Ce Juve avait décidément des façons de s’exprimer !

Il y eut un silence, pendant lequel Juve, de plus en plus mystérieux, fouillait dans la poche intérieure de son pardessus. Il en tira un portefeuille, et de ce portefeuille, une photographie qu’il plaça sous les yeux de M. Bagot :

– Reconnaissez-vous cette personne ?

Le commissaire regarda le document. C’était le portrait d’un homme, assez élégamment vêtu, à la physionomie avenante, au visage orné d’une barbe bien fournie et soigneusement taillée.

– Mais, s’écria-t-il, c’est le portrait du noyé. Certes la barbe du mort que nous avons sous les yeux est plus courte que celle de la photographie, mais on comprend pourquoi, elle n’a pas eu le temps de pousser aussi longue depuis que l’homme a été rasé. Ah décidément, M. Juve !

Le policier fronça le sourcil.

– Pardon, qu’est-ce que je disais ? M. Jandrop. Décidément, M. Jandrop, vous venez de faire là une extraordinaire découverte, qui fera avancer l’instruction. Comment s’appelle cette personne dont vous avez la photographie ? D’où la tenez-vous ?

– N’allons pas si vite. N’est-ce pas un point d’acquis, à savoir que le portrait que je possède est bien celui du mort qui a été assassiné voici exactement six jours, dans la Plaine Saint-Denis ? Avant de chercher plus, voulez-vous avoir l’obligeance de m’accorder une satisfaction ?

– Mais tout ce que vous voudrez, déclara le magistrat.

Juve, alors, tendit une feuille de papier, sur laquelle au crayon figuraient quelques noms propres. Le magistrat parcourut cette liste.

– Je voudrais, déclara Juve, que vous fassiez venir ici même, et cela le plus tôt possible, les personnes ici mentionnées. Croyez-vous que dans une heure on aura pu les réunir ?

Le magistrat hocha la tête affirmativement :

– Elles sont toutes dans le voisinage, et nous les trouverons toutes au même endroit. Pour peu qu’ils ne soient pas absents, ces gens-là viendront très vite. Mais que leur voulez-vous ? Je vois dans votre nomenclature des noms de personnalités importantes, et connues à Saint-Denis.

– Je le sais, j’aimerais que nous puissions causer.

– Deux minutes, et je fais le nécessaire.

***

Une heure après, Juve et M. Bagot qui s’en étaient allés déjeuner, revenaient à la morgue. Ils n’étaient pas seuls. Parmi les personnalités convoquées, se trouvait un contremaître de la maison Granjeard, M. Landry, père de Riquet.

En se rendant au rendez-vous qu’un agent, alors qu’il quittait son travail, était venu lui assigner, Landry avait rencontré M. Bagot et son compagnon, qu’il saluait d’un : « Bonjour Jandrop ! » tout à fait amical, ce qui n’avait pas été sans impressionner le commissaire.

Jandrop, d’ailleurs, avec une parfaite bonne grâce, avait serré la main de Landry, puis présenté le commissaire. Et ces formalités remplies, tout en cheminant, il faisait bavarder le contremaître. Entre temps, il avait soin de pousser de temps en temps du coude le commissaire, pour lui signifier qu’il fallait prêter attention aux propos que tenait l’employé de la maison Granjeard.

Le pseudo Jandrop avait lancé Landry sur le thème des discussions intestines qui avaient eu lieu une semaine auparavant dans la famille Granjeard, au lendemain même de l’enterrement du patron. Et Landry, sans penser à mal, simplement pour le plaisir de bavarder, narrait la dispute qui était intervenue, divisant la famille en deux camps, l’un composé de la veuve et de ses deux fils aînés, l’autre formé du seul cadet, Didier, qui d’ailleurs avait toutes les sympathies du contremaître et que ce dernier plaignait sincèrement :

– Croyez-vous, monsieur le commissaire, déclarait familièrement Landry, que la patronne m’a obligé de flanquer à la porte, comme une rien du tout, une brave et honnête ouvrière que j’employais depuis cinq ans, et pour quelle raison, je vous le donne en mille ?

– Pourquoi ?

– Parce qu’elle était la maîtresse du fils Didier, un point c’est tout.

– Vous entendez, monsieur le commissaire ? demanda Jandrop.

– Je vous avoue que je ne vois pas encore bien le rapport.

Mais trois personnes attendaient le magistrat, en se promenant de long et large sur le trottoir étroit et désert qui bordait l’immeuble de la morgue.

– Ce sont bien les Granjeard, n’est-ce pas ?

– Oui, fit le commissaire, je ne les ai pas vus bien souvent, mais j’étais à l’enterrement du père Granjeard, et je reconnais très bien sa veuve. Les deux hommes qui l’accompagnent doivent être deux de ses fils.

L’un de ceux-ci, d’ailleurs, se détachait du groupe et venait droit vers les nouveaux arrivants, dont s’était écarté Landry, qui, en apercevant brusquement ses patrons, avait jugé préférable de rester en arrière.

– C’est à monsieur le commissaire que j’ai l’honneur de parler ? demanda l’interlocuteur, soulevant légèrement son chapeau.

– Le commissaire, c’est moi, fit M. Bagot, répondant au salut qui lui était adressé.

– Je suis M. Paul Granjeard, que vous avez convoqué voici une heure à peu près par l’intermédiaire d’un agent. Ma mère et mon frère, ici présents, ont été également invités par vous à venir ici. Que désirez-vous apprendre ? Pourquoi nous dérange-t-on ?

Le jeune homme s’exprimait avec arrogance, sa voix était sèche et cassante et M. Bagot, qui n’était qu’un brave homme sans aplomb, paraissait troublé du ton brusque sur lequel on lui parlait. Il le comprenait presque, il l’admettait même. Qu’était-il, en effet, lui, obscur et modeste fonctionnaire, bien que pourvu des prérogatives d’un magistrat, à côté de ces personnalités qui occupaient, dans le commerce de Saint-Denis, une situation prépondérante ? Juve fut moins humble.

– Monsieur, déclara-t-il, M. le commissaire de police vous a convoqué ainsi que votre frère et M me votre mère, dans l’intérêt de la justice et dans celui de la vérité. Il est du devoir de tout bon citoyen, de se prêter sans murmurer à de semblables exigences. Il s’agit d’ailleurs tout simplement, je l’espère du moins pour vous, d’une simple formalité à remplir, après quoi vous aurez toute liberté de retourner à vos affaires.

M. Bagot, cependant, qui tenait à jouer son rôle, prit un air sévère et important, pour déclarer :

– Eh bien, nous allons commencer sans tarder.

Mais il se tournait vers Juve et sollicitait un renseignement à voix basse :

– Que faisons-nous ?

Fort adroitement et pour n’avoir point l’air, vis-à-vis de tiers, de mener l’affaire, Juve répliqua :

– Nous allons agir, monsieur le commissaire, comme vous l’avez décidé ce matin, c’est-à-dire que nous allons mettre M me et MM. Granjeard en présence du noyé de l’autre jour.

– Pourquoi faire ? interrompit M me Granjeard, qui jusqu’alors, s’était renfermée dans un silence méprisant.

Juve ne répondit pas immédiatement. Il ne s’était pas arrêté de marcher et, instinctivement, on l’avait suivi. Sur un signe qu’il fit aux gardiens, la porte du caveau mortuaire s’ouvrit. Et Juve, d’un geste brusque, autoritaire, y fit pénétrer la veuve, ainsi que ses deux fils. Les trois personnes, sans s’y attendre le moins du monde, se trouvèrent soudain en présence du mort, qu’un rayon de lumière tombant du plafond, à travers des vitres dépolies, éclairait en plein visage.

M me Granjeard s’était avancée machinalement au milieu de la pièce, mais elle s’arrêta net, leva les bras au ciel et retomba en arrière, en poussant un grand cri. Ses fils qui venaient derrière elle la reçurent dans leurs bras, mais leur regard s’était fixé aussi sur le cadavre, et de leurs lèvres s’échappait un cri terrible :

– C’est Didier, c’est Didier !

Ce fut pendant quelques instants un désordre inexprimable, dans la lugubre salle de la morgue. En proie à une attaque de nerfs, M me Granjeard était difficilement maintenue à l’extrémité de la pièce par ses enfants, auxquels deux agents, sur un signe de Juve, étaient venus prêter secours.

***

Peu à peu, la veuve revenait à la vie, reprenait conscience d’elle-même. M me Granjeard eut un regard étonné, surpris, pour tous les gens qui l’entouraient, puis ses yeux rencontrèrent les tréteaux sur lesquels gisait, rigide, le corps de son malheureux fils. Elle eut un nouveau cri de douleur.

– Didier, murmura-t-elle, mon enfant, mon pauvre enfant !

Ses deux fils également semblaient fort émus, et de temps à autre, ils jetaient des regards furtifs sur le cadavre, cependant que le commissaire d’une part, et Juve de l’autre, les observaient attentivement.

Lorsque M me Granjeard fut un peu remise, ce fut Juve qui, le premier, proposa :

– Voulez-vous que nous nous retirions dans la pièce voisine ? L’identification est désormais faite. Nous savons désormais que la victime de la Plaine Saint-Denis est M. Didier Granjeard.

– Oui, dit le commissaire, passons dans la pièce voisine.

Les Granjeard, d’ailleurs semblaient fort heureux de fuir l’épouvantable spectacle qu’ils avaient sous les yeux. Juve avait fait signe aux agents de se retirer et, seul, le secrétaire du commissaire demeurait dans la salle attenant à la morgue, avec le commissaire lui-même, le policier, et la famille de Didier.

Juve reprit :

– Ce cadavre est celui qui fut retiré il y a quelques jours de la prise d’eau de votre usine, qu’il obstruait à l’entrée de la Seine. Il est assez curieux, puisque les uns et les autres vous avez vu ce mort au moment où on l’a retiré du fleuve, que vous ne l’ayez pas reconnu.

– C’est très curieux, en effet, reconnut M me Granjeard, je me demande comment il se fait qu’on n’ait pas reconnu mon fils.

Le commissaire observa :

– Il y a une raison à cela madame. C’est que votre malheureux enfant qui portait toute sa barbe, a été complètement rasé par ses assassins. D’autre part, le séjour dans l’eau l’a défiguré.

Juve interrompit le commissaire :

– Il ne s’ensuit pas moins, fit-il, que la reconnaissance aurait dû se faire, ou tout au moins, il me semble que dans la famille Granjeard on aurait dû avoir une certaine inquiétude, car l’absence prolongée de M. Didier aurait suffi à la justifier.

– Mais fit M me Granjeard, nous n’étions pas inquiets de lui. Précisément, au moment où son cadavre a été découvert, il venait de nous écrire qu’il ne rentrerait pas de quelque temps.

– Et cela ne vous a pas surpris, madame ? demanda Juve.

– Non, répliqua la veuve Granjeard, car nous avions eu une discussion au sujet d’intérêts, et mon fils me menaçait de se brouiller avec nous si nous n’en passions pas par ses exigences.

– S’agissait-il d’intérêts sérieux ? précisa encore le mystérieux policier.

– Oui, très sérieux.

– Histoire de femme ? d’enfant ? interrogea Juve.

– Plus grave que cela, monsieur, histoire d’argent.

– Ah vous trouvez que c’est plus grave ? fit Juve.

De sa voix sifflante, la veuve Granjeard intervint :

– C’est une affaire d’appréciation, dit-elle.

– En effet. On appréciera d’ailleurs, madame.

– Que voulez-vous dire ? fit-elle.

Juve, alors, brusquement, éclata :

– Je veux dire, madame, que depuis dix minutes, au cours desquelles monsieur le commissaire de police et moi, nous vous avons minutieusement observés, vous avez eu, vous et vos fils, une attitude véritablement extraordinaire et que l’on n’est pas en droit d’attendre d’une mère qui apprend soudain la façon affreuse dont son fils est mort, de la part de frères aînés qui apprennent brusquement les circonstances dans lesquelles leur frère cadet est passé de vie à trépas.

– Nous avons l’attitude qui nous convient, libre à nous j’imagine de dissimuler notre douleur s’il ne nous plaît pas de la montrer devant les indifférents, dit M me Granjeard.

Encouragés par l’attitude de leur mère, les fils Granjeard protestèrent à leur tour :

– Il est d’ailleurs inutile, déclaraient-ils, de poursuivre plus longtemps ces pénibles entretiens. Nous avons reconnu notre frère, cela doit suffire à la justice et notre rôle est désormais terminé. D’ailleurs, la police ferait mieux de s’occuper de rechercher les coupables.

– Et qui vous dit, hurla-t-il, que la police ne s’en occupe pas ? Ici même en ce moment présent ?

– Qu’est-ce que cela signifie ? demanda M me Granjeard.

– Cela signifie, fit-il, que nous trouvons extraordinaire, inadmissible même, et fort suspect, M. le commissaire de police et moi, que vous n’ayez pas, lorsque le cadavre de Didier vous a été montré une première fois, reconnu, vous, madame, votre fils, vous, messieurs, votre frère. Il est inadmissible que, n’ayant plus de ses nouvelles pendant six jours, vous soyez restés tranquilles sans vous préoccuper de savoir ce qu’il était devenu. Tout cela a besoin d’être expliqué, éclairci.

Hors d’elle-même, M me Granjeard interrompit Juve :

– Nous n’avons de comptes à rendre à personne sur nos attitudes et nos sentiments.

– Possible, madame, mais vous aurez en tout cas, à assumer la responsabilité de vos actes qu’il va falloir expliquer.

– À qui donc ? monsieur, s’écrièrent Paul et Robert.

Juve venait de faire un signe au commissaire de police, puis se tournant vers les Granjeard, il leur déclara :

– C’est au juge d’instruction que vous aurez désormais affaire, car M. le commissaire décide de vous mettre en état d’arrestation.

– Oui, reprit le magistrat, comme électrisé par l’attitude du policier, madame veuve Granjeard, monsieur Paul Granjeard, monsieur Robert Granjeard, au nom de la Loi, je vous arrête !

9 – LA VIEILLE ÉPILEPTIQUE

Les gardiennes, avec des gestes qui n’avaient aucune amabilité, s’empressaient à faire circuler dans les couloirs blanchis à la chaux les détenues qu’elles venaient d’extraire de leurs cellules.

C’était, dans la prison de Saint-Lazare, dans le bâtiment A, une agitation inhabituelle, des cris, des rires, parfois des chants, le tout coupé d’injonctions brèves, d’ordres sans réplique :

– Allons, la 433, dépêchez-vous, ou je vous prive de cantine. Voulez-vous vous taire, la 73 ? On n’a jamais vu une bavarde comme vous. Pas de vin à midi si ça continue. Allons, allons, pressons.

Les escaliers qui menaient du premier étage aux préaux affectés à la promenade des détenues s’emplissaient de la foule des condamnées que l’on conduisait à la récréation. D’ailleurs, les mesures administratives qui veulent, de façon absolue, que les détenues en prévention ne soient mêlées aux détenues accomplissant une peine, n’étaient pas observées. La mauvaise disposition de Saint-Lazare, un bâtiment archaïque, nullement fait pour servir de prison, ne permettait pas de respecter la Loi.

Les gardiennes pressaient leur monde sans la moindre pitié. Le règlement prévoyait, en effet, que chaque matin et chaque après-midi, par mesure d’hygiène, pour mieux résister à l’étroitesse de ces murs où l’atmosphère empuantie était asphyxiante, irrespirable, les détenues seraient conduites toutes ensemble, dans la grande cour de la prison, où elles devraient se promener, par rangs, les unes derrière les autres, en rond, de droite à gauche. Dans la prison, en l’argot familier de la maison, cela s’appelait « faire la queue de rat ». C’était, à vrai dire, pendant cette « queue de rat » que les prisonnières trouvaient moyen de causer, d’échanger des renseignements propres à les armer contre les subtilités du juge d’instruction, ou encore de prévoir des « coups ».

– Allez, au trot, et vivement.

Parvenues dans la cour, avec une remarquable docilité, les détenues se mettaient en rang, et commençaient précisément la « queue de rat ».

De distance en distance, dans la cour, il y avait, immobiles, les gardiennes. Sur le mur d’enceinte, en face, un mur très large constituant un véritable chemin de ronde, des gardiens se tenaient debout, toujours prêts à intervenir. Mais, ce jour-là, la « queue de rat » ne semblait pas devoir être marquée du plus petit incident. Très sages, les détenues, six par six, effectuaient leurs rondes circulaires. Seule, une vieille femme grimaçante criait qu’elle allait avoir sa crise. Cette vieille femme n’était autre que l’extraordinaire créature qui, le jour même où Fandor, en paralytique, à la porte de la prison, avait rencontré Riquet, avait jeté aux deux jeunes gens un regard subtil et satisfait. Elle semblait avoir, cette détenue, le plus détestable des caractères. Elle avait commencé par affirmer aux gardiennes qu’elle ne ferait pas la « queue de rat », qu’elle était trop vieille pour se soumettre à une promenade si rapide. Puis, sur les injonctions de la gardienne, elle s’était soumise assez facilement, mais avait alors exigé qu’une détenue lui donnât le bras, et elle s’était, de la sorte, emparée d’autorité du bras droit d’une détenue qui n’était autre que la malheureuse Hélène.

La prisonnière qui aidait la vieille femme à accomplir la sempiternelle ronde dans la cour de la prison, était depuis quelques jours seulement soumise au régime ordinaire. Arrêtée, alors qu’elle était entre la vie et la mort, à la suite de sa tentative de suicide à bord du sous-marin l’Œuf, à Cherbourg, Hélène sortait de l’infirmerie. Un matin, elle s’était réveillée hors de danger. Dès lors, la convalescence n’avait pas été longue et, très rapidement, grâce à sa constitution robuste, elle s’était trouvée en état de quitter l’infirmerie pour être mise en cellule.

Quelques minutes avant la promenade, la fille de Fantômas avait été avertie qu’elle serait dorénavant non plus astreinte aux travaux des ateliers, mais bien à cette infirmerie dont elle était sortie la veille, et qu’elle avait quittée avec chagrin.

La gardienne-chef lui avait dit :

– Les infirmières vous ont appréciée, ma petite, il paraît que vous êtes assez sage, vous retournerez à l’infirmerie, vous y aiderez à soigner les autres.

Hélène s’était bien gardée de refuser cette faveur. Malheureusement, le premier bénéfice moral qu’elle tirait de son nouveau profit, d’auxiliaire à l’infirmerie, était cette corvée. La gardienne l’appelait, en effet, pour donner le bras à l’épileptique :

– Venez un peu ici, ma petite, et faites-moi marcher cette vieille rouspéteuse-là. Allez hop, les jeunes doivent aider les vieilles.

Tandis que la « queue de rat » continuait sa marche, Hélène fut interrompue dans ses réflexions par une interpellation de la vieille invalide.

– Tiens, regardez donc. Il est fou ce bonhomme-là, il va se casser les reins.

Hélène leva la tête, regarda dans la direction que lui indiquait sa compagne : sur trois côtés, les préaux étaient bornés par les bâtiments vétustes et crasseux de la prison. Sur une face enfin, il y avait une échappée qui permettait de voir le côté d’une des maisons faisant bordure à la rue du Faubourg-Saint-Denis. Bien entendu, il n’y avait là nulle fenêtre d’où l’on pût apercevoir la prison. Le mur plein montait du sol jusqu’au toit, sans saillie, une servitude avait dû défendre au propriétaire d’y faire percer des jours de souffrance. Or, c’était le long de cette muraille que la vieille femme venait d’apercevoir celui qu’elle désignait à l’attention de sa compagne.

C’était un jeune ouvrier. Apparu sur le toit de la maison, il avait d’abord considéré avec curiosité la promenade des prisonnières, puis s’était remis à son travail. Il avait noué une longue corde à une cheminée, l’avait laissée tomber dans le vide et, maintenant, suspendu à cette corde lisse, il se laissait glisser, vertigineux et souple, n’ayant nullement l’air de se douter que si jamais l’une de ses mains lâchait prise, il ferait une chute effroyable. Les détenues, à leur tour, avaient aperçu l’ouvrier. Elles hurlaient à l’adresse de l’imprudent des plaisanteries obscènes.

– Viens donc, mon joli.

– C’est-y pour venir voir ta môme que tu descends par là ?


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