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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 03:47

Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Les gardiennes allaient interrompre ce vacarme, en faisant rentrer toutes les détenues dans le couloir, lorsqu’il se produisit quelque chose d’effroyable :

Parvenu sans encombre aux deux tiers de sa descente, le plombier, peut-être étourdi par le bruit qu’il entendait, peut-être à bout de forces, s’arrêta de glisser. On le vit entortiller l’une de ses jambes dans la corde, puis se balancer et, soudain, l’horrible vision du corps se détachant de la corde, tournoyant dans l’espace, rebondissant sur le mur d’enceinte et venant s’écraser avec un bruit mou sur la terrasse du préau.

Les gardiennes s’affolant, firent rentrer les prisonnières à coups de poings. Pendant quelques instants, le malheureux ouvrier restait là, à l’endroit même où il était tombé, sans un mouvement, mort peut-être.

Les détenues, pourtant, avaient à peine disparu dans les couloirs de la prison, bousculées par les gardiennes impitoyables qui s’affairaient surtout à la pensée des responsabilités qu’elles pouvaient encourir, qu’à leur tour, les gardiens intervenaient.

On se précipita vers le malheureux toujours inerte, on le souleva. C’était un tout jeune homme, il avait la figure intelligente, des mains fines, il semblait à la fois frêle et bien découplé :

– Il est mort ?

– Ah, il n’en vaut guère mieux. Emportez-le, emportez-le.

Le blessé fut soulevé par des bras vigoureux, le cortège s’achemina vers l’infirmerie.

***

– Faites-lui respirer des sels, faites-lui une injection de cocaïne, avait d’abord ordonné le praticien.

Sous les remèdes énergiques, le blessé avait ouvert les yeux, mais, chose curieuse, il n’avait prononcé aucune parole. Aucun geste. Seul, à ses yeux ouverts, dont les prunelles étaient fixes, on avait pu deviner que son évanouissement s’était enfin dissipé.

– Bigre ! avait alors murmuré le docteur, se tournant vers ses deux internes, vous devinez le cas, messieurs ?

Et comme les deux internes hochaient la tête, interrogateurs, le praticien reprenait :

– Vous notez, n’est-ce pas, qu’il n’y a aucun membre de brisé, aucune fracture. Donc, le choc ne s’est pas produit sur l’un des membres. Donc, l’homme, n’est pas tombé sur un bras, sur une jambe, ni même sur la tête. Car il y aurait plaie au crâne. Enfin, messieurs, cette impuissance à s’exprimer, cette immobilité que garde ce blessé est encore significative. L’homme a dû tomber sur les reins. Ce sont les reins qui ont porté, quand il a rencontré le mur d’enceinte, vous comprenez ?

Les deux internes ne semblaient pas encore très sûrs du fait.

– Mon Dieu, c’est bien simple, continuait le chef. Nous devons être en présence d’une rupture de la colonne vertébrale avec distension de la moelle. Les centres nerveux ne correspondent plus, d’où impossibilité pour ce blessé de s’exprimer. Les centres vitaux, les réflexes principaux n’étant pas atteints, le cœur bat, la respiration s’effectue, la vie subsiste. En revanche, le corps doit être insensible. J’ajoute que si, par malheur ce blessé faisait le moindre mouvement, ou pour mieux m’exprimer, si par malheur, on le déplaçait sur son lit, il y aurait chance de rompre la moelle distendue dans le canal des vertèbres. Alors la mort serait foudroyante.

Ayant ainsi parlé, avec l’autorité grave du chirurgien qui sonde la nature d’un mal à travers les chairs, le praticien s’était hâté de prendre les mesures que nécessitait l’état du blessé.

Sur son ordre, on avait couché l’ouvrier sur une planche, puis on l’avait attaché aux épaules, aux reins, aux genoux et aux chevilles, de façon à ce qu’il ne pût faire le plus petit mouvement.

– La seule chance que ce garçon a d’être sauvé, déclarait le chirurgien, c’est que, pendant un mois au moins, il ne fasse pas le plus petit mouvement. Du repos, une immobilité absolue, une immobilité perpétuelle, voilà le seul traitement en cas de rupture de la colonne vertébrale. Nous allons, d’ailleurs nous assurer si je ne me trompe pas en diagnostiquant cette rupture. Envoyez-moi une auxiliaire de l’infirmerie, et dites-lui de prendre deux aiguilles à piqûres, flambées.

À l’infirmerie, c’était précisément Hélène que l’on envoya pour aider le praticien. La jeune fille n’avait pas encore vu le blessé de près, mais, quand elle fit son apparition dans la petite chambre où on l’avait transporté, tandis qu’elle tendait au docteur les deux aiguilles qu’il avait réclamées, elle devint d’une pâleur de morte.

Le malheureux blessé n’était pas un inconnu pour elle, puisque c’était… Fandor.

– Je vais passer ces deux instruments à travers les chairs du blessé, expliquait le chirurgien, en commençant par le mollet, en montant à la cuisse, puis aux hanches, l’insensibilité sera absolue tant que nous nous trouverons en-dessous des vertèbres rompus. Elle sera moyenne quand nous arriverons à la hauteur de ces vertèbres, elle sera torturante quand nous serons au-dessus d’elles. Voyez, messieurs.

Penché sur le lit de sangle, le médecin fit ce qu’il venait de dire, il taillada à coups de ciseaux les vêtements du blessé, découvrit les endroits où les piqûres devaient avoir lieu.

Mais, tandis qu’il piquait de sa longue aiguille les mollets du malheureux Fandor, Hélène ne perdait pas de vue la face du blessé. Et il lui semblait alors que, de son côté, le moribond la regardait ardemment, qu’une terrible expression de souffrance se lisait dans les yeux du jeune homme. Pourtant, il ne faisait pas un mouvement, il demeurait parfaitement rigide.

– Sensibilité rigoureusement absente, conclut le médecin.

– Il souffre, il souffre, c’est horrible, songeait Hélène.

Et elle eut une envie folle d’arracher le docteur à ce lit, de lui crier :

– Ce n’est pas un ouvrier, ce n’est pas par hasard qu’il est là, s’il a fait cette chute épouvantable, c’est qu’il voulait me rejoindre, reconnaissez-le donc, c’est Jérôme Fandor.

Or, très calme, toujours, l’homme de l’art poursuivait :

– Sensibilité absente encore à la hauteur des cuisses et des hanches. Nous allons voir plus haut. Il piqua dans les chairs. Mais, cette fois, une crispation passa sur le visage du blessé.

Le médecin se releva :

– C’est bien ce que je vous disais, messieurs, la fracture des vertèbres est au second tiers supérieur de la colonne vertébrale, la mort est probable. Toutefois, il faut ordonner la plus rigoureuse immobilité.

Le médecin se retourna vers l’infirmière-chef :

– Mademoiselle, ordonnait-il, vous m’avez bien compris ? Il faut que cet homme ne bouge point, les chances de mort sont infiniment probables, mais enfin, on peut essayer de le sauver. Vous allez laisser auprès de lui une auxiliaire pour le soigner, qui l’alimentera toutes les heures de deux cuillerées de bouillon. Rien d’autre à faire en ce moment, je reviendrai demain matin. D’ailleurs, dans quinze jours peut-être, il sera transportable.

***

Une heure plus tard, pour la première fois, Hélène demeurait seule en présence du blessé. L’infirmière-chef qui jusqu’alors avait été continuellement dans la chambre du blessé, venait de se retirer, en répétant les ordres du docteur. La porte se referma sur elle.

Alors, d’un mouvement fou, impétueux, Hélène se précipita vers le lit du moribond :

– Fandor, Fandor.

Mais, au même moment, elle avait la surprise d’entendre la voix du jeune homme lui répondre :

– Hélène, ma chère Hélène, mon amour.

Or, le médecin lui-même l’avait dit, quelques heures auparavant : le blessé ne pouvait pas parler.

Comment parlait-il donc ? Hélène, stupéfaite, interdite, demeurait immobile. Elle voyait Fandor remuer les lèvres et, le plus tranquillement du monde, l’entendit faire cette déclaration :

– Sont-ils assommants, tous à vouloir que j’aie la colonne vertébrale brisée. Vous me feriez joliment plaisir en donnant un peu de lâche à mes sangles. J’en ai assez de faire l’imbécile sur le dos. Parbleu, mais vous semblez stupéfaite, ma chère Hélène, vous pensiez donc que c’était vrai ? que j’étais aux trois quarts mort. Ah, je l’avais deviné à votre effroi, tout à l’heure. J’aurais bien voulu vous rassurer, mais le moyen ? Allons, que diable, riez, souriez, je vous affirme que je n’ai rien du tout. Tout cela c’est un truc. Un truc pour arriver à vous parler. Je ne suis pas du tout tombé sur les reins. J’avais parfaitement calculé mon affaire. Je suis tombé sur les pieds. Je n’ai pas une égratignure. Je me porte comme le Pont-Neuf. Allons, riez.

C’était un sanglot qui lui répondit. À bout d’énergie, brisée d’émotion, Hélène qui avait été dupe, ne résistait plus. Elle pleura longuement. Puis, souriant à travers ses larmes, elle finit par interroger le jeune homme :

– Mais c’est incroyable, mais c’est fou, et ces piqûres que vous ne sentiez pas ?

– Je les sentais parfaitement, mais je ne voulais rien laisser voir. Si vous vous imaginez, ma chère Hélène, que c’est amusant de se voir passer des aiguilles à travers le mollet, vous vous trompez joliment. Seulement, je n’ai rien dit. Si j’avais crié, on aurait éventé mon piège.

***

Dix heures du soir à l’infirmerie. Hélène ouvre la fenêtre :

– Personne dans le préau.

– Tant mieux dit Fandor.

Qu’ont décidé ces deux êtres étranges, Hélène et Fandor, qui depuis tant d’années s’adorent, en voyant sans cesse de nouveaux obstacles se dresser entre eux ? Quels formidables projets ont-ils ourdis ? De quoi sont-ils convenus ? À peine Hélène a-t-elle affirmé que les préaux sont déserts, Fandor se lève.

Tendrement, ardemment, il dépose sur le front de la jeune fille un baiser brûlant :

– Donc, c’est bien entendu ? Vous savez ce que vous aurez à faire, Hélène, et vous serez vaillante, comme d’habitude ? Maintenant, je m’en vais, je me sauve, c’est le mieux. Vous direz, si demain on vous interroge, que vous vous êtes assoupie, puis, qu’à votre réveil, je n’étais plus là. D’ailleurs, dans un quart d’heure, vous allez, en appelant à l’aide, faire constater ma disparition. Faites le plus de chahut possible. Je me moque pas mal que l’on me recherche, du moment que cela ne vous cause aucun ennui. Et maintenant, adieu.

Un nouveau baiser s’éternise, puis, délibérément, Fandor enjambe la fenêtre de l’infirmerie et, avec son incroyable souplesse, saute dans la cour.

Hélène ne s’était pas trompée, les préaux étaient déserts, Fandor les traversa rapidement, il se dirigea vers le mur d’enceinte, sur lequel le matin même il était tombé et où, sans doute, devait pendre encore la corde qui lui avait servi à sa descente.

– Parbleu, se disait Fandor, si je peux rattraper cette corde, je m’en irai avec la plus grande facilité. Mais, diable, cela va être difficile de grimper sur ce mur.

Or, au moment même où Fandor s’approchait, il s’arrêtait figé de surprise. Le long du mur d’enceinte, quelqu’un marchait avec précaution : de ses yeux perçants, Fandor vit une femme, une vieille femme. Elle portait une échelle, cette échelle, elle l’appuya contre la muraille, puis, à pas feutrés, elle s’éloigna.

– Bon Dieu de bon Dieu, se dit le jeune homme, qu’est-ce que c’est donc que cette vieille-là ? Voilà qu’elle m’apporte, sans s’en douter, l’escalier dont j’avais besoin.

10 – CHEZ LE JUGE D’INSTRUCTION

Madame Granjeard glissa un imprimé dans son corsage.

– Probable que c’est un billet doux, dit la première des deux pierreuses enfermées avec la femme d’affaire de Saint-Denis, madame va voir son amant.

– Oui, fit l’autre pierreuse, qui avait reconnu l’imprimé, c’est comme qui dirait un rendez-vous, seulement c’est avec le curieux de la Tour-Pointue, c’est moins agréable que si c’était avec un gigolo.

M me Granjeard ne répondit pas, elle continua sa toilette, cependant que les pierreuses, appréciant la qualité de sa robe, plaisantaient encore :

– Mince alors de luxe, des fringues à cent sous le mètre et en grande largeur pour le moins.

Quelques instants auparavant, une surveillante avait apporté la soupe quotidienne. Pendant ce court repas, les pierreuses s’étaient tues, puis, l’ayant achevé, elles recommencèrent à railler leur compagne. Celle-ci n’avait pas touché à la nourriture qui lui était destinée. Une des pierreuses l’interrogea :

– Tu ne renifles pas dans la bouillante ?

– Probable que ce n’est pas du jus à la hauteur, il faut du petit noir de luxe à madame, avec le bricheton de fantaisie.

Brusquement, M me Granjeard, qui ne desserrait pas les dents, bondit sur la porte de la cellule et tira furieusement la sonnette qui signifiait pour les gardiennes qu’une prisonnière désirait leur parler :

Une auxiliaire apparut :

– Qu’est-ce que vous voulez ?

– J’en ai assez, hurla M me Granjeard, je ne veux pas rester un instant de plus avec ces filles immondes ou alors, je ne sais pas ce qui arrivera, mais je ne réponds pas de moi. Qu’on me change de cellule, qu’on me fourre dans une cave, dans un grenier, ça m’est égal, mais qu’on me retire d’ici.

La physionomie de M me Granjeard était si terrible que l’auxiliaire la calma d’une promesse et courut chercher la gardienne aussitôt.

Les deux pierreuses, auxquelles cette attitude énergique et farouche imposait malgré tout, cessèrent de plaisanter leur compagne. Elles murmuraient :

– C’est qu’elle ferait comme elle l’a dit, ma chère ! elle nous sauterait à la gorge, c’est qu’il faut se méfier avec une femme pareille, paraît qu’elle a déjà zigouillé son fils.

La gardienne en chef revint et tança d’importance les deux pierreuses :

– Vous, déclara-t-elle, je vais d’abord vous’ séparer et puisque vous ne savez pas vous conduire, on va vous dresser. Quant à la femme Granjeard, qu’elle vienne avec moi.

La veuve du marchand de fer obéit, précéda la gardienne qui, quelques instants après, l’introduisait dans une autre cellule :

– Vous serez tranquille, ici, dit-elle, vous aurez pour compagne une prévenue comme vous. Elle est accusée de meurtre et de crime, mais elle se tient tranquille et puis d’ailleurs, comme elle n’est pas bien portante, on la garde toute la journée à l’infirmerie.

– Quel monde, quel milieu, soupira M me Granjeard, qui cependant poussa un soupir de satisfaction à l’idée d’être débarrassée de ses effroyables voisines. Mais cette solitude ne fut que de courte durée. Quelques instants après, la femme qui devait partager avec elle la cellule y était introduite : son séjour à l’infirmerie était terminé et, de la conversation s’achevant entre la nouvelle venue et la gardienne qui l’avait amenée, il semblait résulter que quelque chose d’extraordinaire s’était passé dans cette infirmerie d’où on la ramenait.

Les deux femmes, quelques instants, se regardèrent en silence et M me Granjeard, ne pouvait s’imaginer qu’elle avait affaire à une criminelle, tant l’apparence de la prisonnière démentait l’accusation portée contre elle. C’était une jeune fille à l’air énergique, mais honnête, doux et convenable, elle était jolie et d’une fraîcheur exquise qui faisait contraste avec la pâleur de toutes les femmes que l’on voyait aller et venir dans la prison. Cette prisonnière n’était autre qu’Hélène, que les incidents de la nuit précédente avaient fait ramener dans la cellule. La jeune fille se rendait compte que désormais elle allait être l’objet d’une surveillance renforcée. Mais elle n’en avait cure. Fandor ne lui avait-il pas donné l’espérance la plus belle qu’elle pût imaginer dans la situation où elle se trouvait : l’espérance de la liberté. Hélène avait éprouvé une certaine surprise à la vue de sa nouvelle compagne. Elle n’avait pas l’aspect, ni l’allure des habituelles clientes de Saint-Lazare. Les deux femmes, instinctivement attirées l’une vers l’autre, s’étaient mises à causer, mais, brusquement, Hélène avait eu un geste de recul, un mouvement d’horreur instinctif, lorsque M me Granjeard lui avait annoncé l’inculpation terrible qui pesait sur elle :

– Je suis innocente, avait déclaré la veuve du marchand de fer.

Mais ce récit et ce nom avaient éveillé dans l’esprit d’Hélène toute une série de souvenirs.

– Granjeard, répéta-t-elle machinalement, comme si elle pensait tout haut, Didier Granjeard. Votre fils, avait, m’avez-vous dit, une maîtresse, celle-ci ne s’appelait-elle pas Blanche Perrier ?

– Si.

Mais, à ce moment, la porte de la cellule s’ouvrit et la conversation fut interrompue. On venait prendre M me Granjeard, demandée au greffe :

– Le juge d’instruction vous demande. Vous allez vous rendre au palais. Attendez ici, la voiture vous conduira, à moins que vous ne sollicitiez l’autorisation d’être conduite, avec deux agents, dans un fiacre.

– Peu m’importe, répliqua M me Granjeard, dont le cœur battait à rompre, car désormais, elle le sentait, les minutes étaient comptées jusqu’à sa comparution devant le magistrat qui allait décider de son sort.

***

M. Mourier, juge d’instruction, venait d’achever un premier interrogatoire relatif à l’affaire mystérieuse dont le procureur général l’avait chargé.

M. Mourier était l’homme qui passait son temps à courir après les coups de théâtre et qui n’était jamais si content que lorsque de beaux aveux ou de belles accusations spontanées se produisaient dans son cabinet, au moment où l’on s’y attendait le moins.

Le magistrat, pour éviter aux prévenus la présence d’un défenseur pendant l’instruction, se gardait donc bien d’inculper d’avance les gens qu’il avait formellement l’intention d’arrêter à un moment donné. Il leur laissait croire, le plus longtemps possible, qu’il les considérait simplement comme des témoins et c’était lorsqu’il n’y avait plus moyen de faire autrement qu’il transformait son mandat de comparution en mandat d’arrêt.

M. Mourier interrogeait au hasard et à sa fantaisie les témoins ou les prévenus et c’est ainsi que la première personne qui avait été entendue par le magistrat n’était autre que Blanche Perrier, la maîtresse de l’infortuné Didier.

La malheureuse femme, depuis quarante-huit heures qu’elle avait appris la mort de son amant, avait traversé les émotions les plus diverses. Si d’obligeants voisins ne l’avaient retenue, lorsqu’elle avait reçu la fatale nouvelle, elle se serait certainement jetée par la fenêtre. Mais, empêchée de donner suite à son projet désespéré, elle s’était ressaisie. Elle avait compris qu’elle se devait à son fils, qu’il y avait son devoir de mère à remplir. Elle avait repris courage. Dès lors, Blanche Perrier était transformée et si dans son cœur elle nourrissait un extrême chagrin, elle n’en avait pas moins un but dans la vie : venger son amant et découvrir les assassins de celui-ci. Aussi, était-ce avec joie que Blanche Perrier s’était rendue à l’appel du juge d’instruction. Et, bien qu’elle ne sût rien des circonstances dans lesquelles l’infortuné Didier avait trouvé la mort, elle avait raconté au magistrat les deux années d’amour qu’elle avait vécues avec lui, les projets qu’ils avaient formés l’un et l’autre et le brusque désespoir dans lequel ils avaient été plongés lorsque le père Granjeard était mort et que, dès le lendemain, Didier avait eu à discuter de ses intérêts pécuniaires avec sa famille. Longuement, le juge l’avait fait parler, lui avait demandé de préciser, autant qu’elle le pouvait, la nature des relations qui existaient entre Didier et les autres membres de la famille. Puis, au bout d’un heure, enfin, le magistrat avait renvoyé Blanche, en lui disant de se tenir à sa disposition et de s’attendre à être un jour prochain à nouveau convoquée.

– Ah, Monsieur, s’était écriée la jeune femme, je vous en conjure, faites l’impossible pour retrouver les meurtriers de mon pauvre Didier.

Blanche descendait lentement l’escalier qui, du cabinet du juge d’instruction mène à la sortie du palais de Justice, lorsqu’un homme s’approcha d’elle et murmura :

– Blanche Perrier, vous êtes bien Madame Blanche Perrier ?

– Oui, Monsieur.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, entièrement rasé, vêtu de noir, à chapeau mou, dont le bord assez large, dissimulait sous une ligne d’ombre, l’éclat perçant du regard.

– Je suis inspecteur de la Sûreté, Madame, dit-il, et j’ai un renseignement à vous donner. Êtes-vous au courant d’un certain testament rédigé par M. Didier Granjeard et qui vous concernait ?

– Ma foi non.

– Ce testament vous rendra riche, très riche.

– Je ne comprends pas.

– C’est pourtant clair. D’ailleurs, je vous en ai assez dit pour le moment.

L’homme disparut. Blanche essaya de le rejoindre. En vain.

Ne fallait-il pas mettre le juge au courant ?

– Non, se dit Blanche, ce n’est pas la peine d’embrouiller les choses.

Puis, elle poussa un soupir en se disant :

– D’ailleurs, tous ces gens-là me font peur.

Pendant ce temps-là, une scène dramatique se déroulait dans le cabinet de M. Mourier. Le magistrat avait reçu en même temps les deux fils Granjeard et leur mère. Tout de suite, il était entré dans le vif du sujet, en disant aux prévenus :

– Maintenant, venons-en au crime. Voyons, c’est le lundi après-midi, deux jours après l’enterrement de M. Granjeard père, que vous, Madame, et vous, Messieurs, avez eu avec Didier une violente discussion. On vous représente comme des gens d’argent, inaccessibles à tout sentiment de cœur ou d’indulgence. Vous seriez âpres au gain, durs avec vos ouvriers, sévères pour vous-mêmes d’ailleurs, capables des actes les plus inattendus, et même d’horribles forfaits, dit-on.

À ces mots, la mère et les deux fils jaillirent comme mus par un même ressort :

– C’est indigne, Monsieur.

– Vous écoutez les jaloux !

– Nous ne sommes pas des assassins !

Le magistrat s’efforça de les calmer.

– Madame Granjeard, fit-il, vous n’ignorez pas que lorsqu’un magistrat recherche les auteurs d’un crime, il doit, par principe, s’interroger sur le mobile du crime qui a été commis. Vous qui connaissiez votre fils, qui étiez au courant de ses relations, n’avez-vous pas songé, depuis que vous êtes arrêtée, à quelqu’un qui aurait pu être la cause directe ou indirecte de sa mort ? Ne soupçonnez-vous personne qui aurait pu avoir intérêt à la disparition de votre fils ?

– J’ai beaucoup réfléchi en effet, Monsieur, à l’épouvantable malheur qui nous frappe et j’ai en effet une idée, dit M me Granjeard.

– Laquelle, Madame ?

– Je vous jure, que c’est ma conviction absolue que je vais vous exprimer. Je suis innocente du crime dont on m’accuse. Mes fils aussi. La coupable ne peut être que la maîtresse de Didier. Elle ou quelqu’un de son entourage. C’est cette Blanche Perrier qui avait intérêt à la mort de mon fils.

Paul prit la parole :

– Maman a menacé Didier de le faire interdire s’il persistait à exiger sa part d’héritage. Mon frère à dû le dire à cette fille. L’interdiction, nous l’aurions obtenue facilement, c’était les vivres coupés. Mais Didier mort, plus moyen de l’interdire. Alors, Monsieur le Juge ?

– Alors quoi ?

Robert prit la parole à son tour :

– Didier mort, le fils qu’il a eu de Blanche Perrier devient l’héritier de son père et elle, sa mère, est assurée d’avoir l’argent.

– Possible, dit M. Mourier. Votre thèse peut se soutenir. À une seule condition.

Laquelle, Monsieur le Juge ?

– Que l’enfant ait été reconnu par votre frère.

– Cela doit être facile à vérifier.

– Très facile, en effet, fit le magistrat, et nous serons fixés très rapidement.

– Monsieur, dit madame Granjeard, vous voyez bien que nous ne sommes pas coupables et que nous ne désirons qu’une chose : faire toute la lumière. Remettez-nous en liberté et vous verrez.

– Je suis désolé, madame, mais ce que vous sollicitez est absolument impossible. Je dois vous rappeler qu’il y a contre vous des charges telles que votre détention préventive s’impose. Celle de vos fils également. Remarquez que je ne prétends point pour cela que vous soyez forcément coupable, on a d’ailleurs beaucoup de peine à admettre qu’une mère puisse assassiner son fils, que des frères puissent tuer leur cadet. J’espère que d’ici peu la situation sera éclaircie. Mais pour le moment, je ne puis que maintenir l’ordre d’arrestation dont vous êtes l’objet.

Cependant que Paul et Robert, emmenés par les municipaux, quittaient le couloir de l’instruction, M me Granjeard y demeurait quelques instants encore et la foule était si serrée, on paraissait si peu s’occuper d’elle, que la veuve du marchand de fer eut un instant l’impression qu’elle allait pouvoir s’évader. Elle n’avait pas de menottes. Aucun signe ne dénotait qu’elle était prisonnière.

Mais soudain la vue d’un homme la glaça. La veuve du marchand de fer venait, en effet, de reconnaître l’inspecteur de la Sûreté qui, l’avant-veille, avait décidé le commissaire de police de Saint-Denis, à procéder à son arrestation. Cet homme l’abordait :

– Je suis le policier Juve, lui souffla-t-il.

– C’est indigne, c’est abominable ce que vous avez fait, m’arrêter, m’accuser d’un crime.

– J’ai agi, Madame, vis-à-vis de vous, honnêtement, impartialement, sans condescendance particulière pour votre situation sociale, je le reconnais, mais sans haine aussi. La meilleure preuve, c’est que j’ai une importante communication à vous faire. Elle pourrait changer la nature de l’inculpation dont vous êtes l’objet.

– Je vous écoute.

– Il existe, Madame, un testament, de votre fils qui institue Blanche Perrier son héritière en cas de décès, la légataire universelle de toute sa fortune.

– Eh bien ?

– Eh bien, vous ne voyez donc pas quel parti on peut tirer de ce document ?

Mais oui, bien sûr, la lumière se faisait dans son esprit. La thèse qu’elle avait soutenue devant le magistrat, à savoir que Blanche Perrier était la coupable, allait se trouver terriblement renforcée du fait que l’on saurait désormais que cette dernière avait été instituée légataire universelle par Didier.

– C’est notre liberté que vous nous apportez là ?

Juve ne répondit rien.

– Je vous en prie, monsieur ?

– Votre liberté ? La vôtre peut-être, Madame, mais pas celle de vos fils.

– Ah, pourquoi, Monsieur ?

– Parce que je sais, Madame, quels sont les auteurs du meurtre, ce sont vos deux enfants, vos deux fils, Paul et Robert.

– C’est impossible, impossible.

– J’en ai la certitude.

Il ajoutait énigmatique :

– Je suis seul d’ailleurs à avoir cette certitude. La possession du testament de Didier va sauver vos enfants.

– Obtenez-moi ce testament, sauvez mes fils.

– Je ne demanderais pas mieux. Malheureusement celui qui détient ce document ne s’en dessaisira pas facilement.

– Combien faudrait-il ?

Les instants pressaient, le municipal, malgré les signes de Juve, se rapprochait de sa prisonnière, pour l’emmener. Une seconde d’hésitation :

– Cinq cent mille francs. Dans les vingt-quatre heures.

– Je paierai. Je dispose de cette somme, mais comment la faire parvenir, prisonnière comme je suis ?

Cette fois, le municipal s’était tout à fait rapproché. Juve quitta M me Granjeard, mais avant de s’en aller, il avait eu le temps de lui donner cette dernière assurance :

– Ne vous inquiétez pas, je vous indiquerai comment il faudra me remettre les fonds.

Quel but en agissant ainsi poursuivait donc l’inspecteur de la Sûreté ? Certes il était impossible que Juve eût l’intention d’extorquer de l’argent à M me Granjeard.

Pourquoi avait-il également accosté Blanche Perrier en lui parlant du testament de Didier ?

Juve, à coup sûr, devait avoir une idée, et une idée ingénieuse et subtile, car, en s’éloignant, il se frottait les mains en murmurant :

– De mieux en mieux, l’amorce est jetée, les poissons ne vont pas tarder à se prendre à mon filet. Jouons serré.

11 – PRISONNIÈRE

– Alors, puisque tu veux descendre toi-même, cavale vivement, ma petite Blanche, et va nous chercher à briffer. Ce que j’ai la crève. C’est rien de le dire. J’ai rudement besoin de me coller quelque chose sous la dent. Ces émotions, ça creuse.

L’infirme Taxi – ou pour mieux dire le journaliste Jérôme Fandor – s’efforçait par son attitude enjouée, de ramener un peu de gaieté sur le visage de la malheureuse Blanche Perrier.

Celle-ci sourit machinalement au bavardage de son interlocuteur, elle hocha la tête :

– Tranquillise-toi, Taxi, murmura-t-elle, je ne serai pas bien longue, le temps de descendre et de remonter.

– C’est cela, dit Fandor, je garde ton salé pendant ce temps-là.

Mais le petit Jacques n’avait pas envie de rester en tête-à-tête avec le mendiant, que cependant il aimait bien, car souvent, il jouait avec lui et le faisait rire. Jacques avait mis dans sa tête de bébé de descendre avec sa mère, et comme plus les êtres sont petits et inoffensifs, plus leurs volontés sont formelles et fidèlement observées, Blanche Perrier, qui était déjà sortie de chez elle, rentra dans son logement pour accéder au désir de son enfant :

– Ne grogne pas, mon petit Jacques, puisque je t’emmène.

– Nous serons peut-être un peu longtemps. Un quart d’heure et on revient.

Fandor, demeuré seul, dans le logis de Blanche Perrier, profita de la disparition momentanée de cette dernière, pour sortir de son chariot, et pour se délier un peu les jambes. Le journaliste paraissait fort content. Il se frotta vigoureusement les mains, ce qui était chez lui le signe d’une vive satisfaction.

Cependant, lorsque Fandor avait appris par les journaux l’arrestation de la famille Granjeard, très sérieusement soupçonnée d’être l’auteur du crime, Fandor avait estimé qu’il ne courait plus aucun risque, d’autant que nul n’avait soulevé l’histoire du chariot. Il était donc revenu impasse Urbain, non sans avoir confectionné, au préalable, un nouveau véhicule, pour remplacer l’ancien, consciencieusement démoli le jour de son départ puis jeté au ruisseau.

Fandor s’était fait un devoir d’aider de ses conseils et de distraire, par sa présence, la pauvre Blanche Perrier, qui, depuis la révélation de la mort de Didier, était plongée dans un état de prostration tel que l’on avait pu craindre un moment pour sa raison. Fandor avait remonté la malheureuse de son mieux, et celle-ci, d’ailleurs, s’était bien laissé persuader que si désormais, le malheur s’était abattu sur elle, elle devait néanmoins songer à l’avenir, dans l’intérêt de son enfant. Les soins constants à donner à son fils, les mille détails de l’existence qui s’imposent toujours en dépit de tout, la distrayaient malgré elle, et c’était avec joie qu’elle avait accepté que son voisin Taxi l’invitât à dîner ce soir-là le soir même du jour où elle avait été chez le juge d’instruction. Taxi n’avait voulu être l’hôte de Blanche Perrier, qu’à condition de payer le dîner et Blanche avait promis d’aller chercher les provisions.


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