355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Марсель Аллен » L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар) » Текст книги (страница 14)
L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 03:47

Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
сообщить о нарушении

Текущая страница: 14 (всего у книги 18 страниц)

Jérôme Fandor décida alors d’aller poursuivre ailleurs son enquête. Successivement il perdit son après-midi à traîner dans tous les cabarets louches de la Chapelle où le Bedeau, apprit-il, ne venait que rarement. Vers six heures du soir il était à Vaugirard où le Bedeau était totalement inconnu et enfin, à huit heures, à huit heures seulement, dans un bouge innommable de Montparnasse, en causant avec un aveugle qui voyait fort clair lorsqu’il ne demandait pas la charité, il obtint le renseignement après lequel il courait depuis le matin :

– Le Bedeau ? ah, oui, un gars costaud et qui crève un pante comme d’autres enfilent un quinquina, il doit loger quelque part à Grenelle. Au passage des Millionnaires peut-être bien…

C’était tout ce que désirait savoir le journaliste. Il paya une tournée, quitta le bouge tout souriant. Pour faire ses enquêtes, bien entendu, Jérôme Fandor s’était convenablement grimé et ses meilleurs amis l’eussent rencontré sans pouvoir le reconnaître. À fréquenter Juve, en effet, à vivre depuis de longues années une existence extraordinaire, perpétuellement consacrée aux recherches les plus difficiles, aux entreprises les plus périlleuses, Jérôme Fandor était devenu quelque peu policier.

– J’ai attrapé la contagion, se disait-il, maintenant il n’y a pas un agent de la Sûreté pour me faire la pige pour ce qui est des déguisements.

De fait, vêtu d’un paletot rapiécé, qui avait peut-être été marron ou bleu, mais que des averses successives avaient fait tourner au vert, coiffé d’un vieux chapeau de paille dont les bords s’effilochaient, ayant revêtu un pantalon à l’aspect crasseux dont les jambes trop longues tire-bouchonnaient sur des bottines, dont l’une était à lacet et l’autre à boutons, Jérôme Fandor, ce jour-là, ressemblait à s’y méprendre à quelque miséreux sans travail, ouvreur de portières, distributeur de prospectus, industrie du mégot ou encore, facteur d’occasion aux arrivées des grandes gares.

Fandor, toutefois, avait peu souci de sa mise, c’était le plus allègrement du monde qu’il quitta Montparnasse où le hasard venait de lui apprendre l’adresse du Bedeau, pour se rendre à Grenelle :

– Ma foi, songeait le journaliste, il faut convenir que, dans la vie, non seulement tout arrive, mais encore tout arrive au moment où on s’y attend le moins. Il y a bien peu de temps encore, j’étais paralytique, tout récemment, je me trouvais dans un tonneau, et maintenant, me voici sur le point de rendre des visites.

C’était une visite d’un genre spécial, il est vrai, que celle que se proposait de rendre le journaliste au Bedeau.

Dans sa poche, Jérôme Fandor, d’un mouvement involontaire, tâtait de temps à autre la crosse de son fidèle revolver. À coup sûr. Le Bedeau, s’il était chez lui quand Fandor arriverait, serait peu flatté de l’apercevoir. Le mieux était donc de préparer, pour la discussion inévitable qu’il prévoyait, d’excellents arguments, de convaincants discours et cela sous la forme de cartouches à balles blindées.

Sans trop de peine Jérôme Fandor s’orienta dans Grenelle et découvrit le passage des Millionnaires, ou plus exactement une sorte de ruelle infecte, infâme, s’ouvrant juste derrière le quartier de cavalerie Dupleix, et qui, ne portant pas de nom sur les registres officiels de la vicinalité parisienne, avait été ainsi nommée par la malice des habitants de Grenelle.

Le passage des Millionnaires – puisqu’il s’appelait ainsi – est en réalité formé par le groupement extraordinaire et pittoresque de deux maisons ouvrières, surpeuplé d’escarpes et de trimardeurs momentanément à l’arrêt. Les façades sont rapprochées au point que, d’une maison à l’autre, par les fenêtres on peut se donner des poignées de main. Perpétuellement, sur des cordes tendues, du linge sèche, s’égouttant sur la tête des passants. Enfin, dans le ruisseau, une marmaille pouilleuse, continuellement en train de se disputer, de se battre, joue sans souci des querelles qui éclatent à tous moments d’étage à étage.

Jérôme Fandor, d’un coup d’œil, embrassa la disposition des lieux :

– Peste, fit-il, chacune de ces maisons-là doit bien contenir cent cinquante à deux cents individus, où diable vais-je repêcher mon Bedeau ?

Tranquillement cependant, avec une audace dont il n’ignorait pas le péril, Fandor entra dans cette nouvelle Cour des Miracles.

– Je vais toujours monter un étage, au hasard, se dit le journaliste.

Il tourna dans l’étroit corridor de l’une des deux maisons. Les murs en étaient sales, recouverts d’inscriptions obscènes et l’humidité suintait en larges taches, des enfants jouaient à la marelle ou se volaient des billes, Jérôme Fandor n’y prit pas garde. Il passa.

Au bout du corridor, au fond de l’innommable boyau, il monta. Les marches étaient branlantes et d’autant moins rassurantes que les locataires, pour ne pas avoir la fatigue de descendre, vidaient depuis longtemps leurs boîtes à ordures à même la cage de l’escalier. Des pelures d’oranges, des épluchures de salades, de vieux chiffons souillés sur lesquels des essaims de mouches tourbillonnaient, garnissaient les marches, çà et là, mêlés à des éclats de verre, tessons de bouteilles, boîtes de conserves, à d’autres ordures encore.

– Charmant séjour, pensa Fandor.

Et il monta, bousculant une bande de marmots qui l’avaient envahi et se laissaient glisser le long de la rampe, au risque de se briser le crâne. Jérôme Fandor, d’ailleurs, en passant, n’attirait l’attention de personne. Dans cette maison où il y avait bien, comme il l’avait deviné, plus de deux cents chambres, il y avait chaque jour de nouveaux locataires, car, chaque jour, les huissiers venaient procéder à des expulsions parfois tapageuses. Une figure nouvelle n’était donc point faite pour surprendre, d’autant qu’en ses vêtements de pauvre hère, Jérôme Fandor pouvait fort bien passer pour un indigène.

Parvenu au troisième étage, – la maison en comportait sept, – Jérôme Fandor, pourtant, commençait à hésiter sur la conduite à tenir.

Le journaliste, heureusement, avait plusieurs fois déjà visité de semblables demeures. Il connaissait à peu près la façon dont les initiés se conduisent en pareil lieu et il en profita pour agir comme eux.

Jérôme Fandor monta encore un étage, sourit en entendant un refrain comique, lugubrement fredonné par un ivrogne accroupi au milieu d’un corridor et semblant convaincu qu’il était dans sa chambre, car il commençait à se déshabiller. À haute voix, le journaliste cria, s adressant au chanteur :

– Le Bedeau, s’il vous plaît ? c’est-y par là qu’est sa carrée ?

Il ne reçut pas de réponse. Jérôme Fandor renouvela sa question, puis se décida :

– Ça ne doit pas être son étage. Voyons plus haut.

Au cinquième, dans un corridor qui, à midi devait être obscur et qui, en ce moment, où il était neuf heures du soir, n’était éclairé par aucune installation de gaz, Jérôme Fandor appela encore :

– Le Bedeau, s’il vous plaît, la compagnie ? c’est-y par là qu’il gîte ?

À la cantonade, de loin, une voix de femme s’informa :

– Qui c’est qu’on demande ? et pourquoi ?

– Le Bedeau. Je cherche après mon poteau. C’est-y par ici ?

Sa voix devait être rassurante, il devait avoir imité de façon satisfaisante le parler faubourien, car on lui cria à travers une porte fermée :

– Au-dessus, la porte du fond.

Cette fois, Jérôme Fandor était parfaitement documenté. En guise de remerciement il cria, lui aussi :

– Ça va, la bourgeoise, ça colle.

Et, traînant les pieds, d’un pas lourd qui imitait la démarche d’un ouvrier fatigué, Jérôme Fandor monta au sixième.

Toutefois, tandis qu’il gravissait l’étage, le journaliste, tout en affectant un laisser-aller parfait, prenait en réalité des précautions sérieuses.

– Mauvais, se disait-il, je viens d’être obligé, par trois fois, de crier le nom du personnage, l’oiseau pourrait bien s’être envolé.

Et, pour éviter d’être aperçu de l’escalier, Jérôme Fandor monta en se collant à la muraille.

La maison remuait d’ailleurs. De toutes parts, les portes s’ouvraient, des femmes, parfois une honnête ménagère, le plus souvent des pierreuses ou de terrifiantes mégères, descendaient pour appeler les gosses qui ne semblaient avoir nul souci de remonter se coucher dans la chambre où le père, en guise de bienvenue et de bonsoir, allait, comme d’habitude, leur administrer la raclée.

Jérôme Fandor se hâta. Au sixième, on voyait un peu plus clair dans le corridor car il donnait de plain-pied sur le toit d’une maison avoisinante.

Jérôme Fandor tourna sur la droite, chercha la chambre du Bedeau. Il la heurta d’un coup de poing :

– T’es là, l’Bedeau ? commença-t-il d’une voix qu’il voulait avinée.

Le Bedeau ne devait pas être dans la chambre. Jérôme Fandor n’entendit aucune réponse, aucun bruit.

– Décidément, j’ai de la veine, pensa-t-il.

Et, en professionnel expert, profitant d’un moment où le couloir était désert, Jérôme Fandor introduisit un passe-partout dans la serrure, fit jouer la gâche, ouvrit brusquement la porte.

Il ne s’était pas trompé, la chambre était vide.

– De mieux en mieux, se déclara Fandor.

Et, sans aucun scrupule, Jérôme Fandor, ayant pénétré dans la mansarde, referma tranquillement la porte sur lui. Au surplus, il n’y avait pas à s’y tromper. Il était bien chez le Bedeau. À un clou, une défroque pendait qui suffisait à lui enlever tout doute à cet égard, car il reconnaissait la veste que portait la veille même, chez le père Pioche, le sinistre Bedeau.

La chambre d’ailleurs était épouvantablement sale, sale à faire reculer. Dans un coin, près d’un grabat, d’une paillasse jetée à même le sol et sur laquelle des vêtements étalés en désordre figuraient les couvertures, se trouvait une chaise éventrée. Plus loin, sur une vieille table dont les pieds étaient cassés et consolidés par des planches, se trouvait une cuvette remplie d’eau sale, un pot à eau encombré d’une serviette encore trempée.

C’était là tout le mobilier.

Fandor apercevait encore un journal étendu sur le sol sur lequel étaient amassés des bouts de cigarettes recueillis dans les rues, aux terrasses des cafés et constituant évidemment les provisions de tabac de l’apache.

Aux murs enfin, avec quatre épingles tordues, une grande affiche rouge, qui commençait par les mots : «  Citoyens, on vous trompe », attestait que le Bedeau, à ses moments perdus, ne négligeait pas la politique.

Mais tout ce pauvre et ignoble désordre était bien indifférent à Fandor qui ne perdit pas de temps à le considérer.

– Hé, hé, monologua le journaliste, il s’agit de faire vite, si je ne veux pas que mon homme me tombe dessus et me fasse passer le goût du pain.

Jérôme Fandor, tout en parlant, s’agenouilla, tapa du poing sur les briques formant le carrelage du plancher. Il était venu en effet beaucoup moins avec le désir de rencontrer le Bedeau qu’avec l’intention de rattraper le coffret que Fantômas avait confié à la garde de son complice. Ce coffret, à coup sûr, le Bedeau avait dû l’emporter dans sa chambre, dans cette chambre où, précisément Fandor venait perquisitionner. Qu’en avait-il fait par exemple ? où avait-il pu le cacher ? Et Jérôme Fandor n’avait pas hésité longtemps, vu l’absence de meubles, à deviner qu’un trou devait être pratiqué dans le carrelage et que, dans ce trou, le coffret devait être dissimulé. Le journaliste ne se trompait pas.

Comme il tirait à lui la paillasse, il découvrit en effet qu’un des carreaux rouges, formant le plancher, branlait légèrement dans son alvéole. Introduire une lame de canif sous ce carreau, le faire sauter, lever aussi les carreaux avoisinants, découvrir le coffret fut l’affaire d’une seconde.

– Ma parole, murmura Fandor, je crois que je n’aurai pas perdu ma soirée.

Pourtant, en soulevant le coffret, Fandor éprouva une vive surprise. Il était étonnamment léger.

– Ah çà, commença le journaliste, est-ce que par hasard, le voleur que je suis, en ce moment, serait volé ? est-ce que l’argent ne serait plus là ? C’est fermé, murmura-t-il tout d’un coup, par une serrure à secret. Quel peut être le secret de Fantômas ? Tiens, une idée.

Fandor fit jouer la combinaison permettant d’ouvrir l’intrigante petite boîte, il amena les lettres H.E.L.E.N.E.

– « Hélène », se disait le journaliste. À coup sûr Fantômas doit avoir pris le nom de sa fille comme combinaison.

Le journaliste, une fois encore, venait d’être bien inspiré. À peine avait-il formé le nom que la serrure rendit un petit craquement, la patte formant le cadenas se souleva d’elle-même, un ressort poussa le couvercle, le coffre s’ouvrit, il était vide.

De rage, Jérôme Fandor rejeta la boîte :

– Ah, nom d’un chien, j’arrive trop tard.

Au même moment, un formidable coup de point l’atteignait à la tempe, cependant qu’une voix gouailleuse lui hurlait aux oreilles :

– Eh bien, j’arrive à temps, moi, ah punaise, c’est comme ça que tu cambrioles à domicile ? Attends voir que je t’aplatisse.

Jérôme Fandor – qui, dans son ardeur à ouvrir la boîte, ne s’était nullement aperçu que quelqu’un avait pénétré dans la pièce, quelqu’un qui n’était autre que le Bedeau, – s’écroula sur le sol, à demi étourdi par le coup de poing formidable qui venait de lui être assené.

Il tomba, mais sans perdre sa présence d’esprit pour autant.

– Mon vieux Bedeau, criait Fandor, on a des comptes à régler, rends-toi ou gare à ta peau.

– Gare à la tienne, hurla le Bedeau.

Le jeune homme n’eut pas le temps de prendre son revolver dans sa poche. Il n’y songeait peut-être point dans l’angoisse de la minute. En revanche, il s’empara d’une autre arme, d’une arme terrible. Et, tandis que le Bedeau s’élançait vers lui, le bras levé, un eustache affilé à la main, Jérôme Fandor, ramassant sur le sol l’un des carreaux qu’il avait déplacés pour trouver le coffret, se relevait, évitait le coup de l’apache et le frappa violemment au visage avec la brique qu’il tenait :

– Rends-toi, hurla-t-il.

Aveuglé, étourdi, le Bedeau avait reculé.

– Je vais te saigner, salaud ! criait l’apache.

Et, prêt à subir un nouveau choc, Fandor, le dos au mur, s’apprêta à bondir. Or, à ce moment même, la porte de l’étroit logement s’ouvrit. Et Fleur-de-Rogue entra, hurlant :

– Acré, la paix, fais attention, l’Bedeau, v’là l’grand mec qui monte, il est sur mes talons.

Fandor vit la situation d’un coup d’œil. Arrêter à lui seul le Bedeau dans cette maison où chacun s’ameuterait probablement pour délivrer son prisonnier, il n’y fallait pas songer. Quelqu’un montait, Fleur-de-Rogue venait de le crier. Quel était ce quelqu’un ? à coup sûr un ami du Bedeau.

Fandor pensait :

– Le coffret est vide, l’argent n’est plus là, je n’ai plus rien à faire ici. Et, vif comme à son ordinaire, Jérôme Fandor, au moment même où Fleur-de-Rogue allait l’apercevoir, bondit sur la jeune femme. Le journaliste saisissant la pierreuse par la taille, l’enleva littéralement de terre, la jeta sur le Bedeau, qui manqua rouler sur le sol en recevant ce projectile d’un nouveau genre : Fandor, de son côté, sans s’occuper des cris du Bedeau et de Fleur-de-Rogue, se hâta de s’enfuir, claquant la porte derrière lui. Mais au lieu de prendre l’escalier, il courut jusqu’au fond du corridor, de l’autre côté du palier. Le journaliste était à peine caché dans l’ombre, qu’il voyait en effet, une silhouette d’homme se diriger de l’autre extrémité du couloir, vers la chambre du Bedeau.

– Bien du plaisir, pensa Fandor, je reviendrai demain, mes bons amis.

Et sans demander son reste, le journaliste reprit l’escalier, le dégringola à toute allure avec la vague idée que peut-être, une fois dehors, il trouverait des agents, pourrait revenir.

Or, tandis que Fandor s’enfuyait, dans la chambre du Bedeau, l’apache repoussant sa maîtresse s’emportait :

– Sacrée sale môme, hurlait-il. Ah, je t’étranglerai ce soir, saloperie que tu fais. Au moment où j’allais aplatir cette vermine, faut qu’t’arrive et qu’il foute le camp. Ah, nom de Dieu ! Et le coffret qui est vide et le pèze qu’il emporte. Ah, si jamais Fantômas venait.

Fleur-de-Rogue, encore suffoquée d’émotion haleta :

– Mais justement, le Bedeau, je venais te prévenir, Fantômas monte. Il est derrière moi. Sur mes talons. Tiens.

Fleur-de-Rogue n’acheva pas. D’un vigoureux coup d’épaule, quelqu’un du dehors, arrachait la porte de ses gonds, apparaissait à l’entrée de la chambre, riant, se croisant les bras, hautain et dédaigneux. C’était Fantômas. Alors le Bedeau vit rouge. Il ne s’était pas aperçu qu’au cabaret du Drapeau, en lui confiant le coffret à garder, Fantômas s’était joué de lui, subtilisant adroitement les billets de banque et ne laissant à sa garde qu’un coffret vide. Le Bedeau découvrant le coffret ouvert par Fandor, était donc persuadé que Fandor venait d’emporter les billets de banque. Et juste à ce moment Fantômas apparaissait. Qu’allait dire Fantômas ? Le Bedeau ne se faisait pas d’illusion. Il devinait la colère du chef, il devinait qu’il allait être condamné à mort et, peut-être, exécuté sur l’heure.

– Mort pour mort, pensa le Bedeau, il ne sera pas dit que je ne ferai pas tout au monde pour sauver ma peau.

Et, tandis que Fantômas le contemplait sans mot dire, l’apache, d’un mouvement plus vif que la pensée, abandonna son eustache pour se saisir d’un revolver qui gonflait la poche de sa veste. Le Bedeau ajusta Fantômas, appuya sur la détente, fit feu en pleine poitrine :

– Crève donc Fantômas, gueula le Bedeau.

Un éclat de rire lui répondit. Fantômas avait-il été atteint par la balle ? Mais oui, Le Bedeau avait tiré de trop près pour pouvoir le manquer. Pourtant, Fantômas n’était pas tombé. D’une voix calme, il disait à son adversaire :

– Mais mon pauvre Bedeau, tu deviens fou, est-ce que tu ne sais pas que l’on ne me tue pas, moi.

Or, Fantômas, recevant en pleine poitrine un coup de feu et n’étant même pas blessé, c’était, aux yeux du Bedeau, quelque chose de si étrange, que l’apache, une fois encore, perdait la tête. Il avait d’abord été certain d’atteindre Fantômas. Se rendant compte qu’il l’avait manqué, il n’avait pas douté que Fantômas allait immédiatement se jeter sur lui, le punir immédiatement de sa tentative d’assassinat. Et voilà que Fantômas demeurait calme. Mieux, il riait. Le Bedeau, d’un mouvement fou, repoussa Fleur-de-Rogue qui, terrifiée se serrait contre lui. En deux enjambées, l’apache traversa la chambre, d’un coup de poing, il fit voler en éclats la vitre où la balle de revolver, en ricochant sans doute, avait marqué une étoile, il enjambait la barre d’appui, il sauta. Fantômas eut juste le temps de courir à la fenêtre et d’apercevoir le Bedeau qui, tombé sur un toit s’enfuyait en dégringolant par la lucarne entr’ouverte. Et Fantômas, voyant cette fuite, haussait les épaules et murmurait :

– Quel imbécile.

24 – LA SILHOUETTE MYSTÉRIEUSE

– D’abord, avec vos billets de troisième, mes petites demoiselles, vous n’avez pas le droit de rester dans l’express. Et puis, d’ailleurs, vous seriez rudement embêtées de vous y trouver. Car il ne s’arrête pas à la station où vous descendez. Pensez donc, Rion-des-Landes, c’est une gare de rien du tout, si les grands trains s’y arrêtaient, ils n’arriveraient jamais à destination. Descendez de voiture et prenez patience, vous monterez dans l’omnibus, tout à l’heure, il part du quai n° 6, à dix heures quarante et une.

Ces renseignements étaient fournis, dans la gare de Saint-Jean, à Bordeaux, par un employé complaisant et jovial, à deux jeunes femmes qu’accompagnait un petit enfant, et que l’employé venait de faire descendre du rapide de Paris quelques instants auparavant.

Les deux femmes descendirent, avec le petit enfant et les nombreux paquets qu’elles possédaient, sur le trottoir.

Il n’était que huit heures du matin : elles avaient près de trois heures à attendre, et le séjour dans le vaste hall de la gare où retentissaient de perpétuels coups de sifflets, le halètement des machines ou le sourd grondement des trains en marche, cependant que le vent soulevait des nuages de poussière, n’avait rien de bien réjouissant.

– Débinons-nous d’ici, veux-tu ? dit l’une d’elle, avec un fort accent parisien. On attraperait la crève, dans cette gare. On va aller manger quelque chose dans un bistro voisin.

Sa compagne lui répondit :

– Oui, allons-y. Bien volontiers. Je meurs de froid. D’ailleurs, le petit Jacques doit avoir besoin, lui aussi, de prendre quelque chose.

L’enfant sourit, en hochant la tête, à la jeune femme qui le tenait par la main. Le trio s’achemina par les passages souterrains jusqu’à la sortie de la gare. Elles montrèrent leur billet, obtinrent l’assurance qu’elles pourraient rentrer dans la gare au moment voulu pour prendre l’omnibus de Bayonne qui s’arrêtait à Rion, puis, avisant un restaurant de modeste apparence, sur le boulevard de la Station, elles y entrèrent et commandèrent quelque chose de chaud.

Ces deux jeunes femmes et ce petit enfant n’étaient autre que la pierreuse Fleur-de-Rogue et Hélène, la fille de Fantômas. Comment ces deux femmes, si différentes de condition et de caractère, si opposées l’une à l’autre par leurs existences et leurs sentiments, se trouvaient-elles réunies ?

Au moment de l’évasion, Hélène, ayant pris le petit Jacques dans ses bras, comptait le rendre à sa mère sitôt que celle-ci aurait quitté, elle aussi, la prison où elles avaient été enfermées toutes deux. Les circonstances, et surtout Fantômas en avaient décidé autrement. Blanche n’était pas sortie du couvent. Hélène atterrée par la mort de sa camarade, s’était d’abord juré qu’elle vouerait son existence au fils que celle-ci laissait seul sur terre. Mais, au bout de quelques jours, la jeune fille s’était rendu compte qu’elle avait elle-même une existence trop compliquée pour pouvoir s’occuper normalement de l’enfant. Elle s’était dit que, dans l’intérêt de ce dernier, il importait de le confier le plus rapidement possible à quelqu’un qui serait capable de lui prodiguer des soins aussi attentifs que réguliers. Hélène avait réfléchi et examiné dans sa mémoire, recherché si elle ne connaissait pas quelqu’un qui serait susceptible de remplir toutes ces conditions. Le lendemain du jour de sa rencontre avec Fandor, au cabaret du Drapeau, Hélène partait pour le quartier de Belleville et s’engageait dans la rue de la liberté. Arrivée devant une grande maison ouvrière, elle s’arrêtait à la loge et demandait à la concierge :

– M me Bernard est-elle chez elle ?

– Hélas, non, dit la concierge.

Depuis longtemps, Marie Bernard avait déménagé, elle et sa marmaille, on ne savait pas ce qu’elle était devenue.

À qui confier le petit Jacques ? Hélène remontait les larges trottoirs de la rue de Mouzaïa, lorsque soudain, elle avait été arrêtée par Fleur-de-Rogue.

– La Guêpe, s’était écriée celle-ci, saluant la fille de Fantômas du surnom sous lequel elle avait été un moment fort connue à Belleville.

Hélène, un peu surprise par cette rencontre, ne savait trop quelle attitude observer envers la pierreuse. La dernière fois qu’elles s’étaient trouvées ensemble, c’était dans des circonstances tragiques, au chevet du Bedeau, grièvement blessé dans une affaire de cambriolage, et Hélène avait été embarquée dans cette affaire de si malheureuse façon que si son père n’était pas intervenu pour la sauver, elle aurait été mise à mort par les apaches que Fleur-de-Rogue était la première à exciter contre elle. Mais, de ces événements, vieux déjà de quelques mois, Fleur-de-Rogue ne semblait pas se souvenir. Elle aborda cordialement la jeune fille, s’inquiéta d’elle, remarqua avec étonnement l’enfant qui l’accompagnait.

Hélène expliqua le but de sa venue dans ce quartier lointain. Fleur-de-Rogue devait avoir changé complètement de sentiments, car elle se montrait on ne peut plus aimable pour la fille de Fantômas. Elle ignorait l’adresse de Marie Bernard, mais on voyait qu’elle faisait l’impossible pour trouver une solution à la situation ennuyeuse dans laquelle se trouvait celle qu’elle s’obstinait désormais à appeler « sa vieille copine ». Fleur-de-Rogue s’était écriée :

– Mais j’ai ton affaire. Seulement, voilà, c’est un peu loin, par exemple, le gosse serait là-bas comme un coq en pâte et nib de pétard à craindre pour lui. Car bien malin serait celui qui viendrait le dénicher dans la tôle à laquelle je pense.

Elle connaissait une brave vieille femme qui vivait seule dans une petite propriété à la campagne. Par exemple, c’était loin, à onze heures de chemin de fer de Paris, au fin fond des Landes. Cette vieille femme était tout à fait honorable et respectée. C’était la tante de Fleur-de-Rogue qui ignorait complètement que sa nièce était une des pierreuses les plus redoutées des quartiers les plus mal famés de Paris. Hélène avait demandé d’autres détails et les réponses de Fleur-de-Rogue avaient été si concluantes que la jeune fille avait proposé à Fleur-de-Rogue de venir la conduire là-bas. Fleur-de-Rogue avait accepté, d’autant qu’Hélène se chargeait de tous les frais. Et c’est ainsi que les deux jeunes femmes se trouvaient, ce matin-là, en train de déjeuner en face de la gare Saint-Jean à Bordeaux, en attendant d’effectuer la seconde partie de leur voyage. Vers dix heures et quart, le trio s’achemina paisiblement vers le train qui attendait, comme l’avait dit l’employé, au quai n° 6. Le départ eut lieu à l’heure fixée et, pendant quatre heures interminables le convoi suivit une voie rectiligne et monotone à travers les forêts de pins.

Fleur-de-Rogue avait annoncé que sa tante viendrait assurément, prévenue par un télégramme, chercher les voyageuses à la gare, mais, lorsque, vers trois heures de l’après-midi, celles-ci descendirent à la petite station de Rion-des-Landes, nul véhicule ne se trouvait dans la cour pour les emmener.

– Ne pourrions-nous pas aller à pied ? suggéra Hélène qui brisée par la fatigue du voyage, était prête à faire un dernier effort. Mais Fleur-de-Rogue secouait la tête :

– C’est à dix kilomètres au moins, dit-elle, et je ne sais pas très bien la route.

Les deux jeunes femmes étaient fort perplexes, elles se demandaient comment parvenir au terme de leur voyage. Le chef de gare, brave homme, s’inquiéta de leur sort.

– C’est à Beylonque que vous voulez aller ?

– Non, pas précisément, répliqua Fleur-de-Rogue, mais à côté. Mais si nous étions transportés à Beylonque, le trajet qui nous resterait à faire à pied ne serait plus rien.

– Attendez une minute, fit le chef de gare.

Il revint au bout d’un quart d’heure, l’air triomphant :

– Votre affaire est arrangée, dit-il, il y a le fils Marius, le garçon du forgeron qui, pour une pièce de cinq francs cinquante veut bien vous conduire avec sa carriole.

– Affaire entendue, dit Hélène, toute heureuse.

Quelques instants plus tard, le trio s’installait dans la petite charrette du nommé Marius qui, faisant claquer son fouet, lança son cheval au petit trot.

Le crépuscule tombait lorsqu’on arriva au village de Beylonque dont les toits rouges jetaient une note gaie dans l’uniformité vert sombre des pins touffus.

Le jeune homme une fois payé, fit faire volte-face à son véhicule. Il toucha sa casquette et dit :

– Maintenant, mesdames, je vous souhaite bon voyage. D’après ce que j’ai compris, vous êtes rendues ou tout comme. Moi, j’ai encore près de trois bonnes lieues à faire, avant de rentrer chez moi.

– Quel dommage, murmura Hélène, qu’il n’ai pas pu nous conduire jusqu’au bout.

Elle emboîta le pas à Fleur-de-Rogue qui, délibérément, s’engageait dans la forêt. Les deux femmes marchèrent longtemps, beaucoup plus longtemps qu’elles ne le pensaient, et cette marche forcée était d’autant plus pénible qu’il leur fallait à tour de rôle, porter dans leurs bras le petit Jacques, profondément endormi. Hélène, au fur et à mesure que tombait la nuit, devenait de plus en plus inquiète :

– C’est très long, murmura-t-elle, si nous avions su, nous serions restées coucher au village.

Fleur-de-Rogue, en s’excusant, n’était guère plus rassurante.

– J’ai dû me tromper de chemin, avouait-elle, je ne me reconnais pas bien.

Fleur-de-Rogue fit faire à sa compagne quelques contremarches, la faisant rebrousser chemin à plusieurs reprises.

Que signifiaient donc ces hésitations ? Enfin, tout d’un coup, comme l’on apercevait, par une clairière, la masse sombre que faisait une petite maison à la lisière des bois, Fleur-de-Rogue poussa un cri de satisfaction :

– Ah, cette fois, déclara-t-elle, je m’y reconnais, nous y sommes.

Hélène était toute surprise, elle ne put s’empêcher de déclarer :

– Eh bien, franchement, Fleur-de-Rogue, tu aurais pu t’en apercevoir plus tôt. Voilà près d’une heure que nous errons aux alentours de cette maison sans que tu aies eu l’air de la remarquer, et c’est maintenant seulement que tu te reconnais.

Hélène, à ce moment, était fort occupée à arranger le manteau du petit Jacques qui s’était défait, c’est pourquoi elle ne vit point le coup d’œil narquois et farouche que lui lança sa compagne. Lorsque Hélène la regarda, le visage de la pierreuse avait repris une physionomie calme et souriante. Les deux femmes s’approchèrent de la maison.

– Tante Gertrude, cria à deux ou trois reprises la pierreuse qui, se penchant à l’oreille d’Hélène, lui recommanda avec précipitation :

– Ne fais pas de blague, dit-elle, la vieille ne me connaît pas sous le nom de Fleur-de-Rogue, et c’est Catherine qu’on m’appelle dans la famille.

– C’est entendu, fit Hélène, je ne gafferai pas.

Fleur-de-Rogue cependant, s’époumonait en vain à crier. Nul ne répondait à ses appels, aucun bruit ne se percevait à l’extérieur comme à l’intérieur de la maison, une masure sinistre, délabrée, qui paraissait inhabitée.

– Faut croire, grommela Fleur-de-Rogue, qu’il y aura eu un malentendu, la vieille est peut-être absente.

Très délibérément et comme quelqu’un qui en a l’habitude, Fleur-de-Rogue fouilla dans son corsage et en retira un long trousseau de rossignols et des passe-partout.

– Que comptes-tu faire ? demanda Hélène.

– Parbleu, grommela la maîtresse du Bedeau, je m’en vais ouvrir la lourde, pour que nous puissions entrer dans la tôle. Penses-tu pas que nous allons plumer dehors, par le temps qu’il fait ? C’est qu’on gèle dans ce patelin-là.

Et, de fait, la nuit menaçait d’être froide, une sorte de brume épaisse s’abattait lentement sur la forêt environnante. Avec une remarquable dextérité, Fleur-de-Rogue fit tourner le pêne dans la serrure, poussa la porte, entra dans la maison. Une bouffée d’air tiède, une odeur de moisi saisirent à la gorge les deux voyageuses.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю