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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 03:47

Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Tu as fait cela ? s’écrièrent ensemble M me Granjeard et son fils Paul.

– Mais, murmura-t-il, je n’ai rien fait qui doit vous paraître si extraordinaire. Ne vous êtes-vous donc pas rendu compte que nous avions affaire à un bandit ? Ne valait-il pas mieux le démasquer que de céder à ses répugnantes suggestions, que d’accepter les louches compromissions qu’il nous propose ?

– Oui, poursuivait Paul, devenu livide, c’était pour nous éviter d’avoir maille à partir avec la justice.

– Hé qu’importe ! s’écria Robert Granjeard, nous pouvons aller le front haut devant le juge, puisque nous sommes innocents.

Énervé, vexé de la restriction étrange qui lui avait été faite par ses parents, Robert Granjeard les quittait brusquement ; il ne comprenait pas leur attitude. C’est qu’en effet, Robert Granjeard ignorait deux choses d’une importance extrême : le jeune homme ne savait pas, que sa mère d’une part, son frère de l’autre, avaient déjà cédé aux exigences du maître chanteur, qu’ils n’avaient obtenu leur libération qu’à prix d’argent, et qu’aussi grâce à la subtilité de Fantômas, se faisant passer pour Juve, le fils était sûr de la culpabilité de sa mère, et la mère avait la conviction que l’un de ses fils était l’assassin du troisième.

26 – UN BRACONNIER

Debout dans le métropolitain, écrasé entre une grosse femme qui portait un volumineux panier rempli de fromages, et une maigre midinette dont les épingles à chapeau menaçaient à chaque secousses de l’éborgner, Jérôme Fandor, résigné à une position intenable, voulant éviter à la fois les pointes acérées de la demoiselle et les camemberts de la dame, se répétait pour la vingtième fois, en maugréant fort, les termes de la lettre, de l’énigmatique lettre reçue le matin même :

Monsieur, lui avait écrit un correspondant, dont la signature était illisible, je vous prie de venir me voir d’urgence aujourd’hui, en tout cas, cet après-midi au plus tard, chez moi, au cinquième à gauche, rue Tardieu, n° 3 ter. J’aurai à vous entretenir des affaires policières qui vous préoccupent en ce moment.

Qui avait écrit cela ? Jérôme Fandor n’en avait pas la moindre idée ou plutôt n’en avait pas la moindre certitude.

L’ignorance du personnage qu’il allait visiter contribuait fort à rendre grognon et maussade l’excellent journaliste.

Suivant sa propre expression, il trouvait que l’invitation reçue était un peu « sévère », un peu « forte de café ».

– Ah ça ! murmurait-il de temps à autre, est-ce qu’on me prend pour un king charles, un épagneul ou un fox-terrier ?… On me siffle, eh ! m’sieu Fandor, par ici ! et il faut que j’accoure, zut ! il manque de tact l’individu qui veut me parler. D’abord, il aurait bien pu se nommer !

Jérôme Fandor, au reçu de la lettre, le matin même avait commencé par froncer les sourcils, se demandant s’il devait se rendre à l’invitation, ou si, au contraire, il n’était pas préférable de la négliger.

– Qui diable me convoque ? s’était demandé le journaliste, qui peut me convoquer de cette façon ?

Il avait en effet remarqué la précision de la lettre, précision qui semblait l’inviter à ne demander aucun renseignement au concierge ; on lui indiquait l’appartement : 5 à gauche. Évidemment, cela voulait dire quelque chose… mais quoi ?

Fort hésitant, Jérôme Fandor avait d’abord imaginé qu’il pouvait fort bien s’agir d’un piège tendu à sa bonne foi.

– Hé, hé, avait-il pensé, est-ce que, par hasard. Le Bedeau ?… ou quelque individu de son espèce, désirerait m’entretenir en particulier ?… Je n’irai pas rue Tardieu.

Dix minutes plus tard, Jérôme Fandor avait changé d’avis. C’est que, brusquement, il s’était rappelé que, jadis, il n’y avait pas encore bien longtemps, alors qu’il s’occupait déjà des enquêtes relatives à Fantômas qui, à ce moment, se faisait passer pour un apache redoutable : Loupart, dit le Carré, il avait reçu une invitation analogue à celle qu’il retournait en ce moment, et cette invitation lui avait été adressée par Juve, Juve lui-même, qui, ne pouvant pas se nommer, anonymement avait écrit à son ami.

– Nom de Dieu de nom d’un chien, de cent mille Crédibisèque, jura Jérôme Fandor, si véritablement c’était Juve, qui m’écrivait aujourd’hui ? si c’était lui qui désirait me voir ? J’irai rue Tardieu.

Parti de chez lui, bien décidé à se rendre au rendez-vous qu’on lui assignait avec un certain sans-gêne, Jérôme Fandor, dans le métropolitain qui l’emportait aux environs du square d’Anvers, se demandait encore s’il avait véritablement raison de s’exposer à une visite, qui pouvait lui réserver de désagréables surprises.

– Et puis, songeait-il par moment, on n’a pas idée d’aller habiter du Tardieu ? Un quartier perdu qui n’est ni en haut de la Butte Montmartre, ni en bas. Un quartier qui sent le graillon et la pomme de terre frite, un quartier où toutes les boutiques sont occupées par des mastroquets, à moins que ce ne soit par des marchands de chapelets bénis ou d’images pieuses du Sacré-Cœur. Si c’est Juve qui a été percher là, je ne lui cacherai pas ma façon de voir, et spécialement qu’il ne peut y avoir que de vieux bourgeois à l’esprit étroit, ou de jeunes demi-mondaines à prétentions exagérées qui logent en un pareil arrondissement.

Jérôme Fandor, quoi qu’il en eût, descendit à la station d’Anvers, s’orienta aisément, prit la petite rue de Steinkerque, étroite et sale, où d’extraordinaires infirmes le harcelèrent sans répit d’importunes demandes de charité.

Questionnant les passants, interviewant les sergents de ville, le journaliste se fit indiquer la rue Tardieu, le numéro 3 ter, une grande maison, une bâtisse à allures de caserne, où les appartements ne devaient être ni fastueux, ni d’un prix élevé.

– C’est assez dans le genre de Juve se disait Fandor, en inspectant la façade.

Il pénétrait sous une grande voûte, déboucha dans une cour transformée en une sorte de jardin, par une microscopique plate-bande où s’étiolaient des plantes vertes, il monta un escalier tortueux, petit, et pourtant prétentieusement tapissé d’une tenture en maints endroits déchirée.

– De mieux en mieux, pensait Fandor. Ce que je vais lui en dire, des sottises à Juve.

Et Jérôme Fandor, en effet, depuis qu’il avait vu la disposition de la maison dans laquelle il s’introduisait, n’hésitait plus à se persuader qu’il allait se trouver en face de Juve. Ce ne pouvait être que le policier assurément qui l’avait convoqué et d’ailleurs, en dépit de ses allures un peu prétentieuses, l’immeuble était trop bourgeois, trop populeux aussi, pour que l’idée d’un guet-apens, d’un piège tendu par un apache, fût admissible. Au cinquième étage, Jérôme Fandor après avoir soufflé sur une petite banquette volante, mise là pour tenir le rôle des canapés que l’on trouve dans les maisons véritablement « chic », heurtait, ne voulant pas sonner, la porte de l’appartement de gauche.

– Je me demande, songeait Fandor, quel peut-être le domestique de Juve ? Un imbécile probablement, un type incapable de réfléchir ou de comprendre quoi que ce soit. Juve, qui s’est laissé passer pour mort, vis-à-vis de moi, n’a certainement pas avisé son vieux domestique qu’il vivait encore. Et par acquit de conscience, il a dû choisir un larbin aussi borné que possible.

La porte s’ouvrit, c’était la figure avenante d’une jeune bonne qui apparaissait à Fandor.

– Mademoiselle, commença le journaliste, voulez-vous prévenir votre maître, que M. Jérôme Fandor demande à lui parler ? Il est au courant.

La jeune bonne, semblait être, elle aussi, prévenue de la visite du jeune homme, car, en souriant gracieusement, elle répondit :

– Entrez, Monsieur.

Fandor fut introduit dans un cabinet de travail situé tout près de la porte d’entrée, un cabinet de travail dont l’aspect, immédiatement, lui apparaissait familier. Il était meublé d’un bureau-ministre surchargé de paperasses, de dossiers, d’une bibliothèque, où des cartons-classeurs s’écroulaient les uns sur les autres, une machine à écrire était placée sur une petite table contre la cheminée surmontée d’une glace.

Plus loin, un téléphone avec son fil souple déroulé et en désordre, attestait que le maître des lieux, devait être un homme d’affaires.

– Pas d’hésitation à avoir, se déclarait Fandor, dépouillant son pardessus, c’est bien cet animal de Juve qui va m’apparaître tout à l’heure. Qu’est-ce que je vais lui chanter ?

Jérôme Fandor, complètement rassuré, – car il reconnaissait dans la disposition des moindres détails, l’arrangement ordinaire des objets appartenant à Juve, et n’était nullement étonné du léger pêle-mêle de la pièce, car il savait que le policier ne brillait pas par des qualités d’ordre – attendit quelques minutes, puis s’impatienta, tira un journal de sa poche, et commençait à en parcourir les premiers articles.

– Le Ministère est tombé. Ah le pau’vieux. Heureusement que les hommes politiques ça ne se fait pas de mal. Ce sont des lascars en caoutchouc, décidément, il me fait attendre Juve. Encore une petite bonne volée par ses patrons. À qui donc se fier grand Dieu ? Bon, un article sur la Ligue contre les intempérances de pianos. Voilà une ligue que j’approuve. Ah çà, il ne vient pas. Cet animal de Juve…

Fandor qui s’était assis, se releva d’un bond, commença à arpenter le cabinet de travail.

– Ça n’est pas gentil, pensa le journaliste, de me faire poser ainsi : ça m’étonne de la part de Juve.

Par la porte entrouverte, il entendit enfin, venant de l’antichambre, des bruits de pas se rapprochant. À tout hasard, Jérôme Fandor rectifia ce qu’avait de négligé sa tenue, prit même une position respectueuse, prêt à s’incliner en une profonde révérence très ironique lorsque Juve allait entrer.

La porte s’était ouverte. Une tenture qui en masquait l’entrée, était rapidement repoussée, un homme était devant Fandor, qui lui disait simplement, d’une voix étrange, à la fois railleuse et méprisante.

– Bonjour.

Le journaliste avait un peu pâli. Sans le moindre tressaillement cependant il avait répondu :

– Bonjour.

Ce n’était pas Juve, le policier Juve qui venait d’apparaître à Fandor. C’était Fantômas, c’était le Roi du Crime, le Maître de l’Effroi, c’était l’Insaisissable, c’était le terrible Tortionnaire. Et Jérôme Fandor était seul avec lui, et Fantômas riait.

Une seconde, un silence tragique plana entre les deux hommes. Tandis que Fantômas riait, énigmatique, ayant l’air fort amusé de la situation, Jérôme Fandor gardait un visage impassible. Ses réflexions cependant étaient tumultueuses. Les pensées se bousculaient dans son cerveau en foule désordonnée.

Ainsi il était tombé dans un piège, piège enfantin et puéril, ainsi, il avait cru venir chez Juve, et il était venu chez Fantômas ? Ainsi, c’était l’effroyable bandit qu’il avait devant lui, et l’effroyable bandit le tenait à sa merci ?

Jérôme Fandor, brusquement, se rappelait à la minute même, qu’ayant changé de vêtements, le matin, il avait précisément oublié de prendre son revolver. La fatalité était contre lui. Le destin voulait qu’il fût sans armes, au moment même où il aurait eu le plus grand besoin d’être armé jusqu’aux dents. Jérôme Fandor, en une minute, saisit tout ce qu’avait de tragique sa position présente. Et, avec une parfaite lucidité, il se dit à lui-même :

– Cette fois, je suis foutu, fichu sans rémission. Fantômas ne m’a pas fait venir pour m’offrir le thé, évidemment, ce doit être pour se débarrasser de moi.

Fantômas lui, pendant que Jérôme Fandor réfléchissait, riait toujours. Puis, brusquement, le bandit changea d’attitude.

Debout, derrière son bureau, considérant Fandor qui se tenait en face de lui, il lui adressa la parole :

– Je vous ai salué, Jérôme Fandor, et vous m’avez très courtoisement répondu. J’espère que notre entretien gardera des allures de conversation amicale. Y voyez-vous un inconvénient ?

Ce fut au tour de Jérôme Fandor de sourire : dans le ton de Fantômas, dans le soin que le bandit prenait à se conduire en homme du monde, il reconnaissait la manière habituelle de son formidable adversaire. Fantômas aimait, le plus souvent, couvrir ses plus atroces forfaits, d’apparences aimables. Il prenait des précautions oratoires pour dire les pires cruautés.

– Fantômas, répondit Jérôme Fandor, mon ton sera le vôtre. Vos paroles inspireront les miennes. Pourquoi m’avez-vous fait venir ?

– Pourquoi êtes-vous venu ?

– Je n’ai pas l’habitude, Fantômas de négliger les appels que l’on m’adresse et que je peux prendre pour des demandes de secours, votre lettre était équivoque. Je pouvais supposer qu’elle émanait de l’une de vos victimes ayant besoin de mon appui, je pouvais supposer aussi…

Fantômas, de la main, interrompit le jeune homme :

– Inutile de vous justifier, je n’ai nullement l’intention de vous blâmer. D’ailleurs, si je ne me trompe pas, vous êtes venu ici croyant venir chez Juve. Est-ce exact ?

Fandor s’inclina :

– C’est exact.

– Vous voyez, Fandor, que je ne me suis pas trompé à la tranquillité avec laquelle il y a deux minutes encore, quand vous étiez seul dans cette pièce, vous feuilletiez le journal.

– Vous m’observiez ?

– Je vous observais, en effet, vous n’êtes point surpris  j’imagine,  que  l’appartement  que  j’habite  soit quelque peu truqué. Vous comprenez qu’il y a des trous dans la muraille, et…

À son tour, Jérôme Fandor interrompait :

– Aucune importance. Que désirez-vous Fantômas ?

Le bandit semblait hésiter à répondre. Il fronça les sourcils, soupira, puis, brusquement mit la main à sa poche :

Fantômas avait vu l’involontaire tressaillement de son visiteur. Avec une intonation bonasse, il s’empressa de le rassurer :

– Tranquillisez-vous donc, commençait-il, je ne vous veux aucun mal.

En même temps il tirait de sa poche un étui d’argent qu’il présentait à Fandor.

– Une cigarette, voulez-vous ?

La situation était embarrassante. Pour qui connaissait Fantômas, il était téméraire d’accepter quoi que ce fût de sa part. Était-ce bien une cigarette ordinaire, en effet, qu’il tendait au journaliste ? Cette cigarette n’était-elle pas empoisonnée ? Ne cachait-elle aucun artifice terrible, épouvantable ?

Jérôme Fandor, considérant l’étui ouvert, fut sur le point de refuser l’offre du bandit. Mais, au même moment, avec sa gaminerie habituelle, Jérôme Fandor remarquait que les rouleaux de tabac que lui offrait son interlocuteur étaient du meilleur aspect, semblaient provenir d’une boîte de tabac de luxe.

– Après tout, pensa Fandor, je ne m’offre pas souvent des cigarettes de cette espèce, et du moment que c’est Fantômas qui régale, je ne vois pas pourquoi je ne goûterais pas à ce tabac blond.

– Vous êtes trop aimable, Fantômas, j’accepte avec plaisir.

Fantômas, au même moment, venait brusquement de retirer la main :

– Au fait, murmurait le bandit, vous pourriez croire que cette cigarette est empoisonnée, mais je vais vous rassurer.

Et, sans attendre les protestations de Fandor, qui finissait par trouver très amusant de faire ainsi des grâces et des politesses au Maître de l’Épouvante, Fantômas ouvrait un tiroir de son bureau, y prenait une boîte de cigarettes non encore entamée :

– Je les ai achetées hier soir, au bureau de tabac de la Civette, expliquait Fantômas, vous pouvez être assuré, la bande étant intacte que je ne les ai point truquées.

Jérôme Fandor éclatait de rire :

– Décidément, faisait-il, s’asseyant sur un fauteuil voisin, décidément, Fantômas, vous recevez d’une façon exquise. Tout de même, pour la troisième fois, je suis obligé de vous demander ce que vous me voulez ?

Fantômas, en face du jeune homme, venait lui aussi, de se choisir un fauteuil. Il frotta une allumette, la tendit à Fandor, la rejeta négligemment dans une coupe de cristal, puis, d’une voix changée, d’une voix qui, soudain, devenait âpre et impérieuse, il répondait :

– Ce que je veux de vous Fandor ? Un renseignement. Où est Hélène ?

De surprise, d’émotion, le journaliste s’était relevé.

– Vous voulez savoir où est votre fille ? Je ne puis vous le dire, Fantômas. D’abord, si je le savais, je vous le cacherais et ensuite, je ne le sais pas.

– Vous mentez, Fandor, vous savez où est Hélène.

Haussant les épaules, dédaigneux, Jérôme Fandor répliqua :

– Fantômas, si vous étiez un homme ordinaire, quelconque, je répondrais à vos paroles par une paire de gifles qui serait peut-être la première chose que vous n’auriez point volée. Mais trêve de plaisanteries, vous êtes un assassin, et je suis un honnête homme. Vous pensez faire bon marché de mon existence ? et je prétends quelque jour, le plus vite possible, vous remettre aux mains de Deibler. La situation est nette. Vous croyez que je sais où est Hélène ? Je ne le sais pas. Je l’ai vue récemment. Nous devions nous retrouver en un endroit convenu. Ce matin, j’ai reçu un télégramme m’apprenant qu’elle partait en voyage, ne me disant pas où elle se rendait. Voici tous les renseignements que je puis vous donner.

Déjà, Fantômas semblait changer d’attitude.

– Vous mentez, répéta-t-il. Cela va vous coûter cher, Fandor. Je vous donne cinq minutes pour réfléchir.

– C’est beaucoup trop, fit Fandor.

– Cinq minutes pour comprendre que votre situation ne vous permet pas de vous refuser à me renseigner, continua Fantômas. Je vous donne ma parole que, de deux choses l’une : ou vous allez me dire où est Hélène et vous sortirez d’ici sans qu’aucun malheur ne vous soit arrivé, ou vous vous obstinerez à garder le silence, et je vous tuerai impitoyablement.

Jérôme Fandor, qui était debout, se rasseyait en entendant ces mots. Il tira sa montre avec un flegme imperturbable, et déclara :

– Il est exactement 11 heures 5, Fantômas, à 11 h. 10, vous me tuerez.

Tel était le calme de Fandor, telle était la tranquillité avec laquelle il parlait, que Fantômas se méprenait à sa pensée :

– Jérôme Fandor, hurla presque le bandit, incapable de maîtriser plus longtemps sa colère, vous vous imaginez sans doute que je plaisante ? Vous croyez que je n’oserais point vous tuer ? Vous assassiner comme vous dites ? Ici, dans cette maison ? Vous comptez sur le secours de ma domestique, des voisins ? Ah çà, oubliez-vous donc que je suis de ceux qui ne laissent rien au hasard ? Allons, rendez-vous compte vous-même. Heurtez ces murs, vous verrez qu’ils sont matelassés, heurtez le plancher, vous verrez que je l’ai fait matelasser encore, et le plafond aussi est matelassé ; cette pièce où je vous ai attiré est silencieuse comme un sépulcre. Ma domestique est sortie, les voisins n’entendront point vos cris.

– Où diable avez-vous vu que j’aie jamais crié ? interrompait Fandor. Fantômas, vous perdez le sens. Vous jouez les croquemitaines devant moi, c’est idiot. D’ailleurs, nous perdons du temps, il est maintenant 11 h. 7, et dans trois minutes, vous allez me tuer. Préparez-vous, vous serez en retard.

Les moqueries de Fandor n’avaient qu’un effet : elles amenèrent Fantômas à maîtriser sa colère. C’était d’un ton posé qu’il insista :

– Jérôme Fandor, réfléchissez bien. Ne vous trompez pas au sens de mes paroles. Je n’ai jamais renoncé à l’un de mes projets. Dites-moi où est Hélène, ou préparez-vous à mourir. Rien ne peut vous sauver. Nous sommes seuls. Je suis seul avec vous et par conséquent…

Fandor éclata de rire.

– Fantômas, dit-il, vous vous trompez, nous ne sommes pas seuls.

Du doigt, le journaliste désigna la glace de la cheminée qui faisait face à Fantômas. Son mouvement était si naturel, que le bandit leva la tête et Fantômas, alors, se prit à blêmir. Dans la glace, il aperçut l’image d’un homme, d’un homme qui était Juve, le policier Juve, qui, ramassé sur lui-même, prêt à s’élancer en avant, le menaçait d’un revolver braqué. Pour Fantômas, cette vision de Juve était une surprise si soudaine, si stupéfiante, qu’un instant, il demeura interdit. Voyait-il réellement ce qu’il pensait voir ? ou était-il victime d’une hallucination ? Instinctivement, Fantômas, ayant la glace en face de lui et y voyant Juve, se retournait brusquement, supposant que le policier se trouvait derrière lui. Derrière lui, il n’y avait que le mur, Juve n’était pas là. Alors, une angoisse suprême se peignit sur la face de l’insaisissable :

– Mon Dieu, murmurait-il d’une voix sifflante, mais je deviens fou.

Un fracas lui répondait. D’un coup de pied, Juve brisait la glace, la glace sans tain, la glace qui n’était qu’une vitre, derrière laquelle il épiait le bandit. Et Juve hurlait :

– Rendez-vous, Fantômas, rendez-vous ou vous êtes mort.

***

Comment Juve était-il parvenu dans le cabinet de Fantômas ? Comment se faisait-il qu’il surgissait si opportunément à l’instant où Fandor était en si grand danger ? Juve, depuis de longs jours épiait en réalité le formidable bandit. Il avait découvert sa retraite, 3 ter, rue Tardieu, la veille même. Immédiatement, Juve avait profité de cette découverte pour préparer une attaque qui, dans son esprit, devait être décisive. Juve, la veille, avait loué l’appartement contigu à celui qu’occupait Fantômas et avec une habileté merveilleuse, une audace extrême, il avait alors démoli le mur se trouvant derrière la glace de la cheminée du cabinet de Fantômas.

Parvenu en véritable perceur de murailles à la glace même, Juve n’avait pas eu grand-peine à gratter l’étamage de cette glace. Dès lors, et sans que cela se vît dans le cabinet de Fantômas, car, Juve, dans la pièce où il se trouvait lui-même, maintenait une rigoureuse obscurité, il pouvait à travers la vitre surveiller les agissements de l’Insaisissable. La nuit étant complète derrière cette glace truquée, la vitre, par un phénomène physique très simple, gardait ses qualités de miroir et Fantômas, ayant la lumière du jour ou la lumière électrique dans son cabinet, distinguait fort bien son image dans cette vitre. Il aurait suffi, il est vrai, d’un simple hasard pour que, se rapprochant tout contre cette glace truquée, le Roi du Crime découvrît la supercherie. Juve avait risqué sa chance. Logiquement, Fantômas n’avait aucune raison plausible pour coller son visage à la vitre placée sur la cheminée. Le policier avait été secondé merveilleusement par le hasard et son truc avait pleinement réussi. Juve avait donc vu Fandor pénétrer chez Fantômas et s’il n’avait point entendu les paroles échangées en revanche, à la mimique du journaliste, à la colère du bandit, il avait parfaitement deviné qu’il était urgent d’intervenir. À ce moment, Juve pressa sur un bouton électrique, rétablissait la lumière, dans la pièce où il se trouvait. Dès lors, la vitre à laquelle il s’appuyait, devenait transparente, on le voyait du cabinet de Fantômas, Fandor l’apercevait, Fantômas le considérait avec des yeux hagards et ne se doutant pas que la glace avait été truquée, le cherchait derrière lui.

Juve n’avait plus, d’un coup de pied, qu’à briser la vitre, qu’à s’élancer face au bandit, revolver au poing.

***

– Rendez-vous ou je vous tue.

Fantômas, d’abord, recula lentement, un mauvais regard dans les yeux.

– Juve, Juve, murmura-t-il.

Le policier répéta :

– Haut les mains où je tire.

Fantômas, brusquement, éclata de rire.

– Allons donc, cria-t-il, vous ne pouvez pas tirer. Regardez votre arme.

Son exclamation était si naturelle que Juve, une seconde, baissait les yeux, considérait, en effet, son revolver.

Cette simple distraction suffit à Fantômas. Au moment même, il bondit vers la porte du cabinet, il l’ouvrit, il la ferma derrière lui, il se jeta dans le vestibule.

– Hardi ! criait Juve.

Les deux hommes secouèrent la porte du cabinet de travail, elle était fermée, mais c’était là un piètre obstacle. À coups d’épaules, à coups de pieds, les battants furent enfoncés.

– Il a pris par l’escalier, criait Fandor se précipitant.

– Nous le rattraperons ! hurla Juve, s’élançant derrière son ami.

Ils étaient à ce moment dans les vestibule de l’appartement. Or, ils le longeaient en courant à toute vitesse, brusquement, ils étaient précipités sur le sol, ils roulèrent l’un sur l’autre, immobilisés, ligotés à moitié, incapables de se relever.

Du plafond, un filet aux mailles fines et lesté par des contrepoids, venait de tomber sur eux, évidemment précipité par Fantômas.

Juve et Fandor, empêtrés dans ce piège d’un nouveau genre, devaient perdre de longues minutes avant de pouvoir reconquérir la liberté de leurs mouvements, comme un braconnier prend des oiseaux dans son filet de panneautage, Fantômas avait pris Juve et Fandor.

27 – SOUS LE DIVAN

Il faisait nuit et par les rues désertes qui avoisinent le boulevard Raspail, dans sa partie la plus éloignée du faubourg Saint-Germain, deux hommes avançaient à grands pas.

C’étaient Juve et Fandor. Les deux amis qui s’étaient retrouvés dans des circonstances véritablement extraordinaires, semblaient ne plus vouloir se quitter désormais et jouer partie liée, pour mieux se mettre à la poursuite de leur redoutable adversaire et de ses sinistres complices. Ils avançaient rapidement, sans mot dire, préoccupés l’un et l’autre.

– Où allons-nous Juve ?

– Rue Froidevaux, derrière le cimetière Montparnasse.

– C’est gai, murmura le journaliste, vous avez toujours des trouvailles dès que l’occasion se présente pour nous de passer ensemble une bonne soirée. Si j’avais été consulté sur notre itinéraire, je vous avoue que j’aurais choisi, de préférence, les boulevards et la place de l’Opéra.

– Vas-y, grommela Juve, fais de l’esprit, Fandor, c’est de ton âge. Seulement, je ne vois guère Fantômas donnant ouvertement ses rendez-vous dans un café des boulevards, comme ceux auxquels tu penses.

– Nous allons à un rendez-vous de Fantômas ?

– Non, du moins pas ce soir. Mais nous allons simplement étudier le terrain sur où aura lieu demain la bataille entre le misérable bandit et nous-mêmes, le terrain, sur lequel, j’espère bien, il viendra se faire prendre, ce qui nous permettra en même temps de tirer d’affaire et d’arracher des griffes de ce misérable la malheureuse famille Granjeard.

– C’est le troisième acte d’un vaudeville, tout le monde se retrouve.

– Dis plutôt qu’il s’agit peut-être de l’épilogue d’un drame à épisodes.

– Je vois ce que c’est, fit Fandor, il va encore y avoir de la casse. Juve, comment savez-vous que Fantômas a rendez-vous avec les Granjeard ?

– Écoute, Fantômas a eu l’audace de se présenter sous mon nom chez les Granjeard. Il doit rencontrer ceux-ci au restaurant de L’Épervier. La famille affolée de Saint-Denis, a promis d’apporter à Fantômas une somme assez coquette, il ne s’agit de pas moins d’un million. Avec ce qu’il a déjà touché, cela fera deux millions. Puisque tu désires le savoir, Fandor, nous allons nous occuper de les reprendre, ces millions et c’est pour cela que nous nous rendons de ce pas à L’Épervier, où nous allons étudier le terrain. Fantômas porte toujours sur lui, j’en ai acquis la preuve il y a quelques jours, les deux paquets de cinq cent mille francs qu’il a escroqués à la famille Granjeard. Ce sera de bonne prise pour nous. Et maintenant, plus un mot, nous sommes arrivés.

Fandor, machinalement, s’arrêta, écarquilla les yeux, regarda autour de lui. Le journaliste était avec le policier dans une rue assez large, mais complètement déserte et fort mal éclairée. Pas de boutiques.

Quelques jardins venaient en bordure du trottoir, derrière lequel s’élevait de petites masures, aux allures louches.

– C’est plein de gaieté, murmura Fandor qui, pour attendre une explication que Juve allait certainement lui fournir, s’était installé sur le brancard d’une balayeuse dételée, abandonnée au bord de la chaussée.

Juve désigna à son ami, visible plus loin, la masse sombre d’une petite maison séparée de la rue par une terrasse surmontée d’un balcon de pierre. Les fenêtres du premier étage de cet immeuble s’ouvraient sur la terrasse. Contrairement aux autres habitations de la rue, cette vieille baraque était tout illuminée à l’intérieur.

– Voilà, murmura Juve, le restaurant de L’Épervier.

–  L’Épervier ? dit-il, j’ai entendu parler de cela autrefois. Qu’est-ce que c’est donc ?

– C’est un très ancien vide-bouteilles. Et c’est resté un mauvais lieu.

– Vous parlez comme un livre et comme un dictionnaire, Juve. Vous offrez quoi ? Champagne, « Drapeau américain » ou saladier de vin rouge ? Je vous avoue que si cela n’a pas d’inconvénient, je vote pour la première solution.

– Nous allons nous introduire dans cet immeuble sans frapper à la porte, et sans demander notre chemin.

– Entrer par la fenêtre, je vois ça.

– En effet.

Ce soir-là, il y avait assurément une société nombreuse qui festoyait au premier étage, car on entendait du dehors le cliquetis de la vaisselle et le tintement des fourchettes.

Au rez-de-chaussée, le grand salon était vide. Mais vraisemblablement, il attendait des hôtes. Car sur la grande table dressée au milieu et recouverte d’une nappe d’une blancheur impeccable, on avait disposé une multitude de verres et placé des assiettes de gâteaux.

Juve et Fandor s’étaient sans difficulté glissés sur la terrasse. Et, précautionneusement, ils s’avançaient vers le salon dont ils voulaient étudier les dispositions.

– C’est là, expliquait Juve, que Fantômas retrouvera demain soir les Granjeard. Et, c’est là, que nous nous arrangerons pour le pincer. Il faut étudier rapidement les entrées et les sorties de ce local, savoir s’il ne comporte pas de cachette spéciale, de trappes ou de portes dissimulées dans la cloison. Fantômas nous a mis à une rude école, et il est bien évident que s’il a eu l’audace de donner rendez-vous dans ce lieu, c’est qu’il se considère comme à peu près certain de pouvoir s’en échapper, même s’il est poursuivi, traqué, découvert.

Juve et Fandor s’introduisirent dans ce salon.

C’était une pièce assez vaste, rectangulaire. Rapidement, en frôlant les cloisons de leurs mains, en en palpant minutieusement les angles, ils se rendirent compte qu’elle était hermétiquement close et qu’elle ne comportait que deux ouvertures : la fenêtre donnant sur la terrasse par laquelle le policier et le journaliste s’étaient introduits, et la porte placée en face, s’ouvrant sur le couloir qui conduisait à l’escalier montant aux étages. Le mobilier était réduit à sa plus simple expression : une table, des chaises, puis, faisant le tour de deux côtés de la pièce, une sorte de canapé-divan très large et très confortable et disposé à la manière des divans circulaires comme on en trouve dans les salons ou les cabines de luxe des transatlantiques. Ce divan était en cuir, et si un intervalle assez vaste était ménagé entre les coussins et le plancher, il apparaissait aisément que quelqu’un pouvait se cacher et se dissimuler derrière les volants du meuble, qui descendaient jusqu’au niveau du sol.


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