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L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Текст книги "L'évadée de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Nous avons l’air de cambrioleuses, dit Hélène.

Mais Fleur-de-Rogue haussa les épaules :

– Et puis, après, qu’est-ce que cela peut fiche ? répliqua la maîtresse du Bedeau.

La fille de Fantômas réprima un sourire et n’insista plus. En effet, son objection était déplacée, sa compagne en avait vu et fait bien d’autres. Fleur-de-Rogue, après avoir rapidement inventorié du regard la pièce dans laquelle elles se trouvaient fit craquer une allumette, donna de la lumière. C’était une salle basse, pauvrement meublée, d’un vrai mobilier de chaumière, comportant : table en bois massif, quelques chaises de paille, lit composé d’une paillasse et d’un édredon, en face de la grande cheminée, où après coup, on avait installé un fourneau de cuisine. À des ficelles tendues au mur pendaient des bottes d’oignons, des légumes secs, quelques tranches de lard.

En ouvrant un coffre placé non loin de l’âtre, Fleur-de-Rogue y découvrit un morceau de pain bis et quelques bouteilles de vin :

– Bonne affaire, s’écria-t-elle, on ne se couchera pas le ventre vide. Mets le couvert, Hélène, pendant que je m’en vais préparer le rata avec ce qui se trouve ici. Dame. Bien sûr, cela ne vaudra pas les gueuletons que l’on fait à Pantruche lorsqu’on a du foin plein ses bottes.

Hélène ne se fit pas prier. Elle mit un couvert de fortune, récoltant à droite, à gauche, des assiettes ébréchées, des couverts disparates. Les deux jeunes femmes, d’un commun accord, avaient fait dîner d’abord le petit Jacques, puis, l’enfant, qui tombait de sommeil, avait été couché dans le lit au fond de la pièce, où il s’endormit aussitôt.

Hélène et Fleur-de-Rogue, dînèrent ensuite, silencieuses, fatiguées, se renfermant chacune en elle-même et pensant à leurs affaires. Hélène n’était pas autrement ravie de la tournure que prenait ce voyage. Elle se demandait s’il serait raisonnable de laisser le petit Jacques aux mains de cette tante rustaude et campagnarde que lui avait décrite Fleur-de-Rogue comme étant une excellente femme sans doute, mais il était très délicat de se fier aux déclarations de Fleur-de-Rogue. En tout cas, la vieille tante ne semblait pas habiter souvent son domicile, et il apparaissait que, lorsqu’elle le quittait, elle le laissait, sinon dans le plus absolu dénuement, du moins dans le plus parfait désordre. La réalité, en somme, était loin du tableau bucolique et enchanteur qu’en avait fait Fleur-de-Rogue à Hélène.

Hélène était à demi étendue dans un vieux fauteuil presque confortable et y somnolait doucement, lorsqu’elle fut arrachée en sursaut à ses rêveries. Fleur-de-Rogue venait de l’interpeller d’une voix vibrante et toute changée. Elle se tenait au-dessus d’Hélène, le bras levé, un couteau à la main.

– Qu’est-ce qu’il y a ? s’écria la fille de Fantômas, qui se mit hors de portée de l’arme qui la menaçait.

– Tu m’échappes, mais ça n’est pas pour longtemps, dit Fleur-de-Rogue.

– Ah, çà, qu’est-ce qui te prend ? Es-tu folle ? Que veux-tu me faire ?

– Je veux te crever. Entends-tu bien ? Te crever, car tu n’as jamais mérité autre chose.

Hélène demeurait interdite. Fleur-de-Rogue poursuivait :

– Imbécile, fit-elle, crois-tu donc que je suis venue jusqu’ici, que je t’ai amenée dans ce patelin perdu pour le seul plaisir de t’aider à te débarrasser d’un môme dont je me fiche ? Crois-tu donc que, depuis quarante-huit heures, je te fais bonne figure et je te passe de la pommade pour le simple plaisir de te voir me dire des gentillesses ? Non, non, La Guêpe, tout cela n’existe pas. Voilà plus de deux ans que j’ai mis dans ma tête que j’aurai ta peau et l’heure a sonné. Il y a une justice, sacré bon Dieu, et les vermines de ton espèce, c’est fait pour engraisser les cimetières, pas pour embêter les vivants.

– Mais que me reproches-tu donc ? Que t’ai-je fait, Fleur-de-Rogue ?

– Ce que tu m’as fait ? Tu as besoin de le savoir. Souviens-toi simplement, la Guêpe, que tu as bien mauvaise mémoire, que tu as fait exprès d’oublier.

– D’oublier ? répéta Hélène, de plus en plus interdite, je ne comprends pas.

– Oui, d’oublier que c’est toi qui as détourné de moi mon premier homme, Jean-Marie, et qui l’a fait tomber dans les pattes de ta canaille de père, dont il n’est sorti qu’avec la tête séparée du corps. Tu oublies que c’est grâce à toi et par ta faute que la Bande des Ténébreux a été poissée par la police et que Ribonard, mon deuxième homme, a été assassiné par Fantômas. Tu oublies, la Guêpe, que le Bedeau, mon amant, malgré toi, malgré tout le monde, a failli claquer rapport à ton amant Fandor et que, hier encore, Fandor a voulu l’assassiner. Tu t’imaginais comme ça, grande niaise, que j’allais te laisser faire toutes tes combines sans faire de rouspétance et qu’à tous tes sales coups, j’allais répondre : amen, comme toutes les mignardes qui vont à l’église écouter les boniments du curé. Non, non, ça n’a rien à faire. La Guêpe, je t’ai attirée ici parce que je connaissais la tôle, parce que j’en ai causé depuis longtemps avec le Bedeau, qui ne te porte pas dans son cœur, lui non plus. Il voulait venir te faire ton affaire. J’ai refusé, je lui ai dit que ça me regardait, moi seule, et que moi seule je voulais avoir la joie de te détruire. Ah, malheureuse, tu as coupé dans le pont. Tu as marché dans l’histoire de la tante Gertrude et de sa nièce Catherine, j’en rigole maintenant. Penses-tu qu’elle existe la tante ? Non, la Guêpe, elle n’existe pas plus que la nièce. D’abord, moi, je n’ai pas de famille, on m’a trouvée dans le ruisseau où je barbote depuis ma naissance et j’y barboterai toujours, je m’en vante, seulement, le ruisseau, c’est ton sang maintenant qui va le remplir.

Comme une furie, Fleur-de-Rogue s’était précipitée sur Hélène, et c’était désormais, entre les deux femmes une lutte terrible et sauvage. Hélène avait ramassé près d’elle une bûche de bois et menaçait d’en frapper sa terrible adversaire. Mais celle-ci avait une arme plus redoutable, un énorme couteau, dont la lame miroitait, dont la pointe acérée menaçait à chaque instant le visage, la poitrine de l’infortunée fille de Fantômas. À deux ou trois reprises, Hélène avait réussi à parer le coup fatal, à éviter la blessure meurtrière, mais cette lutte était inégale et la jeune fille sentait que, peu a peu, ses forces allaient l’abandonner.

Fleur-de-Rogue était plus forte qu’elle et la colère qui l’animait décuplait sa vigueur. Une petite fenêtre donnant sur la forêt était ouverte et Hélène avait appelé au secours. Plainte inutile. Comme l’avait dit Fleur-de-Rogue, la sinistre masure était bien isolée au milieu de cette forêt déserte. Dans un angle de la pièce, Hélène avait dû reculer et, désormais, Fleur-de-Rogue la serrait de près. Elle avait comprimé un des bras de la jeune fille sous l’étreinte puissante de sa main nerveuse et elle le tordait ce bras à le faire craquer, arrachant à Hélène un affreux cri de douleur. De sa main restée libre, Fleur-de-Rogue brandissait le couteau. Elle allait le plonger dans le sein de celle qu’elle considérait déjà comme sa victime et, pour appuyer son geste d’un blasphème, Fleur-de-Rogue hurla :

– Crève donc, crève !

Mais son cri s’arrêta dans sa gorge et s’acheva par une plainte, une plainte qui n’était autre qu’un râle. Une détonation venait de retentir, Fleur-de-Rogue tombait en arrière, en gémissant, un flot de sang s’échappait de sa mâchoire fracassée, de sa gorge ouverte. Que s’était-il passé ? Hélène se relevait d’un bond, se penchait sur la pierreuse et, avec les yeux agrandis par l’épouvante, elle assistait, crispée par l’émotion, aux derniers spasmes de la maîtresse du Bedeau qui agonisait en se tordant.

À deux ou trois reprises, Fleur-de-Rogue essaya de se soulever, malgré la douleur effroyable qu’elle éprouvait, une de ses mains cherchait le couteau qu’elle avait dû lâcher, l’autre se portait à son visage, à sa mâchoire fracassée, puis la pierreuse tomba lourdement sur le sol. Elle était morte.

Cependant, Hélène était demeurée quelques secondes paralysée de surprise et d’effroi, unique témoin de cet horrible spectacle. Mais une pensée, soudain, lui venait à l’esprit :

Elle cria :

– Mais qui donc ?

D’un bond, la jeune fille couru à la fenêtre ouverte sur la forêt. Elle se pencha dans l’embrasure étroite, regarda aux abords de la maison, il faisait tout noir, elle ne voyait rien. Mais, cependant, au bout de quelques instants, ses yeux, qui s’étaient habitués à l’obscurité, devinaient plutôt qu’ils ne voyaient nettement une ombre qui se profilait à la lisière des arbres. Hélène tressaillit d’émotion, c’était une ombre humaine, une ombre aux formes gracieuses, élégantes, il n’y avait pas à en douter : c’était une femme qui s’enfuyait, qui disparaissait au loin, s’enfonçait dans la nuit, mais quelle était cette femme ?

25 – LE MAÎTRE CHANTEUR

Fantômas, qui, depuis quelque temps déjà, avait réussi à se faire passer, auprès de certaines personnes, pour le célèbre policier Juve, arrivait ce matin-là d’un pas précipité à Saint-Denis, s’engouffrait dans la rue de l’Estacade et carillonnait à la porte de la propriété occupée par la famille Granjeard.

Les ateliers venaient de s’ouvrir depuis quelques instants seulement. Il n’était que huit heures et demie du matin. Fantômas attendit sous le porche de la maison cependant qu’il jetait un regard sournois et rapide sur l’enfilade des ateliers et des vastes hangars qui s’élevaient tout autour de l’immeuble.

Avec une audace inouïe, une témérité fantastique, le bandit revenait à la charge. Il n’hésitait pas à se présenter dans la famille Granjeard et il le faisait sans redouter, en apparence du moins, les conséquences de la conversation que la veuve et ses deux fils avaient eue, la veille, avec le véritable Juve, venu précisément les voir au moment où Fantômas se présentait, ce qui, d’ailleurs, avait déterminé le bandit à s’enfuir, non sans avoir glissé au préalable dans la poche du policier la chevelure de Blanche Perrier, qu’il avait assassinée.

Fantômas ignorait que Juve n’avait pas révélé sa personnalité et qu’il s’était présenté à M me Granjeard sous le nom du courtier en vins. C’est pourquoi le bandit était anxieux de connaître les déclarations éventuelles de Juve, c’est à quoi il songeait lorsqu’il sonna. Son visage avait une expression dure, tourmentée. Machinalement, Fantômas palpait sous l’épaisseur de son vêtement à l’intérieur de sa poche, la crosse de son revolver.

– Il est bien chargé, cette fois, se disait-il, on ne sait pas ce qui peut arriver.

Et, en pensant à « ce qui pouvait arriver », Fantômas eut un sourire sardonique.

La porte enfin s’ouvrit et Julie, la domestique, s’effaçant pour laisser passer le visiteur, l’invita respectueusement à pénétrer dans le petit salon :

– Je vais aller prévenir madame et ces messieurs, déclara la bonne. Si monsieur Juve veut prendre la peine d’attendre ici quelques instants.

Le faux policier répondit sur un ton protecteur qu’il n’était pas pressé, qu’il avait bien le temps, demeurant fort convaincu, d’ailleurs, que les personnes auxquelles il venait rendre visite ne le feraient pas languir, désireuses d’entendre Juve. Plus Fantômas pensait à la personnalité du policier qu’il s’était acquise, plus il songeait au rôle terrible et redoutable qu’il jouait sous ce nom qui était pour lui la meilleure des sauvegardes. Il éprouvait une indicible satisfaction à l’idée qu’il avait dupé tout le monde et qu’il avait merveilleusement profité des circonstances et des événements.

Pourquoi et comment Fantômas s’était-il fait connaître sous le nom de Juve ?

Les choses étaient venues pour ainsi dire malgré lui. Cela remontait à quelques semaines, à une certaine matinée où Fantômas, à la recherche du cadavre de son ancien associé, le cocher Prosper, sur les ruines de l’immeuble appartenant à Juve, avait été rencontré par un gavroche effronté et sympathique. Fantômas s’était amusé à se faire passer, auprès de ce gamin, pour le policier Juve. Il avait raconté cela par gaminerie, comme il eût voulu éblouir et intéresser un petit enfant à un conte fantastique. Seulement, il était arrivé qu’au cours de ses conversations avec le petit Riquet, il avait appris les dissensions intestines qui divisaient la famille Granjeard. Il avait connu toute l’histoire de Didier et il savait combien sa mère, ainsi que ses frères, gens âpres à l’argent, étaient opposés à la conduite qu’il avait, à l’existence qu’il menait, et Fantômas, très perspicace, s’était aussitôt dit que ces gens-là seraient capables de tout pour éviter une liquidation de leur maison. C’est alors que, dans son esprit fertile et cruel, une idée avait germé.

Fantômas avait décidé d’assassiner Didier et de faire croire que les auteurs de ce crime n’étaient autres que ses parents, puis, après avoir fait arrêter ces derniers, de les libérer par un artifice dont ils lui sauraient gré.

D’autres se seraient contentés d’avoir obtenu cinq cent mille francs de la mère, en lui disant que, moyennant cette somme, elle arrachait son fils aîné à l’échafaud et cinq cent mille francs de ce fils, en lui persuadant qu’à ce prix sa mère coupable ne serait pas inquiétée. Mais Fantômas n’était pas satisfait : il voulait mieux encore, le bandit savait que la fortune des Granjeard s’élevait à plusieurs millions, et l’appât du gain lui donnait le désir de se les approprier tous. Les Granjeard, libres et innocentés, ne voulaient pas payer, Fantômas avait imaginé autre chose. Il s’agissait de les compromettre encore et c’est pourquoi il avait assassiné, quelques jours auparavant, la malheureuse Blanche Perrier. Fantômas, en attendant l’arrivée des Granjeard, réfléchissait à tous ces événements :

– Mon coup est très avancé, se disait-il, il ne me reste plus qu’une passe à franchir et j’aurai gagné la partie.

Le visage de Fantômas, cependant, se rembrunit.

– Le tout, grommelait-il tout bas, est de savoir ce que Juve leur a dit hier. Suis-je brûlé à leurs yeux ? ou cet imbécile de policier, ne voulant pas se nommer encore, par prudence, a-t-il de la sorte, laissé le champ libre et la voie ouverte à mes désirs ?

C’était là, en effet, toute la question qui se posait pour Fantômas. Lorsque les Granjeard allaient entrer dans le salon, y pénétreraient-ils avec la conviction qu’ils se trouvaient en face d’un imposteur, doublé d’un maître chanteur, ou alors croiraient-ils encore au Juve qu’ils avaient déjà connu et par lequel ils se pensaient protégés ?

Mais il fallait s’attendre à tout, c’est pour cela que Fantômas avait dans sa poche un revolver chargé. Le bandit était optimiste et il se disait que sa bonne étoile lui permettrait certainement de mener à bien son entreprise. Dès lors, pensait-il, il faut agir carrément, nous n’avons plus une minute à perdre.

Fantômas s’arrêta de penser, car l’heure de l’action sonnait : la porte s’était ouverte, M me Granjeard, suivie de ses deux fils, entrait dans le petit salon.

Dès le premier coup d’œil, dès l’échange du premier regard, Fantômas poussait un imperceptible soupir de satisfaction. En voyant ses interlocuteurs, il se rendait compte que rien n’était changé, il comprenait que Juve n’avait point révélé sa propre personnalité et que, par conséquent, le policier ne l’avait point brûlé, lui, Fantômas, dans l’esprit des Granjeard.

Rassuré de ce côté, Fantômas, dès lors, se révéla d’une audace et d’un cynisme qui n’avaient plus de bornes. Il n’avait rien à craindre, il n’allait pas se faire faute de terrifier les Granjeard pour en obtenir le plus d’argent possible d’eux.

Et, tout d’abord, prenant une physionomie hypocritement triste et sévère, Fantômas salua les nouveaux venus de ces mots :

– Blanche Perrier est morte, morte assassinée.

– Oui, dit M me Granjeard, nous avons appris cet épouvantable drame. Nous sommes désolés. Nous regrettons. Pauvre femme.

Paul Granjeard intervint à son tour :

– C’est désolant, mais nous n’y pouvons rien.

– Croyez-vous ? fit Fantômas.

Les Granjeard le regardèrent, surpris. Le faux Juve poursuivit :

– Vous aurez peut-être à vous expliquer très prochainement sur le décès de cette malheureuse.

– Nous ? s’écrièrent ensemble la mère et les deux fils.

Imperturbable, Fantômas poursuivit :

– Le juge d’instruction Mourier a décidé de procéder à nouveau à votre arrestation. C’est une question d’heures.

– Mais pourquoi ? que signifie ?

– Oh, le raisonnement du magistrat est fort clair, il vous sera bien difficile de le détruire. Voilà : vous êtes suspects d’avoir fait disparaître la seule personne qui pouvait constituer pour vous un témoin gênant. Blanche était, en effet, l’unique femme susceptible d’innocenter celui sur qui vous cherchez à faire retomber les soupçons, c’est-à-dire sur le journaliste Jérôme Fandor, que vous avez accusé formellement d’être l’auteur de l’assassinat de Didier. Saisissez-vous ?

– Pardon, dit Robert Granjeard, mais nous n’avons jamais accusé ce monsieur d’avoir tué notre frère.

Avec une audace inouïe, le faux Juve affirmait :

– La lettre existe. Au surplus, si elle n’existait pas, la situation serait la même.

– Je ne comprends pas, je ne comprends pas, balbutia M me Granjeard, qui, effondrée dans un fauteuil, se comprimait la tête dans les mains.

– C’est bien simple, pourtant, reprit Fantômas, et je m’en vais préciser pour vous, madame. Voilà la situation. Une première fois, lorsque vous étiez sous les verrous, vous accusez la maîtresse de votre fils d’avoir été l’instigatrice du crime. Pourquoi ? Parce que le testament de Didier fait de cette Blanche Perrier sa légataire universelle. L’argument est si probant, d’ailleurs, que le magistrat vous libère immédiatement. Bien. Je continue. Vous avez peur que le magistrat ne s’aperçoive que le testament que vous avez invoqué pour accuser Blanche Perrier est en réalité un testament faux, c’est ce qui arrive, mais vous avez prévu le cas. Et, dès lors, vous venez dire : « Eu égard aux enquêtes postérieures qui ont été faites, aux suppléments d’information que nous avons recueillis, nous basant sur l’affaire du chariot, nous estimons que le coupable, l’auteur du meurtre de Didier, est un étrange mendiant, un simulateur d’infirmités, un homme suspect enfin, le journaliste Jérôme Fandor ». Moi, Juve, j’interviens à ce moment et je vous objecte que cette version a un inconvénient, c’est que Jérôme Fandor, qui habite à côté de Blanche Perrier, trouvera auprès d’elle tous les alibis nécessaires, qu’il soit coupable ou innocent. Je continue. À peine ai-je soulevé devant vous ces hypothèses, à peine vous ai-je fait toucher du doigt cette question délicate, que Blanche Perrier meurt assassinée. Qu’est-ce que je dois donc conclure en bonne logique ? c’est que, excusez-moi de ne pas vous mâcher les mots, pour compromettre plus sûrement Fandor et lui enlever le seul témoin qui l’innocente, vous avez fait assassiner Blanche Perrier.

M me Granjeard, qui, à grand peine, se condamnait au silence pendant que parlait le faux policier, ne put contenir plus longtemps son indignation :

– Mais, hurla-t-elle, c’est épouvantable ce que vous racontez-là. Ce que vous imaginez, car nous ne sommes pour rien dans ces affreuses combinaisons.

Elle s’arrêtait. Le faux Juve avait fait un signe de la main et d’un ton très calme, il reprenait :

– Je ne veux pas me demander, Madame, si, dans la famille Granjeard, il est ou non quelqu’un de coupable, je vous signale simplement l’opinion qui se forme, qui se précise à votre égard et je vous préviens des risques que vous courez. Si les juges raisonnent comme je viens de le faire, vous aurez bien du mal, les uns et les autres, à vous sortir d’affaire.

Ce n’était ni M me Granjeard ni Paul Granjeard qui pouvaient protester.

La mère, en effet, était sans cesse retenue, paralysée par cette pensée que c’était son fils, Paul, qui avait tué Didier et, d’autre part, Paul avait acquis, croyait-il du moins, la certitude absolue que le meurtrier de son frère n’était autre que celle qui lui avait donné le jour.

La mère et le fils se tordaient les bras, absolument désespérés, convaincus que, d’un instant à l’autre, Juve allait leur annoncer qu’u était venu les voir, officiellement, de la part de la justice, et qu’il allait à nouveau procéder à leur arrestation.

Robert Granjeard semblait, lui aussi, désolé. Il était plongé dans les plus sombres réflexions, assis dans un angle de la pièce, le visage dissimulé derrière ses mains.

Le faux Juve, estimant que ces gens étaient au paroxysme de l’émotion, insinua alors :

– Il n’y aurait pour vous qu’un moyen de vous tirer d’affaire et ce moyen je vous l’apporte.

Les trois Granjeard, avec surprise et espoir, considéraient l’imposteur. Celui-ci poursuivit :

– Pour vous innocenter il faut un coupable. Or, ceux sur lesquels, jusqu’à présent, vous avez jeté vos vues vous ont échappé d’une façon ou d’une autre. Il en reste un, c’est Fandor, et Fandor est disposé à assumer, dans une certaine mesure, la lourde responsabilité dont il vous déchargerait. Il veut bien disparaître. Il veut bien partir, sa fuite l’accusera. Y consentez-vous ?

Le policier ne précisait pas, n’achevait pas autrement sa phrase, mais elle avait néanmoins un sens très net, les Granjeard ne s’y trompèrent pas.

Paul et sa mère demandèrent ensemble, catégoriquement, en gens habitués à traiter avec précision les affaires de toute nature :

– Combien ?

Sans hésitation, Fantômas répliqua :

– Cette fois, pas moins d’un million !

Il y eut un instant de silence. M me Granjeard était devenue toute pâle, Paul Granjeard laissait échapper un profond soupir :

– Écoutez, Monsieur…, commença-t-il.

– Ne discutons pas, je vous en prie, fit-il, je me fais là, bénévolement, l’intermédiaire d’une cause excessivement délicate à plaider. J’agis dans votre intérêt. Personnellement je n’en tire aucun avantage, je n’ai qu’une chose à vous dire : c’est un million ou l’arrestation, un million tout de suite.

M me Granjeard attira Juve à part, elle s’approcha avec lui de la fenêtre :

– Monsieur, demanda-t-elle en étouffant le son de sa voix, sur tout ce que vous avez de plus sacré, jurez-moi que vous m’avez dit la vérité lorsque vous avez accusé mon fils Paul.

Imperturbable et cynique, Fantômas répondit :

– Je vous le confirme, Madame, c’est votre fils Paul qui a tué Didier.

– C’est bien, monsieur, dit M me Granjeard. Je veux que cette affaire-là s’arrange, qu’elle s’arrange à tout prix, vous aurez cet argent, monsieur, je m’en occupe immédiatement.

M me Granjeard fit signe à son fils Robert, de quitter la pièce, Paul Granjeard restait en tête à tête avec le faux policier :

– Que vous a dit ma mère ? interrogea Paul d’un ton plein d’anxiété.

Fantômas n’en n’était pas à un mensonge près :

– M me Granjeard parle de se tuer, elle est affolée à l’idée que, peut-être, on va s’apercevoir, découvrir que c’est elle qui, dans un moment de folie a frappé mortellement votre frère Didier et elle veut que je paie ce qu’il faut pour acheter les silences, pour désorienter la Justice.

– Ah Monsieur, murmura Paul Granjeard, faites cela, je vous en conjure. Merci. Merci.

Paul Granjeard, à son tour, s’éclipsa, mais il revint au bout d’un instant, d’un geste suppliant, il s’adressa à Juve :

– Monsieur, fit-il, le temps de réaliser la somme importante qu’il faut et elle est à votre disposition.

Fantômas fronça le sourcil :

– Ne pouvez-vous pas la donner aujourd’hui ?

– Demain seulement, fit Paul Granjeard inquiet, mais demain, je vous le jure. Viendrez-vous la chercher ?

Le bandit réfléchissait, il était perplexe, ennuyé :

– Demain, fit-il, c’est bien long. J’aurais préféré… j’ai peur pour vous.

Mais, Fantômas comprenait que les Granjeard réellement n’avaient pas l’argent disponible et que, par conséquent, il serait parfaitement inutile d’insister, il accepta :

– Toutefois, fit-il, nous ne savons pas si nous ne sommes pas surveillés les uns et les autres, il importe de détourner les soupçons : voulez-vous, nous nous verrons ailleurs que dans votre domicile ? Demain, précisément, je fais une filature aux environs de Montrouge, voulez-vous que nous nous rencontrions à huit heures pour dîner au restaurant de L’Épervier, rue Froidevaux, derrière le cimetière Montparnasse ? Ma présence, dans ce lieu ne surprendra personne, et la vôtre passera inaperçue.

Les deux hommes prenaient rendez-vous pour le lendemain à huit heures au restaurant de L’Épervier.

***

– À qui ai-je l’honneur de parler ?

M. Havard, directeur de la Sûreté, venait de poser cette question à un homme d’une trentaine d’années, correct, distingué, tout vêtu de noir et qui avait demandé à être introduit auprès de lui pour une affaire importante, disait-il, et de la plus grande urgence.

Conformément à son habitude, M. Havard qui tenait toujours à faire le plus de choses possibles par lui-même avait reçu l’inconnu, et maintenant qu’il se trouvait en tête à tête avec lui, dans son cabinet, où le visiteur n’avait pas à craindre d’indiscrétions, le chef de la Sûreté l’invitait à se nommer.

L’inconnu obéit :

– Je suis, déclara-t-il, Monsieur Robert Granjeard.

M. Havard hocha la tête avec un geste poli, n’ayant pas l’air du tout de se souvenir de ce nom qui, depuis quelque temps avait défrayé la chronique judiciaire de tous les journaux et provoqué les commentaires les plus divers et les plus variés.

– De quoi s’agit-il, Monsieur Robert Granjeard ? demanda le chef de la Sûreté.

– Eh bien voilà, fit le jeune homme : ma famille, monsieur, est la victime d’un chantage, d’un odieux chantage qu’on exerce contre elle, actuellement, et dont il faut que nous sortions à tout prix. Ma mère est affolée depuis la mort de mon frère Didier. Mon frère Paul a des hésitations incompréhensibles. Moi seul conserve un peu de sang-froid dans cette affaire. C’est pour cela que je viens vous parler.

M. Havard, habitué aux confidences les plus étranges, aux révélations les plus extraordinaires, ne se troublait pas :

– Monsieur, fit-il d’une voix aimable et pour mettre son interlocuteur à son aise, je vais vous demander de procéder avec netteté et méthode dans ce que vous allez me raconter. S’agit-il, d’abord, d’un chantage effectué ou d’une tentative de chantage ?

– D’une tentative, monsieur, seulement.

– Bien, murmura le chef de la Sûreté, rien n’est encore perdu. Maintenant, poursuivit-il, veuillez me raconter votre histoire par le commencement et me dire par suite de quelles circonstances vous avez été atteint par ces menaces et pourquoi votre frère et votre mère ne paraissent pas aussi nettement disposés que vous à les écarter ?

– Ça, je n’en sais rien, fit Robert Granjeard, répondant à la dernière question.

Et il ajoutait :

– Vous verrez vous-même. Monsieur le chef de la Sûreté quels sont les mobiles que vous devez attribuer à leurs hésitations.

Robert Granjeard, alors, raconta à M. Havard tout ce qu’il savait de l’extraordinaire et dramatique aventure, survenue depuis la mort de leur père : l’assassinat de Didier, l’arrestation de son frère et de sa mère, le faux testament, l’inculpation morale de Jérôme Fandor et le meurtre, enfin, de Blanche Perrier.

Puis, Robert Granjeard en vint aux entretiens que sa famille avait eus avec la personne qui, dans toutes ces affaires semblait les avoir guidés :

– Ce qu’il y a de plus extraordinaire, déclara-t-il, c’est que cette affaire a été menée par l’un des hommes qui jouit assurément de la réputation de probité la plus grande et dont le nom même est synonyme, de conscience, honneur et de devoir. Je sais cela, je me le suis répété chaque jour et malgré mes efforts, je suis obligé de convenir aujourd’hui que j’ai été aveuglé, aveuglé volontairement plus qu’on ne peut l’être et que ce grand honnête homme à qui nous avons, comme bien d’autres, accordé notre confiance, n’est qu’un effroyable maître chanteur.

– Mais de qui voulez-vous parler ?

– Je veux parler de Juve.

Havard haussa les épaules. Mais Robert Granjeard tenait à son idée :

– Tout ce que je vous ai raconté, fit-il, tous les propos que je vous ai rapportés, les demandes qui nous ont été faites, tout cela émane de Juve, c’est Juve qui est venu, que j’ai vu comme je vous vois, que j’ai entendu comme je vous entends.

– Mais Monsieur, tout cela me paraît bien invraisemblable et je crois que le plus simple serait, puisque vous prétendez être en relations avec Juve, que vous nous ménagiez un rendez-vous, afin que nous puissions causer de cela tous les trois.

– Non, Monsieur, fit-il, il ne faut pas d’un rendez-vous privé, d’une entente préalable. D’ailleurs, nous avons promis à Juve, du moins mon frère et ma mère ont promis à Juve de garder sur ces incidents le plus grand secret. Juve trouverait moyen de nous duper encore et c’est moi qui aurais l’air d’un imposteur. Écoutez, Monsieur, il n’y a qu’un moyen de procéder lorsqu’on a affaire à des gens aussi redoutables et aussi habiles, c’est de les prendre sur le fait, la main dans le sac. Rendez-moi un service, un grand service ? sauvez-nous.

– Qu’entendez-vous par là ? fit M. Havard…

– J’entends, précisa Robert Granjeard d’abord, que vous ne souffliez mot de cet entretien à personne et qu’ensuite vous alliez demain soir au rendez-vous que nous a assigné Juve, le maître chanteur, nous aurons le million qu’il a demandé, ce million, nous le lui remettrons et alors, à ce moment, j’espère que vous serez convaincu. Nous devons nous réunir demain soir à huit heures au restaurant de L’Épervier, 32, rue Froidevaux.

« À ce moment, monsieur, j’espère que nous mettrons la main au collet du maître chanteur.

Le chef de la Sûreté avait compris évidemment que c’était un imposteur qui s’était donné aux Granjeard comme étant Juve. Mais quel était cet imposteur ? c’est ce qu’il s’agissait d’élucider.

Une heure après, Robert Granjeard avait regagné Saint-Denis :

– D’où viens-tu ? lui demanda sa mère.

Le jeune homme ne savait pas mentir, au surplus, l’acte qu’il venait de commettre était pour lui un soulagement. Il éprouva une extrême satisfaction à raconter :

– Je viens, dit-il, d’avoir le courage de faire ce qui devrait être déjà fait depuis quelques jours. J’ai été à la Préfecture de police, j’ai vu M. Havard, directeur de la Sûreté et je lui ai dénoncé son inspecteur Juve comme étant un infâme maître chanteur. J’ai la conviction maintenant que, demain soir, ce policier sera arrêté. Voilà ce que j’ai fait.


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