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La guêpe rouge (Красная оса)
  • Текст добавлен: 4 октября 2016, 03:51

Текст книги "La guêpe rouge (Красная оса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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En vain Sarah l’avait-elle questionné. Dick l’avait suppliée de se taire, de ne pas lui poser une seule question avant qu’ils ne fussent arrivés chez lui, où ils pourraient s’entretenir sans risque d’être entendus.

Longtemps, Sarah Gordon s’était contenue ; elle avait obtempéré au désir de Dick, s’était abstenue de prononcer une seule parole pendant toute la durée du trajet.

Mais désormais, Dick lui avait annoncé lui-même que l’heure des explications avait sonné.

– Pourquoi, demanda Sarah frémissante, pourquoi cette sinistre comédie ? D’où vient, Dick, que vous portez le vêtement de Fantômas ?

– Je ne puis vous fournir encore de renseignements à ce sujet, croyez-moi, Sarah.

– N’essayez pas de nier, Dick, s’écria Sarah de sa voix sifflante. Je vous ai surpris cette fois alors que vous alliez voir, dans cette villa mystérieuse, la femme que vous aimiez, que vous aimez encore et pour laquelle vous m’avez sacrifiée.

– De quelle femme voulez-vous parler ? interrogea-t-il.

– D’Hélène.

– Sur tout ce que j’ai de plus sacré, déclara Dick solennellement, je vous jure, Sarah, que je n’ai jamais eu et que je n’aurai jamais le moindre amour pour cette femme. J’ai dû vous le faire croire jusqu’à présent, j’ai fait ce mensonge indigne de vous et de moi, pour vous empêcher de partir pour l’Amérique, pour vous obliger à rester en France où je devais moi-même rester. Mais désormais je ne suis plus lié par le secret qui m’obligeait à vous mentir. Pardonnez-moi, Sarah, d’avoir torturé votre cœur en y semant le poison de la jalousie. Pardonnez-moi de vous avoir fait mal, jamais, au grand jamais, je n’ai été l’amant de la fille de Fantômas !

– Qu’alliez-vous faire alors dans cette maison de Ville-d’Avray, déguisé en Fantômas ? Vous alliez y voir quelqu’un, une femme, cette femme qui apparaît si mystérieusement, vêtue de blanc, et dont la chevelure…

– Vous l’avez vue, vous aussi, n’est-ce pas ? interrogea-t-il. Elle existe donc, cette femme. Vit-elle alors ? N’est-ce pas une illusion, un rêve que j’ai eu ? Un cauchemar ?

– Je l’ai vue, naturellement, Dick, comme vous l’avez vue peut-être, comme je vous vois en ce moment.

L’acteur s’écroula sur un fauteuil.

Puis il se traîna à genoux vers Sarah, d’une voix suppliante, joignant, les mains qu’il levait vers l’Américaine, il balbutia :

– Mais qui est-ce ? Au nom du ciel, Sarah, dites-le-moi. L’avez-vous reconnue ? La connaissez-vous ?

– Je ne connais pas cette femme, mais je suppose que ce doit être la fille de Fantômas qui se dissimule sous ce déguisement.

– Ah mon Dieu, vous devez avoir raison, Sarah ! Oui, si cela était vrai, ce serait l’explication. La fille de Fantômas cachée sous ce déguisement, parbleu, c’est certain.

Sarah Gordon, de plus en plus perplexe, interrogea encore :

– Dick, Dick, je vous en prie, changez d’attitude, ne parlez pas par énigmes ! Expliquez-moi le fond de votre pensée. Que signifient vos inquiétudes et vos joies, ces phrases entrecoupées ?

Dick ne semblait pas entendre les supplications de Sarah Gordon et désormais, d’une voix sépulcrale, comme s’il pensait tout haut, il affirma :

– L’apparition blanche, la fille de Fantômas, oui, ça ne peut être qu’elle. C’est elle assurément. Les morts ne reviennent pas.

– Dick, Dick, de grâce, expliquez-vous !

Alors l’acteur parut faire un effort surhumain, il épongea son front trempé de sueur, puis, s’asseyant en face de Sarah Gordon, d’une voix qu’il voulait rendre calme et posée, il commença :

– Écoutez-moi bien, Sarah, c’est un aveu effroyable que je vais vous faire. Vous voulez tout savoir. Soyez satisfaite : il y a quelque temps de cela, un mois, non, trois semaines à peine, moi, Dick, qui vous aime, moi l’honnête homme que vous avez toujours connu, eh bien…

L’acteur paraissait ne pas pouvoir continuer, sa gorge se serrait, il balbutiait des mots inintelligibles, des sons rauques s’échappaient de ses lèvres. Sarah Gordon, émue, effleura le front de Dick d’un baiser.

Dick tressaillit à ce délicieux contact, il recula.

Puis, comme si le baiser de Sarah lui eût donné du courage, il poursuivit, les yeux baissés, la voix haletante :

– Sarah, je dois vous l’avouer, moi, Dick, l’honnête homme, j’ai tué.

12 – LE PACTE EST ROMPU

M. Fuselier, qui travaillait à son bureau, jetant de temps à autre un regard anxieux à sa montre placée devant lui, leva la tête en entendant frapper à la porte de son cabinet.

– Entrez !

La porte s’ouvrit. Juve parut :

– Monsieur Fuselier, à vos ordres. Excusez-moi du retard. Votre dépêche m’a trouvé au lit.

– Vous étiez au lit, Juve ? En voilà un paresseux !

– Je réfléchissais, j’aime beaucoup réfléchir au lit, on y a toujours les idées nettes.

Juve parlait sérieusement. M. Fuselier qui venait de plaisanter se fit sérieux lui aussi :

– En effet, répondait-il, vous n’aviez peut-être pas tort de réfléchir. Plus je vais, plus j’étudie le terrible dossier de Fantômas et plus je m’effare de sa complexité. Je me demande presque si jamais je le tirerai au clair. Dites-moi, mon cher ami, avez-vous deviné pourquoi je vous ai demandé d’urgence ?

– Ma foi non. Vous désirez un renseignement sans doute ?

M. Fuselier interrompit Juve d’un geste de la main :

– Je vous ai fait demander, parce que je désire que vous assistiez à une entrevue qui va avoir lieu dans quelques instants. Lisez ceci.

Parmi les papiers épars de son grand bureau, M. Fuselier choisit une lettre qu’il tendit à Juve. Elle était recouverte d’une grande écriture intelligente, imaginative, elle était courte et sèche.

Juve y avait à peine jeté les yeux qu’il tressaillit puis il la lut à haute voix :

Monsieur Germain Fuselier, était-il écrit, je vous prie de bien vouloir m’entendre demain matin sans faute, j’aurais une plainte grave à déposer entre vos mains, une réclamation à faire valoir auprès de votre impartialité.

La lettre était signée :

Fantômas.

– Eh bien, demanda le policier, que pensez-vous de ceci ?

– J’allais vous poser la même question, répondit le juge.

– Non, je vous dirai mon sentiment après. Confiez-moi le vôtre, monsieur Fuselier.

Le magistrat, à cette question précise, toussa deux fois afin de prendre le temps de quelques réflexions, puis se décida :

– Vous voulez connaître mon sentiment, Juve, eh bien voilà : Fantômas commence à souffrir de la détention, de la captivité. Dans ma longue carrière de magistrat, j’ai pu constater que tous les grands criminels, au bout d’un certain temps d’emprisonnement, éprouvent un étrange et subit besoin de s’entretenir avec le magistrat instruisant leur affaire. Ils invoquent alors les prétextes les plus futiles, ils se plaignent de ceci ou de cela, toujours quand cette nervosité spéciale les atteint, ils finissent par en arriver aux confidences et aux aveux. Fantômas veut me voir, j’imagine que Fantômas va parler… Ma foi, interrogeait-il, vous n’avez pas l’air de me croire ?

– Je suis persuadé que vous vous trompez.

– Parce que ?

– Parce que Fantômas n’est pas un criminel ordinaire et que je donnerais ma tête à couper qu’il ne parlera pas. Il y a autre chose.

– Quoi ?

– Je ne sais pas. Autre chose, voilà tout. Avec Fantômas il faut s’attendre à tout. Vous l’avez fait extraire de sa cellule ?

– Oui, il est là. Il m’attend, voulez-vous que nous l’entendions ?

– Assurément.

– Eh bien, ordonnez qu’on introduise Fantômas.

Trois minutes plus tard, Fantômas apparaissait, hautain, sombre, impénétrable comme à l’ordinaire, marchant avec une superbe attitude d’arrogance, entre les deux gardes municipaux.

En entrant dans le cabinet de Germain Fuselier, il salua le magistrat d’un signe de tête avec une correction parfaite, puis haussant les épaules, il eut un sourire protecteur à l’adresse de Juve.

– Vous êtes trop aimable, dit-il. J’avais demandé à déposer entre vos mains une plainte, mais je n’avais pas exigé que la personne dont je me plains fût présente.

– Est-ce donc de moi que vous désirez vous plaindre, Fantômas ? demanda Juve.

– De vous, oui, Juve. Mais pas de vous seul.

– De qui donc d’autre ?

– Vous permettez que je prenne un siège ? répondit le bandit, parfaitement à son aise.

– Oui.

– Merci. Eh bien, messieurs, j’ai en effet à me plaindre, à me plaindre de Juve, de ses collègues, du procureur de la République, de la magistrature, de la police. Mais je désirerais ne parler qu’en présence de mon avocat, le bâtonnier M e Faramont, contre qui j’ai aussi, monsieur le juge, quelques reproches à formuler.

Le policier se pencha vers le juge :

– Il faut lui donner satisfaction, murmura Juve. M e Faramont est-il prévenu ? Il devrait être ici.

Au moment même, l’huissier passait la carte de l’avocat au magistrat.

– Faites entrer M e Faramont.

Les salutations s’échangèrent, puis Fantômas reprit la parole.

– Messieurs, déclarait le bandit, vous êtes un peu mes juges, et par conséquent je sollicite de vous une impartialité absolue. Veuillez donc me promettre de m’écouter sans m’interrompre.

Fantômas parlait avec une si grande assurance, une autorité si tranquille, que Juve, tout comme M e Faramont, tout comme M. Fuselier lui-même, en frémit. Où voulait donc en venir l’extraordinaire bandit qu’ils avaient devant eux ?

– Parlez, Fantômas, commanda Fuselier. Nous vous écoutons.

Fantômas se croisa les bras :

– Messieurs, je suis ici pour accuser et pour menacer. Encore une fois, j’attire toute votre attention sur les paroles que je vais prononcer. Voici quinze jours, ou presque, que je suis emprisonné, j’ai eu le temps de réfléchir, je ne parle pas à la légère, je sais ce que je dis, et dis ce que je sais… Juve, je vous accuse, je vous accuse de lâcheté et de négligence. Ne me répondez pas, voici des explications. Juve, il y a quinze jours, j’étais parfaitement libre, prêt à la lutte, prêt à vous combattre, à vous vaincre, peut-être. Mais il y a quinze jours, Juve, j’étais aussi terriblement angoissé par le chagrin que me causait la mort de ma malheureuse maîtresse, lady Beltham. Ce jour-là, Juve, je me suis livré, je me suis remis en vos mains, je vous ai dit : « Prenez-moi, mais vengez-moi. Jetez-moi en prison, mais découvrez l’assassin de lady Beltham. » Juve, j’ai passé un marché avec vous, un marché que vous avez accepté. J’ai payé vos services, dont j’avais besoin, de ma liberté. Juve, depuis quinze jours, qu’avez-vous fait ? Rien ! Qu’avez-vous retrouvé ? Personne. Qui soupçonnez-vous ? Personne encore. Juve, j’en appelle à votre honnêteté en laquelle je crois. Soupçonnez-vous, à l’heure actuelle, comment est morte lady Beltham ? Avez-vous fait avancer d’un pas cette enquête que je paierai peut-être un jour de ma vie ? Avez-vous tenu le pacte qui était convenu entre nous ? Je suis prisonnier, Juve, pour que vous soyez policier et policier à mon service. Alors, rendez-moi vos comptes, faites votre rapport. Car de deux choses l’une : ou vous devez vous occuper de venger lady Beltham, ou moi je renoncerai à vous employer, et j’irai moi-même m’occuper de mes propres affaires.

Fantômas se tut, mais il jeta un regard foudroyant à Juve. Véritablement le bandit était beau, il dominait de superbe façon le policier qui, de son côté, avait pâli, se mordait les lèvres au sang.

– Répondez, commanda Fantômas.

Germain Fuselier tressaillit, regarda M e Faramont qui paraissait ahuri, regarda Juve très pâle, presque tremblant.

– Je crois, commença-t-il…

Mais Fantômas l’interrompit :

– Monsieur le juge, osa ordonner le bandit, il vous faut faire silence ici. Le drame qui se joue doit mériter votre indifférence, sinon votre sympathie. J’ai proposé ma tête à Juve pour qu’il découvre l’assassin de lady Beltham, j’ai payé honnêtement, qu’il s’acquitte honnêtement. Que savez-vous, Juve ?

Juve, à cet instant, se leva. Lui aussi éprouvait un secret besoin d’être debout, libre de ses mouvements, de ses gestes, pour répondre à Fantômas.

Ah, sans doute, elle était inconcevable, inouïe, fantastique, l’audace du Maître de l’Épouvante, qui, tout prisonnier qu’il était, l’accusait, exigeait des comptes !

Un autre que Juve se fût contenté de lui répondre par un haussement d’épaules. Mais cela, cela que d’autres eussent pensé, le grand honnête homme que Juve était, ne pouvait l’admettre. À cette heure, il souffrait terriblement, le bon Juve ! Il songeait que Fantômas disait vrai, il songeait que Fantômas avait payé de sa liberté la vengeance dont il l’avait chargé. Et c’est sous le poids d’un terrible scrupule que Juve tremblait : J’ai accepté la tête de cet homme, se disait-il, je suis son débiteur.

– Allons, parlez, répéta Fantômas, toisant le policier. Que savez-vous ?

– Rien ! hurla Juve. Je ne sais rien ! Les drames se multiplient. Les mystères s’enchevêtrent. Vous êtes prisonnier, Fantômas, et pourtant il semble que votre néfaste toute-puissance s’emploie encore à bouleverser ma vie, à bouleverser la vie de tous ceux qui, de loin ou de près, ont pu se trouver sur votre route. Je vous ai promis de venger la mort de lady Beltham. Soit, je ne le nie pas. Je suis prêt à vous refaire cette promesse, mais vous exigez trop tôt des résultats définitifs pour une enquête trop complexe. Vous vivez encore, Fantômas, votre procès n’est pas près de s’achever, vous saurez avant de monter à la guillotine, que lady Beltham sera vengée.

Mais Fantômas venait de se laisser tomber négligemment sur une chaise et avait éclaté de rire.

Le bandit rit longtemps, d’un petit rire ironique, étouffé, sarcastique :

– Mon pauvre Juve, déclara-t-il enfin, accentuant le ton dédaigneux de ses paroles, vous déraisonnez complètement. Vous me parlez de guillotine, vous me promettez que quelque jour vous souscrirez à la dette que je vous signalais tout à l’heure, mais, mon pauvre Juve, ne sentez-vous pas que vous agissez en ce moment comme un débiteur insolvable ? Comment, derrière vous, policier, il y a toute la police. Derrière vous, monsieur le juge, il y a toute la magistrature. Et il vous faut me demander à moi, à moi qui suis dans vos mains, que vous avez fait jeter dans vos prisons, termes et délais ? Allons donc. Vous imaginez-vous véritablement que je vais m’en rapporter à votre fantaisie, que je vais vous laisser le temps de vous acquitter ?

– Assez, hurla le juge, taisez-vous, vous n’êtes pas ici pour nous menacer ! Juve fera ce que bon lui semble et vous n’avez pas d’ordres à lui donner. Vous êtes un bandit, vous êtes le Roi du Crime, et vous expierez quand la Société aura fait la lumière sur vos crimes.

Mais Fantômas haussa les épaules :

– Je n’expierai pas, déclara-t-il, catégorique.

– Vous prétendez échapper au châtiment ?

Fantômas se leva, il marcha jusqu’au bureau du juge, il regarda fort sérieusement le magistrat, puis dédaigneusement, il dit :

– Monsieur Fuselier, entendez-moi bien : il m’a plu, il y a quinze jours, de tenter une expérience. Juve et vous, vous représentez les honnêtes gens. Le magistrat et le policier, vous êtes faits pour vous donner la main. Je me suis donc livré à vous, je vous ai dit : « Prenez-moi et vengez-moi. » Vous m’avez pris, parbleu, mais vous ne me vengez point. Eh bien, tant pis pour vous. Votre honnêteté vient de faire faillite, le pacte fait, je le romps. Je ne suis plus votre prisonnier.

– Vous n’êtes plus mon prisonnier ?

– Non.

– Que voulez-vous dire ?

– Vous le comprendrez plus tard.

– Avez-vous quelque chose à ajouter ? demanda M. Fuselier.

– Absolument rien, je tenais à vous prévenir. Faites-moi reconduire au cachot.

– Pas encore.

Aux derniers mots du bandit, le magistrat s’était levé et il souffla quelque chose à l’oreille de Juve, puis glissa un ordre à un homme.

Quelques instants plus tard, une jeune femme, qui n’était autre que Sarah Gordon, fit son apparition dans le cabinet du juge.

– Madame, demanda le magistrat, madame, reconnaissez-vous cet homme ?

Il montrait Fantômas à Sarah.

Sarah contempla Fantômas et, sans doute, l’Américaine eut peur d’avouer qu’elle reconnaissait parfaitement le Maître de l’Effroi, à qui elle avait eu si tragiquement affaire à Enghien, car elle répliqua faiblement :

– Non, monsieur, je ne connais point cet homme.

– Alors vous n’avez pas vu Fantômas à Ville-d’Avray, madame ?

– Non, monsieur, affirma Sarah, je n’ai pas vu cet homme.

– Vous avez dû le voir en cagoule, madame. Vous l’avez vu en manteau noir, mais vous n’avez pu distinguer ses traits, sans doute ?

Sarah Gordon, trop émue, ne répondit pas. Quant à Fantômas, il ne connaissait rien des affaires de Ville-d’Avray, et il se demandait naturellement à quoi le magistrat faisait allusion.

Seul, M e Faramont souriait, satisfait, semblait-il. Quant à Sarah Gordon, frémissante, elle paraissait tituber de vertige, émue au plus haut point.

Germain Fuselier voulut interrompre cette scène.

– Madame, je vous remercie, déclarait-il, vous pouvez vous retirer. Toutefois j’aurai peut-être à vous entendre à nouveau et, par conséquent, je vous prie de vous tenir à ma disposition.

Sarah Gordon partie, M. Fuselier ordonna :

– Gardes, reconduisez le prisonnier, l’interrogatoire est terminé.

Mais Fantômas, tandis que les gardes l’entraînaient, lui jeta :

– Monsieur le juge, je ne suis plus prisonnier.

***

Dix minutes plus tard, dans le cabinet du magistrat, une discussion animée avait lieu entre M. Fuselier, Juve et M e Faramont.

Les trois hommes n’étaient pas d’accord.

– Messieurs, déclarait le bâtonnier d’un petit ton tranquille, j’imagine que maintenant, vous êtes de mon avis. Nous tenons enfin une certitude, et une certitude intéressante. M me Sarah Gordon a certainement vu Fantômas à Ville-d’Avray et ne reconnaît pas Fantômas, alors qu’il est en prison. Donc, le Fantômas qui est en prison est un faux Fantômas. Autrement dit, ce n’est pas Fantômas.

– Permettez ?

– De plus, monsieur Juve lui-même, poursuivait l’avocat, est obligé de constater que, bien que Fantômas soit incarcéré, semble-t-il, les événements les plus étranges, les plus mystérieux phénomènes continuent à se produire. Les affaires de Ville-d’Avray viennent donc à l’appui de ma thèse, elles prouvent que mon client n’est pas Fantômas.

– Mais, bon Dieu, jura le policier, donnant enfin libre cours à son énervement, mais, bon Dieu, vous ne songez pas à ce que vous dites, maître Faramont ! C’est bien de Fantômas qu’il s’agit, puisque lui-même, lui-même, entendez-vous, reconnaît qu’il s’est livré.

À ce moment, Fuselier n’écoutait plus. Le juge se répétait cette question :

– Pourquoi Fantômas vient-il de dire qu’il n’est plus prisonnier ?

***

Ce même soir, une heure plus tard, Fantômas était conduit par ses gardiens dans le préau de la Santé pour la promenade habituelle.

Or, à peine Fantômas était-il arrivé dans le préau, qu’un autre détenu qui était le Gréviste s’approchait de lui :

– Quand ? demanda l’homme.

– Aujourd’hui.

– Le plus vite possible, alors ?

– Tout à l’heure, si tu le peux.

– C’est bien, ce sera fait dans cinq minutes, et je te promets, Fantômas, qu’il n’y aura rien à reprendre à mes dispositions.

– Bien, merci. Fais vite alors.

– Dans cinq minutes, je te dis. Fantômas, tu trouveras le moyen d’être près de la fontaine au moment où le gardien 113 fera la distribution de gobelets.

– Près de la fontaine, répéta Fantômas, ou contre ?

– Près, sapristi.

– Bien.

Le front du bandit avait repris sa sérénité. Le Gréviste et lui n’échangèrent pas un mot de plus. Or, moins de quatre minutes plus tard, un double coup de sifflet retentissait dans la cour. Un gardien venait de s’approcher d’une sorte de fontaine dressée au fond du préau. Il tenait attachés par une chaîne une grande quantité de petits gobelets qu’il distribuait aux détenus qui s’approchaient l’un après l’autre, c’était là ce que l’on appelait la distribution de cantine, ces gobelets étaient pris par les détenus qui avaient demandé à s’acheter un peu de vin sur les fonds amassés par leur travail dans les ateliers de la prison.

Fantômas s’approcha du gardien qui faisait la distribution de ces gobelets. Il ne s’appuya pas, d’ailleurs, à la fontaine.

– Voici l’instant, murmurait Fantômas.

Quelques secondes plus tard, Fantômas s’exclamait :

– Diable, c’est le gardien 113 qui est là. Celui que le Gréviste ne peut pas souffrir. Oh ! oh !

Un nouveau coup de sifflet troua l’air. Les détenus, parmi lesquels se trouvait le Gréviste, se mirent en rang et, sous la conduite des gardiens, se dirigèrent vers les ateliers d’imprimerie situés au premier étage de la prison en bordure du préau.

Fantômas ne sourcilla pas. Il se recula un peu, et parut même plier les jarrets comme s’il se fût apprêté à bondir.

Dans la cour, les autres brigades des détenus continuaient à se promener. Tous ne sortaient pas en même temps. Tous ne rentraient donc pas à la même minute.

La distribution des gobelets d’ailleurs n’était pas achevée.

Quelques minutes passèrent.

Et puis soudain, à l’improviste, au milieu d’un grand vacarme, un événement extraordinaire survint. Juste au-dessus de la fontaine, une grêle de pierres, de moellons, de briques s’abattit avec fracas. Puis, comme dans un éclair de pensées, en une fraction de seconde, une énorme masse noire, une pesante machine d’imprimerie, balancée par une combinaison de courroies, creva la muraille du premier étage, tomba sur le préau, enfonça la toiture, démolit un mur et roula sur le sol.

À l’instant même où la machine crevait la muraille et roulait dans l’espace, avec une folle témérité, Fantômas s’était élancé.

Repoussant devant lui ceux qui gênaient ses mouvements, il avait bondi jusqu’au gardien adossé à la fontaine qui allait immanquablement être écrasé sous le poids de la machine qui s’affalait.

Et Fantômas alors, saisissant cet homme d’une poigne puissante, l’agrippait au collet et au bras ; le rejetant en arrière, il l’arrachait à la mort et roulait avec lui parmi les décombres sur le sol du préau.

Dans la cour, des hurlements d’effroi retentirent.

La sonnette d’alarme se fit entendre. Lés gardiens accoururent de toute part. Les condamnés et les détenus se reculaient au fond du préau. Fantômas, seul, demeurait en avant, inerte eût-on cru, près du gardien qu’il venait de sauver.

Alors, dans le brouhaha, des ordres éclatèrent. Le directeur de la prison accouru avec tous les gardiens-chefs, tous les surveillants, se multipliait. En un instant, les détenus stupéfaits furent réintégrés dans leur cellule. Dans la cour vide, seuls les gardiens demeuraient en compagnie du directeur de la prison, homme de sang-froid, fort intelligent.

Il commença par inspecter les lieux, par examiner la machine affalée sur le sol, brisée en mille morceaux, puis, la toiture du préau, le mur enfin, dans lequel une large brèche avait été creusée :

– Tout cela est réparable, déclarait le directeur de la prison, et vraiment il faut se féliciter qu’il n’y ait que des dommages matériels, c’est miracle qu’il n’y ait pas eu d’accident de personnes. Enfin, nous allons ouvrir une enquête et savoir exactement les causes de cet extraordinaire accident. Au fait, où est le surveillant-chef ?

– Me voici, monsieur le directeur.

– Bien ! Mon ami, vous allez vous rendre immédiatement chez les maçons chargés de l’entreprise de la prison et vous demanderez des ouvriers d’urgence. Pour la toiture, ce n’est pas pressé. Mais j’entends que demain au plus tard, ce mur soit refait. Évidemment, il n’y a pas de danger d’évasion, mais les détenus en descellant les pierres de la muraille pourraient se procurer des projectiles. Allez.

– Bien, monsieur le directeur.

Le directeur de la Santé allait même se retirer fort satisfait, ainsi qu’il venait de le dire, de n’avoir aucune catastrophe grave à déplorer et véritablement émerveillé qu’il n’y ait point eu d’accident de personnes, lorsqu’un gardien haletant accourut jusqu’à lui :

– Monsieur le directeur…

– Oui, quoi donc ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Le gardien avait mis la casquette à la main, il était affreusement pâle.

– Monsieur le directeur, dit-il, ah c’est épouvantable ! En passant l’inspection des détenus, je viens de m’apercevoir… enfin… C’est-à-dire, Fantômas… Fantômas n’est plus dans son cachot.

Les portes de la Santé fermées, une enquête très sévère semblait prouver un quart d’heure plus tard que nul depuis l’accident n’était sorti du préau. Pourtant, Fantômas y avait été vu au moment même de la catastrophe.

Qu’était donc devenu le Génie du Crime ?

13 – LOIN DE LA SANTÉ

Fantômas n’est plus dans son cachot.

Le gardien n’avait pas crié l’extraordinaire nouvelle, qu’à la minute, un affolement nouveau bouleversait tous ceux qui se trouvaient à ce moment autour du directeur de la Santé.

Tout homme de sang-froid qu’il fût, le directeur de la Santé perdait la tête à ce moment.

Il bondit sur le gardien qui se tenait effaré devant lui, il l’empoigna par le collet, et le secouant d’importance :

– Vous êtes fou, qu’est-ce que vous dites ? Fantômas n’est plus dans son cachot ? Eh bien, où est-il alors ? ah ! çà, où est-il ? parlez donc, dites-le !

– Je ne sais pas.

Le pauvre homme n’en put dire davantage, car, sous l’empire de la colère, M. Malherbe, directeur de la Santé, le gratifiait d’une telle bourrade, qu’il allait rouler à quelques pas :

– C’est inimaginable ! C’est impossible ! s’exclama le pauvre directeur en levant les bras au ciel dans un geste désespéré. Il n’a pu sortir, pourtant !

Puis il se précipita comme un fou vers les grandes portes de la prison, redoutant presque de les trouver ouvertes, s’attendant presque à ce que, en dépit des consignes les plus sévères et les plus rigoureuses, Fantômas ait pu s’en aller tranquillement, sans rencontrer le moindre obstacle.

M. Malherbe fut tout de suite rassuré. Les grandes portes étaient closes, le portillon lui-même était fermé.

– Avez-vous vu sortir quelqu’un depuis vingt minutes ? demanda-t-il au concierge.

– Non, monsieur le directeur.

– C’est bien.

M. Malherbe, toujours courant, revint vers le poste-vigie installé à la sortie des préaux, où devaient se trouver trois gardiens suivant les règlements.

– Etiez-vous là au moment de l’accident ?

– Oui, monsieur le directeur.

– Avez-vous vu passer quelqu’un, fût-ce un gardien ?

– Monsieur le directeur, à peine le chambardement a commencé, que j’ai pris sur moi de refuser le passage à tout le monde. Il y a des gardiens qui sont entrés dans le préau, mais personne n’en est sorti. D’ailleurs, si monsieur le directeur se rappelle bien, lui-même a dû me demander la porte pour pénétrer dans la cour.

– C’est vrai, je me souviens, en effet, que la porte était fermée.

Il quitta le poste-vigie, courut à nouveau vers le groupe effaré des surveillants.

– Brigadier-chef ?

– Monsieur le directeur ?

– Vous savez que Fantômas s’est évadé ?

– Oui, monsieur le directeur.

– Je viens de m’assurer par moi-même qu’il n’a pas pu sortir de la Santé. Donc, il est caché quelque part, ici, autour de nous, tout près de nous. Il faut le retrouver coûte que coûte. Faites boucler tous les cachots. Prenez tous les gardiens et perquisitionnez partout. Allez !

Une fois cet ordre donné, M. Malherbe appelait son secrétaire :

– Dites au portier que je consigne la maison. Laissez entrer qui voudra, mais que personne ne sorte.

– Bien, monsieur le directeur.

– Vous viendrez ensuite me rejoindre dans mon bureau.

– Bien, monsieur le directeur.

M. Malherbe quitta son secrétaire et, quatre à quatre, regagna son bureau directorial, où, se saisissant du téléphone, il demandait la communication avec la Sûreté.

– Allô, l’inspecteur Juve ? Ah, c’est vous, j’ai de la chance. Venez tout de suite, Fantômas vient de s’évader.

Il raccrocha le récepteur, il se prit la tête à deux mains, réfléchit quelques secondes, puis, au comble du désespoir, repris d’une agitation fébrile, il sortit de son cabinet :

– Il faut qu’il soit quelque part, crénom de bonsoir. Mais où est-il ?

Revenu dans le préau, M. Malherbe inspecta minutieusement l’état des lieux.

La machine qui s’était écroulée du premier étage gisait sur le sol, brisée.

– Quel était le surveillant de garde à l’atelier des machines ?

– Moi, monsieur le directeur.

– Que s’est-il passé au juste ?

– Pas grand-chose. Les détenus venaient de reprendre le travail. Une transmission s’est embrouillée. J’ai entendu un hurlement. Probable que la machine était descellée. Une courroie s’est tordue, enfin, je ne sais pas, monsieur le directeur, comment ça s’est fait. Mais la presse a été arrachée, culbutée contre la cloison, lancée sur la toiture du préau, qu’elle a trouée. D’où elle est retombée dans la cour. Voilà tout.

Le gardien, sa déposition faite, se hâta de rentrer dans le rang, il ne tenait pas à s’exposer spécialement aux foudres directoriales. Mais M. Malherbe était bien en train, en vérité, de sévir. Il se moquait pas mal, à ce moment, des fautes de service qui avaient pu être commises. Ce qu’il voulait, avant tout, c’était retrouver Fantômas. Après on verrait.

Laissant donc les surveillants dans la cour, le directeur de la Santé bondit dans l’atelier d’imprimerie. Il n’y vit rien d’extraordinaire. La cloison, en effet, était éventrée. En se penchant par la brèche, on apercevait le trou fait par l’écroulement de la machine dans la toiture du préau. Le sommet du mur bordant les cours avait été légèrement démoli au cours de l’accident.

– Mon Dieu, murmura M. Malherbe, mais où peut-il donc s’être caché ? Comment a-t-il pu s’enfuir ?

L’évasion de Fantômas, si Fantômas s’était évadé, tenait du miracle.

L’homme n’avait pas pu s’échapper par l’atelier d’imprimerie, car l’atelier d’imprimerie constituait une sorte d’impasse, au fond de laquelle il se fût trouvé enfermé. Le mur démoli, d’autre part, n’était pas entièrement effondré, il n’y avait pas de brèche pouvant permettre le passage d’un homme.

Le faîte seul avait été atteint, et encore, à cet endroit-là, comme le mur s’adossait à une autre muraille, cela ne livrait aucun passage.

« Personne n’est sorti de la cour des préaux, se répétait M. Malherbe, donc il est là, mais où ? »

À cet instant, le directeur de la Santé était penché sur la brèche creusée dans le mur de la prison. Il aperçut une équipe d’ouvriers qui entrait.

Il dégringola en toute hâte, par l’étroit escalier, au-devant des arrivants :

– Vous venez de la part de l’entrepreneur ? demanda-t-il.

– Oui, monsieur, répondit le compagnon qui conduisait l’équipe.


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