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La guêpe rouge (Красная оса)
  • Текст добавлен: 4 октября 2016, 03:51

Текст книги "La guêpe rouge (Красная оса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Sunds, dit-il, prends garde, tu n’as point l’air de savoir qu’il ne faut jamais lutter avec moi. Cela finira mal.

Il y avait en ce moment tant de cruauté froide dans l’attitude de Fantômas, sa physionomie respirait si bien la haine, que Sunds eut peur.

– Lâche-moi ! ordonna-t-il, brutal à son tour. Oui, cela finira mal, car si tu le prends sur ce ton, Fantômas, je le prendrai de la même manière. Ce que je disais tout à l’heure est vrai. J’en ai assez de ces manigances. Aussi vrai que je m’appelle Sunds, si tu ne me laisses pas tranquille, je vais raconter à la justice toute la combine, tout notre truc du faux tableau.

Le malheureux n’acheva pas. À peine avait-il proféré cette menace qui, à elle seule, prouvait combien peu l’artiste connaissait mal l’audace de celui qui était devenu son complice, que Fantômas bondissait sur lui, l’empoignait par le cou, l’étranglait à moitié, le renversait sur le sol.

– Qui me résiste meurt ! hurlait Fantômas. Ah, vraiment, tu parles de tout raconter à la police. Eh bien, nous verrons si les muets peuvent trahir. Car tu vas être muet, Sunds, muet pour toujours. Pas de bavards dans les cimetières.

Fantômas était à genoux sur le malheureux peintre, ses doigts l’étranglaient à moitié. Un instant, sa main desserra son étreinte, mais Sunds n’avait pas eu le temps seulement d’appeler au secours, que Fantômas avait tiré de sa poche un long bandeau de soie, qu’il portait toujours.

Il lui fallut moins d’une seconde pour bâillonner Sunds.

– Oh, oh, railla le Maître de l’Effroi, je crois que tu commences à te taire. Mais tu te tairas bien davantage dans deux heures.

Fantômas riait. Lentement, méthodiquement, il attachait les poignets de Sunds, il lui liait les jambes aux chevilles :

– Eh bien, imbécile, demandait-il, comprends-tu que j’avais raison en te disant que tout cela finirait mal ?

Sunds, à cet instant, était au comble de l’effroi : Que faisait Fantômas, que préparait-il ? À quelle diabolique besogne se livrait-il ?

Fantômas avait tiré au milieu de l’atelier une grande échelle qu’il appuyait au vasistas s’ouvrant sur le toit de la bâtisse :

– Sunds, annonça le tortionnaire, je n’aime pas les morts rapides. J’ai toujours la clémence d’accorder à mes victimes quatre ou cinq heures pour voir la mort en face et se repentir. Je te prépare un petit trépas qui te laissera tout le temps de réfléchir à la sottise dont tu as fait preuve.

Fantômas était revenu près de Sunds. Comme s’il eût soulevé un fardeau léger, il empoignait le corps de l’artiste, le jetait sur ses épaules. Fantômas, alors, gravit la haute échelle. Il ne semblait pas sentir le poids de Sunds, il agissait avec une parfaite liberté de mouvement.

Parvenu au haut de l’échelle, Fantômas ouvrit le vasistas, il se glissa sur le toit.

Il était six heures du soir. L’obscurité commençait. La ruelle près de l’atelier était déserte.

– Tout est fort bien, murmura Fantômas.

Il jeta Sunds sur le toit, le tira par les pieds, sans s’occuper des terribles blessures qu’il faisait au visage du malheureux, écorché aux aspérités des ardoises.

Fantômas roula Sunds jusqu’à la gouttière. Il y coucha l’artiste, en équilibre, le corps pendant à moitié dans le vide.

– Écoute-moi bien, déclarait le bandit, se penchant à l’oreille de sa victime, voici ce que je vais faire. À ton pied, j’attache une corde, cette corde rejoint la porte d’entrée de ton atelier, quand on ouvrira la porte, on tirera sur la corde, tu seras précipité dans le vide. Ne crois pas, Sunds, que ce soit tout. Il se pourrait que tu en réchappes. Somme toute, tu ne vas tomber que de cinq ou six mètres. Or, mon camarade, j’ai décidé ta mort. Écoute. Regarde : tu vois ce fil de fer ? Il est terminé par un nœud coulant, je le passe autour de ton cou, il y fera l’office d’un couteau de guillotine. Mon cher, quand tu dégringoleras dans le vide, tu te sentiras brusquement arrêté par ce licol tranchant. Le fil de fer n’est pas assez long pour que tu atteignes le sol. Tu seras suspendu et pendu si brusquement que j’aime à croire que tu auras la tête tranchée. Voilà ce qui t’attend, Sunds. Penses-y et demandes-toi s’il n’eût pas mieux valu me servir fidèlement ?

***

Pendant que cela se passait, qu’était devenu Fandor ?

Fandor, au sortir de l’atelier de Sunds, s’était précipité comme un fou dans les rues de Montmartre, cherchant à retrouver Hélène.

Ses recherches, malheureusement, étaient demeurées vaines et Fandor devait se résigner à comprendre que si la jeune fille l’avait reconnu, comme il était probable, au moment où il s’était précipité sur Sunds, elle n’en avait pas moins voulu s’enfuir, ne pas se montrer, ne pas se faire reconnaître.

« Peut-être, Hélène s’imagine-t-elle que je ne l’ai pas identifiée », pensait Fandor.

De guerre lasse, ayant battu les environs de l’atelier, Fandor s’était décidé à aller trouver Juve.

« Il faut que je le mette au courant, pensait le journaliste, il faut surtout que je lui rende ces fameux papiers, si miraculeusement retrouvés. Par exemple, je me demande comment Juve m’expliquera qu’ils étaient au fond d’une potiche, dans l’atelier de Sunds. Du diable si nous aurions pensé à cela. »

Rue Tardieu, Fandor eut la chance de trouver le policier à domicile.

Juve était à plat ventre par terre, et fumait avec conviction une pipe énorme. Il était d’une humeur massacrante :

– Qui va là ? demandait-il sans se retourner, comme Fandor ouvrait la porte de son cabinet de travail. Si c’est vous, Jean, allez au diable !

– Ça n’est pas Jean, c’est moi.

– Eh bien, vas-y quand même.

Fandor ne se démonta pas pour si peu.

– Mon vieux Juve, ce qui me plaît en vous, c’est que vous avez l’humeur agréable aujourd’hui. Enfin cela ne fait rien. Il paraît que je dois être mal reçu partout : en haut de la Butte, j’ai reçu une tripotée formidable, en bas de la Butte, je me fais envoyer au diable. Je vais tâcher de descendre sur les boulevards, peut-être qu’on ne m’y engueulera pas.

Juve, cependant, demeurait étendu. Sans même tourner la tête, il interrogea :

– Pourquoi as-tu reçu une tripotée au haut de Montmartre ? Et avec qui te l’es-tu flanquée ?

– Avec Sunds.

– Avec Sunds ? Qu’est-ce que tu fichais chez Sunds ? Il a eu raison de te fiche à la porte, cet homme, si tu venais l’embêter comme tu viens m’embêter.

– Juve, ce qu’il y a précisément d’injuste dans l’histoire, c’est que je suis aussi mal reçu par vous que par Sunds, or, je fais chez vous le contraire de ce que j’ai fait chez Sunds.

– Qu’y faisais-tu, animal ?

– Juve, j’ai pris chez Sunds, quelque chose… et ce quelque chose, je vous l’apporte.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Cela.

Fandor, d’un geste rapide, jeta les papiers d’Hélène à Juve.

Sur ce, il fit à son vieil ami, le récit de ses aventures.

– Et voilà, qu’est-ce que nous allons faire ?

Juve n’hésita pas.

– Ce que nous allons faire ? Aller trouver Sunds, parbleu ! Il y a gros à parier que c’est cet individu qui s’est glissé chez moi, en prenant ma tête pour voler les papiers d’Hélène, puisque en somme, c’est chez lui que tu viens de retrouver ces papiers. Sunds, c’est sûrement un complice de Fantômas.

***

Juve et Fandor se hâtèrent de remonter la Butte Montmartre. Vers sept heures et demie ils arrivaient à l’atelier du peintre.

– Attention, recommanda Juve, j’ai tout lieu de croire que le bonhomme doit être sur ses gardes. S’il s’est battu avec toi, Fandor, tu admettras bien que, tout déguisé que tu étais, il a dû supposer que tu jouais un rôle louche. Donc, quand il va nous apercevoir, il va tâcher de se défiler le plus vite possible. Tu vois ce qu’il y a à faire, Fandor ?

– Oui, nous entrons dans le jardinet sans faire de bruit, nous nous glissons jusqu’à la porte. Cette porte, nous l’ouvrons rapidement, et, non moins rapidement nous nous précipitons sur le nommé Sunds que nous accablons de questions.

Juve et Fandor se glissèrent, comme ils venaient d’en convenir, dans le jardinet qui précédait l’atelier de Sunds.

– Doucement, recommandait Juve.

Au même instant, Fandor posa son bras sur l’épaule du policier.

– Entendez-vous ?

– Non, quoi ?

– On aurait dit un gémissement.

– Tu es fou.

Le policier, pourtant, prêtait l’oreille. Fandor ne s’était pas trompé. Quelqu’un gémissait, un cri étouffé s’entendait à peu de distance.

Alors Juve prit son parti :

– Vite, dit-il, et le revolver au poing.

Ils se précipitèrent au même instant vers la porte de l’atelier, l’ouvrirent brusquement.

Mais, en ouvrant cette porte, Juve réalisait, à son insu, les horribles prévisions de Fantômas :

La corde tirait hors de la gouttière le malheureux Sunds, Juve et Fandor n’avaient pas le temps de se reconnaître qu’un corps leur tombait sur la tête, cependant qu’à quelques pas d’eux une sorte de boule ronde, sanglante, roulait.

C’était la tête de Sunds, la tête que le fil de fer avait tranchée net, comme l’avait prédit Fantômas.

21 – LES AMATEURS DE FAUX REMBRANDT

La vente devait commencer à deux heures précises, mais une bonne demi-heure auparavant, la foule s’écrasait déjà dans la salle D de l’hôtel Drouot, qui avait été réservée à l’éparpillement sensationnel des objets d’art ou autres, ayant appartenu à l’infortuné Danois Sunds. On avait annoncé la liquidation de ses biens, à grand renfort de réclame dans les journaux, dans l’espoir de faire une vente qui rapporterait pas mal d’argent.

C’était là l’intérêt des créanciers assez nombreux que le Danois laissait après sa mort tragique.

Il y avait eu un autre but à cette publicité, but que seuls quelques initiés pouvaient connaître. La police, en effet, était toujours sur les dents et confuse aussi de n’avoir pas fait la lumière sur le mystérieux assassinat du marchand d’antiquités, que l’on ne pouvait, malgré tout, attribuer à un accident.

Fantômas, avait conclu Juve.

Mais c’est à peine si désormais, dans les bureaux de la Sûreté, comme dans les couloirs du Palais de justice, on osait prononcer ce nom redoutable.

Or, si l’on avait annoncé à grand tapage la vente des objets ayant appartenu à Sunds, et si on avait décidé d’opérer cette vente dans les salons de l’hôtel Drouot, c’était afin d’y attirer parmi la foule interlope et variée qui fréquente habituellement l’hôtel des Ventes, des gens qui, peut-être, de près ou de loin, auraient été mêlés aux mystérieuses affaires dont on recherchait la solution.

Il y avait autre chose également qui devait corser l’intérêt de cette vente. C’était la présence de la copie du tableau désormais presque aussi fameuse que le tableau lui-même : le Pêcheur à la lignede Rembrandt.

Les instructions ouvertes avaient établi que l’auteur de cette affreuse peinture, qui avait été substituée à l’original, n’était autre que Érick Sunds. La découverte de sa supercherie remontait au lendemain de sa mort.

Lorsque Juve, avec les agents de la Sûreté, perquisitionnaient dans l’atelier du défunt, ils y avaient découvert en effet, une boîte de couleurs contenant une palette, sur laquelle étaient étalés quelques couleurs, quelques mélanges encore tout frais. Or, ces diverses teintes que le peintre avait composées étaient, pour la plupart, exactement identiques à celles de la copie qui avait remplacé la toile authentique à l’exposition de Bagatelle.

Puis on avait enfin, au cours de l’enquête à Bagatelle, constaté que quelqu’un avait dû passer la nuit enfermé dans le palais, la veille de l’inauguration, et, par une enquête fort bien menée d’ailleurs, on avait conclu que Sunds était le voleur et le copiste du superbe Rembrandt.

Il avait donc été décidé, sur les instances de Juve, et encore que cela ne fût pas très régulier, que l’on mettrait en vente, avec les objets ayant appartenu à Sunds, la copie du tableau de Rembrandt.

Lorsque les portes s’ouvrirent, la salle D se remplit en un clin d’œil.

On s’y écrasait consciencieusement. Des gens étaient debout, pressés les uns contre les autres. Toutefois, le monde élégant, les gens chics, n’étaient pas venus là. Par snobisme ou curiosité, certains auraient été désireux d’assister à cette vente d’un genre assez inattendu, mais ils avaient eu peur. N’insinuait-on pas, depuis quelques jours dans le public, qu’il se pourrait bien qu’il se passât de vilaines choses à l’hôtel Drouot, ce jour-là ?

M. Varin, commissaire-priseur, chargé de la vente, vint rapidement s’installer à son bureau et, assisté de deux experts et de trois employés, il commença l’énumération des divers lots que l’on avait préparés.

Les enchères s’engagèrent, un peu molles, mais assez normales, cependant.

C’est ainsi que l’on vendait du linge, des meubles, quelques bibelots, des ustensiles de ménage.

Dans un coin de la salle, deux hommes causaient à voix basse.

Ils avaient l’air de modestes employés ou de gens venus de province, vu leurs accoutrements. Si quelqu’un, toutefois, s’était avisé de les regarder de près, et si on avait pu les voir au grand jour et non point dans cette salle fort obscure, on se serait peut-être rendu compte qu’ils avaient des apparences suspectes l’un et l’autre. Un habitué aurait certainement reconnu que ces deux hommes-là étaient grimés, qu’ils portaient des postiches, que leur visage était maquillé.

Les deux hommes ainsi dissimulés dans le fond de la pièce étaient Juve et Fandor.

Le policier avait entraîné là le journaliste, en lui disant :

– Tu vas voir qu’il se passera quelque chose et que nous ne sortirons pas de cette salle sans que notre enquête ait progressé.

Juve n’en avait pas dit plus, mais Fandor, habitué aux mystérieuses attitudes de son ami, n’avait pas insisté, attendant les événements. Ceux qu’escomptaient Juve, devenaient évidemment imminents.

Le commissaire-priseur venait en effet d’annoncer, après un petit silence :

– Mesdames et messieurs, nous allons mettre aux enchères un tableau représentant le Pêcheur à la ligne, attribué à Rembrandt.

C’était une façon élégante et délicate pour ce fonctionnaire, de désigner l’effroyable copie effectuée à grands coups de pinceau par Érick Sunds.

Le commentaire du commissaire-priseur détermina quelques murmures. On entendit fuser des éclats de rire.

Juve s’était penché vers Fandor et lui murmurait à l’oreille :

– Tu vas voir ce qui va se passer. Et si je ne me trompe pas, celui qui emportera ce tableau va le payer un bon prix. Cette pièce-là, c’est tout l’intérêt de la vente, et ça va se monter terriblement.

– Pourquoi ? À part l’intérêt de curiosité anecdotique que présente cette œuvre, elle n’a aucune qualité artistique que je sache ?

Mais Juve, mystérieusement, secouait la tête :

– Tu vas voir, j’ai mon idée.

Il s’arrêta, puis, reprit, comme si soudain il allait faire une confidence à Fandor :

– As-tu remarqué que…

Mais brusquement, Juve se tut. On faisait silence en effet dans la salle, l’enchère commençait.

Avec un ironique sourire, le commissaire-priseur annonça :

– La mise à prix est à trois francs.

– Trois francs, répéta l’aboyeur, dont la voix puissante se répercutait, sonore, dans l’atmosphère chaude de la pièce. Trois francs. Une fois, deux fois…

– Cinq francs, fit une voix.

Une autre :

– Sept francs.

Un petit temps d’arrêt. Les gens se regardaient dans la salle, semblaient se surveiller du coin de l’œil.

– Ça a l’air en effet de monter terriblement, votre tableau, dit Fandor.

Et, comme pour lui donner un démenti, un acheteur se manifestait :

– Douze francs, cria-t-il.

– Vous avez entendu ? Douze francs. Il y a preneur à douze francs !

Et Juve ne perdait pas confiance, il continuait à dire tout bas :

– Tu vas voir que ça va monter, tu vas voir la hausse !

– Treize francs, fit le journaliste qui, par manière de plaisanterie, y alla lui aussi de son enchère.

Mais, à sa grande surprise, Juve lui avait serré le bras nerveusement. Le policier grognait :

– Tais-toi donc, imbécile, tu vas faire tout manquer ! Si jamais le tableau te reste sur les bras, tout est perdu.

Interloqué, Fandor regrettait de s’être ainsi avancé, bien qu’il n’eût pas compris pourquoi Juve redoutait désormais de le voir garder ce tableau au prix de treize francs, alors que l’instant précédent, le policier supposait qu’il allait monter très haut.

Leurs appréhensions, toutefois, furent calmées par ce fait que, d’une voix cassée, éraillée, une femme qui, jusqu’alors, ne s’était pas encore manifestée, surenchérissait aussi :

– Je mets quinze francs, dit-elle.

– Quinze francs, répéta le commissaire-priseur, une fois… deux fois… Voyons, messieurs, mesdames, l’affaire en vaut la peine, c’est pour rien.

L’aboyeur répéta :

– Quinze francs, il y a un amateur à quinze francs !

Puis ce fut le silence. Alors, retentit un coup sec, le marteau du commissaire-priseur retomba sur la table, l’affaire était traitée. La copie du Rembrandt était adjugée. À quinze francs.

Qui donc s’était porté acquéreur ?

Il y eut un remous dans la foule, on se précipitait pour voir la personne qui cherchait à se frayer un passage, dans les rangs du public, pour donner son nom et son adresse, et régler en même temps son achat.

Cependant que Juve hochait la tête, d’un air mystérieux mais satisfait, Fandor étouffait une exclamation de surprise. Il connaissait la personne qui, désormais, était propriétaire du faux tableau exécuté par Érick Sunds : c’était la mère Toulouche.

Depuis quelques mois, la sordide mégère avait repris son ancien métier. Fandor savait qu’elle tenait un bric-à-brac, au haut de la rue Lepic, et qu’elle était mêlée à tout ce monde interlope et bizarre de rapins sans travail, de chineurs, aux fréquentes absences, de fabricants de faux objets d’art. Il regarda Juve d’un air interrogateur.

Le policier souriait :

– Ça va très bien, murmura-t-il, très bien… nous sommes sur la bonne piste !

La mère Toulouche, toutefois, avait donné une pièce de vingt francs pour régler son acquisition. On lui rendit la monnaie et, conduite par l’un des secrétaires du commissaire-priseur, elle passa dans une pièce voisine où on allait lui donner livraison de son acquisition.

Le gros intérêt de la vente avait disparu, et la salle se vida aux deux tiers, cependant que le commissaire, impassible, continuait à détailler les lots qui restaient à vendre.

Juve et Fandor étaient sortis. Ils se retrouvèrent rue Drouot. Juve entraîna son ami :

– Allons chez toi, rue Richer, fit-il. Il est bon de nous débarbouiller et d’enlever ces grossiers maquillages qui pouvaient passer inaperçus dans la pénombre de l’hôtel des Ventes, mais qui nous feraient remarquer dans la pleine lumière du jour.

Et lorsque les deux hommes furent installés dans le petit appartement de Fandor, ce dernier demanda à son ami :

– Enfin, Juve, m’expliquerez-vous pourquoi, après vous être attendu a voir ce tableau se vendre très cher, ce qui semblait vous plaire, vous avez eu l’air très content lorsque vous avez constaté qu’il était vendu fort bon marché ?

– Cela prouve que j’ai un excellent caractère, et que je suis toujours heureux des événements qui se produisent.

– Parfait, dit Fandor, mais encore ?

Juve redevint sérieux :

– Eh bien voilà, dit-il. J’estime que mes affaires vont très bien. Je suis sûr d’être sur une bonne piste. En réalité, j’avais peur de voir ce tableau filer dans les mains d’un amateur. Or, il reste dans le « milieu » d’où il ne doit pas sortir pour le moment. De deux choses l’une : ou ce tableau a été acheté par une bande noire de revendeurs, simplement pour en tirer ensuite un certain profit. Ou alors ce sont les complices de Fantômas, ceux qui, de près ou de loin, se sont mêlés des affaires des chineurs, qui ont gardé ce tableau. Je crois que cette dernière hypothèse est la bonne et, dès lors, nous allons mener notre enquête grand train.

– Juve, je vous comprends de moins en moins.

– C’est pourtant bien simple. Je t’ai dit que j’avais une idée, une idée que tu trouverais folle, extraordinaire, invraisemblable, si je te la communiquais tout de suite ; mais tu la trouveras peut-être excellente un peu plus tard, lorsque je te l’expliquerai en détail. Toujours est-il que, pour le moment, j’estime que les vrais acheteurs du tableau n’ont pas osé se manifester à l’hôtel des Ventes. Il leur aurait déplu que l’on sache qu’ils s’en étaient rendus acquéreurs, et maintenant que cette fameuse croûte est tombée entre les mains de la mère Toulouche, et que l’on peut se la procurer chez elle, tout en bénéficiant de l’anonymat, tu vas voir les amateurs se présenter, et quels amateurs !

– Nous verrons, fit le journaliste qui, un peu sceptique, allumait une cigarette et interrogeait :

– Qu’allons-nous faire ?

Juve consulta sa montre.

– Attendre tranquillement chez toi. La vente se termine à quatre heures, le tableau que vient d’acheter la mère Toulouche sera chez elle vers six heures du soir, probablement. À six heures cinq, je serai dans le bric-à-brac de la vieille femme et je lui ferai les propositions les plus honnêtes en vue d’acquérir cette œuvre.

– Vous, Juve ?

– Moi, Juve, répliqua le policier, et je te prie de croire qu’en m’adressant à la mère Toulouche, je ferai tout mon possible…

– Pour dissimuler votre identité ?

– Pas le moins du monde, dit Juve, je ferai tout mon possible, au contraire, pour bien me faire reconnaître d’elle.

***

Il était six heures cinq. Quelqu’un entra dans la boutique de la mère Toulouche, c’était Juve.

La vieille mégère sursauta : elle reconnaissait fort bien l’inspecteur de la Sûreté, auquel elle avait eu si souvent affaire quelques années auparavant.

La mère Toulouche, toutefois, n’avait rien à se reprocher.

Elle avait été condamnée, par les tribunaux, à des peines assez longues, puis, suivant les usages, mise en liberté provisoire.

La mégère se demanda un moment s’il convenait de saluer le visiteur par son nom, et de montrer à Juve qu’elle reconnaissait en lui l’inspecteur qui, si souvent, lui avait donné du fil à retordre.

Mais la mère Toulouche était perspicace, et elle se rendait compte que, volontairement ou non, Juve ne paraissait pas se souvenir qu’il avait été jadis en relations avec elle.

Sans doute voulait-il passer auprès de la marchande pour un vulgaire acheteur, un amateur ordinaire. Juve venait chez elle, nullement grimé, il semblait mettre une sorte de vanité à se montrer tel qu’il était réellement.

C’était bien Juve, l’inspecteur de la Sûreté, qui entrait dans la boutique.

Il s’adressait à elle, d’ailleurs, fort poliment :

– Madame, demanda Juve qui saluait, je suis amateur de curiosités, et l’on vient de me raconter que vous avez fait tout récemment, cet après-midi même, l’acquisition d’un certain tableau, attribué à Rembrandt, dont je voudrais me rendre acquéreur.

La mère Toulouche, soudain, tressaillit.

« Il veut le tableau, pensa-t-elle, bien, me voilà propre, je ne peux pourtant pas lui dire que je l’ai déjà vendu, il me demanderait à qui et puis ça n’en finirait plus, diable, comment faire ? »

– En effet, mon bon monsieur, répondit-elle, j’ai acheté un tableau, mais vous savez que je n’y connais rien, en tout cas il a de la valeur parce qu’il y a eu des histoires à son sujet.

– Certainement, fit Juve, et combien le vendez-vous ?

– J’en demande cinq cents francs, dit la Toulouche qui espérait ainsi garder son tableau.

Juve ne broncha pas. La mère Toulouche entraîna son visiteur dans le fond de sa boutique, elle enleva une sorte de housse qu’elle avait disposée sur le tableau et le montra au policier.

Celui-ci l’examina longtemps, en connaisseur, puis, il ajouta, en regardant fixement la Toulouche, comme pour bien lui faire comprendre qu’il ne servait à rien de faire des difficultés et qu’il avait décidé cet achat :

– Je vous en offre trente francs.

La vieille receleuse eut alors vraiment peur, car elle se rendait compte qu’il lui était impossible de refuser plus longtemps le tableau à Juve, et elle savait bien que si le policier en avait envie, il fallait le lui laisser prendre : il est toujours mauvais de se mettre mal avec les inspecteurs de la Sûreté.

La mère Toulouche, toutefois, voyant qu’elle serait vaincue, essaya au moins de soutirer un peu plus d’argent au policier :

– Non, dit-elle, mettez au moins soixante francs.

On conclut l’affaire à cinquante, et Juve, paraissant fort pressé, quitta précipitamment la mère Toulouche :

– Je m’en vais l’emporter tout de suite, fit-il, le temps d’aller chercher une charrette à bras. Où trouverai-je à en louer ?

La mère Toulouche réfléchit un instant :

– Remontez la rue, tournez à droite, descendez un peu. Il y a un loueur à l’entrée de la rue Berthe.

– Ça va, fit Juve. J’espère que vous ne fermerez pas avant sept heures. D’ici là, d’ailleurs, je serai revenu prendre mon tableau.

Juve quitta la boutique de la mère Toulouche.

Que méditait donc le policier ? Il avait bruyamment fermé la porte du magasin, et marchait au milieu de la rue, bien ostensiblement, affectant de ne point remarquer les gens qui le croisaient, et cependant les dévisageant tous du coin de l’œil. Pour qui connaissait bien Juve, on avait l’impression qu’il se sentait suivi, épié, et qu’il en était satisfait. Que voulait-il cependant ? Et pourquoi, après avoir négligé d’acheter la copie du tableau à l’hôtel des Ventes, semblait-il désireux désormais de s’en rendre propriétaire ? Pourquoi, après s’être caché, alors qu’il était à l’hôtel Drouot, se montrait-il, se faisait-il remarquer à Montmartre ?

Cependant, la mère Toulouche venait à peine d’accompagner Juve sur le seuil de sa porte que pénétrait dans sa boutique une dame grande, mince, élégante, mais âgée, car, bien que son visage fût dissimulé sous une épaisse voilette, et sa tête coiffée d’un chapeau cloche, on s’apercevait qu’elle avait les cheveux blancs. Elle était descendue d’une automobile somptueuse, une grande limousine qui était demeurée arrêtée à quelque distance du bric-à-brac.

À brûle-pourpoint, sans se perdre en salutations préalables, elle s’adressa à la mère Toulouche :

– Le tableau que vous avez acheté cet après-midi, il faut me le vendre.

– Ah sapristi, cria-t-elle, c’est pas de chance, mais je viens précisément de l’adjuger à un amateur.

– Voyons, ne perdons pas de temps, je suis pressée, je vous en donne dix louis.

– C’est que, articula la mère Toulouche, fort embarrassée et ennuyée, c’est que je l’ai déjà vendu.

La cliente ne l’entendait pas. Incapable de tenir en place, elle venait de rebrousser chemin, avait entrebâillé la porte de la boutique et regardait dans la rue d’un air anxieux, semblait-il. Elle revint, lut l’hésitation de la vieille sur son visage, et crut que si la mère Toulouche ne se décidait pas, c’était parce que l’offre ne lui paraissait pas assez avantageuse :

– Quinze louis, offrit-elle.

Et la mère Toulouche se taisant toujours, la mystérieuse cliente, tirant de son réticule un billet de cinq cents francs, le glissa dans les mains de la vieille mégère en disant :

– Finissons-en.

Puis, elle alla elle-même ouvrir la porte de la boutique, ordonnant à la mère Toulouche :

– Portez-moi ce tableau, vite, dans l’automobile que vous voyez là.

– Ma foi, murmurait la mère Toulouche, après tout, je crois qu’il serait préférable encore de laisser prendre le tableau par cette dame plutôt que par Juve. D’ailleurs, je pourrai toujours mieux le retrouver si le patron me le réclame.

La mère Toulouche souleva, non sans difficulté et précaution, le tableau, qui semblait la préoccuper terriblement. À plusieurs reprises, elle murmurait :

– Pourvu que l’autre n’arrive pas maintenant, ça serait le comble.

La dame, cependant, suivait la vieille d’un air agité, nerveux, et elle murmurait presque à haute voix :

– Il le voulait à toute force, je l’ai su. Je le sais. J’en suis sûre. Le meilleur moyen pour l’attirer à moi, c’était, en effet, de l’acheter et de l’emporter. Mais comment lui faire savoir que j’en suis désormais la propriétaire, et où se trouve le tableau ?

La mystérieuse femme aux cheveux blancs qui monologuait ainsi sourit cependant :

– Ah une idée, fit-elle.

Le tableau venait d’être installé dans l’automobile qui l’attendait. La mère Toulouche se trouvait près de la voiture. Elle dit à haute voix au mécanicien, de façon à être bien entendue par la bonne femme qui venait de lui vendre ce tableau :

– Vous allez, déclara-t-elle, transporter ce tableau chez moi, dans ma maison de Ville-d’Avray, quarante-sept avenue des Peupliers.

Le mécanicien acquiesça et mit sa voiture en route.

La dame aux cheveux blancs, cependant, ne monta pas dans le véhicule, mais descendit la rue Lepic à grands pas, tandis que la mère Toulouche regagnait son magasin.

– Je vais me faire engueuler de la belle façon, pensa la mégère, lorsque Juve reviendra, et surtout lorsque le patron me réclamera ce tableau auquel il avait l’air de tenir.

Entrée dans son magasin, elle regarda l’heure :

– Sept heures moins vingt, fit-elle, Juve ne peut plus tarder.

La mère Toulouche semblait très inquiète de ce qu’elle venait de faire là, elle avait agi dans un affolement subit. Il semblait que la mégère voulût éviter à toute force de voir le faux Pêcheur à la ligneentre les mains de Juve.

Tout à coup, la porte de la boutique s’ouvrit brusquement :

« Ça y est, c’est Juve », pensa la mère Toulouche.

Elle se retourna, poussa un cri de surprise.

– Ah par exemple !

C’était un inconnu qui pénétrait dans le magasin. Mais un inconnu qui s’introduisait avec les façons autoritaires, la manière brusque que la mère Toulouche connaissait, un inconnu qui avait sur le visage une barbe assurément postiche, et qui dissimulait son regard derrière des lunettes bleues.

La mère Toulouche tressaillit en l’apercevant. Elle allait prononcer un nom, son interlocuteur l’en empêcha :

– Tais-toi, la vieille, ordonna-t-il, je sais que tu m’as reconnu, ça m’est égal. En effet, c’est Fantômas qui te parle. Écoute, tu as bien acheté, comme je te l’avais dit, cet après-midi, le tableau d’Érick Sunds. Donne-le-moi, il me le faut.

La mère Toulouche leva les mains au ciel :

– Ah nom de Dieu de bon Dieu, cria-t-elle, j’ai jamais eu tant de clients à la fois, dans mon commerce ! Qu’est-ce qu’ils ont donc tous, à le vouloir ce tableau-là ? Je commence à croire qu’il vaut peut-être plus cher que les vingt-cinq louis que j’ai touchés.

Et elle dit à Fantômas, l’air narquois :

– Trop tard, mon vieux ! L’affaire est balancée depuis tout à l’heure.


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