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La guêpe rouge (Красная оса)
  • Текст добавлен: 4 октября 2016, 03:51

Текст книги "La guêpe rouge (Красная оса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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19 – QUI EST DANIEL ?

Tandis que Fantômas avait avec Dick cette violente explication dans le somptueux petit hôtel de l’avenue Malakoff, le bohème Sunds travaillait dans son atelier de Montmartre à la confection savante d’un vieux coffre de bois commandé par une douairière du faubourg Saint-Germain, travail qui exigeait certaines précautions et une grande minutie, car, en réalité, le vieux coffre venait de lui être livré tout brillant neuf par l’ébéniste.

Sunds était vêtu d’un grand vêtement jaunâtre rongé par les acides. Il n’avait ni col ni cravate, son pantalon tirebouchonnait sur des pantoufles éculées ; il fumait une vieille pipe soigneusement culottée et, dans cette tenue d’intérieur, toujours heureux de vivre, le Danois parlait avec enjouement à un vieux bonhomme qui n’était autre que Mathusalem, ce vieillard qui, depuis quelque temps, vivait parmi les artistes.

Sunds s’épanchait dans le sein du père Mathusalem :

– Mon vieux, disait le peintre, c’est épatant ce que les gens sont bêtes, et c’est épatant ce qu’on deviendrait riche si on pouvait mettre la bêtise en actions cotées à la Bourse. Tiens, regarde, voilà un coffre qui était solide il y a deux minutes, l’ébéniste qui l’a fait a mis tout son soin à le construire, moi je vais mettre tout mon soin à le démolir, à l’esquinter, à l’abîmer, et quand j’aurai passé deux heures à transformer ce coffre solide en un coffre pitoyable, il vaudra pourtant trois cents francs de plus aux yeux de mes clients du vieux neuf.

Le père Mathusalem ne répondit pas. Il riait en silence.

– Passe-moi mon fusil, dit Sunds.

Mathusalem allait chercher dans un angle de l’atelier ce que lui indiquait le bohème, une sorte d’escopette.

– Range-toi, je vais te montrer, en quelques secondes comment on vieillit de cent cinquante ans une planche de chêne qui date d’il y a huit jours.

Sunds, en effet, chargeait méthodiquement sa grande escopette. Quand il eut bourré le fusil de plomb, il visa le meuble et tira.

– Voilà, concluait-il. Maintenant, je vais retirer les plombs qui sont encastrés dans le bois, et chaque petit trou deviendra un trou de ver. Ah, maladie ! Ce qu’ils sont bêtes, tout de même, les gens d’ici ! Mais après tout, je m’en fous.

Sunds s’installa à califourchon sur le coffre et, méthodiquement, commença à en extraire les petits morceaux de plomb qui s’étaient fichés dans le bois en y creusant de toutes petites galeries.

– Mathusalem, reprit Sunds, c’est vraiment rigolo de penser que, quand on est vieux, on n’a plus de valeur et que c’est le contraire pour les meubles. Enfin, ça ne fait rien. Allons-y, du turbin. Quand j’aurai enlevé tous mes plombs je planterai mon coffre dans de la sciure de bois imprégnée d’eau et d’acide, cela le rongera, le fera gondoler, ça sera cent francs de valeur en plus.

Sunds éclata de rire, Mathusalem l’imita.

Le vieux bonhomme, cependant, promenait des regards curieux tout autour de lui. Il examinait avec une attention soutenue le grand atelier de Sunds perpétuellement encombré d’un bric-à-brac d’objets invraisemblables parmi lesquels un petit nombre constituaient de véritables curiosités, dont beaucoup dénotaient un merveilleux savoir-faire chez le fabricant de vieux meubles.

– Monsieur Sunds, ronchonnait le vieillard, il y aurait chez vous de quoi meubler tout un appartement.

À quoi Sunds éclata de rire.

– Mais bien entendu, ma vieille ! C’est d’ailleurs comme cela que ça se pratique. Une petite dinde de la bourgeoisie épouse un jeune idiot du même milieu. Faut acheter des meubles, alors la petite dame déclare : « Moi je n’aime que les vieux meubles », et allez donc ! Pour trouver tout un mobilier en vieux, il faudrait peut-être dix années de recherches patientes, or, la noce doit se faire un mois plus tard, et la petite dinde tient, naturellement, à épater toutes les autres petites dindes que sont ses amies. Que faire ? Elle passe chez le tapissier : « Pourriez-vous me trouver ci ou ça, je cherche des vieux meubles ? » demande-t-elle. Le tapissier, bien entendu, devine que la petite dinde est toute prête à se transformer en bonne poire. Il répond qu’il a tout ce qu’il faut. Une série d’occasions épatantes. Il demande quinze jours à peine pour trouver tout ce qu’on lui demande. Quinze jours, il n’aurait pas besoin d’autant, et la petite dinde sort de la boutique. Le tapissier vient me voir : « Fabrique-moi tout ça », me dit-il. Moi je fabrique. La petite dinde est contente, le tapissier est content, moi je suis content, tout le monde est content. Et ce qu’il y a de bon, c’est que dans cent cinquante ans d’ici, eh bien, ma foi, je n’aurai pas perdu mon temps, car les faux vieux meubles que je fabrique seront tout de même devenus de vieux meubles. C’est même pour cela que je n’ai pas de remords.

Sunds éclata de rire, puis se leva, car il n’était pas très travailleur et ne tenait jamais bien longtemps en place :

– On boit un coup, Mathusalem ?

– Si vous voulez, monsieur Sunds.

Sunds tira une bouteille de dessous le canapé.

– À ta santé, Mathusalem !

– À la vôtre, monsieur Sunds !

Or, tandis que les deux hommes trinquaient, la porte de l’atelier s’ouvrait, poussée par un jeune homme.

– Et moi, demandait-il, on ne m’invite pas ?

Sunds d’un bond s’était élancé :

– Toi, toi, Daniel ? Parbleu si ! Tant que tu voudras ! Mais comment diable se fait-il que tu sois là ?

– Dame, ripostait Daniel, probablement parce que c’est moi et pas mon frère.

– Évidemment, gavroche, mais d’où viens-tu ?

– De quelque part, je ne peux pas le nier.

– Mais tu ne veux pas répondre ?

– Si fait, monsieur Sunds, puisque ça vous tente de savoir d’où je viens, je vais vous le dire, je viens de la rue.

– Ah, tu viens de la rue, eh bien, c’est de ta faute, car je t’ai dit cent fois : « Daniel, depuis que je te connais, tu n’as pas besoin d’aller vagabonder partout. Chez moi tu es chez toi, c’est clair je pense. Quand tu ne sais pas où aller coucher viens ici. » Bon Dieu, est-ce que tu es mal sur le divan ?

– Je sais bien, monsieur Sunds, que vous me recevez très gentiment, mais moi j’aime ma liberté. Faut que je puisse courir. Tenez je ne peux pas avoir de domicile fixe.

Sunds tapa du pied.

– Eh bien quoi, reprenait Daniel, ça vous étonne, ce que je dis ? Ah, ça, vous reniez donc la bohème, vous avez donc une âme de bourgeois ? Vous voulez donc que je fasse comme les huîtres, que je m’attache à un rocher et que je ne bouge pas ?

Le jeune garçon, tout en parlant, se promenait dans l’atelier. Il aperçut le père Mathusalem :

– Tiens, le vieux, comment que ça va ?

Mais la phrase commencée s’arrêta net sur ses lèvres.

Regardant Mathusalem, le jeune Daniel avait brusquement pali, même il avait fait un pas en arrière. On eût juré que le jeune homme reconnaissait le vieillard.

Si l’attitude de Daniel était étrange, d’ailleurs, celle de Mathusalem ne l’était pas moins.

Depuis l’entrée de Daniel, le vieil homme semblait gêné. Vivement il avait rabattu ses cheveux blancs sur son front, comme pour mieux le dissimuler, puis il s’était accroupi par terre, près du coffre de bois, et continuant l’œuvre abandonnée par Sunds, il travaillait à retirer les petits plombs de chasse fichés dans le chêne.

– Tiens ! Le père Mathusalem ! répétait Daniel, tout décontenancé. Le père Mathusalem !

Le jeune homme fit volte-face et revint trouver Sunds.

– Alors quoi vous boudez ?

– Non je ne boude pas.

– Vous avez alors une façon d’être aimable.

Soudain, Sunds éclata :

– Toi, Mathusalem, fit-il en se tournant vers le bonhomme, toujours occupé près du coffre, je ne t’ai pas demandé de dire la messe pour moi. Fiche-moi le camp. Tu me gênes. Je n’ai pas besoin que tu tires les plombs. Je saurai bien le faire tout seul.

Pourquoi cette apostrophe violente ? Pourquoi Sunds qui, dix minutes avant, s’entretenait amicalement avec le vieux bonhomme, le chassait-il ainsi ?

Mathusalem ne parut nullement surpris.

– Je m’en vais, je m’en vais, monsieur Sunds. C’est bon. Il n’y a pas d’offense. Je ne pensais pas faire mal.

Mais Sunds devait être fort en colère. Il n’écoutait pas en effet, les excuses du bonhomme :

– Eh bien, fiche-moi le camp ! répéta-t-il. Va promener tes puces ailleurs. Tiens, occupe-toi. Jette du charbon dans mon four.

– Oui, monsieur Sunds, c’est ça.

En habitué de la maison, Mathusalem ne demandait pas d’explications. Il savait que l’artiste possédait, dans une sorte d’appentis qui dépendait de l’atelier avec lequel il communiquait par une porte basse, un petit four à poterie qui servait à la préparation de certains ingrédients utiles aux travaux artistiques qui se faisaient dans l’atelier. Mathusalem, d’un pas traînant, se dirigea donc vers l’appentis et s’occupa, comme le lui demandait Sunds, à mettre du charbon dans le four. Or, à peine Mathusalem avait-il disparu, que Sunds s’avançait vers Daniel avec lequel il demeurait seul désormais.

Sunds à cet instant, fronçait les sourcils et pourtant se forçait à sourire.

– Daniel, appelait-il.

– C’est moi, répondait le jeune homme.

– Viens ici.

– Où donc ?

– Sur le divan, à côté de moi.

– Pour quoi faire ?

– Pour m’écouter.

Daniel éclata de rire :

– Eh bien, vous en avez d’étranges aujourd’hui, remarqua-t-il. Qu’est-ce que vous allez encore me conter ?

Daniel ne bougea pas.

Sunds marcha vers lui jusqu’à le toucher. Il lui posa les deux mains sur les épaules, l’attirait au jour, puis, d’une voix basse qui tremblait un peu :

– Daniel, demanda-il, pourquoi disparais-tu comme ça de l’atelier pendant huit ou dix jours ?

– Mais je ne sais pas. Pour rien. Parce que j’aime me balader !

– Tu ne trouves pas qu’on est bien ici ?

– Mais si !

– Alors ? Tu ne veux jamais me répondre.

– Pourquoi ? Qu’est-ce que cela peut vous faire ?

– Cela me fait beaucoup, Daniel.

– Alors, c’est à moi de vous demander vos raisons.

– Tu veux les savoir ?

– Dame, bien sûr.

Sunds hésita. Il semblait que l’artiste allait prendre une décision grave et, qu’au moment de rompre avec la prudence qui lui était naturelle, une peur le prenait :

– Daniel, commença Sunds, je ne suis pas un méchant homme, et tu as tort de te méfier de moi. Je ne suis pas un homme curieux, je ne te poserai aucune question, ce que tu as fait jusqu’ici ne me regarde pas, ce que tu comptes faire m’intéresse seul. Alors, continuait l’artiste, je me demande vraiment pourquoi tu tiens tellement à te cacher de moi ? Parbleu, on serait si tranquilles ici, si tu voulais. Tiens, ce ne serait même pas les copains qui risqueraient une question, mes amis sont comme moi, Daniel : discrets. Ils respecteraient notre vie et tu sais, nous nous ferions une petite vie tranquille, gentille, douce.

– Ah ça ! Qu’est-ce que vous me chantez là ? Mais vous déménagez, probable ?

– Non, riposta Sunds, je sais ce que je dis.

– Qu’est-ce que vous dites donc, au juste ?

– Ce que je dis, Daniel, eh bien, voilà, c’est une chose qui ne t’étonnera pas d’ailleurs. Je t’aime.

– Vous m’aimez ? railla Daniel, devenu très pâle, vous êtes fou, Sunds ?

– Non, affirma Sunds, et cela doit te faire comprendre qu’il y a déjà quinze jours que j’ai deviné ton secret.

– Mon secret ? Quel secret ?

– Daniel, tu n’es pas un homme, tu es une femme, tu es une jeune fille.

– Vous êtes absolument fou.

Mais l’artiste, de force, avait empoigné le jeune homme, il l’attirait au grand jour qui tombait de la baie vitrée de l’atelier :

– Mon petit, faisait-il, je ne pose pas au grand talent, je ne me crois pas un Rubens, un Rembrandt, je ne me crois rien du tout. Cependant, je sais dessiner. Or, vois-tu, il n’y a qu’à te regarder, à regarder ta ligne, pour qu’aux yeux d’un artiste, ton maquillage apparaisse. Tes cheveux ? Une perruque. J’en jurerais. Et puis, il y a tout, il y a la courbe de ton front, il y a tes bras, il y a tes mains, il y a tes pieds… Des pieds d’homme, ça ? Jamais ! Allons donc, Daniel, avoue la vérité, tu es une femme. Ai-je deviné ?

L’étrange Daniel, à ce moment, paraissait fort contrarié :

– Quand cela serait ? déclara-t-il.

– Eh bien, si cela était, et cela est, c’est, évidemment, que tu as des raisons graves pour vouloir te cacher. Tu es une femme déguisée en homme ? Bon je te le répète, je ne te demande pas d’explications. Mais ici, chez moi, tu n’as rien à craindre, redeviens la femme que tu es, ne t’occupe pas de Pierre, de Paul ou de Jacques, et accepte de vivre avec moi. Tu me plais, je t’aime ; veux-tu ?

– Non.

Il y avait à ce moment, non loin de l’atelier, dans l’appentis où se trouvait le four, un homme qui souffrait le martyre.

Il n’est rien de pire que la jalousie, il n’est pas de tourment plus exécrable que le tourment enduré par un homme qui voit la femme qu’il aime exposée à des entreprises autres que les siennes. Le vieux Mathusalem avait depuis longtemps jeté dans le four à poterie les morceaux de charbon nécessaires. D’abord, il n’avait prêté qu’une oreille discrète aux paroles qui s’échangeaient dans l’atelier. Puis, bientôt, il s’était efforcé de les surprendre et l’oreille collée à la porte, frémissant, serrant les poings, il avait entendu Sunds et cela semblait lui causer d’indicibles tortures. Qui donc était Mathusalem ? Mathusalem, l’extraordinaire bonhomme qui, depuis quelque temps, passait dans le monde de la bohème, faisant chaque jour, sans en avoir l’air, causer le monde des chineurs, n’était pas le vieux bonhomme qu’il paraissait aux yeux de tous. Si l’on eût tiré sur ses cheveux blancs on se fût aperçu qu’ils étaient aussi postiches que les cheveux de Daniel. Si l’on eût voulu arracher sa barbe blanche, elle serait restée sans effort dans la main d’un curieux. De même, le bonhomme qui marchait voûté, à pas tremblants, appuyé sur des béquilles, se fût, avec facilité, redressé avec la souplesse de la jeunesse et eût réalisé des prodiges d’acrobatie. Le vieux Mathusalem, en réalité, n’était autre que Jérôme Fandor.

Actif, remuant, audacieux aussi, Fandor avait décidé, le jour même où Bouzille lui annonçait qu’il comptait des amis parmi les bohèmes, de surveiller les ateliers. Fandor avait pris ce déguisement du père Mathusalem parce qu’il lui était vite apparu que c’était le meilleur qu’il pût souhaiter.

Or, si le vieux Mathusalem était Fandor, il n’était pas étonnant, évidemment que Fandor se fût aperçu, tout comme Sunds, que Daniel n’était pas Daniel.

Il y avait cependant une différence entre les découvertes du journaliste et les découvertes de l’artiste.

Sunds avait tout simplement trouvé que Daniel était une femme. Jérôme Fandor lui, l’avait reconnue, cette femme. Il savait son nom, et ce nom, quand il le prononçait, le faisait tressaillir. Daniel, pour lui, c’était Hélène, c’était la fille de Fantômas, c’était celle qu’il chérissait entre toutes, celle qu’il appelait sa fiancée, celle dont la vie, mauvaise, le séparait sans cesse.

Mathusalem-Fandor, embusqué dans l’appentis de Sunds, était donc fort malheureux à écouter les déclarations amoureuses que l’artiste adressait à la fille de Fantômas.

Fandor, cependant, tressaillit d’aise en s’apercevant qu’Hélène n’en semblait nullement émue. Sa gêne et son ennui même étaient visibles.

– Sunds, disait la jeune fille à l’artiste, je ne sais pas ce que vous avez aujourd’hui, mais vous dites des sottises. Vous avez deviné que je suis une femme. Bon. C’est vrai. Je l’avoue ! Mais ce n’est pas une raison pour que j’accepte de vivre avec vous. Voyons, réfléchissez. Si j’ai pris la peine de me déguiser en homme, si je risque ce mensonge extraordinaire, c’est probablement que j’ai des intérêts graves à défendre.

– Je t’aime, petite !

– C’est peut-être, continuait Hélène, que j’aime ailleurs. Vous êtes un brave homme, Sunds, vous comprendrez par conséquent que vos assiduités me feraient souffrir.

Mais Hélène connaissait mal le caractère de Sunds. L’artiste n’était peut-être pas un méchant homme, mais il était violent et emporté. Le trafiquant d’objets d’art était de ceux qui resteraient honnêtes toute leur vie si une tentation trop forte n’en faisait des voleurs, ou même des assassins. Il n’était pas foncièrement vicieux, mais par passion, il était capable des pires atrocités.

Aux paroles d’Hélène, qui lui permettaient de deviner que la jeune fille aimait et aimait un autre que lui, Sunds sentait une colère furieuse monter en lui. Son visage se congestionnait, ses traits se gonflaient :

– Alors, voilà la vérité, tu es bien une femme et pourtant tu ne veux pas devenir ma maîtresse ?

– Non, je ne veux pas ! répondit Hélène qui, lentement, recula vers la porte.

La jeune fille, toutefois, n’eut pas le temps de s’enfuir. Brutalement, Sunds se précipitait vers elle.

– Eh bien, tant pis pour toi, faisait-il, si tu ne veux pas de bonne grâce, tu voudras de force.

Il avait empoigné Hélène. La jeune fille se vit perdue. Elle poussa un faible cri.

Mais, à ce moment, la scène brusquement changea. En effet, une série de jurons répondait au cri d’Hélène :

– Bandit, canaille, crapule, saleté, immondice !

Et Sunds, qui s’attendait peu à une attaque, certes, recevait en plein dans le dos une énorme potiche de porcelaine, projectile que trouvait tout naturellement sous sa main en bondissant dans l’atelier, le faux Mathusalem, Jérôme Fandor volant au secours de sa belle.

– Attends un peu, misérable ! hurlait Fandor. Attends un peu que je te flanque la tripotée que tu mérites.

Fandor arriva, le poing levé vers Sunds.

Le Danois lâcha Hélène et fit face au journaliste.

– Comment, hurlait l’artiste, voilà le vieux qui est jeune maintenant. Tu es donc de la rousse ? Eh bien, soit, à nous deux !

Enlacés, les deux hommes luttèrent, cherchant à se renverser, voulant s’étrangler, échangeant de furieux coups de poing. Fandor, cependant, plus jeune que Sunds, plus entraîné que lui aux exercices physiques, aurait eu évidemment facilement raison de son adversaire, si, au plus fort de la bataille, une préoccupation nouvelle ne lui était venue. En luttant, Fandor voyait en effet, sans y prêter attention d’abord, que l’énorme potiche qu’il avait lancée à la tête de Sunds s’était brisée en mille morceaux, et qu’il en était tombé un paquet qui traînait sur le sol.

Or, le hasard de la bataille faisait qu’un coup de pied ouvrait ce paquet, le déroulait plutôt, car il s’agissait d’une sorte de rouleau de documents.

Et dès lors, chose extraordinaire, Fandor semblait négliger Sunds qu’il repoussait d’une bourrade violente. Le jeune homme se jeta à quatre pattes, ramassa les documents épars, les enfouit dans sa poche.

Pour Sunds, au comble de la rage déjà, il revenait sur Fandor.

Un coup de poing jeta le journaliste de côté, un coup de pied lui meurtrit la face. C’en était assez, c’en était trop.

Fandor d’un bond se levait.

– Et puis, zut, criait-il, tenez-vous tranquille, dégoûtant, ou je vous casse la figure.

La menace était vaine d’ailleurs pour la bonne raison qu’elle arrivait après un geste. Fandor, d’un coup de poing que n’eût pas désavoué un boxeur, en effet, avait atteint Sunds en plein visage.

– Et allez donc !

Comme une loque, Sunds s’écroula sur le sol de son atelier, évanoui.

Alors, Fandor se frotta les mains :

– C’est du bon travail que je viens de faire là. Et dire que…

Il jeta les yeux autour de lui.

– Hélène, où est Hélène ?

Affolée, n’étant pas inquiète pour Fandor qui, de toute évidence, devait facilement avoir raison de Sunds, Hélène s’était enfuie.

– Il faut que je la rattrape, murmura le journaliste, il faut que je la supplie.

Fandor sans s’inquiéter davantage de Sunds auquel il venait d’ailleurs d’administrer une correction suffisante, sortit de l’atelier en courant.

20 – LA FIN D’ERICK SUNDS

Fandor n’avait point quitté l’atelier de Sunds depuis une demi-heure et l’artiste était encore évanoui, étendu immobile sur le sol, que deux hommes s’arrêtaient à la porte de l’atelier.

Deux hommes qui n’étaient autres que Fantômas et Dick.

Fantômas riait. Dick, très grave, paraissait préoccupé. Il rompit le silence :

– Fantômas, disait-il, vous m’avez promis tout à l’heure, d’épargner Sarah si je vous faisais retrouver les papiers de votre fille. Pour vous faire retrouver ces papiers, je vous ai conduit ici. J’imagine que vous tiendrez votre promesse.

– Dick, vous devriez savoir ce que vaut ma parole. Mais les papiers d’Hélène sont-ils vraiment ici ? Je m’étonne que vous m’ayez conduit en un pareil endroit. Vous m’avez affirmé que ces papiers se trouvaient entre les mains de ma fille. Croyez-vous donc que ma fille les ait cachés dans cet atelier ?

– J’en suis sûr. Ils sont dans une grande potiche, je l’ai su par un espionnage habile.

Fantômas changea d’attitude :

– Vraiment ? Vous en êtes certain, Dick ? Dans ce cas je reconnais que vous avez tenu votre promesse, et c’est pourquoi je tiendrai la mienne.

Il s’arrêta de marcher, regarda fixement l’homme qui était le fils de Valgrand, l’homme dont il avait fait le malheur.

– Je tiendrai ma promesse, répéta-t-il gravement, et je la tiendrai immédiatement. Vous voulez que Sarah Gordon ait la vie sauve, Dick ?

– Certes, répondait l’acteur en blêmissant, ne vous l’ai-je pas dit ?

– Eh bien, si vous voulez sauver Sarah Gordon, il faut immédiatement que vous vous rendiez à la Chapelle, au cabaret du père Korn. Le premier sergent de ville, le premier passant venu vous l’indiquera. Il donne rue de la Charbonnière. Entrez-y, Dick Valgrand. Faites en sorte d’écouter ce qui se dira. Au bout d’un certain temps, vous entendrez un homme parler de la dame d’Enghien. Abordez-le. Ce sera l’un de mes lieutenants. Vous lui montrerez, tenez, cette simple pièce de monnaie, percée de trois trous. Vous lui direz que Fantômas lui ordonne de rester tranquille. Dépêchez-vous. Faites diligence ! Si vous ne rencontrez pas cet homme dans moins de deux heures votre maîtresse sera morte.

– Sarah court un danger en ce moment ?

– Un danger de mort.

– Vous avez donné des ordres, Fantômas ?

– Je n’ai pas à vous répondre. Vous avez tenu votre promesse. Je tiens la mienne. Nous sommes quittes. Allons, dépêchez-vous, courez… Souvenez-vous, Dick, que dès à présent, j’estime que je ne vous dois plus rien, je me souviens seulement que vous êtes en lutte contre moi, et ceux qui luttent contre moi, je les tue.

Fantômas avait tiré de sa poche un revolver, il le braqua sur Dick :

– Je vous dois une leçon encore. Songez que j’étais armé, quoique vous ayez pu croire le contraire, j’ai toujours deux revolvers sur moi. Mais vous le voyez, j’ai tenu ma parole. Vous m’avez conduit vers les papiers de ma fille, je vous donne la vie de Sarah Gordon, et je ne vous tue pas immédiatement, nous sommes quittes vous dis-je, partez !

– Soit, nous sommes quittes en effet, Fantômas, et nous pouvons recommencer à être ennemis. Si nous nous retrouvons face à face, ne me ménagez point, car pour Dieu, je ne vous ménagerai pas. Adieu Fantômas !

– Au revoir, Dick Valgrand.

À peine Valgrand éloigné, le bandit éclatait de rire :

– Quel imbécile que ce jeune homme, murmurait-il. Le voilà qui se rend au cabaret du père Korn, persuadé qu’il va sauver Sarah. La belle histoire. De deux choses l’une. Ou il ne trouvera personne là-bas, ou le hasard voudra qu’il y rencontre le Barbu. Si le Barbu est au cabaret, si Dick lui présente la pièce percée que je lui ai confiée, l’affaire est claire, Dick Valgrand est un homme mort. Et maintenant, au travail.

Brusquement, Fantômas ouvrit la porte. Brusquement il entra dans l’atelier.

– Sunds, appela-t-il, c’est moi.

Fantômas avait-il donc des relations avec l’extraordinaire fabricant de vieux neuf ?

Le bandit s’étonna de ne pas obtenir de réponse :

– Tu n’es point là, Sunds ?

Dans un coin de l’atelier, Fantômas venait d’apercevoir le corps de l’artiste, étendu de tout son long.

Il se précipita vers l’homme écroulé, le releva, le porta sur le divan.

– Sunds, demanda-t-il, m’entends-tu ?

Mais Sunds restait évanoui.

Alors Fantômas avisa un flacon de rhum traînant sur une table, il entrouvrit de force les lèvres du blessé, y versa quelques gouttes de la puissante liqueur.

– Bon Dieu, que m’est-il arrivé ? demandait Sunds, ouvrant enfin les yeux.

– Je n’en sais rien, mais tu sembles mal en point, camarade.

Or, à ce moment, la mémoire revint au malheureux Danois :

– Tiens, c’est toi Fantômas ? Ma foi, tu aurais bien fait d’arriver cinq minutes plus tôt.

– Pourquoi ?

– J’ai reçu une tripotée numéro un. Ça je peux m’en vanter.

– De qui ?

– De Mathusalem.

– C’est Mathusalem qui t’a mis en cet état ? interrogea Fantômas. Qui est-ce Mathusalem ? Il vit encore ?

– Mathusalem ? C’est un vieux qui est un jeune. Voilà. C’est exactement la même chose que Daniel qui est une femme. Vrai, Fantômas, depuis quelque temps, je ne sais plus comment je vis. Je ne sais pas ce qui se manigance autour de moi, mais tout se complique bigrement.

Le pauvre Sunds se frottait toujours les membres. Levant les yeux, il finit cependant par remarquer le visage sombre et l’air irrité de Fantômas.

– Au fait, demanda-t-il, qu’est-ce que tu viens faire chez moi, toi ? Il était convenu entre nous, depuis l’affaire de Bagatelle, que tu ne remettrais pas les pieds dans mon atelier. Je ne comprends pas ta présence ici.

– Tu vas comprendre, déclara sardoniquement Fantômas. Es-tu en état de me répondre ?

– Assurément, je suis aussi en état de me frictionner avec de l’essence de térébenthine. Bon Dieu, cet animal de vieux m’a littéralement coupé la peau. Demain je serai noir et bleu. Drôle de drapeau.

Sunds était gai. Fantômas, brutalement le rappela à l’ordre :

– Tais-toi, ordonna-t-il, tu riras plus tard, si tu en as le temps.

– Ah ça, qu’est-ce qui te prend, Fantômas ? Tu n’as pas l’air de bonne humeur ?

– Où sont les papiers de ma fille ?

– Les papiers de ta fille ? Quels papiers ? Je ne connais même pas ta fille.

– Si, tu connaissais Daniel ?

– Daniel ? Allons bon. Voilà que Daniel était ta fille.

Mais Fantômas n’était pas en disposition d’esprit pour entrer dans des explications. Il répéta brutalement :

– Parle… Où sont les papiers de ma fille ?

– Je n’en sais fichtre rien !

– Et moi, Sunds, je te dis que tu dois le savoir. Ils sont cachés chez toi, ici.

– Ici ? fit Sunds d’un air incrédule.

– Ici, oui, dans une potiche.

Or, Fantômas n’avait point dit ces mots : « dans une potiche », que Sunds se redressait.

– Ah bon Dieu de bon Dieu, jurait l’artiste, mais alors, je comprends, je comprends tout ! Ce sont ces papiers que ramassait le vieux-jeune pendant que je cognais dessus, avec tant de plaisir. Eh bien, c’est du joli ! S’il y avait des papiers, Fantômas, ils étaient dans la potiche que tu vois brisée par terre, et s’ils sont quelque part maintenant, ils sont dans la poche de l’individu qui m’a si promptement roué de coups.

La déclaration que faisait Sunds était en tout point sincère.

Fantômas cependant, fronça les sourcils, prit un air plus terrible encore :

– Tu mens, jurait-il, je sais que tu mens ! Sunds, c’est toi qui as pris ces papiers.

– Mais non, ce n’est pas moi.

– Si, et le vieux dont tu parles n’existe que dans ton imagination. Tu me joues la comédie en ce moment. Peut-être m’as-tu entendu parler devant ton atelier avec Dick Valgrand, et as-tu décidé de me jouer la scène que tu me joues ? Oh, oh, Sunds, il faut avoir bien de l’audace pour tenter de me faire chanter, moi ! Rends-moi ces papiers immédiatement, ou apprête-toi à apprendre ce que j’ose dans ma colère.

Mais Sunds, sans se rendre compte peut-être de l’état d’énervement où était Fantômas, demeurait fort calme et fort souriant :

– Patron, ripostait-il, je me demande ce que tu as aujourd’hui. Une fois, deux fois, trois fois, je n’ai pas ces papiers. Si d’ailleurs quelqu’un doit se plaindre, c’est moi, Fantômas, et pas toi. Car enfin, d’après ce que tu me dis, je comprends que la correction que je viens de prendre, je l’ai prise à propos de ces maudits papiers, dont je ne soupçonnais pas l’existence. Que diable, pourquoi donc aussi t’étais-tu amusé à les cacher chez moi, sans me prévenir ?

La bonne foi de Sunds était évidente. Mais la colère aveuglait Fantômas :

– Ce n’est pas moi qui ai caché ces papiers, hurlait-il, c’est ma fille, c’est Daniel.

– Dis donc, Fantômas, au fait, est-ce que par hasard le vieux Mathusalem, qui est jeune, ne serait pas un policier ?

– Laissons cela ! dit Fantômas. Je saurai plus tard si tu dis la vérité et je serai toujours en mesure de te châtier si tu mens. Il y a autre chose, Sunds, réponds-moi franchement, où est le tableau ? Je le veux. Il est temps que l’affaire nous profite.

Or, à ces mots, Sunds éclata de rire. Il retrouvait toute sa bonne humeur pour déclarer à Fantômas :

– Vrai, patron, tu exagères aujourd’hui. D’abord, tu me réclames quelque chose que je n’ai pas, et ensuite, tu me demandes autre chose que je ne peux pas avoir.

– Quelque chose que tu ne peux pas avoir ? Sunds, le tableau qui était à Bagatelle, remplaçant le fameux Pêcheur à la ligne, n’a aucune valeur. C’est une croûte. Il est inadmissible que tu ne puisses pas te le faire donner.

– C’est pourtant vrai. Cette croûte, comme vous dites, patron, a une valeur anecdotique, présente un intérêt documentaire. En tout cas, elle est célèbre maintenant, je n’ai pas pu me la procurer. Mais elle sera mise en vente prochainement par l’administration de l’Exposition. Ce n’est que partie remise. Nous l’aurons pour une bouchée de pain.

– Nous devrions déjà l’avoir. Tu me trahis, imbécile ! Je suis sûr que tu me trahis !

Or, à cette accusation, Sunds à son tour, se mit en colère.

– Zut, dit l’artiste, moi j’en ai assez de toutes ces manigances. Je te dis la vérité, Fantômas, et tu ne me crois pas. J’ai essayé d’avoir cette toile, je n’ai pas pu, une fois, deux fois. Crois-moi ou ne me crois pas, je n’y peux rien.

Sunds allait et venait dans son atelier, furibond :

– Voilà ce que c’est, répétait-il, on se donne un mal du diable pour satisfaire le client. On court le risque d’attraper dix ans de travaux forcés au moins, et après ça, on vous accuse de trahir. C’est à devenir neurasthénique.

Il allait continuer à se lamenter, à se plaindre, plaisantant déjà, car, au fond, Sunds était incapable d’une longue colère, lorsque Fantômas l’arrêta au passage, l’empoignant par le bras.

Le bandit, avec sa force herculéenne, attirait près de lui l’artiste en dépit de sa résistance :


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