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La guêpe rouge (Красная оса)
  • Текст добавлен: 4 октября 2016, 03:51

Текст книги "La guêpe rouge (Красная оса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Sarah Gordon venait de bondir vers la porte du modeste appartement, elle la claqua derrière elle, on entendit son pas menu et précipité trébucher dans l’escalier sombre.

***

Il y avait eu, en effet, entre Hélène et Dick, un entretien mystérieux et secret, au cours duquel des propos tellement graves avaient été échangés, que la jeune fille, pour rien au monde, n’aurait voulu les révéler, même à l’être qu’elle chérissait le plus au monde, même à Jérôme Fandor.

Hélène s’était endormie fort tard dans la nuit, et, terrassée par la fatigue, elle reposait encore, bien que la matinée fût fort avancée, lorsqu’un coup discret, frappé à sa porte l’éveilla en sursaut.

– Qui va là ? Que me veut-on ? demanda-t-elle, toute pâle à l’idée que peut-être Sarah Gordon avait déjà mis ses menaces à exécution, que sa retraite était découverte, que la police venait l’appréhender.

Une voix cependant, lui répondait et Hélène frissonna. Ce n’était point la police, c’était Dick, le mystérieux acteur qui voulait lui parler.

Quelques instants après, l’artiste était devant elle.

Hélène était de plus en plus perplexe. Comment celui-ci savait-il désormais son adresse, de même que Sarah la veille au soir avait su où elle demeurait ?

Dick rougit imperceptiblement :

– Votre adresse, dit-il, je l’ai eue par le fait d’une indiscrétion. Il y a trois jours, mademoiselle, vous écriviez au policier Juve pour l’informer des aventures qui vous étaient survenues, et demander, je crois, sa protection. Vous lui disiez où il pourrait vous joindre.

– C’est vrai, déclara Hélène, toute pâle. Comment se fait-il que Juve vous l’ait communiquée ?

– J’ai été incorrect, vous dis-je, interrompit l’acteur en esquissant un sourire, mais nécessité n’a pas de loi, il me fallait savoir où vous étiez, j’ai vu cette lettre non décachetée chez Juve, je l’ai prise, ouverte, voilà pourquoi je suis chez vous.

– C’est indigne, monsieur !

– Je l’avoue, mademoiselle, mais il fallait que je vous voie et surtout que je m’assure de la façon dont vous respectiez les promesses faites.

Hélène comprit alors pourquoi Sarah Gordon était venue la voir la veille. On avait voulu l’éprouver. Dick, sans doute, avait envoyé chez elle l’Américaine pour s’assurer que la fille de Fantômas tiendrait sa promesse.

Elle foudroya l’acteur du regard, puis, s’efforçant de rester calme, cependant que sa voix tremblait, elle proféra, hautaine et dédaigneuse :

– Il est difficile, monsieur, même pour un cerveau très imaginatif, de concevoir semblable ignominie, je vous en fais mon compliment.

L’acteur rougit, fronça le sourcil :

– Là n’est pas la question, déclara-t-il.

Et il ajoutait, cependant qu’il se dirigeait vers la porte, dans l’intention de se retirer :

– Je suis venu simplement pour m’assurer de votre présence et aussi pour vous dire qu’il fallait encore continuer comme précédemment, plus peut-être, à soutenir devant Sarah Gordon que je suis votre amant.

– J’allais justement vous dire, à mon tour, monsieur, qu’il me sera désormais impossible de continuer cette abominable comédie.

– Vraiment ? À votre aise ! Mais dans ce cas, je vous préviens que si vous reprenez votre parole, je m’estimerai délié de mon serment à votre égard.

– Non, non, je vous en prie ! Puisqu’il en est ainsi, ne changeons rien à ce que nous avons décidé, je ne vous rendrai pas votre parole et puisque vous l’exigez, je tiendrai mon serment jusqu’à ce qu’il vous plaise de me faire dire le contraire.

Dick s’en était allé déjà depuis quelques instants et la malheureuse Hélène demeurait effondrée, pensive, immobile, au milieu de la pièce.

Décidément, rien à faire : tout ce qu’elle faisait là avait un but unique, qui était de servir la cause détestable de son père.

***

– Eh bien, Juve ?

– Eh bien, Fandor ?

Les deux amis étaient en tête à tête, le policier debout dans son cabinet, orientait son regard inquisiteur vers le journaliste, qui, à califourchon sur une chaise, levait sur Juve des yeux étonnés, qu’il s’efforçait de rendre calmes, mais au fond desquels brillait une secrète angoisse.

– J’espère, poursuivit Juve, que tu ne crois pas un mot de ce que cette petite péronnelle, aussi exaspérante qu’exaspérée, est venue nous raconter.

– Bien entendu, Juve, je n’en crois rien, déclara Fandor, mais je vous avouerai tout de même que c’est agaçant, pour ne pas dire plus, d’entendre tramer dans la boue, de la sorte, la femme que l’on aime.

– Évidemment, fit Juve, évidemment, je ne dis pas, mais il y a autre chose, Fandor.

– Et quoi, mon bon Juve ?

Juve et Fandor étaient seuls depuis quelques instants, et s’ils étaient ainsi étonnés, perplexes, cela tenait à ce qu’ils venaient de recevoir une étrange visite. Sarah Gordon était venue voir le policier. Elle avait, assurait-elle, de graves révélations à lui faire, mais, apercevant Fandor, elle s’était instinctivement tue.

Juve l’avait mise à son aise, en lui disant alors qu’elle pouvait parler sans crainte devant le journaliste, un autre lui-même, assurait-il.

Et dès lors, avec une joie cruelle, car Sarah Gordon se rendait parfaitement compte du mal qu’elle allait faire à Fandor en parlant, puisqu’elle n’ignorait point que le journaliste était épris d’Hélène, racontait devant ce dernier, au policier, ce que la fille de Fantômas lui avait avoué à plusieurs reprises. Avoué, n’était même pas le mot. Hélène s’était vantée d’être la maîtresse de Dick, Hélène avait juré qu’elle le serait encore tant qu’il plairait à l’acteur.

Et, cependant que Juve écoutait ce récit, avec une moue sceptique, Fandor pâlissait. Mais il ne prononça pas une parole. Lui aussi savait se dominer.

Juve, toutefois, avait interrompu Sarah Gordon :

– Pardon, mademoiselle, avait-il dit de sa voix grave et pondérée, mais que M. Dick soit ou non l’amant de cette M lle Hélène, non seulement je n’y puis rien, mais encore, cela ne me regarde pas. Cela ne nous regarde pas.

– C’est possible, déclara alors Sarah Gordon, mais, en tant que policier, j’imagine, monsieur Juve, que vous n’hésiterez pas un seul instant à mettre la fille de Fantômas en état d’arrestation. Je porte plainte contre elle, une plainte formelle. Elle s’est introduite dans mon domicile, à Enghien, elle m’a menacée.

– De quoi ?

– Elle m’a menacée, et je le prouverai. En outre, la fille de Fantômas, monsieur Juve, allait être arrêtée par la police, lorsqu’elle s’est emparée de l’automobile des agents de la Sûreté et s’est sauvée avec. Je l’ai vue, de cela je pourrai témoigner. Si vous ne voulez pas recevoir ma plainte, il en est d’autres qui l’accueilleront.

Juve avait enfin l’air d’ajouter foi à ces déclarations, et il promit à l’Américaine que, d’ici fort peu de temps, elle aurait la satisfaction d’apprendre que la personne coupable de si noirs forfaits était sous les verrous.

Et dès lors, Sarah Gordon, qui ne rêvait que d’une chose, c’était de mettre le mur infranchissable d’une prison entre Hélène et Dick, s’en alla rassurée.

Fandor alors, avait dit à Juve :

– J’espère que vous ne comptez pas mettre à exécution la promesse que vous avez faite à cette femme.

Mais Juve s’était contenté de hausser les épaules. Ils avaient repris leur entretien et Juve avait déclaré :

– Il y quelque chose qui me chiffonne… Certes, comme toi, je suis convaincu qu’Hélène n’est en aucune façon la maîtresse de Dick, mais je suis également certain qu’elle en a fait la déclaration, l’aveu formel à cette malheureuse Américaine qui, depuis lors, est complètement affolée. Si Hélène a parlé de la sorte, si elle s’est accusée d’avoir Dick pour amant, alors que cela n’est pas vrai, j’en suis sûr, c’est qu’il y a un motif caché, et un motif puissant sans doute, car on ne se déshonore pas de gaieté de cœur, on n’aime pas à crier ses amours sur les toits, surtout, Fandor, lorsque, comme Hélène, on aime ailleurs.

Le journaliste serra les mains de Juve :

– Merci, dit-il, de ces encouragements que vous me prodiguez. Elle doit avoir ses raisons.

Juve approuva :

– Nous sommes en présence d’un écheveau. Il va s’agir de le débrouiller.

Le journaliste prit son chapeau.

– N’ayez crainte Juve, ce ne sera pas long. Je cours rue Ravignan, puisque c’est là, nous a dit Sarah Gordon, que l’on peut rencontrer Hélène, et je tirerai l’affaire au clair.

Juve l’arrêta par le bras :

– Doucement, petit, fit-il, doucement, pas de gaffe. Je veux à mon tour, que tu m’obéisses, et que tu procèdes comme je te le dirai. Il ne s’agit pas d’aller questionner Hélène, qui, sans doute, ne te répondrait pas, sans quoi, spontanément, elle t’aurait averti du mensonge qu’elle méditait, car elle doit très bien comprendre que si ce qu’elle crie sur les toits te parvient aux oreilles, tu en souffriras terriblement.

– Alors quoi ?

– Alors, il faut que tu connaisses le secret d’Hélène, sans être obligé de le lui demander.

– C’est de l’espionnage que vous me conseillez de faire.

– Inutile d’employer de semblables grands mots. Je te recommande une enquête discrète, voilà tout.

Quelques instants plus tard, les deux hommes se quittaient et Fandor, descendant précipitamment l’escalier de Juve, se retrouvait sur la place Saint-Pierre.

Il était tout près de la rue Ravignan. Il ne s’y rendit pas.

Après une légère hésitation, le journaliste s’était dit :

– Juve a raison ! Je ferai comme il le désire.

Et Fandor était rentré chez lui, rue Richer.

***

– À vous, la petite mère, empoignez-moi cet écorché et passez-le à l’eau de Javel !

– Jésus-Marie, si c’est des mots à employer et des choses à faire. Plus souvent que je resterai dans une taule pareille, qu’on se couche à six heures du matin, et que c’est à cinq heures du soir qu’il faut commencer le ménage. Quel ménage, encore ! Balayer des ordures dans l’atelier, astiquer le museau d’un tas de bonshommes en plâtre, et avoir des raisons quand on casse une vieille potiche.

– Hé, la petite mère, avez-vous acheté de la boustifaille, je crève de faim ?

– Vous pouvez crever tant que vous voudrez, de faim ou d’autre chose, moi ça m’est bien égal, car je vous donne mon compte. C’est trente-cinq sous que vous me devez, M. Sunds, payez-moi et je m’en vais.

Le personnage auquel s’adressait cette requête comminatoire, n’était autre que le Danois Sunds. Il était installé dans un vaste local de la place du Tertre, qui lui servait à la fois d’atelier, de chambre à coucher et d’usine.

Sunds fabriquait toutes sortes de choses et si, dans un coin de son logement, s’amoncelaient des chevalets et des toiles qui pouvaient le faire passer pour peintre, on trouvait dans un autre, de la terre glaise et des truelles qui, par leur présence, laissaient entendre que leur propriétaire était sculpteur, ou alors maçon, comme disaient les mauvaises langues.

Mais on aurait également pu qualifier Érick Sunds de pratiquer la magie noire et l’alchimie. Car, sur une sorte de fourneau installé dans l’âtre de la cheminée, cuisaient sans cesse toutes sortes de liquides odoriférants ou de pâtes nauséabondes.

Érick Sunds faisait de tout, en effet. Il était réparateur d’objets d’art, artiste peintre, sculpteur, fabricant de meubles anciens, et aussi reproducteur de pièces authentiques qu’il copiait d’une merveilleuse façon.

L’existence du Danois était fort bohème. Pendant quelques semaines, son intérieur avait eu quelques vagues apparences de régularité. C’était au moment où il vivait maritalement avec Nadia la Circassienne. Mais le Danois, inconstant, en avait eu vite assez de cette brune maîtresse et avait été fort content de la voir courtisée dans le restaurant où ils allaient le plus souvent prendre leurs repas, par l’Italien Mario Isolino. Et un certain soir, ou plutôt un certain matin qu’il était rentré fort tard à son domicile, Érick Sunds avait poussé un profond soupir de soulagement en s’apercevant que Nadia la Circassienne ne l’avait pas précédé.

Il avait compris, à l’absence de ses vêtements qu’il constata, qu’elle était partie pour ne plus revenir.

– Ouf, s’était dit le Danois, me voilà veuf désormais, et pour longtemps.

Puis, avec cette inconséquence qui est le propre et le charme des caractères artistes, il s’était immédiatement dit, après avoir dormi deux heures :

– Il va falloir que je la remplace.

Et il était parti, ayant fait une toilette sommaire, pour battre le quartier de Montmartre, avec l’intention bien arrêtée d’y trouver une maîtresse.

Érick Sunds n’avait pas de chance ce jour-la, il n’avait trouvé en tout et pour tout, qu’une ancienne marchande de quatre-saisons qui cherchait une place de femme de ménage dans un intérieur bourgeois.

Sunds lui avait dit :

– J’ai votre affaire, venez chez moi, la place est excellente, et aussi bourgeoise que possible, avec cette différence toutefois que la bourgeoise n’existe pas.

Cela avait duré environ quarante-huit heures. Puis la marchande de quatre-saisons avait donné son compte à Sunds, ou, pour mieux dire, le lui avait demandé. Elle n’était pas difficile, mais elle en avait assez de vivre dans cet effroyable capharnaüm. Elle avait dit à son maître ses vérités. Sunds ne s’était pas ému, il avait payé et dignement reconduit à la porte la femme de ménage. Il allait la lui fermer au nez, pour éviter les injures que décoche toujours la bonne qui s’en va, mais son attention fut soudain retenue par une assez curieuse apparition, qui surgissait au coin de la place.

Érick Sunds, sans plus s’occuper désormais de son ancienne femme de ménage, regarda venir vers lui un jeune ouvrier à la mine délurée, intelligente, qui traînait ses savates sur le trottoir, avec ce déhanchement particulier de tous les gaillards qui se sentent trop jolis garçons pour se donner du mal et travailler.

– Un modèle probablement, pensa Sunds. C’est curieux que je ne le connaisse pas, et cependant, il me semble que j’ai déjà vu cette bobine-là quelque part.

Sunds resta sur le seuil de sa porte. Le jeune homme vint à passer, se dandinant, avançant d’un pas nonchalant.

– Hé là, interrogea le Danois, qu’est-ce que tu cherches par ici ?

Le passant se retourna, considéra Sunds des pieds à la tête, d’un air assez méprisant, puis, d’une voix qu’il semblait s’efforcer de rendre grasse et faubourienne, il déclara :

– Je cherche du turbin, je suis fauché comme les blés. Rien bouffé depuis deux jours !

– Qu’est-ce que tu sais faire, petit ?

– Moi, fit le jeune homme, mais comme tous les autres, rien et tout.

– Rien et tout, c’est bien dans le genre de ce qu’il me faut. Dis voir, petit, poursuivait-il, des fois qu’on te donnerait la croûte et le pieu, resterais-tu par ici à faire des menus travaux ? Balayer le plancher, nettoyer le carreau, aller au marché, faire la cuisine, poser à l’occasion ?

Érick Sunds n’avait pas achevé, qu’un éclair de satisfaction brillait dans les yeux du jeune garçon. Il déclara, rougissant un peu :

– Je ne suis pas un dur, moi, et du moment que je trouve à coucher et à me nourrir, ça peut toujours marcher, quelque temps au moins.

Quelques instants après, Sunds et le jeune homme étaient attablés chez le marchand de vins. Le Danois payait la bienvenue à son nouvel ami, qui, provisoirement, allait lui servir de bonne à tout faire.

– Au fait, demanda-t-il, en remplissant pour la seconde fois les verres d’un gros vin rouge qu’on leur avait servi, au fait, comment t’appelles-tu ?

– Je m’appelle Daniel.

Tandis que le Danois buvait, le jeune Daniel regardait ce qui se passait dans la rue.

Un observateur peu perspicace aurait affirmé qu’il ne s’y passait rien et peut-être, si l’on avait consulté Sunds, aurait-il été de cet avis. Mais Daniel, semblait-il, avait remarqué quelque chose, quelqu’un. Ce quelqu’un c’était un vieillard à la grande barbe blanche, et qui s’acheminait à petits pas. Il portait sur les épaules une lourde besace, il s’appuyait sur un bâton.

Il semblait bien fatigué, le pauvre homme et, sans doute, le voyage qu’il avait effectué pour parvenir jusqu’au sommet de Montmartre lui avait été fort pénible ! C’était pour cela, évidemment, qu’il s’était assis, sur le bord du trottoir, à l’angle de la place du Tertre, presque en face de la maison où se trouvait l’atelier du Danois Érick Sunds.

Et là, semblant vouloir s’endormir désormais, il demeurait les yeux obstinément clos.

Dormait-il véritablement, cependant, et d’où venait-il, ce vieillard ?

Avant d’arriver à Montmartre, on l’avait vu monter la rue Rochechouart, et lorsqu’il avait pris cette rue au carrefour Lafayette, c’est qu’il venait de déboucher de la rue de Trévise dans laquelle il s’était engagé alors qu’il sortait d’une maison de la rue Richer.

Ce vieillard, en effet, qui désormais se reposait au sommet de Montmartre, n’était autre, fort bien grimé, ma foi, que le journaliste Jérôme Fandor.

6 – FANTÔMAS EN PRISON

Il était trois heures de l’après-midi, et, suivant l’invariable emploi du temps arrêté une fois pour toutes pour les prisonniers, Fantômas avait encore près de deux heures à rester seul dans sa cellule avant que les gardiens ne vinssent le chercher pour accomplir la promenade quotidienne dans le préau. Fantômas était seul et, assis sur le lit de camp qui garnissait le fond de son cachot, rêvait, mélancoliquement.

Quelles étaient au juste les réflexions du Génie du Crime ? À quoi pouvait-il penser ? Quels regrets, quels remords pouvaient hanter son esprit en cet instant, où, peut-être, plus que jamais, il se rendait compte de la formidable audace qu’if avait eue en se livrant à Juve ?

Les murs de la prison, épais, impénétrables, semblaient peser sur lui d’un poids écrasant. Par moments, il se prenait le front à deux mains et il soupirait alors profondément, emplissant sa poitrine d’air, comme s’il eût eu brusquement l’impression qu’il étouffait et qu’il allait mourir misérablement, là, dans ce cachot où sa volonté seule l’avait conduit. Puis, Fantômas paraissait réagir, il se levait, il marchait de long en large, il détirait ses bras dans un geste féroce, ses yeux lançaient des éclairs, un sourire menaçant glissait sur ses lèvres. Il était évident qu’il roulait de formidables pensées, qu’il méditait de terribles desseins.

La journée, pourtant, se traînait interminable. Elle était semblable à la journée qui l’avait précédée. Elle ressemblerait sans doute au lendemain qui devait la suivre.

Occupé à étudier le dossier formidable des affaires de Fantômas, Germain Fuselier ne convoquait pas encore le bandit. Celui-ci demeurait donc isolé, au secret, au fond de sa cellule, et le temps était plus long pour lui qu’il ne l’eût été pour n’importe qui. Il avait besoin d’action, car, par moments de violentes colères faisaient bouillonner le sang dans ses veines.

– Que fait Juve ? murmurait Fantômas. S’inquiète-t-il de lady Beltham ? Va-t-il me venger ? Va-t-il la venger ?

Cet homme, dont le nom seul évoquait les pires éclats, cet homme qui n’avait reculé devant aucune horreur, qui avait tout plié au gré de ses caprices, qui avait auréolé son nom d’une sanglante renommée, qui s’était haussé à une quasi-toute-puissance, apparaissait alors de courtes minutes, vaincu, déchu, incapable de se défendre.

Mais ces instants d’abattement ne duraient pas.

Qui l’eût observé attentivement eût deviné qu’il s’inquiétait surtout de sa fille disparue, de sa maîtresse assassinée et que son propre sort lui était indifférent.

Fantômas souffrait moralement, connaissait les angoisses nées de ses sentiments affectifs ; il n’avait pas l’air de mesurer l’étendue du danger où il se trouvait en ce moment.

Fantômas pris, Fantômas incarcéré dans l’une des cellules les mieux fermées de la Santé avait les mêmes préoccupations qu’il eût eues étant libre, et il n’en avait point d’autres.

Or, comme le quart venait de sonner à la grande horloge placée au centre des bâtiments pénitentiaires, Fantômas brusquement se redressa ; il prêta l’oreille une seconde, il écouta avec attention le bruit de pas qui résonnait le long du couloir et paraissait se diriger vers son cachot.

À peine avait-il prêté l’oreille qu’il sourit et murmura :

– Allons, voici une visite pour moi. C’est mon excellent défenseur qui vient me voir.

La porte du cachot s’ouvrit, et peu de temps après, en effet, M e Faramont en personne, l’illustre bâtonnier, était introduit auprès de son client.

– Maître, déclarait le gardien, puisque vous avez obtenu une permission de communiquer en cellule, et non pas au parloir, je vous rappelle les usages. Quand vous désirerez quitter votre client, vous n’aurez qu’à frapper trois coups à la porte. On viendra immédiatement vous ouvrir et vous reconduire.

– Parfait, mon ami.

M e Faramont remerciait le gardien d’un geste, et se tournait, un sourire cordial éclairant son visage, vers le terrible assassin qu’il devait défendre.

M e Faramont avait déjà vu Fantômas.

Déjà il s’était rendu à la Santé pour lui annoncer qu’il faisait droit à sa demande, et qu’il acceptait d’assumer sa défense aux Assises. Toutefois il n’avait pas encore entretenu le Génie du Crime de sa cause et c’est pourquoi il était venu ce jour-là, causer avec lui, à la Santé, afin d’étudier le système le plus favorable à adopter pour tâcher d’apitoyer le jury lors des assises.

M e Faramont jeta donc sur Fantômas un coup d’œil inquiet. Le digne avocat n’était pas, en effet, sans une certaine émotion à la pensée qu’il se trouvait seul face à face avec le redoutable bandit.

Trente ans de sa vie il avait plaidé au Civil et il était tout ému à l’idée qu’il aurait à prendre la parole dans la grande salle des Assises.

– Mon cher client, commença M e Faramont, en se frottant les mains par contenance, je suis très heureux de vous voir, j’ai vraiment beaucoup de choses à vous dire.

– Mon cher maître, répondit Fantômas, croyez bien que j’éprouve aussi un vif plaisir à me trouver en face de vous. Comme le disait une vieille chanson que j’ai entendue jadis au Crocodile :

On ne s’amuse guère en prison.

Mais les visites sont agréables.

Fantômas quitta le ton badin pour s’empresser auprès de l’avocat.

– Mais asseyez-vous, dit-il en désignant l’escabeau de bois qui se trouvait le long du mur attaché à la muraille par une chaîne. Asseyez-vous donc, mon cher maître, et donnez-moi votre serviette là. Je regrette de ne pouvoir mieux vous installer, mais à la guerre comme à la guerre, n’est-ce pas ? Vous aviez beaucoup de choses à me communiquer, disiez-vous ?

M e Faramont était à ce moment complètement ahuri. Il ne comprenait rien à l’aisance dont l’assassin faisait preuve et son calme le stupéfiait réellement.

– Oui, oui, répondait l’avocat, dominant avec peine son trouble, j’ai beaucoup de choses à vous dire, mais tâchons de procéder par ordre. Ah, voici qui est intéressant, j’ai pu, hier matin, me faire communiquer par M. Fuselier quelques pièces émanant du Parquet. Il en résulte mon cher client…

– Oh maître, faisait-il sur un ton de reproche, vous allez me parler de mon affaire ?

– Dame, sans doute.

– C’est bien ennuyeux, cher maître.

– Ah !

– Oui, c’est bien ennuyeux, reprenait Fantômas toujours souriant, mais enfin s’il le faut, disons-en quelques mots.

– Quelques mots, protesta encore M e Faramont, mais vous n’y songez pas ! Il faut absolument que nous travaillions toute la journée et très dur. Quelques mots ! Mais sapristi vous ne vous doutez donc pas du nombre de crimes qui vous sont reprochés ?

– Si, si, affirma Fantômas toujours souriant, je ne m’illusionne pas là-dessus, mais ce sont des affaires si monotones. Et puis, je sais si bien ce que j’ai à répondre. Et puis, c’est si inutile, tout ce que nous allons dire.

– Sapristi si vous m’avez pris pour avocat, Fantômas, c’est j’imagine que vous me chargez du soin de votre défense. Or, comment voulez-vous que je vous défende si je ne sais pas exactement… ?

– Vous vous trompez, il n’est nullement question de me défendre.

– Pourquoi ?

– Mais assurément, mon cher maître, il ne s’agit pas de me défendre. Voyons, dois-je apprendre à un grand logicien comme vous qu’il serait puéril, de ma part, de vouloir me défendre ?

Et comme M e Faramont demeurait muet, Fantômas achevait :

– Il faut être raisonnable mon Dieu, or voici des choses raisonnables. Je me suis livré tout seul, maître Faramont, volontairement, librement, parce que cela me plaisait. Donc, et je vous prie de remarquer ce mot d’une grande importance, donc si je me suis livré, je dois supporter les conséquences de la décision que j’ai prise en me livrant. Si je ne supportais pas ces conséquences ou plutôt si je prétendais ne pas les supporter, j’agirais comme un imbécile. Par conséquent…

– Mais de ce train-là, clama encore M e Faramont, personne n’arrivera à vous sauver, c’est un verdict certain de culpabilité, c’est la peine de mort qui vous attend.

L’avocat s’était levé, il suait à grosses gouttes ; il pensa s’évanouir de stupéfaction en entendant Fantômas lui répondre avec un parfait sang-froid :

– Oh tranquillisez-vous, mon cher maître, je ne laisserai pas les choses aller jusque-là.

– Vous dites ?

– Je dis, reprenait Fantômas, que je n’attendrai point d’être condamné à mort, je prétends d’ailleurs que j’agis toujours logiquement. Je me suis livré tout seul, vous disais-je tout à l’heure, eh bien, mon cher maître, je m’acquitterai tout seul.

– Vous vous acquitterez ?

– Ou je signerai ma grâce.

– Vous signerez votre grâce ?

– Enfin, je m’arrangerai pour partir de cette prison et ce sera là, vous le reconnaîtrez, l’essentiel.

Fantômas parlait avec un grand calme, il semblait sûr de ce qu’il annonçait.

M e Faramont, comprenant de moins en moins l’énigmatique attitude de son client, finit par lui demander :

– Vous semblez bien certain de votre salut et pourtant vous dites des énormités. Avez-vous donc un moyen indiscutable d’obtenir votre liberté ?

– Peut-être.

– Vous prétendez prouver votre innocence ?

– Je prétends sortir d’ici. Je partirai d’ailleurs quand il me plaira.

– Voyons, voyons, il n’y aurait pour moi qu’une façon de comprendre ce que vous affirmez, peut-être n’êtes-vous pas Fantômas. Vous êtes un homme quelconque, cherchant à dissimuler son identité ? Hein, c’est cela ? Vous invoquez une erreur de personne. C’est parce que vous n’êtes pas Fantômas, que vous prétendez sortir d’ici quand bon vous plaira ?

Mais Fantômas éclata de rire.

– Non, mon cher maître, répondit-il, c’est au contraire parce que je suis Fantômas, que j’agis comme je vous le dis ! Laissons cela. Nous ne serons morts, maître Faramont, ni vous, ni moi, il faut l’espérer, avant quelque temps, donc nous saurons comment tout cela finira. Il sera temps alors de nous en occuper. D’ailleurs, j’ai bien des choses à vous dire, maître Faramont. Et tout d’abord, j’ai une petite question à vous poser. Le groupe en pâte tendre que vous exposiez récemment aux Arts Décoratifs, était-il véritable, ou bien était-ce simplement une copie ? J’ai noté de curieuses différences entre les dessins de l’artiste et son œuvre.

– Vraiment ? Vous connaissez cet objet et vous savez quelle polémique il a occasionnée ?

– J’avoue que je ne crois pas à l’authenticité.

M e Faramont leva les bras au ciel :

– Allons dons, mais elle ne fait pas de doute tant elle est certaine, absolue, irréfutable.

– Vous croyez ?

– J’en suis sûr. Écoutez-moi bien…

Et, perdant de vue complètement la situation où il se trouvait, causant avec Fantômas dans la prison de la Santé, M e Faramont entreprit de développer tous les arguments qu’il avait patiemment recueillis pour prouver l’authenticité du groupe en pâte tendre.

Or, plus M e Faramont s’emballait à discuter, plus Fantômas faisait preuve d’une érudition à la fois exacte et précise.

Si le vieil avocat connaissait fort bien la porcelaine, Fantômas ne la connaissait pas moins bien que lui. Il la connaissait peut-être mieux même, car il finit par déclarer :

– Maître Faramont, vous vous trompez, et, dès que je serai libre, je vous le prouverai de façon indiscutable. J’ai quelque part, dans mes cartons, le dessin du groupe que vous possédez. Vous pourrez comparer et vous verrez.

– Vous comptez donc toujours sortir ? demanda l’avocat.

Mais Fantômas ne lui laissa pas le temps d’achever sa phrase :

– Et qu’exposerez-vous, demandait-il, aux « Internationaux » de Bagatelle ? Quelques jours avant mon arrestation, je lisais, mon cher maître, que l’on comptait sur vous pour le prêt d’un tableau constituant, paraît-il, le clou de votre collection.

– C’est exact, c’est très exact. Oh, je vois que j’ai affaire à un connaisseur. Vous êtes assurément aussi connaisseur que moi, car il n’y a vraiment que les amateurs sérieux à suivre les manifestations de Bagatelle.

– En effet, répétait Fantômas en souriant, j’aime beaucoup les arts, mais vous ne m’avez pas répondu. Qu’exposerez-vous ?

– Un véritable chef-d’œuvre, mon cher ! Le Pêcheur à la ligne, de Rembrandt.

– Fichtre !

Et il écouta M e Faramont se répandre en paroles d’admiration :

– C’est un tableau merveilleux, disait l’avocat. Je l’ai eu par une chance inouïe, à un prix abordable, mais en ce moment, à coup sûr, il vaudrait pour le moins de cinq à six cent mille francs. Et encore la valeur marchande ne serait pas la valeur artistique. Il y a là-dedans une lumière, un modelé… Ah, c’est admirable, en tout point !

– J’irai voir cela, affirma Fantômas.

Mais, à ces simples mots, M e Faramont perdit tout à coup son enthousiasme :

– Vous irez voir mon tableau ? disait-il enfin. Mais voyons, vous ne parlez pas sérieusement… l’exposition de Bagatelle sera ouverte dans moins de quinze jours, par conséquent…

– Eh bien, je m’arrangerai pour être libre dans quinze jours.

– Vous n’êtes donc pas Fantômas ?

– Pardon, je suis Fantômas.

– Alors, vous ne pouvez pas espérer être libre ?

– Si.

– Vous n’êtes pas Fantômas ?

– Je vous prouverai le contraire.

– En tout cas, remarqua-t-il, je vous tiens pour un amateur très éclairé.

– Vous êtes trop gracieux. Je ne suis rien auprès de vous. Mais j’ai eu grand plaisir à causer d’art avec vous ; dès que je serai libre, mon cher maître, je vous demanderai d’aller visiter vos collections.

Or Fantômas avait beau parler avec une parfaite bonne grâce, couvrir d’éloges M e Faramont, celui-ci, en dépit du plaisir qu’éprouve toujours un collectionneur à faire admirer à un connaisseur les trésors de sa collection, se souciait fort peu évidemment d’inviter son énigmatique interlocuteur chez lui.


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