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La guêpe rouge (Красная оса)
  • Текст добавлен: 4 октября 2016, 03:51

Текст книги "La guêpe rouge (Красная оса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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D’un pas leste, sans plus prendre de précaution, il longea le vestibule, dépassa, en homme qui connaît parfaitement les lieux, la porte d’une cuisine, tourna sur sa gauche, entra dans la petite pièce qui servait de cabinet de travail au policier.

Le visiteur nocturne promena les rayons de sa lampe sur les murs, observa la bibliothèque, surchargée de dossiers, la cheminée encore, où une pendule battait son tic-tac.

– Décidément, murmurait l’homme, Juve doit être fort bien là pour travailler.

Mais il ne perdit pas davantage son temps. D’un geste hâtif, l’individu posa sur un canapé son chapeau et son veston. Une fois en bras de chemise, il enleva ses manchettes, et tira d’une ceinture qu’il portait enroulée autour du corps une trousse minuscule qu’il ouvrit et posa à plat lui le bureau.

– Où diable a-t-il pu mettre la chose ?

Comme s’il eût été sous le coup d’une préoccupation capitale, l’individu parlait à haute voix. Il venait de prendre dans la petite trousse une longue et fine aiguille d’acier semblable à celle dont se servent les tapissiers, il s’approcha du canapé et, méthodiquement, sans se hâter, avec une habileté parfaite, il entreprit de sonder le capitonnage du meuble.

– Rien, murmura-t-il bientôt, absolument rien dans le canapé. Décidément, Juve est plus fort que je ne croyais.

Il eut un sourire dédaigneux pourtant et, repoussant le meuble, il entreprit de sonder les chaises.

Peine perdue, l’aiguille qu’il enfonça de distance en distance ne rencontrant aucune résistance.

Mais que cherchait-il donc, ce mystérieux visiteur, nuitamment venu au domicile de Juve ?

Ce devait être assurément un objet petit, facile à dissimuler, car il poursuivait sa perquisition de façon bizarre. Ayant sondé le canapé, les chaises, ayant poussé le scrupule et la minutie jusqu’à déclouer le tapis pour regarder si rien n’avait été glissé dessous, il entreprit de frapper d’un petit marteau d’ivoire les dossiers des chaises, les pieds du canapé.

– Cela sonne le plein partout, conclut-il enfin. Aucun de ces meubles n’est truqué. J’ai grand-peur d’être obligé de travailler à la dure.

Il s’était approché de la cheminée, il avait visité minutieusement les potiches qui la garnissaient, il avait déplacé la pendule. Maintenant, il fouillait dans les bibliothèques, secouant les livres, comme s’il eût voulu retrouver un papier dissimulé entre les feuillets des volumes énormes que Juve possédait.

La recherche qu’il faisait ainsi, dans les papiers de Juve, qu’il remettait d’ailleurs avec un soin extrême, à la place exacte où il les prenait, occupa une grande heure. Elle ne se termina par aucune découverte.

– Mon Dieu, murmura alors l’inconnu, Juve a dû cacher cela dans son bureau, dans son tiroir-caisse. Mais alors, évidemment, je vais avoir affaire à une sorte de coffre-fort blindé et il va m’être difficile… Bah, nous verrons bien !

L’inconnu laissa de côté les bibliothèques, et examina minutieusement le bureau de Juve.

C’était un bureau de la forme dite bureau ministre, un bureau d’acajou, qui n’était point somptueux, qui attestait par les nombreuses taches d’encre, par les coups de canif, par les rayures qu’il portait, beaucoup d’usage. C’était un meuble d’aspect robuste fait de bois massif, aux fortes serrures.

– Allons, il va falloir mettre à l’épreuve mon habileté de serrurier.

Dans la trousse qui contenait un matériel perfectionné, l’homme prit un vilebrequin, une mèche d’acier. Et dans l’appartement silencieux, un ronron régulier s’éleva.

Le cambrioleur avait appuyé son vilebrequin contre le tiroir qu’il tentait de forcer. Il perça dans la paroi un trou, puis un autre, puis un troisième.

L’homme avait d’ailleurs grand mal à mener à bonnes fin son travail. Le tiroir qu’il attaquait devait être, ainsi qu’il l’avait deviné, blindé à l’intérieur, d’une plaque de tôle assez épaisse. C’était un véritable coffre-fort dont il fallait percer la doublure d’acier.

N’importe. L’homme persévérait dans son travail. Il brisa des mèches, il pesta, mais en moins d’une heure, il eut fait trois trous dans le tiroir. Le reste, dès lors, n’était plus qu’un jeu d’enfant. Par ces trous qu’il agrandissait à la lime, l’individu introduisit une lame mince de scie, et joignant alors les trous, il entreprit de tracer trois traits entourant à peu près la serrure, ce qui devait lui permettre d’un coup de marteau de faire sauter celle-ci sans la moindre difficulté.

Il avait, d’ailleurs, merveilleusement combiné son affaire, parfaitement disposé l’emplacement de ses trous, car bientôt, il en arriva au moment où il devait, d’un coup violent, déterminer l’ouverture des tiroirs.

– De mieux en mieux, murmura l’homme. Si vraiment ce que je cherche est là-dedans, dans cinq minutes j’en serai possesseur.

Il reposa le vilebrequin dans la petite trousse, soigneusement, en homme qui ne se soucie pas de laisser derrière lui quelque outil compromettant, puis il tira de sa poche une plaque de feutre, et, la posant sur la serrure, il leva son marteau, prêt à frapper un coup dont l’étoffe interposée amortirait le bruit.

– Allons-y.

La masse d’acier qu’il soulevait, s’abattit, heurta le meuble, la serrure tomba, sans bruit, mais en même temps un cri de stupéfaction, un cri d’effroi et de peur retentissait dans la pièce.

L’homme s’était levé d’un mouvement brusque. Tremblant de tous ses membres, il venait de bondir dans un coin du cabinet de travail, et serrant son browning dans sa main crispée, il semblait attendre une lutte sans merci.

Aussi bien, en vérité, le cambrioleur avait lieu d’être effrayé.

Au moment même où sa masse d’acier avait heurté la serrure du tiroir, au moment où celle-ci s’était détachée, un phénomène extraordinaire s’était produit. L’homme n’avait pas eu le temps de détourner la tête qu’il avait eu l’impression horrifiante d’un violent éclair, embrasant le cabinet d’une lueur aveuglante, éblouissante, d’une lueur blanche, comme eût pu en produire une formidable étincelle électrique.

La lueur, cependant, n’avait duré que quelques dixièmes de seconde à peine. Dans le cabinet, désormais, la petite lampe électrique ne jetait plus qu’une demi-clarté, une clarté tremblotante qui permettait tout juste à l’inconnu, muet de stupéfaction, de voir les volutes bleues d’une épaisse fumée tourbillonnant au plafond.

Des minutes interminables passèrent. L’homme n’osait bouger, n’osait respirer. Bientôt il se calma un peu. La pendule sur la cheminée sonna douze coups lentement, tranquillement, d’un timbre argentin.

Or, on eût dit que ce petit bruit familier et paisible tirait le cambrioleur de la torpeur où la stupéfaction l’avait jeté.

– Que diable s’est-il passé ? murmura-t-il.

Il quitta l’encoignure où il s’était tapi, il avança au centre de la pièce, prit la lampe électrique, examina le bureau dans tous les sens.

– Je ne vois rien, murmura-t-il encore. Personne n’a pu venir. Qui diable a pu produire cet éclair ? Cet extraordinaire éclair ?

En se baissant, en regardant sous le bureau, il tressaillit :

– Ah fichtre, je comprends. Deux fils électriques ! Parbleu, il y avait un signal destiné, je suppose, à faire résonner un timbre quelque part, pour le cas où l’on tenterait de cambrioler le tiroir. Si je m’étais servi d’une fausse clé, j’étais pris. En fracturant la serrure, au contraire, j’ai dû déterminer un court-circuit et produire cet éclairage intensif.

L’explication était plausible, elle ne rassura cependant qu’à demi celui qui l’inventait.

Pour qu’un simple court-circuit eût produit une lueur aussi vive, il aurait fallu en vérité supposer un énorme courant électrique. Ce qui s’accommodait mal avec l’hypothèse d’une simple sonnerie.

L’homme ne pouvait, sans doute, s’attarder dans ses recherches.

– Faisons vite, dit-il encore. Ils peuvent rentrer d’un instant à l’autre et ceci m’obligerait à des choses dont je ne veux point.

Le beau calme de l’inconnu avait disparu. Ses mains tremblaient, cependant qu’il fouillait dans le tiroir-caisse de Juve. Il y avait là de nombreux papiers sur lesquels l’homme jeta un regard pressé.

– Pas intéressant, murmura-t-il, en rejetant l’une après l’autre les chemises de carton sur lesquelles l’écriture de Juve indiquait des titres impressionnants.

Puis, soudain, il tressaillit.

– Enfin ! dit-il.

L’homme venait de soulever, du fond du tiroir, une sorte de petit étui d’acier, mince, plat, dont il retira un vieux parchemin jauni, couvert d’une écriture fine, serrée, d’une écriture dont l’encre avait pâli, jauni, était presque effacée par endroits.

– Voilà ce que je cherchais, murmura l’homme.

Il eut un éclat de rire, puis, dédaignant désormais de remettre quoi que ce fût en ordre, il reprit sa course, se rhabilla, et, éteignant sa lampe électrique, se glissa dans l’ombre vers la porte de l’appartement, puis l’ouvrit et referma sans bruit.

Au bas de l’escalier, en passant devant la loge de la concierge, l’inconnu cria :

– Cordon, s’il vous plaît !

Mais au même moment, il réprimait mal un sursaut de frayeur. La porte de la loge était vitrée, en effet, et à travers cette vitre, un rayon de lumière venait d’être projeté, cependant que la concierge demandait :

– Qui va là ?

Il hésitait à répondre, lorsque d’une voix ensommeillée, la concierge ajoutait :

– Ah c’est vous, monsieur Juve ! Vous ne voulez pas votre courrier ? J’ai justement une lettre pour vous.

Il hésita une seconde, mais à ce moment la portière tirait le cordon. Sous la voûte proche de l’immeuble, la porte résonnait en s’ouvrant. L’homme n’en demanda pas davantage. Sans répondre à l’invitation qui lui était faite, il s’élança sous la voûte. Derrière lui, le lourd grillage de la porte cochère gronda en se fermant.

Or, il y avait à peine cinq minutes, il y avait moins peut-être que l’inconnu était sorti du 1 ter de la rue Tardieu, lorsque Juve et Fandor, sautant d’un taxi-auto qu’ils avaient arrêté à la gare, sonnaient à leur tour à cette porte. Juve était triste, Fandor très préoccupé.

Le policier songeait que les affaires de Ville-d’Avray, auxquelles il venait d’être mêlé, étaient des plus inquiétantes. Fandor oubliait les affaires, pour ne penser qu’à Hélène, et il se demandait si la jeune fille qu’il aimait n’avait pas couru, dans la mystérieuse maison, quelque grave danger, si elle était à l’heure actuelle saine et sauve.

Il était tard. Il importait avant tout que les deux hommes prissent du repos. Dans l’existence aventureuse qu’ils menaient, les jours se succédaient, perpétuellement dramatiques, et ils devaient savoir, par moments, tenir bon pour pouvoir lutter encore, faire taire leurs préoccupations morales, accorder quelques instants de tranquillité à leur corps harassé.

– Viens coucher chez moi, avait dit Juve.

Fandor n’avait pas refusé. Le wattman du taxi-auto payé, Juve fit passer Fandor sous la porte cochère de l’immeuble. Le journaliste et lui avançaient dans le noir jusqu’au pied de l’escalier. Juve en passant devant la loge de la concierge cria son nom, en locataire bien tranquille, et respectueux des règlements.

– Ne vous dérangez pas, criait-il, c’est moi Juve.

La voix de la portière, au même instant, s’informa :

– Ah c’est encore vous, monsieur Juve ? Eh bien vous voulez-t’y vot’ lettre ?

Juve était déjà à moitié du premier étage, il s’arrêta interrogeant :

– Vous avez une lettre pour moi ?

– Mais oui, bien sûr, vous n’avez pas entendu que je vous le disais tout à l’heure ?

– Quand m’avez-vous prévenu ? demanda-t-il.

– Dame, il y a cinq minutes, quand vous êtes sorti !

La voix de la concierge, de la complaisante femme qui s’arrachait au sommeil pour donner son courrier à Juve au milieu de la nuit, un locataire qui faisait son admiration, qu’elle considérait comme un véritable génie, trahissait quelque stupéfaction. Juve, de son côté, s’énervait.

Il frotta une allumette-bougie, et redescendit l’étage, marchant vers la porte de la loge que la concierge entrebâillait pour passer la lettre.

– Vous m’avez prévenu tout à l’heure ? répétait-il en insistant sur les mots. Il y a combien de temps ?

– Cinq minutes, peut-être.

– Je suis donc sorti il y a cinq minutes ?

La question émut définitivement la brave femme. Elle considéra Juve avec des yeux ronds que l’étonnement faisait clignoter.

– Mais pourtant je n’ai pas la berlue ! insista-t-elle. Est-ce que vous vous moquez de moi, monsieur Juve ? Il y a cinq minutes, c’est bien vous qui êtes sorti ? C’est bien vous puisque j’ai reconnu votre figure, quand j’ai allumé le projecteur.

Juve ne comprenait rien à ce qu’on lui disait. Pourtant, il ne perdit point son calme :

– En effet, répondit-il, c’est bien moi qui suis sorti tout à l’heure, mais je ne pensais pas que vous aviez eu le temps de me reconnaître. Mes compliments, madame, vous feriez une excellente policière.

Et comme la concierge se confondait en remerciements pour un compliment qui la touchait au cœur, venant de Juve, le policier recommença à monter, rejoignant son ami qui l’attendait au premier étage.

– Fandor, interrogeait Juve, tu as entendu ?

– Oui, répliquait Fandor, mais je ne comprends rien à cette histoire. Cette femme a rêvé ?

– Peut-être, répliqua Juve.

Et rien qu’à la façon dont Juve prononçait ces mots, Fandor se prenait à tressaillir. Quelques instants plus tard, cependant, les deux amis étaient à la porte de l’appartement de Juve. Le policier prit sa clé, l’introduisit dans la serrure, ouvrit. Mais comme tout naturellement Fandor allait passer devant lui, Juve l’empoigna par le bras :

– Reste derrière, petit, commanda-t-il.

– Et pourquoi ?

– Ça sent l’ail.

La réponse pouvait paraître incohérente, pourtant elle glaça d’effroi Fandor. Juve, original comme toujours, aimait intriguer ses interlocuteurs en les entretenant par phrases énigmatiques. Mais il avait cependant un ton de voix qu’il ne savait pas déguiser. Ceux qui le connaissaient, comme Fandor, devinaient aisément quand il s’agissait de choses sérieuses, et quand, au contraire, il plaisantait.

Or, Juve, à ce moment, évidemment était sérieux. De plus, Fandor se rendait compte que le policier n’avait point menti. La porte de l’antichambre ouverte, Fandor en reniflant, en humant l’air, se rendait compte que Juve avait parfaitement raison. L’appartement sentait l’ail. Il y avait une odeur d’ail intolérable qui flottait dans l’antichambre.

Qu’est-ce que tout cela signifiait ?

Fandor allait interroger Juve, lorsque celui-ci, avisant un commutateur le long de la muraille, le tourna rapidement, faisant la lumière. Et au même instant, Juve jurait :

– Nom de Dieu, on a cambriolé chez moi !

Il montrait du doigt, à Fandor, la serrure de la porte d’entrée qui apparaissait grasse.

– Huilage de la serrure, annonça Juve. Il s’agit d’un monte-en-l’air habile. Attention, Fandor !

Juve venait de mettre le browning au poing. Le journaliste l’imita, et les deux hommes, dans l’appartement silencieux, s’avancèrent, secouant les tentures au passage, ouvrant les armoires, vérifiant les placards, et, de temps à autre, humant l’air, sentant cette extraordinaire odeur d’ail qui avait d’abord attiré l’attention de Juve.

Le policier, d’ailleurs, n’hésitait pas sur le chemin à suivre. Un peu pâle, il empoigna le bouton de la porte, poussa un cri, un juron de colère, au moment où, tournant le commutateur électrique, il découvrit son bureau cambriolé.

– Nom de nom ! hurlait Juve.

Et comme Fandor atterré ouvrait de grands yeux, le policier s’écroula sur le canapé.

– Regarde, cherche, dans un étui de fer blanc, il y avait les papiers d’Hélène, vois s’ils sont encore là ?

Fébrilement alors, Fandor se précipita. En un clin d’œil, il fit l’inventaire des documents qui étaient demeurés dans le tiroir fracturé. Hélas, Juve avait eu raison. Les papiers d’Hélène avaient disparu, l’étui de fer blanc n’était plus là.

Fandor alors se laissa tomber sur un fauteuil, plus accablé encore que Juve :

– Mon Dieu, gémit le journaliste, mais qu’est-ce que cela signifie encore ? Que s’est-il donc passé ici ?

Un sanglot de rage lui souleva la poitrine. Il serrait les poings.

Juve déjà avait retrouvé son calme. La voix mauvaise, le policier répondit :

– Tu te demandes ce qui s’est passé ici, Fandor ? Eh parbleu, ce n’est pas difficile à deviner, les faits parlent d’eux-mêmes. Pendant que nous étions à Ville-d’Avray, on m’a cambriolé. Oh, il s’agit d’un cambriolage spécial, je ne suis pas inquiet pour les quelques sous qui dormaient dans ce tiroir, non. Ce sont les papiers d’Hélène que l’on voulait, ce sont les papiers que je gardais depuis les affaires du Transvaal [9], et le cambrioleur a réussi, tu le vois bien, les papiers ne sont plus là.

Juve tapa un grand coup de poing sur la table. Fandor qui s’était redressé, qui se tordait les mains, dans un geste de désespoir, demanda :

– Mais qui donc, Juve ? Qui donc a pu faire cela ? Qui donc a pu vous voler ?

– Tu le demandes, Fandor ?

Telle était l’intonation du policier, que Fandor crut deviner sa pensée.

– Vous accusez Fantômas ?

– Imbécile ! Fantômas est sous les verrous, il n’est pas sorti de la Santé, tout de même, pour venir fracturer le tiroir.

– Alors quel est le coupable ?

– Le coupable, affirma Juve, catégorique, tu devrais dire la coupable ! J’accuse Hélène.

– Vous accusez Hélène ?

– Oui, formellement ! Je vais te prouver que je ne me trompe pas.

Juve, cette fois, venait d’éclater de rire. Son rire sonnait faux d’ailleurs. On y démêlait une angoisse, une colère aussi.

– Je vais te prouver que je ne me trompe pas, répéta-t-il. Écoute Fandor, tu la sens, cette odeur d’ail ?

– Oui, eh bien ?

– Eh bien, mon petit, cela provient d’un éclair de magnésium.

– D’un éclair de magnésium ?

– Oui, je me méfiais d’un cambriolage, et j’avais pris mes précautions. Quand le cambrioleur a fracturé ce tiroir, il a déterminé l’explosion d’une certaine quantité de poudre de magnésium, cachée par moi sur la bibliothèque. À ce moment aussi, il a démasqué l’objectif d’un appareil photographique caché de l’autre côté de la muraille. Fandor, à moins qu’il ait eu une chance inouïe, le malfaiteur qui s’est introduit ici a été photographié sans qu’il s’en doute. Il a bien vu l’éclair du magnésium, parbleu, mais je parierais gros qu’il n’a pas deviné la ruse. Je te dis que ce malfaiteur est Hélène. Je vais te le prouver ; nous allons développer le cliché.

Juve poussa Fandor vers un cabinet de toilette qu’il avait fait transformer en laboratoire de photographie. Il alla chercher le châssis muni de la plaque, sur laquelle devaient être reproduits les traits du personnage qui avait cambriolé son bureau.

– Allume la lanterne rouge, ordonna Juve, je suis prêt.

Le policier venait de verser le liquide révélateur dans les cuvettes de porcelaine blanche. Fandor disposa la lanterne rouge, Juve éteignit. Dans le laboratoire obscur, lentement, la plaque commença à se révéler.

Alors, penchés l’un contre l’autre, effrayés de ce qu’ils allaient savoir, et pourtant si anxieux de le savoir qu’une palpitation faisait battre leur cœur de façon désordonnée, Juve et Fandor surveillèrent l’opération chimique. La plaque blanche d’abord, perdait de sa teinte laiteuse, se nuançait de brun. Des ombres violettes se dessinaient ensuite, vaguement, les deux hommes discernaient des contours noirs qui devaient représenter le bureau ministre du policier. Puis, le bureau lui-même se précisa, et, à côté de lui, les contours d’une tête apparurent, dont les détails, un à un sous l’action du révélateur, se dessinèrent lentement.

– Juve, Juve, cria Fandor, ce n’est pas Hélène, ce n’est pas une femme qui vous a cambriolé, c’est un homme.

On eût été encore incapable de reconnaître la physionomie du cambrioleur, mais cependant, il était déjà apparent en effet qu’il s’agissait bien d’un homme.

– Je ne comprends plus, répondit Juve, mais nous allons savoir.

Et il ricana en même temps :

– Ah le truc est bon tout de même ! Avec une preuve en main semblable à celle que je vais obtenir, j’imagine que mon voleur aura de la peine à nier.

Pour laisser le développement s’achever en toute perfection, Juve venait de recouvrir d’un morceau de carton la cuvette de porcelaine qu’il balançait d’un mouvement lent et régulier.

– Dans deux minutes au plus tard, nous pourrons retirer la plaque et la regarder par transparence, es-tu prêt, Fandor ?

– Je suis prêt.

Ils eurent tous les deux la force d’âme d’attendre encore quelques secondes, puis Juve se saisit de la plaque, la tendit dans la direction de la lanterne rouge. Ce fut un cri de stupeur, un cri d’incompréhension, qui s’échappa alors des lèvres de Juve et de Fandor.

Le cliché qu’ils venaient de développer si soigneusement, représentait bien, en effet, un homme occupé à briser le tiroir du bureau ministre.

Mais cet homme, cet homme dont les traits étaient nettement reproduits, ne pouvait, pourtant, être le cambrioleur. Car cet homme, Fandor l’avait nommé tout de suite :

– Juve, hurla le journaliste, c’est vous, Juve, qui êtes photographié !

Il n’y avait pas, en effet, à s’y tromper. La plaque, soigneusement fixée, lavée à grande eau, exposée à la lumière, ni Juve, ni Fandor ne purent garder la moindre illusion. C’étaient bien les traits de Juve qu’elle représentait, c’était bien le visage du célèbre policier qui s’était imprimé sur la plaque.

Par quel mystère l’homme qui avait cambriolé le bureau, tandis que Juve et Fandor étaient à Ville-d’Avray, possédait-il si exactement, si parfaitement, le visage du policier ?

Aucun grimage n’était possible. Les fards, les perruques, les moustaches postiches, tous les accessoires qu’emploient les comédiens et les bandits pour changer leur figure, peuvent bien, en effet, modifier l’expression d’une physionomie, mais ils sont impuissants à donner réellement, surtout en photographie, le dessin de certains visages.

C’était bien les yeux de Juve, c’était bien les oreilles de Juve, bien son front bombé, son nez un peu busqué, son menton volontaire, ses mâchoires tenaces. C’était bien Juve qui avait été photographié là. Pourtant Juve, à l’heure où le magnésium flambait dans son bureau, n’y était point : il se trouvait à Ville-d’Avray.

– Je ne comprends pas. Ce qui s’est passé ici tient de la sorcellerie.

Mais au même instant, Fandor éclata de rire :

– Que nous sommes bêtes ! dit le jeune homme qui, tout comme Juve quelques minutes avant, riait nerveusement sans éprouver cependant le moindre sentiment de gaieté. Ah, que nous sommes bêtes, Juve ! Je sais bien comment et pourquoi le visage de votre voleur est votre propre visage.

Juve leva la tête, considéra son ami, et ironiquement, lui demanda :

– Ah tu sais cela ? Eh bien, vas-y de ton explication.

– Elle est simple, Juve. Ce bonhomme avait un masque, un masque moulé sur vos traits.

Aux paroles de Fandor, Juve haussa les épaules.

– Un masque ? fit-il, parbleu oui, j’y ai déjà pensé, mais tu le dis toi-même, un masque suppose un moulage, or, on ne m’a pas moulé la figure sans que je m’en sois aperçu.

Pourtant, Fandor ne paraissait point renoncer à son idée :

– Voilà ce que c’est, Juve, que de vous être conduit comme un poseur. Est-ce que votre buste n’a pas figuré au Salon ? Est-ce que le marbre n’a pas admirablement reproduit vos traits ? Tenez, Juve, je mettrais ma main au feu que c’est sur votre buste qu’a été moulé le masque qui nous a tant stupéfiés par la photographie que nous venons d’en faire.

L’explication était plausible, simple, irréfutable. Mais elle ne fit pas plaisir à Juve.

– Tu as raison, confessa le policier, hochant la tête, je suis puni par où j’ai péché. Un masque, oui, un masque moulé sur mon buste, je suis roulé à plate couture. Mais j’aurai ma revanche, crédibisèque, j’aurai ma revanche ! Cette affaire-là, il y a quelque chose qui me dit qu’il faut la joindre à l’affaire de Ville-d’Avray et l’affaire de Ville-d’Avray, je ne serais pas étonné qu’il faille l’imputer aux chineurs, ces gens qui, en somme, ont attiré ce malheureux Faramont à la villa mystérieuse.

10 – HÉLÈNE ET SES MYSTÈRES

Au coin de la rue Saint-Vincent, tout en haut de Montmartre, trois personnages étaient réunis : l’Italien Isolino, Nadia sa maîtresse, et la fille de Fantômas.

Isolino et Nadia ne comprenaient pas très bien ce que pouvait avoir à leur communiquer la fille du bandit et pourquoi Hélène, quelques minutes plus tôt, avait semblé si pressée de les voir en particulier.

Isolino et Nadia, depuis l’affaire de Ville-d’Avray, étaient peu rassurés. Ils vivaient dans une crainte perpétuelle, une frayeur continuelle de la police et des agents de la Sûreté.

Les deux amants ignoraient qui les avait attaqués lors de l’agression de Ville-d’Avray. Aveuglés par le poivre, ils n’avaient songé qu’à fuir sans tenter la moindre résistance. Cela était fort heureux pour Hélène.

Hélène, en effet, s’était rendue à Ville-d’Avray le soir même de l’agression. Elle était renseignée sur le lieu exact de l’attaque, Mario Isolino ayant eu l’imprudence de parler trop haut au Cabaret des Raccourcis.

« Je sauverai le défenseur de mon père », s’était dit Hélène.

La vaillante jeune fille avait tenu parole. À présent, la fille de Fantômas, d’un air à la fois autoritaire et engageant, s’adressait aux amants :

– Et puis quoi, disait-elle, au moment où Isolino et Nadia se décidaient à la rejoindre, et puis quoi, des fois ? Est-ce que vous vous imaginez que je vais rester longtemps à poireauter pour vous espérer ? Non mais, vous ne compreniez pas, peut-être ? quand je vous faisais signe de radiner par ici ? En voilà des flemmards. C’est-y que vous avez hérité ?

Mario Isolino prit un sourire aimable :

– Tou es une gentille enfant, commença-t-il, mais tou nous fais peur oune peu, et qu’est-ce que tou nous veux ?

Quant à Nadia, elle campait ses deux petits poings serrés sur ses hanches, et, jetant à la fille de Fantômas un regard de défi, elle l’interrogeait :

– Qu’est-ce que tu as à nous dire ? Allez, jaspine, et ne fais pas de magnes.

Hélène, à ce moment, frémit sous le vent du soir. Une horreur, un dégoût secret lui venait à la pensée qu’elle s’entretenait ainsi, en pleine nuit, dans les ruelles désertes de Montmartre, avec les deux misérables qu’elle avait devant elle, avec ce Mario Isolino, qui, simple escroc d’abord, était devenu, au moins par intention, un assassin, avec cette Nadia, jadis encore petite femme de chambre, fine et délicate, au service de la grande dame qu’était Sonia Danidoff, et qui, par le fait des circonstances, s’était ainsi métamorphosée en une pierreuse au parler canaille, aux attitudes grossières.

Hélène se méprisait d’être obligée de parler comme une fille.

– Jaspine, répétait Nadia, conte-nous voir tes balivernes, de quoi qu’il s’agit ?

– Il s’agit de travail.

Or, cette annonce étonnait à coup sûr Isolino et Nadia. Dans la langue de la pègre, « travailler » a toujours eu pour signification « voler ». Était-ce bien un vol que la fille de Fantômas voulait leur proposer ? Certes, Hélène était connue dans la pègre, certes, on connaissait sa parenté avec le terrible Génie du Crime, mais on savait aussi que, jusqu’alors, elle semblait avoir marqué une profonde répulsion pour le « travail », justement. Hélène changeait donc ? Elle perdait donc ses bons sentiments ?

– Tou vas nous proposer une affaire ?

– Oui.

– Un vol ou un crime ?

– Oh pas un crime. Un vol !

Et, en même temps, elle reculait, effrayée malgré elle de la lueur cruelle qui venait de s’allumer au fond des prunelles de Nadia.

– Écoutez-moi bien, reprenait-elle pourtant, en tapant du pied et en faisant signe à Isolino de ne point l’interrompre, je sais que vous êtes tous les deux capables de me seconder et que vous n’avez pas peur.

– Peur ? Je ne sais pas ce que c’est, interrompit Nadia qui, depuis l’affaire de Ville-d’Avray, était devenue audacieuse, terrible presque.

– Donc, continuait Hélène, voici ce que j’ai à vous proposer : je connais un certain bonhomme, un nommé Dick, qui a sur lui, ce soir même, une très grosse somme d’argent enfermée dans son portefeuille, deux cent mille francs peut-être. Voilà. Il faut aller les lui prendre.

– Sainte Madone, c’est une somme ce que tou dis là, et vraiment tou crois qu’il a cet argent dans son portefeuille ?

– Mais tu crois que le vol est facile ? demandait Nadia. Allons, quoi, fais pas des magnes, je te dis, raconte voir un peu la manigance ?

– Voici, expliqua-t-elle. Dick, l’acteur Dick, l’homme précisément qui a été mêlé aux dernières aventures d’Enghien et du théâtre de la rue Clignancourt, Dick, enfin, a touché pas mal d’argent, il est en ce moment, je le sais, chez sa maîtresse, une certaine dame qui s’appelle Sarah et qui habite Enghien, dans un hôtel que je connais. Il en repartira vers minuit, je le sais aussi.

– Comment ?

– Cela ne te regarde pas. Bref, il s’en ira à minuit. Si vous voulez que nous tentions le coup, nous n’avons qu’à aller l’attendre. Isolino se jettera sur lui, toi, Nadia, tu le bâillonneras et tu le ficelleras, moi je me charge de le dépouiller, nous nous partagerons ensuite le pèze par parts égales. Ça colle-t-y ?

– Es-tou sûre au moins qu’il ne se méfie de rien ? Sais-tou s’il est armé ou non ? demandait Isolino.

– Je sais qu’il y a près de deux cent mille francs à se partager et que ça vaut de risquer un peu.

– Il est dix heures, dit Isolino en regardant sa montre, on a juste le temps d’arriver là-bas. Par où qu’on se cavale ?

– Par le tramway.

Hélène guidait en effet ses deux complices vers le tramway d’Enghien. Sur son ordre, Nadia grimpa dans la baladeuse, Isolino de son côté, montait dans la première voiture, mais restait sur la plate-forme, cependant qu’elle-même allait prendre place à l’intérieur, contre la vitre qui la séparait du machiniste. Dans la nuit, le tramway fila vers Enghien.

Mais quels étaient donc à ce moment les pensées et les projets d’Hélène ? Pourquoi la jeune fille qui, quelque temps plus tôt, avait essayé de paralyser les criminels desseins de Mario Isolino et de Nadia, en les mettant à Ville-d’Avray dans l’impossibilité de réaliser leur crime, les servait-elle aujourd’hui ?

Était-ce bien vers le vol que la fille de Fantômas conduisait Isolino et Nadia ?

À vrai dire, il eût fallu peu connaître Hélène pour la croire capable d’une pareille chose. Il ne fallait pas songer davantage qu’elle conduisait ses misérables compagnons à une souricière, qu’elle se préparait à livrer à la police les coupables de la tentative de Ville-d’Avray.


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