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La guêpe rouge (Красная оса)
  • Текст добавлен: 4 октября 2016, 03:51

Текст книги "La guêpe rouge (Красная оса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Où cela ?

– À Montmartre.

– Et, continua le journaliste, en désignant du geste une vingtaine d’agents qui, vêtus à la manière d’ouvriers et de petits bourgeois, se faufilaient le long des couloirs, vous avez cru devoir réquisitionner tout ce personnel pour opérer votre arrestation ?

– Oui, je veux que nous soyons en nombre. Dans cette affaire, vois-tu Fandor, il y a sûrement du Fantômas.

Les deux amis sortirent du bâtiment de la Sûreté générale et, sur le quai, ils avisèrent un fiacre :

– Conduisez-nous rue Lepic ! commanda Juve.

Dès lors, en tête à tête dans la voiture avec Fandor, le policier commença :

– Nous sommes dans une situation bizarre, enchevêtrée, complexe. Toutefois, de ce chaos de complications, émerge quelque chose de clair. Les agresseurs de M e Henri Faramont sont désormais identifiés.

– Tant mieux, soupira Fandor. C’est déjà quelque chose. Et qui sont-ils ?

Juve nettement proféra :

– Des gaillards que nous connaissons de longue date : d’abord l’Italien Mario Isolino et sa maîtresse Nadia.

Fandor paraissait surpris. Juve s’en aperçut et lui expliqua :

– Mes diverses enquêtes au sujet de l’affaire de Ville-d’Avray m’ont appris que lorsque Érick Sunds a parlé de son rendez-vous avec le bâtonnier au Cabaret des Raccourcis, il avait pour auditeurs les deux gaillards que je viens de te nommer. Le bâtonnier nous a raconté, en outre, qu’il avait été attaqué par un petit homme brun, on l’a vu descendre à la gare de Ville-d’Avray, or, Mario Isolino est un petit homme brun.

– Raisonnement excellent. J’imagine toutefois qu’il existe, dans Paris, plus d’un petit homme brun.

– Sans doute, mais il n’y a qu’une femme à Paris portant, à l’annulaire gauche, une petite bague d’or sur laquelle sont montées trois roses de diamant alors qu’il y a sur sa bague un alvéole pour en mettre une quatrième. Précisément la petite rose que j’ai trouvée sur le lieu de l’attentat. Eh bien, j’ai découvert que la femme qui porte cette bague n’est autre que Nadia, l’ancienne maîtresse de Sunds, la femme actuelle de Mario Isolino. Tu vois, Fandor, que le doute n’est pas permis, et combien l’arrestation que je médite est justifiée. J’ajoute que je vais certainement faire coup double en arrêtant les auteurs du vol du tableau de Rembrandt effectué la nuit dernière au palais de Bagatelle.

– Espérons-le, fit Fandor, bien que ce vol me paraisse avoir été fait avec une audace telle et une habileté si grande que seul Fantômas peut en être capable.

Juve hocha la tête :

– Il faudra voir à débrouiller tout cela. En effet, Fantômas, comme tu le dis, doit être pour quelque chose dans toutes ces affaires, mais j’imagine qu’il fait agir en sous-main une bande d’individus que nous ne réussirons à faire parler que lorsque les principaux coupables seront sous les verrous.

– Juve, il faudrait encore savoir quel est l’homme qui s’est introduit chez vous pour y dérober les papiers d’Hélène, précisément la nuit où nous étions à Ville-d’Avray.

– Fandor, continua Juve, il faudrait savoir aussi quel est le mystérieux habitant ou, tout au moins, la personne tragique qui a élu domicile dans la maison de Ville-d’Avray.

– Pourquoi me regardez-vous ?

– Parce que, Fandor, je me méfie malgré tout de celle que tu aimes. Hélène est très suspecte.

– Hélène est incapable…

Mais Juve l’interrompit :

– Hélène est capable de bien des choses, assura-t-il, du moment qu’il s’agit de sauver son père.

Hélas, le journaliste en était trop convaincu lui aussi, pour contredire sur ce point le policier. Il détourna la conversation et déclara :

– Moi, Juve, je me méfie de cet étranger, de cet Érick Sunds, qui exerce tous les métiers. Marchand d’objets d’art vrais ou faux, fabricant de copies, peintre, modeleur, sculpteur. Souvenez-vous, Juve, de ce masque si merveilleusement fait que portait sur son visage l’homme qui est venu cambrioler chez vous.

– Je n’oublie pas, déclara Juve. Je pense aux attitudes énigmatiques de cette Sarah Gordon et de son amoureux, Dick, l’acteur.

Lorsque le fiacre qui transportait Juve et Fandor atteignit enfin le sommet de la rue Lepic, les agents arrivés par l’autobus attendaient leur chef depuis quelques instants déjà. Le journaliste et le policier étaient d’accord. Fantômas y était pour quelque chose.

***

– Qu’est-ce que tu prends dans ton café ?

– Un peu d’eau-de-vie, ma délicieuse Nadia.

La Circassienne alla prendre dans un placard une bouteille d’alcool et en versa une copieuse rasade dans la tasse à moitié pleine de son amant.

Mario Isolino la récompensa d’une caresse, puis tous deux, assis sur un petit canapé devant une table, burent tranquillement.

Il était neuf heures du soir. L’Italien et sa maîtresse étaient chez eux, rue Girardon.

Certes, leur installation était plus que modeste et le mobilier rare dans l’appartement. On se rendait compte que le couple ne devait pas rouler sur l’or et, qu’à maintes reprises, on avait dû descendre une chaise, un meuble, un objet, pour le porter soit chez le revendeur, soit au Mont-de-Piété.

Isolino, cependant, ne paraissait pas autrement préoccupé. Tout en sirotant son café mêlé d’alcool, il fumait un long cigare et faisait des projets d’avenir :

– Tou verras, Nadia, disait-il, que nous serons riches un jour. Io médite un coup qui nous rapportera gros.

– Les coups que tu médites, dit Nadia, ne nous réussissent guère. Rappelle-toi l’aventure de Ville-d’Avray. Je crois que si nous nous mettions à travailler l’un et l’autre, nous aurions chance de mener une existence plus tranquille.

Isolino haussa les épaules :

– Le travail, c’est de la blague ! On se fatigue toute une semaine, pourquoi ? Pour amasser une misère que l’on dépense le dimanche, encore lorsqu’elle n’est pas dépensée d’avance. Non jamais. Ça ne vaut pas la peine. Mais que fais-tu donc ?

Nadia s’était levée, attirée du côté de la fenêtre par un bruit insolite.

Elle se pencha, regarda quelques instants, puis elle revint vers son amant :

– Il y a une quantité de gens dans la cour. Je me demande ce qu’ils veulent.

Isolino ne se dérangea pas.

– T’occupe pas des affaires des autres.

Mais, au moment où il faisait cette recommandation, l’Italien s’inquiéta à son tour. Il avait entendu marcher dans le couloir au fond duquel se trouvait l’entrée de son logis, et, au même instant, un coup sec était frappé à la porte.

– Qui va là ?

– Ouvrez !

Isolino et Nadia se regardèrent.

– Mon Dieu, commença la Circassienne, pourvu que…

Une poussée brusque, donnée contre la porte, avait fait sauter la serrure et, dans la pièce, trois hommes s’introduisaient. L’un d’eux braquait un revolver sur Mario Isolino, un autre, d’un geste rapide, s’élançait sur Nadia qu’il maintint solidement. Le troisième prit la parole et interrogea :

– Vous êtes bien l’Italien Mario Isolino ?

– Oui, signor.

– Bien, moi, je suis l’inspecteur de la Sûreté Michel, et je vous mets en état d’arrestation.

Michel passa les menottes à Mario Isolino, puis il dit à l’homme qui était entré le premier, le revolver au poing :

– Boucle aussi la femme, et en route pour le poste.

Le premier mouvement de stupeur passé, Mario Isolino se ressaisit et avec beaucoup d’aplomb essaya de protester :

– Mais c’est oune infamie, cria-t-il, ou alors oune erreur judiciaire ? Vous vous trompez, messieurs, io suis innocent, absolument innocent ! Vous avez violé mon domicile, c’est indigne et io refuse de vous obéir !

Michel, brutalement, le poussa vers la sortie.

– Allons, allons, pas de rouspétance, ordonna-t-il, ou sans cela nous allons te passer à tabac.

Cette menace produisit son effet. Mario Isolino se tut subitement et se laissa entraîner.

On descendit rapidement l’escalier. L’Italien fut stupéfait en voyant que la cour de l’immeuble était pleine de monde et que, en outre, aux fenêtres, beaucoup de gens apparaissaient.

« Mâtin, pensa-t-il non sans un certain orgueil, faut-il qu’ils aient eu peur de moi pour avoir mobilisé toutes ces forces de police ! »

Il n’était pourtant pas bien terrifiant à voir, l’infortuné Mario Isolino. Il avait beau essayer de faire le matamore, il courbait la tête, surtout il baissait les yeux.

Nadia, elle, était effondrée. Elle balbutia des paroles incompréhensibles, cependant que des fenêtres voisines, les femmes qui avaient assisté à l’arrestation l’insultaient de tout leur vocabulaire imagé.

– Excellent débarras, criait-on, que ces mangeurs de macaroni qui ne sont bons qu’à faire de mauvais coups.

On les entraîna jusqu’au poste de police. On fit entrer Mario dans le cabinet du commissaire. Il y était depuis quelques instants gardé à vue par deux inspecteurs, lorsqu’un homme entra dans la pièce.

En l’apercevant Mario Isolino tressaillit. Résolu toutefois à dissimuler ses craintes, il s’écria de son ton le plus aimable :

– Ah par exemple, monsieur Juve ! Io suis bien content de vous voir. J’espère que vous allez me tirer d’affaire ?

Juve fronça les sourcils :

– Nous verrons, dit-il, mais en attendant tu vas te mettre à table ! Mario Isolino, il s’agit de manger le morceau et de me raconter tout ce qui s’est passé. Voyons d’abord, raconte-moi en détails ton agression manquée de Ville-d’Avray.

Les paroles de Juve plongèrent Isolino dans un trouble extrême. Il se sentit découvert, perdu et il n’hésita pas longtemps. Après tout, puisqu’il était pris, autant dire la vérité. D’ailleurs il ne risquait pas grand-chose puisque en somme son attentat n’avait pas réussi.

Mario Isolino avoua, mais il n’oublia pas de dire à Juve les circonstances aussi fortuites que mystérieuses qui avaient fait qu’au moment où il allait dépouiller le bâtonnier de son portefeuille, une femme avait surgi, lui jetant du poivre dans les yeux.

Juve félicita Mario Isolino de sa franchise, et continua sur un ton plus doux :

– Maintenant, mon petit, il faut me raconter en détails l’histoire du tableau de Bagatelle.

Isolino ouvrit des yeux absolument stupéfaits :

– Io ne sais pas ce que vous voulez dire, commença-t-il.

Juve s’attendait à cette réponse. Il ne s’énerva point, mais précisa à son interlocuteur les détails du vol dont il le soupçonnait.

Mario Isolino, qui avait si spontanément avoué l’agression de Ville-d’Avray, protesta alors avec la plus grande énergie contre l’accusation dont il était l’objet.

– Sur la Madone ! hurla-t-il. Io vous jure, monsieur Juve, que z’ignore tout de cette histoire, et que io ne sais rien du vol de ce tableau !

La conversation se prolongea pendant une heure encore. Juve n’était pas plus avancé, il avait toutefois acquis la quasi-certitude que, comme l’affirmait Mario Isolino, l’Italien n’était pour rien dans la disparition du Rembrandt d’Henri Faramont.

***

Fandor, qui cependant était venu à Montmartre avec Juve, ne l’avait pas suivi jusqu’au poste.

Fandor avait perdu les traces de son ami alors qu’il se mêlait à la foule amassée rue Girardon, devant l’immeuble dans lequel on avait arrêté Mario Isolino et sa maîtresse.

Cela avait peu d’importance. Fandor savait mieux que personne à quel commissariat on allait les conduire.

Mais le journaliste, brusquement, avait quitté la foule, et obliquant sur la gauche, au lieu de descendre la rue Lepic avec les agents qui emmenaient les prisonniers, il était remonté vers Montmartre.

Fandor venait d’éprouver une violente émotion et il suivait, sentant son cœur battre à coups précipités dans sa poitrine, un homme et une femme, qui semblaient s’en aller précipitamment, s’enfuir, ou tout comme, en essayant de se dissimuler dans l’ombre, en rasant les murs des maisons.

– Il n’y a pas de doute, c’est elle, c’est lui ! murmura Fandor.

Il ne désespérait pas de rejoindre les fugitifs lorsque quelqu’un, soudain, se jeta pour ainsi dire sur lui.

Fandor allait écarter cet importun d’un geste brutal. Mais il ne le fit point. L’individu qui s’était planté devant lui était Bouzille.

– Tiens bonjour ! criait le chemineau. J’ai justement quelque chose à vous dire.

– Quoi ? dépêche-toi !

Bouzille cependant s’accrochait à son bras. Il déclara mystérieusement :

– Vous savez que j’ai revu M lle Hélène ? Elle est toujours gentille votre amoureuse.

– Son adresse ? Dis-moi vite où elle demeure, je n’ai pas de temps à perdre pour écouter tes bavardages.

– Ah monsieur Fandor, murmura Bouzille, que vous êtes peu aimable, ce soir !

– L’adresse d’Hélène ? poursuivait le journaliste en crispant ses doigts sur le bras du chemineau.

– Aïe ! hurla celui-ci. Mais vous me faites un mal de chien ! Je ne la connais pas, moi, son adresse. Je vous l’ai toujours dit, je suis un homme discret, moi. J’ose pas demander aux jolies femmes où c’est qu’elles demeurent.

Une violente poussée envoya Bouzille rouler dans le ruisseau.

C’était Fandor qui l’avait ainsi précipité.

– Imbécile ! cria-t-il.

Puis le journaliste courut à toute allure pour rattraper le couple qui l’avait distancé.

Bouzille restait par terre, se frottant les côtes :

– Eh bien, grognait-il, j’en ai de la guigne aujourd’hui. Des coups de poing au lieu d’argent. Et moi qui comptais toucher les cinquante balles que m’avait promis M. Fandor si je lui donnais des nouvelles d’Hélène. Rendez donc service aux amis.

Et sur cette réflexion philosophique, Bouzille qui s’était relevé, huma l’air autour de lui :

– Je crois, fit-il, que ça sent le cidre par ici ! Doit y avoir un bistro pas bien loin.

Et il ajouta moitié riant, moitié geignant :

– Allons, mon vieux Bouzille, prends-toi par la main, et amène-toi jusqu’au comptoir, histoire de te consoler en lichant un demi-setier.

***

Fandor arrivait rue Ravignan, juste au moment où il voyait le couple qu’il avait suivi, puis perdu de vue par la faute de Bouzille, s’introduire dans une maison de modeste apparence. Le journaliste n’hésita pas, il s’élança dans le couloir obscur et monta les étages derrière ceux qu’il poursuivait.

Il entendit leurs pas dans l’obscurité, il les suivit sans se préoccuper de savoir ce qui allait lui advenir.

Ceux qui le précédaient se sentaient surveillés évidemment, car ils pressaient l’allure, et ils parvinrent ainsi au quatrième en trombe.

Une porte s’ouvrit et elle allait se refermer au nez de Fandor, mais celui-ci s’interposa et pénétra dans la pièce.

Elle était éclairée par une petite lampe. Deux cris retentirent :

– Fandor !

– Hélène !

Le journaliste était en face de la fille de Fantômas.

– Je ne m’étais pas trompé, soupira-t-il.

Cependant Fandor regardait autour d’eux et constatait que la jeune fille était seule, seule avec lui dans cette pièce où ils se trouvaient tous deux désormais.

Fandor s’était-il donc trompé, puisqu’il croyait avoir vu quelqu’un entrer avec Hélène dans la maison ? Ou alors ce troisième personnage était-il caché quelque part ? Était-il resté dans le couloir ?

La pièce où se trouvaient les deux jeunes gens comportait, comme issues, d’abord la porte par laquelle ils étaient entrés, puis une fenêtre donnant sur la rue, et enfin une autre porte communiquant sans doute avec la seconde pièce de l’appartement.

Cette porte était fermée. Fandor ne pouvait s’en approcher, Hélène s’était interposée. Le journaliste cependant était ému.

Instinctivement, il avait pris les mains d’Hélène dans les siennes et la jeune fille fort émue également, s’abandonnait à l’étreinte de celui qu’elle aimait.

– Que me voulez-vous, Fandor ? Pourquoi m’avez-vous suivie ?

À son tour, le journaliste la questionna :

– Pourquoi me fuir Hélène ? Pourquoi vous cacher ? Vous savez bien que, depuis plusieurs jours, j’ignore ce que vous êtes devenue, je passe par les angoisses les plus terribles, je souffre du fond de mon cœur.

Une commisération réelle se peignit sur le visage d’Hélène qui, étouffant un soupir, répondit :

– Pauvre, pauvre Fandor.

Mais se roidissant contre l’émotion, elle ajouta :

– Je me cache de vous, fit-elle, parce que… parce que…

– Ah, cria Fandor douloureusement, parce que peut-être vous ne m’aimez plus.

– Je vous aime toujours Fandor, plus que jamais, peut-être, croyez-le, mais l’amour est malgré tout impossible entre nous.

– De grâce, expliquez-vous.

– Soit, puisque vous le voulez ! déclara Hélène. En deux mots je vais vous le dire. Pardonnez-moi si je suis brutale, mais je le dois. Je ne suis pas libre, Fandor, et je ne pourrai jamais l’être. Il m’est impossible de penser à vous, jamais, tant que mon père sera Fantômas.

– Tant que votre père sera Fantômas ? répéta Fandor. Hélas, que signifient vos propos, Hélène ? Votre père sera toujours Fantômas.

– Alors, affirma énergiquement la jeune fille, nous ne serons jamais l’un à l’autre.

– Au nom du ciel, Hélène, s’écria Fandor, dites-moi ce qui vous dicte cette attitude, ce qui vous inspire une telle conduite ?

Lentement la jeune fille déclara :

– Je dois protéger mon père, et mon devoir est de tout faire pour éviter qu’il ne lui arrive du mal. Je n’ai pas à le juger et je sais simplement qu’il est malheureux, qu’il souffre, seul au monde. Sa fille désormais peut lui apporter quelques adoucissements, quelques consolations. C’est mon devoir que je remplis. Quoi qu’il m’en coûte, je le remplirai jusqu’au bout.

Cependant qu’Hélène prononçait ces paroles qui plongeaient Fandor dans le plus sombre désespoir, un léger bruit s’était fait entendre semblant provenir de la pièce à côté.

Le journaliste, malgré son émotion, allait bondir dans la direction de cette porte fermée. Mais Hélène devina son intention, elle écarta les bras :

– Vous ne passerez pas, fit-elle.

– Oh, je comprends maintenant, je suis sûr qu’il est là. C’est votre père qui est entré avec vous, ici, dans cette demeure, c’est Fantômas que vous cachez, Hélène. Hélène, laissez-moi ! Nous avons, lui et moi, un compte à régler ensemble.

– Vous ne passerez pas, dit Hélène, tragique au suprême degré.

La jeune fille, livide, avait pris son revolver. Elle le braqua sur le journaliste.

– Hélène, cria celui-ci, tuez-moi si vous voulez, mais vous ne m’empêcherez pas…

La jeune fille lança son arme à terre.

– Je ne tirerai jamais sur vous, Fandor, cria-t-elle, mais si vous ne voulez pas m’obéir, si vous voulez passer malgré tout, ramassez ce revolver et tuez-moi. Il vous faudra franchir mon cadavre avant le seuil de cette porte.

Fandor ne broncha pas.

Des sanglots montaient dans sa gorge à l’idée de l’attitude qu’avait Hélène à son égard et ses poings se crispaient de rage lorsqu’il songeait que Fantômas était assurément de l’autre côté de la porte, dans l’autre pièce, et que, sans doute, il fallait qu’il fût bien hors d’état d’attaquer ou même de se défendre, pour qu’il ne survienne pas et qu’il soit obligé de se faire protéger par sa fille.

Mais soudain Fandor eut un sursaut.

La porte que défendait Hélène s’entrebâilla, une main passa et s’emparant du bras de la jeune fille, elle attira celle-ci dans la pièce interdite à Fandor.

Puis la porte se referma. On entendit le bruit d’un verrou. Cela dura quelques secondes à peine et Fandor, abasourdi, demeura immobile, stupéfait, mais se ressaisissant soudain, il bondit sur la porte fermée, et essaya en vain de l’ébranler. Elle lui résistait.

Un autre drame se jouait désormais entre la fille de Fantômas et le personnage qui l’avait attirée auprès de lui. Hélène, de l’autre côté de la porte, en interdisait l’approche à son interlocuteur comme elle l’avait fait pour Fandor.

L’homme qui était en face d’elle était Fantômas. Le bandit avait son mauvais regard et il tenait un long poignard dont la lame brillait à la lueur blafarde du clair de lune.

– Je veux en finir, grommelait-il. Fandor est là, je veux le tuer.

– Non, je vous le défends !

– Ma fille ! s’écria Fantômas.

– Mon père, je vous le défends, répétait Hélène, qui ne tremblait pas sous la menace du sinistre bandit et qui au contraire, soutenait son regard avec une hautaine arrogance.

Fantômas parut soudain se calmer.

– Que tu es belle, fit-il d’une voix adoucie, et que je t’aime ! Ah, tu es bien ma fille et je reconnais, dans ton attitude orgueilleuse, dans ton énergique volonté, tout mon caractère, tout mon sang. Ah si tu voulais seulement…

– Quoi donc ?

– Si tu voulais, poursuivit le bandit, qui baissait la voix pour n’être pas entendu de Fandor, nous serions à nous deux les maîtres incontestés. On t’a surnommée « La Guêpe [10] » parce que, ma chère Hélène, tu as la taille la plus fine et la plus élégante qui soit au monde. Veux-tu devenir mon associée ? Je suis le Roi du Crime, n’hésite pas à exercer tes vengeances. Tu tremperas tes mains dans le sang de mes ennemis. Ce sera ton baptême. Tu t’appelleras « la Guêpe rouge ».

– Misérable, hurla Hélène, bandit, fuyez ! Je ne veux pas vous entendre !

Fantômas, cependant, insistait :

– Je t’en supplie, Hélène, ne me repousse point, viens avec moi, vivons ensemble. Tu sais bien que tout ce que je fais, c’est pour assurer ton bonheur.

– Il n’y a pas de bonheur pour moi, s’écria Hélène, tant que mon père sera Fantômas et je sais, comme l’a dit Fandor, que tu le seras toujours.

Le bandit ricanait :

– Oui, hurla-t-il, je le serai toujours, jusqu’à ce que j’aie écrasé autour de moi cette vermine immonde de policiers qui s’acharnent sur mes traces et qui m’insultent sans cesse, qui me tracassent sans jamais m’atteindre. Mais alors, lorsque tout cela sera fini, je serai pour toi le père lé plus dévoué, le plus tendre. Alors, Hélène, tu comprendras, tu sauras…

– Je sais que je vous exècre, hurla, frémissante, la jeune fille, et que je vous détesterai toujours. Oh ne parlez pas de la voix du sang, elle n’existe pas, si ce n’est que pour m’inspirer le plus immense dégoût, une horreur insurmontable.

– Mais Hélène, tu m’aimes, puisque tu me défends, puisque tu me protèges ?

Hélène hurla :

– Je ne vous aime pas, je vous déteste ! Si j’agis comme je le fais, c’est parce que c’est mon devoir, uniquement.

La jeune fille n’acheva pas.

Un craquement formidable venait de retentir. Sous les efforts de Fandor, la porte cédait.

Mais Fantômas, plus rapide que la pensée, plus vif que l’éclair, s’en était aperçu et, sans doute, après avoir voulu tuer Fandor, estimait-il qu’il fallait pour le moment renoncer à la lutte.

Fantômas s’élançait par la fenêtre de la pièce qui donnait sur le jardin.

– Mon Dieu ! murmura Hélène, il va se tuer. Ils vont se tuer tous les deux.

Car Fandor, qui venait de bondir dans la pièce, s’élançait sur les traces du bandit.

La fenêtre donnait sur les toits. On entendit des bruits de pas précipités sur le zinc de la couverture, puis, soudain, celui d’une chute, puis plus rien.

Hélène, dont les jambes se dérobaient sous elle, se traîna jusqu’à la croisée par laquelle les deux hommes s’étaient enfuis. Son regard plongea dans l’obscurité ; elle ne vit rien.

Fantômas, cependant, faisait preuve d’une agilité surprenante. Il avait bondi du toit, bientôt il arriva sur la crête d’un mur le long duquel affleuraient les branches touffues d’un arbre. Il s’élança sur une branche. Celle-ci craqua. Fantômas tomba à terre et sa chute le sauva.

Le bandit n’avait aucune blessure. Il se releva et s’enfuit par les jardins, gagna la rue, puis disparut.

Fandor l’avait vu, mais il passa quelques instants à atteindre le sol et lorsqu’il y parvint, le journaliste avait encore une fois perdu la trace du bandit.

En toute hâte, cependant, Fandor revint rue Ravignan, sans difficultés il pénétra à l’intérieur de la maison, remonta jusqu’au quatrième étage dans le logement d’Hélène.

La porte en était ouverte, mais l’appartement était vide. Hélène avait disparu.

17 – DÉPOSÉ AU VESTIAIRE

Dans le grand hall de la Compagnie d’assurances L’Épargneoù sur des bancs de bois placés en travers étaient groupés une multitude de personnages aux apparences modestes, une voix retentit soudain :

– Le numéro 7.

– Voilà.

Un homme, très élégamment vêtu, se leva du siège qu’il occupait un peu à l’écart des bancs destinés au public.

– Attends-moi là, Jacques, déclara le personnage à un jeune homme assis à côté de lui.

Cet homme n’était autre que M. le bâtonnier Henri Faramont qui, ce jour-là, venait à la Compagnie d’assurances afin d’y toucher la prime de cinq cent mille francs, montant de la garantie qu’il avait contractée pour son tableau Le Pêcheur à la ligne, de Rembrandt, mystérieusement volé à l’exposition de Bagatelle.

M e Faramont, après quelques démarches, était parvenu sans trop de difficulté à obtenir qu’on fît droit à sa requête et que L’Épargnelui payât la somme qu’il réclamait, fort justement d’ailleurs.

– C’est à maître Henri Faramont que j’ai l’honneur de parler ? demanda le caissier chargé du paiement des indemnités.

– À lui-même, monsieur, répondit le bâtonnier.

– Veuillez, je vous prie, pour la bonne règle, me présenter votre contrat, Monsieur.

Le bâtonnier prit dans son portefeuille le document demandé ainsi que divers papiers d’identité. Sans aucune difficulté, le caissier de la Compagnie d’assurances L’Épargneversa au célèbre bâtonnier la petite fortune qui constituait le montant de la garantie du tableau volé.

M e Faramont quitta le guichet et rejoignit son fils qui l’attendait à quelques pas de là.

M e Faramont semblait légèrement ému, et, machinalement, sa main droite se portait à la poche où il avait enfermé son portefeuille.

– Dépêchons-nous, Jacques, déclara M e Faramont, j’ai grand hâte de rentrer. Vraiment je ne serai pas tranquille tant que cette somme ne sera pas enfermée dans mon coffre-fort. Songe qu’il s’agissait là d’une grosse somme, je suis vraiment heureux que cette affaire soit enfin terminée.

– Grâce à mon oncle.

– En effet, reprit M e Faramont. Keyrolles a vraiment été charmant dans cette affaire et le poste qu’il occupe à L’Épargnea joué un grand rôle dans le peu de difficultés que j’ai éprouvé pour toucher ces cinq cent mille francs.

Les deux hommes marchaient d’un pas rapide.

M e Faramont, toujours inquiet, esquissait de temps à autre un geste pour s’assurer que les bienheureux billets étaient toujours au même endroit dans son portefeuille.

Les craintes du bâtonnier devaient être vaines, car le père et le fils arrivèrent sans encombre à leur domicile.

Le bâtonnier entra dans son cabinet de travail, étala sur son bureau les cinq cent mille francs, il les comptait, les recomptait, puis, assuré qu’aucune erreur n’avait été commise, alla ouvrir son coffre-fort, glissa les billets dans un casier, referma enfin le lourd battant de fer, manœuvrant les petites serrures avec une très visible satisfaction.

– Allons, murmurait M e Faramont, voici une bonne affaire de faite, ce soir pour notre réception, j’aurai l’âme en repos.

***

Il fallait en effet à M e Faramont une âme en repos pour la réception du soir, car, dès six heures, celle-ci s’annonçait exceptionnellement brillante, réussie en tout point.

Dans les grands salons de l’appartement où M me Faramont, bien que le cœur lui en saignât, car elle était un tantinet avare, ou bonne ménagère, avait allumé toutes les lampes électriques, une foule nombreuse se pressait, qui s’ennuyait d’ailleurs considérablement, mais gardait un ton de bonne compagnie, conversait à voix basse, répondait d’un sourire aux flatteries qui s’échangeaient et dégustait aussi avec satisfaction les verres de citronnade et d’orangeade que passaient sur des plateaux plusieurs maîtres d’hôtel, des extras loués pour la soirée.

Or, vers dix heures et demie, au moment même où Jacques Faramont finissait enfin par rejoindre un attaché du ministère dont il espérait fermement obtenir les palmes, le bâtonnier vit s’avancer vers lui sa grosse cuisinière qui prenait un air mystérieux.

M e Faramont vit rouge. Il n’eût voulu pour rien au monde que la vieille bonne parût dans le salon. Il était d’usage qu’elle demeurât dans la cuisine, occupée à rincer les verres et qu’elle ne se montrât pas.

D’où provenait ce manquement aux ordres donnés ?

M e Faramont attira la vieille bonne dans un coin :

– Rosalie, qu’est-ce qu’il y a ?

– Monsieur m’excusera, mais j’ai pensé que je devais prévenir Monsieur. Il y a un bonhomme qui demande Monsieur.

– Un bonhomme ! reprenait-il. Vous êtes folle, Rosalie, de parler ainsi. Un bonhomme…

– C’est bien un bonhomme, dit-elle, il a un chapeau melon marron et un pardessus vert. Il m’a donné sa carte pour monsieur.

Elle tendit un petit carton dont M e Faramont se saisit. Le bâtonnier, toutefois, ne retrouva pas son lorgnon, il s’en consola en passant sa main sur la carte, cherchant d’un geste instinctif si celle-ci était gravée ou imprimée. Il eut un froncement de sourcils, la carte n’était qu’imprimée.

– Rosalie, je n’ai pas mon lorgnon, lisez-moi cela.

La cuisinière épela :

– Durandpaul, en un seul mot, Monsieur.

– Il n’y a pas de titres ?

– Si, monsieur, si, il y a écrit en dessous : «  Détective ».

– Et là, au crayon, qu’est-ce qu’il y a d’écrit ?

– «  Voudrais voir monsieur le Bâtonnier pour affaire très urgente et très importante. »

M e Faramont avait pâli un peu. Que pouvait lui vouloir un détective ? Il jeta un regard anxieux sur ses salons encombrés de monde. Mais nul ne semblait faire attention au colloque qu’il avait avec sa vieille bonne.

– Faites entrer ce monsieur dans mon cabinet, ordonna M e Faramont, je le rejoins immédiatement.

Le cabinet du bâtonnier avait été transformé en vestiaire. Les meubles, les chaises, étaient recouverts de vêtements ceinturés de ficelles roses auxquelles pendaient de petits numéros de carton. La pièce était comme ouatée de silence. M e Faramont en y entrant, aperçut tout de suite le détective qui l’attendait.

– Vous me demandez. Monsieur ?

– J’ai le plaisir de parler à Maître Faramont ?

– Oui, Monsieur. Qu’y a-t-il pour votre service ?

Le visiteur au lieu de répondre directement à M e Faramont traversa la pièce et tranquillement alla fermer la porte que le bâtonnier avait laissée entrebâillée derrière lui :

– Il faut que personne ne nous entende, dit-il.

La porte fermée, le visiteur revint vers M e Faramont et, à brûle-pourpoint :

– Asseyez-vous donc.

– M’asseoir ? Pourquoi ? Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?

L’attitude étrange vraiment de ce Durandpaul commençait à impressionner désagréablement le bâtonnier. L’autre, pourtant, ne paraissait point s’en apercevoir. C’est avec un calme parfait qu’il revint se camper en face de M e Faramont :

– Asseyez-vous, répéta-t-il. Il vaut mieux que vous ne soyez pas surpris debout.


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