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La guêpe rouge (Красная оса)
  • Текст добавлен: 4 октября 2016, 03:51

Текст книги "La guêpe rouge (Красная оса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Eh bien, ne vous occupez pas de la toiture, ni de l’atelier mais bouchez-moi rapidement les dégâts occasionnés au mur.

– Bien, monsieur.

Un gardien accourait :

– Monsieur le directeur, l’inspecteur Juve vous attend.

***

Fantômas n’était pas loin. Fantômas, supérieur aux événements, prêt à tout, merveilleux d’audace et de sang-froid, était là, précisément où il voulait être, là où il avait décidé d’être, lorsque tout ce qu’il avait prévu serait consommé.

L’extraordinaire bandit, le Roi du Crime, une fois encore, venait de réussir la plus affolante des aventures.

Le Génie, véritablement, avait donné sa mesure en combinant l’évasion en train.

Lorsque Fantômas, en effet, avait décidé de se livrer à Juve pour que le policier s’attachât à poursuivre les assassins de lady Beltham, il avait eu l’audace, au préalable, de préparer minutieusement la façon dont il sortirait de la Santé, si besoin en était, à son heure et à son jour.

Le plan de Fantômas avait le mérite d’une simplicité extraordinaire. Il connaissait la Santé et la disposition intérieure des locaux de la prison. Il n’ignorait rien de la situation respective de l’atelier d’imprimerie, de la toiture du grand préau, du mur qui bordait ce grand préau.

Plus même, Fantômas savait que ce mur était creux, et que dans ce mur, caché entre ses deux flancs, il pourrait trouver une retraite insoupçonnable.

Et dès lors, Fantômas avait mûri un plan qui, jusque-là, semblait devoir parfaitement réussir.

Un ancien compagnon, un bandit qu’il savait prêt à tout, qui n’était autre que le Gréviste, avait reçu de lui des instructions formelles.

L’homme connaissait les travaux d’imprimerie. Il devait faire en sorte de se faire arrêter, d’être incarcéré à la prison de la Santé, d’être affecté aux ateliers dominant la cour de promenade, d’être prêt à faire tomber une lourde machine sur le mur creux au jour, à la minute où Fantômas le lui commanderait.

Le Gréviste n’avait pas failli à sa tâche.

Homme habile, il avait lentement descellé la lourde presse autour de laquelle il travaillait. Une savante combinaison de courroies de transmission lui avait permis, par une simple manœuvre, d’ébranler la machine et de la précipiter contre la muraille qu’elle renversait en tombant là où il le fallait.

Même le Gréviste avait essayé en choisissant l’heure propice – Fantômas lui laissant le choix – de tuer un gardien auquel il en voulait particulièrement.

Fantômas, dès lors, avait agi avec une extraordinaire rapidité. Tout d’abord par bravade, pour stupéfier ceux qui auraient à s’occuper de l’affaire, il arrachait à une mort certaine le gardien menacé. Puis tandis que l’homme roulait au loin, tandis que l’affolement s’emparait de tous, après avoir une seconde fait le mort, il s’était glissé derrière la machine, avait sauté, plus vif que l’éclair, sur le faîte du mur, par un bond prodigieux, et s’était laissé glisser à l’intérieur de ce mur.

Fantômas, dès lors, échappait à tous les regards. Entré dans le mur, caché mais étouffant presque, dérobé aux regards de tous, Fantômas n’avait plus qu’à ramper lentement pour s’écarter de l’endroit où la brèche avait été faite par la machine éboulée, et éviter ainsi d’être repris.

Il n’était pas sauvé, d’ailleurs. À l’intérieur du mur noir, Fantômas courait le risque d’être découvert par les maçons, qui, appelés d’urgence, allaient l’enfermer irrévocablement en rescellant les moellons éboulés. Fantômas devait le savoir, car il ne manifesta aucune hésitation, aucune frayeur. Tandis que le directeur le cherchait partout, tandis que l’affolement régnait à l’intérieur de la prison, le bandit, caché dans le mur creux, continuait de progresser pouce par pouce en prenant des précautions insensées. Le mur avait peut-être une dizaine de mètres de longueur, il mit près de trois quarts d’heure à les parcourir, mais quand il s’arrêta enfin, il soupira, joyeux, soulagé.

– Sauvé, murmura Fantômas.

La situation exacte, à ce moment, pouvait se résumer ainsi :

Tous les gardiens de la Santé le recherchaient. Juve était prévenu et il était lui-même, Fantômas, au centre presque de la prison, enfermé dans une muraille, ayant à la défoncer, si d’aventure il voulait vraiment s’échapper et non se suicider.

Pourtant, Fantômas avait répété plusieurs fois :

– Sauvé, je suis sauvé.

Or, au moment précis où le bandit, à l’intérieur de sa cachette, se félicitait et s’estimait hors de danger, il tressaillit violemment et prêta l’oreille.

Deux voix parvenaient jusqu’à lui. Deux hommes s’entretenaient à quelques centimètres évidemment de lui, appuyés peut-être contre le mur à l’intérieur duquel il se cachait. L’une de ces voix était inconnue de Fantômas, l’autre, c’était la voix de Juve.

Très calme, Fantômas prêta l’oreille.

– Il n’est pas possible qu’il soit loin, disait M. Malherbe.

Juve répondait :

– On ne peut rien affirmer avec un bandit de cette espèce, et le mot impossible n’existe pas pour lui. Toutefois, monsieur le directeur, je crois comme vous, d’après l’enquête que nous venons de faire en commun, que Fantômas ne peut pas être loin. Il a pu se cacher ici, dans la prison même. Et si vraiment il y est, ah dame, il lui faudra bien de la chance pour arriver à en sortir, étant donné les précautions prises, étant donné le nombre des policiers que j’ai amenés, et que j’ai postés partout.

Fantômas n’écoutait plus. Le misérable subissait une douleur épouvantable.

La cachette de Fantômas était si étroite que le bandit pouvait tout juste s’y dissimuler. S’il avait fait le moindre bruit, Juve et Malherbe l’auraient entendu comme il les avait entendus causer, et, dans cette position critique, alors qu’il ne pouvait se mouvoir, Fantômas sentit qu’une bête remuait dans l’ombre, une bête, un rat, un gros rat, un gigantesque rat d’égout qui courait sur lui, poussant de petits cris aigus et qui, bientôt, lui ayant effleuré le pied, le mordait cruellement. Que faire ? Se défendre c’était se livrer.

Fantômas, stoïque, serra les dents, se laissa mordre, sentit que son sang coulait, mais demeura immobile.

De l’autre côté du mur, Juve et Malherbe continuaient leur dialogue :

– Il faut d’abord, disait le directeur de la Santé, mettre au courant le Garde des Sceaux. Pour moi, c’est en somme une question de responsabilité. Je vais passer au ministère de l’Intérieur, et au ministère de la Justice. Est-ce que vous m’accompagnez, Juve ?

– Non. Attendez encore une heure, monsieur le directeur, je fais fouiller les caves en ce moment, je veux savoir le résultat de ces perquisitions.

Le directeur de la Santé s’éloigna en compagnie de Juve. Le bandit qui était livide, torturé par les morsures du rat, et qui avait eu la force d’âme de ne point bouger, respira profondément. Il se baissa alors et, au risque d’être plus cruellement mordu encore, ses doigts fouillèrent dans l’ombre. Il attrapa le rat, ses doigts se refermèrent sur lui. La bête eut beau se débattre, il l’étrangla lentement, impitoyablement, ne jetant le corps de l’animal au loin, qu’après s’être assuré qu’il était sans vie.

« J’ai eu peur, se disait Fantômas. Décidément on ne songe pas à tout, cette maudite bête a failli faire ce que ne sauraient faire Juve et tous ses policiers. »

D’un regard, Fantômas s’assura d’abord que les maçons avaient rebouché la brèche par laquelle il s’était introduit dans le mur creux. Il ne pouvait voir cette brèche de l’endroit où il se trouvait, mais il eût à coup sûr découvert, si elle était demeurée ouverte, une clarté, un rayon de lumière. Or, l’obscurité était absolue. « C’est le moment d’agir », répéta le monstre. Et à cet instant, changeant lentement de position, il sembla se préparer à un effort puissant. Fantômas, en effet, s’arc-boutait du dos et des bras aux deux murailles qui limitaient sa cachette. Il prenait un point d’appui sur ses genoux aussi, alors il banda ses muscles, un cri s’échappa de ses lèvres :

– Hardi, c’est pour être libre !

En face de lui, la muraille s’écroula, Fantômas venait de défoncer le mur, il roula sur le sol. Où était-il ?

Rapidement, il s’orienta, puis éclata de rire :

– Décidément, j’ai parfaitement combiné mon affaire, je suis bien dans la remise.

Fantômas était, en effet, dans une remise où se trouvait une somptueuse voiture automobile, une limousine salon, appartenant à M. Malherbe. Le mur qui fermait la cour des préaux d’un côté, fermait de l’autre, à l’une de ses extrémités, le fond de cette remise.

Fantômas eut un ricanement satisfait en se relevant.

– En un autre endroit, murmurait-il, j’aurais évidemment perdu mon temps à essayer d’enfoncer la muraille partout où elle est faite de briques et de moellons. Il n’y a qu’ici qu’elle est continuée par de simples carreaux de plâtre. Les architectes du gouvernement ont voulu faire des économies. Je leur dois des actions de grâce.

Il rit encore, étendit les bras, en homme que l’immobilité a terriblement fatigué, puis banda avec son mouchoir la plaie de son pied, qui saignait sur le sol.

– Inutile de laisser des traces derrière moi.

Debout, désormais, Fantômas écouta. Il collait son oreille au mur qu’il venait de défoncer.

– De ce côté, murmurait-il, je n’ai évidemment rien à tenter. Il y aurait là cinquante argousins prêts à m’empoigner. Voyons par ici.

Évitant de faire du bruit, marchant avec une précaution extrême, Fantômas traversa la remise. Il colla son œil à la serrure, regarda :

– Parfaitement, murmura le bandit, c’est bien ce que j’avais prévu. Cette remise donne sur la petite cour qui se trouve elle-même derrière les bâtiments administratifs, bâtiments devant lesquels est la cour d’honneur puis, enfin, les premiers bâtiments de la prison, la porte cochère, la rue, la liberté.

Il regarda quelques instants encore, par le trou de la serrure, qui lui servait de poste d’observation. Il éclata de rire une fois de plus :

– Peste, dit Fantômas, Juve a bien fait les choses. Ou je me trompe fort, ou voici aux quatre angles de cette courette, quatre individus qui sont quatre agents de la Sûreté. Si je sors par là, je suis sûr de me faire appréhender. Sortir par le fond de la remise est impossible, sortir par le devant est également impossible. Il n’y a rien à tenter contre les murailles que j’ai à droite et à gauche. Sans outils, elles sont infranchissables. Allons, je suis dans une souricière.

Il disait cela avec un grand sang-froid. Avec un sang-froid plus profond encore, il enleva sa veste, et comme s’il eût tout le temps voulu devant lui, comme si aucun danger ne l’eût menacé, avec un soin extrême, il commença à la brosser.

Son vêtement rapproprié, Fantômas qui venait de réfléchir profondément, se mit à sourire d’un sourire indéfinissable.

Il n’hésita plus. Il marcha vers l’automobile, ouvrit le coffre à outils fixé sur le marchepied, prit le tournevis, revint vers la porte de la remise. Le bandit colla à nouveau son œil au trou de la serrure.

– Décidément, murmura-t-il, les hommes postés par Juve sont des serviteurs exemplaires. Rien ne les distrait de leur faction, ils sont là et ils y restent. Ma foi, tant pis.

Fantômas se redressa et, méditant quelque projet évidemment ahurissant, entreprit, avec tranquillité, de défaire les vis qui retenaient la serrure.

***

– Juve, coûte que coûte, il faut que nous ayons cet homme !

– Monsieur le directeur, je suis de votre avis, mais je dois ajouter que si nous voulons obtenir un résultat, il faut fouiller de fond en comble la prison. Or, pour fouiller la prison, il me faut cent agents de plus. Si vous allez au ministère, emmenez-moi et déposez-moi à la Sûreté. Je verrai M. Havard et j’obtiendrai de lui les renforts dont j’ai besoin.

– Venez, en ce cas.

M. Malherbe et Juve, depuis deux heures, cherchaient vainement Fantômas.

Juve avait voulu regarder partout, il avait visité les caves, les greniers, il était même monté sur les toits, et il n’avait rien trouvé.

Juve avait poussé la précaution jusqu’à monter sur l’échelle des maçons qui rebouchaient le mur écroulé. Malheureusement le policier avait été victime des affirmations de ces ouvriers. Ceux-ci ne lui avaient pas dit qu’ils avaient déjà rescellé deux moellons, quand il était venu inspecter leurs travaux, et par conséquent Juve n’avait vu, en fait de brèche, qu’un trou fort petit, par lequel Fantômas n’aurait pas pu s’introduire.

Le policier, en conséquence, n’avait pas insisté.

Juve, d’ailleurs, s’aiguillait sur une fausse piste. À force d’interroger les témoins de l’accident, il avait appris le rôle singulier joué par Fantômas au moment de l’écroulement du mur.

Et Juve, croyant être logique, se disait :

– Si Fantômas a sauvé un gardien en risquant d’être tué, ce n’est évidemment pas par bonté d’âme, c’est en vertu d’une idée préconçue. Il a sauvé le gardien pour quelque chose, pour tirer parti de sa qualité de gardien. Pour aider à l’emporter à l’infirmerie, pour sortir des préaux. Il doit être caché dans la Santé, mais où ? Où, mon Dieu.

Et Juve ne se doutait certes pas qu’à un moment donné, il avait été à quelques centimètres à peine de Fantômas, séparé de lui seulement par les quelques pierres qui constituaient l’un des côtés du mur…

Le policier, cependant, en compagnie de M. Malherbe, se dirigeait vers la remise. Le mécanicien avait été prévenu d’urgence ; il accourait, la clé de la remise en main. M. Malherbe lui ordonna :

– Dépêchez-vous…

Mais au même moment, le serviteur avait reculé, stupéfait :

– Regardez donc, monsieur le directeur.

Ce fut Juve qui répondit :

– C’est par là que Fantômas vient de s’enfuir.

Juve, du premier coup d’œil, en effet, avait deviné ce qui surprenait le mécanicien.

Au moment d’introduire la clé dans la serrure, l’homme s’était aperçu que celle-ci avait été arrachée de l’intérieur, que la remise avait été ouverte.

M. Malherbe protesta :

– Fantômas n’a pas pu s’enfuir, puisque quatre de vos hommes étaient en faction dans la cour.

Mais était-ce bien là un argument méritant d’être pris au sérieux ?

– Si Fantômas n’était point sorti par là, disait Juve, la serrure ne serait pas arrachée.

Sans discuter plus longtemps, d’ailleurs, il poussa d’un coup d’épaule la porte de la remise, entra.

– Tenez, hurla-t-il, regardez donc.

Derrière la voiture, le policier montrait le mur écroulé, les carreaux de plâtre arrachés, encore sur le sol.

Vers cette brèche, Juve se précipita. Il regarda le mur creux, imagina ce qui avait dû se passer.

C’est dans une colère abominable que Juve expliquait à M. Malherbe ce qui s’était passé :

– Parbleu, mais c’est simple comme bonjour, et je suis un imbécile de ne pas y avoir songé ! La machine à imprimer, en tombant, a défoncé le mur, Fantômas s’est glissé à l’intérieur de ce mur, creux, l’a suivi jusqu’à son extrémité, a arraché ces carreaux de plâtre et est sorti par votre remise.

– Malgré vos policiers ?

– Dame, il faut bien le croire.

Un instant plus tard, Juve montrait le coffre à outils ouvert, sur le marchepied de l’automobile.

– Tenez, disait-il, c’est là qu’il s’est approvisionné des outils nécessaires. Eh bien, nous sommes roulés et bien roulés.

Juve parlait avec rage, cependant que M. Malherbe levait les bras en l’air en signe de désespoir.

– Si Fantômas est sorti de cette remise, disait le directeur, nous ne le rattraperons jamais.

Mais M. Malherbe ne connaissait pas la ténacité de Juve :

– Allons donc, c’est enfantin ce que vous dites. Certes, il est évident que Fantômas est sorti de la remise, la serrure arrachée en fait foi, mais il est bien évident aussi qu’il n’a pu aller loin. La prison est fermée, personne ne peut la quitter, donc, il est à l’intérieur de la prison. Mieux même, puisque quatre de mes hommes étaient en faction dans la cour, devant cette remise, il faut bien que nous admettions pour certain que Fantômas n’a pas pu aller loin. Il doit être tout près, à côté de nous. J’imagine qu’à peine sorti d’ici, il s’est jeté dans une autre cachette. C’est la seule explication possible à ce fait ahurissant : la sortie de Fantômas de cette remise sans que mes agents l’aient vu.

Or, tandis que Juve cherchait ainsi le bandit, tandis qu’il décidait qu’il devait être à côté de lui, Fantômas était en effet si près du policier, qu’il devait se mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire.

Fantômas, en effet, ne perdait pas une seule des paroles de Juve, un seul de ses mouvements.

Il entendait M. Malherbe pester et sacrer, il entendait Juve fulminer, il entendait enfin cet ordre :

– Chauffeur, mettez en route, disait Juve, nous partons !

Le moteur se prit à ronfler, un craquement des leviers annonça que le mécanicien embrayait. Lentement, la voiture démarra. Elle sortit de la remise, elle évolua dans la courette, passa sous les bâtiments administratifs, franchit la porte cochère.

Juve, qui était monté à l’intérieur de la voiture, se pencha à la portière :

– Garde, recommandait-il au concierge, nous sortons, M. le directeur et moi, mais il est bien entendu, n’est-ce pas, que nous devons être les seuls à quitter la Santé !

Le directeur ajouta :

– Que personne ne s’éloigne avant notre retour.

M. Malherbe, ces mots dits, ordonna au mécanicien :

– Marchez vite, mon ami, à la Sûreté d’abord.

À ce moment, Fantômas respira profondément, puis gouailla à part soi :

– Il m’est profondément indifférent que personne ne sorte désormais, et je me moque fort des précautions de Juve.

Où donc était le bandit ?

L’automobile accéléra sa marche, elle traversait le trottoir, tournait sur la chaussée, atteignant enfin sa pleine vitesse. Or, la voiture avait à peine avancé d’une centaine de mètres, elle croisait tout juste une autre automobile rangée le long du trottoir, arrêtée là, où elle stationnait d’ailleurs chaque jour depuis près d’une quinzaine, que deux détonations retentissaient. À ce moment deux balles de revolver perçaient le toit de la voiture où se trouvaient Juve et le directeur de la Santé ; les deux hommes, par miracle, n’étaient pas atteints, mais, leur premier émoi passé, ils bondirent aux portières. Hélas ! il était trop tard.

Juve et M. Malherbe avaient tout juste le temps de comprendre ce qui venait de se passer.

Du toit de leur propre automobile, de l’intérieur de la boîte de pneus de rechange, un homme couché au milieu, roulé en boule, échappant naturellement à tous les regards, venait de bondir.

Bien que la voiture fût lancée à toute vitesse, il trouvait moyen, faisant preuve d’une habileté d’acrobate, de sauter sur le sol et de conserver son équilibre.

– Fantômas, Fantômas ! hurla Juve.

Et c’était bien lui, en effet, qui s’échappait définitivement, après avoir réussi la plus extraordinaire des évasions. Fantômas, en effet, avait merveilleusement dupé Juve.

À sa sortie hors du mur, il s’était parfaitement rendu compte qu’il était pris, dans la remise, comme dans une véritable souricière. S’y dissimuler était impossible. Mais Fantômas savait triompher de tous les obstacles.

En regardant autour de lui, il songea à la pile de pneus dressée sur le toit de la limousine.

« Ceci peut me faire une cachette, pensait-il, une cachette d’autant meilleure que, si l’on ne m’y découvre pas, la voiture même de M. Malherbe se chargera de me conduire hors de la Santé. » Et c’était tout simplement pour donner le change, pour éviter que Juve ne pût penser à fouiller la remise que Fantômas avait pris la précaution de dévisser la serrure pour faire croire qu’il était déjà loin.

Juve s’était pris à cet infernal stratagème. Ainsi que l’avait désiré Fantômas, il avait supposé que le bandit n’était plus dans la remise et il payait maintenant la faute qu’il avait commise en ne fouillant point le petit local où, cependant, il avait trouvé des traces du bandit.

À la portière de l’automobile, Juve hurlait :

– Fantômas, Fantômas !

Mais que pouvaient bien ses cris ?

Le bandit, en deux bonds, avait rejoint l’automobile stationnant le long du trottoir.

La voiture appartenait assurément à des complices, elle l’attendait à n’en pas douter. À peine Fantômas avait-il sauté sur la banquette que la voiture démarrait.

Bien avant que Juve et M. Malherbe aient eu le temps de prévenir leur conducteur, bien avant que leur propre automobile ait pu s’arrêter, virer, partir pour donner la chasse, la voiture de Fantômas avait démarré à toute allure, brusquement tourné dans une petite ruelle, tourné encore un peu plus loin.

Où était-elle ? Qu’était-elle devenue ? Nul n’aurait pu le dire.

14 – ON EN PARLERA

Ce matin-là, une activité inhabituelle régnait dans la boutique de Sunds. C’était, d’ailleurs, le désordre le plus complet. De tous les côtés, il y avait de grosses caisses de bois s’échafaudant les unes sur les autres, à demi éventrées et vomissant d’énormes bottes de paille dont les brindilles s’étalaient sur le sol et le plancher.

Un peu partout, il y avait des objets de toute nature, de toutes tailles, soit posés sur des chaises, soit amoncelés sur des étagères, ou même simplement poussés dans les coins. On avait l’impression qu’il s’agissait là d’une liquidation générale ou alors d’un déménagement.

Le Danois déménageait-il ?

Non, mais c’était tout comme, car il mettait sens dessus dessous son intérieur comme s’il avait eu l’intention de le modifier de fond en comble. À ce moment-là, il pouvait être neuf heures du matin, Sunds était tout seul dans son atelier. Quelques instants auparavant, il avait envoyé son jeune camarade Daniel lui acheter une boîte de clous au bazar le plus proche. Et ce jeune homme mystérieux et nonchalant, comme à son ordinaire, tardait évidemment à revenir au gré de Sunds, car celui-ci s’impatientait, grommelait entre ses dents :

– Assommant, insupportable, ce petit Daniel. Jamais là quand on a besoin de lui.

Sunds, d’ailleurs, sincèrement, reconnaissait :

– Il est vrai que, pour ce que je le paie, je ne puis pas exiger grand-chose.

Sunds, en effet, ne donnait à Daniel que son amitié.

De temps à autre, il l’invitait à déjeuner ou à dîner et lui permettait de coucher dans la soupente voisine de l’atelier. En échange, le jeune garçon lui faisait ses courses, l’aidait de temps à autre dans les besognes difficiles. Mais, malgré l’existence intime que menaient l’artiste et son nouveau compagnon, ils étaient toutefois très éloignés l’un de l’autre, et si Sunds, parfois, avait tenté quelques questions indiscrètes sur l’existence antérieure de Daniel, celui-ci, ou ne lui avait pas répondu, ou l’avait rabroué de la belle façon, lui disant que chacun était libre de vivre à sa guise et que lui, particulièrement, très indépendant de sa nature, prétendait ne rendre de comptes à personne.

Sunds, d’ailleurs, n’avait pas insisté.

Ce matin-là, toutefois, le pacifique Danois était fort énervé. À deux ou trois reprises il jura :

– Quel animal ! Il lui en faut, un temps !

La porte s’ouvrit et Sunds poussa un soupir de soulagement :

– Ah sapristi ! ce n’est pas trop tôt, te voilà donc, gamin ?

Mais une voix, qui n’était pas celle de Daniel répliquait :

– Gamin ? je crois que l’on me flatte ici.

Sunds se retourna et partit d’un grand éclat de rire.

L’individu qui venait de pénétrer chez lui était aussi l’un de ses familiers, mais un bonhomme qui n’avait plus rien du charme et de la grâce appartenant à la jeunesse. C’était le père Bouzille, comme on appelait dans le quartier l’ancien chemineau.

Sunds parut enchanté de le voir.

– Tu tombes bien, dit-il, tu vas me donner un coup de main.

– Ça colle.

– À ce propos, poursuivit Sunds, auquel la dernière phrase du chemineau rappelait quelque chose, à propos de colle, j’ai deux mots à te dire. Qu’as-tu fait, l’autre jour, de la colle de pâte que je t’avais confiée pour réparer les papiers du mur ?

– Il n’en reste plus du tout.

– C’est pas possible, fit l’artiste, j’en avais acheté près de deux kilogrammes.

Bouzille se contentait de répéter :

– Il n’en reste plus.

Mais le peintre insistait :

– Je te dis que ça n’est pas possible, tu as juste collé quelques centimètres de papier, je voudrais savoir ce qu’est devenue ma marchandise. Allons, assez plaisanté, Bouzille, rends-la-moi !

Le chemineau, brusquement, éclata de rire :

– Vous la rendre, mais ce n’est pas possible. J’aime autant vous l’avouer, voilà longtemps qu’elle est digérée.

– Digérée ! s’exclama l’artiste, qu’est-ce que cela signifie ?

– Eh bien, ça signifie que je me suis tapé la tête avec. Vous savez, avec un peu de sucre en poudre, c’est pas plus mauvais qu’autre chose.

Sunds était tellement abasourdi par l’aveu du bonhomme qui lui servait parfois de modèle qu’il ne trouva rien à répondre.

Au surplus, le temps passait et il fallait faire vite. Sunds avait de nombreux emballages à terminer et ceux-ci ne pouvaient pas attendre. Il s’agissait pour le Danois de faire conduire le soir même, en plein bois de Boulogne, une série d’objets vrais ou faux qui lui appartenaient ou étaient confiés à sa garde et qu’il fallait faire figurer à l’Exposition de l’Art en plein air organisée au château de Bagatelle. Cette exposition ouvrait le lendemain, et Sunds désormais désigna à Bouzille une grande caisse à claire-voie presque entièrement montée, et lui annonça :

– Tu vas t’occuper de finir cette caisse. Qu’elle soit solide. Je te la recommande. C’est là-dedans qu’on va mettre le tableau de Rembrandt qui appartient à M. Faramont. Je suis chargé par le bâtonnier de le transporter à Bagatelle, et naturellement nous devrons en prendre le plus grand soin.

– Comptez sur moi, déclara Bouzille, qui, dans le désordre de la pièce cherchait, mais en vain, un marteau.

Sunds, tout en procédant à d’autres emballages, se frottait les mains à l’idée que ses affaires allaient de mieux en mieux.

Il entrevoyait malgré tout la fin de ses préparatifs. Encore quelques heures de travail et l’on serait prêt.

Sunds n’avait plus d’ennui depuis la fâcheuse aventure dont le bâtonnier, son client, avait été victime à Ville-d’Avray et dont la responsabilité avait failli rejaillir sur lui. Le Danois était sorti blanc comme neige de cette affaire dont la police recherchait toujours les coupables.

Il était fort indifférent à Sunds qu’on les trouvât ou non. Ce qui lui importait et lui plaisait, c’est qu’il était très bien avec le bâtonnier et avec M me Faramont, laquelle était de plus en plus certaine que la mystérieuse agression contre son mari était bien l’œuvre de Fantômas.

Bouzille qui s’était éloigné accourut précipitamment.

– Dites donc, fit-il d’un air important, il y a là quelqu’un qui veut vous parler, un homme très chic habillé de bleu.

– M’en fous ! cria Sunds. Je n’ai pas le temps.

Bouzille qui serrait une pièce de cinq francs qu’on venait de lui donner, insista :

– Vous avez tort, c’est un homme qui a l’air très chic, peut-être est-ce un client riche qui vient vous faire une commande.

– Eh bien, fais-le entrer dans mon salon.

– Le salon ? qu’est-ce que c’est ?

– C’est la petite taule carrée et sans fenêtre qui se trouve au bout de l’atelier. Tu sais bien ? Qui a une table à jouer, un divan et un vieux poêle !

– Ah très bien, fit Bouzille, fallait le dire que le salon c’était le trou noir aux débarras.

Bouzille s’éclipsa un instant, alla conduire le visiteur à l’endroit indiqué et Sunds, prévenu qu’on l’attendait là où il l’avait commandé, se dirigea à son tour vers le local somptueusement baptisé « salon ».

Le Danois se trouva en présence d’un homme vraiment fort bien mis. Il était vêtu d’un complet sombre, de coupe irréprochable, une grosse chaîne de montre en or s’étalait sur son gilet, il portait une forte moustache noire et son regard était dissimulé derrière des verres bleus.

– À qui ai-je l’honneur de parler ?

– Vous ne me connaissez pas, répondit le personnage d’une voix nette et catégorique. Un peu plus tard, pourtant, je vais vous dire qui je suis. D’ailleurs, auparavant, nous serons d’accord et vous m’aurez obéi.

– Ah ?

Daniel, cependant, venait de rentrer avec le paquet de clous qu’il était allé acheter. Il arrivait à peu près dix minutes après le moment où Sunds avait pénétré dans son salon pour y rejoindre l’inconnu.

Le jeune garçon eut un sursaut d’étonnement en apercevant à un moment donné Bouzille qui, traversant l’atelier, gagnait la courette extérieure et allait indiscrètement se placer près de la porte du salon avec l’intention bien nette, semblait-il, de regarder par le trou de la serrure ou d’y coller son oreille. Bouzille était curieux comme une commère, c’était là son moindre défaut.

L’ancien chemineau, toutefois, avant de mettre à exécution son projet indiscret, regarda derrière lui. Apercevant Daniel qui l’observait, il lui fit un signe de la main. Le jeune garçon s’approcha. Comme il arrivait auprès de Bouzille, celui-ci, qui avait déjà entendu quelque chose de la conversation de Sunds et de son visiteur, fit de grands gestes pour lui signifier d’approcher avec précaution, mais rapidement aussi, afin d’entendre également.

Daniel hésita un instant, puis, écouta sans prêter grande attention. Mais à peine avait-il entendu quelques mots qu’il pâlit, et, sans plus se préoccuper de Bouzille, colla son oreille à la porte.

À l’intérieur de la pièce l’inconnu déclarait d’une voix nette et catégorique :

– Je veux qu’il en soit ainsi, et il me faut ce tableau !

On entendit Sunds répondre :

– Mais c’est difficile, très difficile, pour ne pas dire impossible.

L’artiste ajoutait d’une voix inquiète :

– D’ailleurs, c’est très grave ! Vous me demandez en somme de me déshonorer, de me perdre ?

– Imbécile ! reprit la voix de l’inconnu. Ce n’est pas se perdre que gagner une fortune.

L’homme continuait :

– D’ailleurs, si tu ne veux pas, tu en seras puni.

– Que me ferez-vous ?

– C’est bien simple. J’ai toutes les preuves voulues pour te faire pincer dans l’affaire de Ville-d’Avray. Sais-tu bien que rien n’est plus facile que de te compromettre dans cette histoire ?

Le Danois protesta :

Mais je suis innocent de l’attentat. Je n’ai rien médité contre le bâtonnier.

– Aucune importance. La police qui n’a pas encore trouvé de coupable et qui sans doute ne le trouvera pas, selon son habitude, sera fort contente qu’on lui en apporte un, bien à point, compromis de la façon la plus irréfutable. Et je te prie de croire que je m’entends à merveille pour faire condamner les gens, surtout lorsqu’ils ne le méritent pas.


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