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La guêpe rouge (Красная оса)
  • Текст добавлен: 4 октября 2016, 03:51

Текст книги "La guêpe rouge (Красная оса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Mais le Roi du Crime ne semblait guère goûter cette plaisanterie. Il prit la vieille par le bras, la secoua rudement :

– Assez de blague, la mère Toulouche, je n’aime pas qu’on se paie ma tête. Où est ce tableau ?

La vieille pâlit. Elle savait qu’il ne fallait pas affronter les colères de Fantômas et elle lui donna la réplique de l’accent le plus sincère :

– Je te le jure, Fantômas, il est vendu. Vendu depuis dix minutes.

Le bandit avait regardé autour de lui, dans la boutique, il n’y voyait pas, en effet, le tableau.

Fantômas serra le poing, grinça des dents. Il se dominait cependant :

– À qui, vendu ? demanda-t-il.

« Ma foi, songeait la mère Toulouche, autant lui dire la vérité. »

Elle le mit au courant et lui indiqua pour finir :

– Elle demeure à Ville-d’Avray, quarante-sept avenue des Peupliers.

Si l’annonce que Juve avait voulu se rendre propriétaire du tableau surprenait Fantômas, la dernière déclaration de la mère Toulouche l’impressionnait singulièrement.

Le bandit, en effet, était devenu tout pâle et la mère Toulouche vit les traits de son visage se contracter sous sa barbe postiche. Après avoir hésité un instant, Fantômas, brusquement, bondit hors de la boutique, sans prononcer une parole.

– Bon sang de bon Dieu, grogna la mère Toulouche, il me semble que depuis une heure, je ne vois que des fous autour de moi.

Et elle ajouta :

– J’en ai assez pour ce soir, je ferme ma boîte.

Il était sept heures moins le quart. La mégère avait bien promis à Juve de l’attendre jusqu’à sept heures, mais elle ne tenait guère à revoir le policier, et, en outre, elle n’avait plus besoin de l’attendre, puisque le tableau était parti.

La mère Toulouche ferma son magasin.

***

À Ville-d’Avray, cependant, le silence absolu régnait, l’obscurité était profonde, on n’entendait que le souffle du vent se jouant dans les arbres. De distance en distance, quelques mauvais réverbères éclairaient mal leur voisinage immédiat.

Les avenues étaient désertes, nul n’y passait.

Vers dix heures, à l’entrée de l’allée des Peupliers, une silhouette se profila. Un homme s’avançait avec précaution, semblait-il, longeant les grilles et les jardins, les haies épaisses séparant de l’avenue les propriétés.

Cet homme était enveloppé dans une sorte de grand manteau noir et son visage se dissimulait sous un chapeau de feutre sombre, aux grands bords rabattus.

L’homme s’avança lentement, contourna la villa des Keyrolles, puis s’arrêta à la grille toujours entrebâillée de la maison abandonnée.

L’homme murmura :

– C’est là que la dame aux cheveux blancs a dit à son mécanicien d’apporter le tableau.

Et il réfléchissait.

– Elle a donné cet ordre très haut, intentionnellement. Il est bien évident que si elle a agi de la sorte, c’est pour que son adresse soit répétée, c’est un rendez-vous qu’elle a donné.

L’homme s’avança de quelques pas, franchit la grille. Il était dans la propriété.

Dès lors, il s’arrêta, et, dissimulé derrière un massif, il entreprit de se masquer le visage.

C’était Fantômas qui procédait ainsi, Fantômas qui abaissait, sur ses traits énergiques, la fameuse cagoule grâce à laquelle il passait mystérieux et terrible, invisible, indéfinissable, partout où il voulait se faire voir, se manifester, sans que l’on pût, toutefois, distinguer ses traits.

– Est-ce moi, se demandait Fantômas, que cette mystérieuse personne veut voir, ou un autre ? C’est ce qu’il va s’agir de découvrir.

Le terrible bandit était armé. Il vérifia son revolver, puis dès lors, précautionneusement, lentement, il traversa la pelouse du gazon, pour se rapprocher de la maison mystérieuse.

Tout était sombre, obscur, silencieux, aux abords de cette villa, mais Fantômas, qui semblait fort ému, gravit lentement les premières marches du perron.

Il arrivait à la porte d’entrée donnant sur le vestibule.

Celle-ci était fermée, mais cela ne gênait pas le bandit. Avec un passe-partout, qu’il introduisait dans la serrure, il entrebâillait le battant de la porte.

Il allait entrer dans le vestibule, lorsque soudain, il s’arrêta pétrifié, sur le seuil.

Une légère lueur scintillait à l’intérieur de la maison, et elle éclairait une grande forme blanche, aux allures de spectre.

Fantômas voyait se préciser devant lui une apparition, et cette apparition lui semblait sans doute si extraordinaire, si fantastique, que le bandit, malgré son audace et sa témérité, se sentit devenir blême, et pour la première fois de sa vie, peut-être, Fantômas trembla, trembla de tous ses membres.

Il voulut articuler une parole, sa gorge serrée l’en empêcha. Il fit un geste, mais à ce moment une détonation retentit. L’apparition s’évanouit aussitôt et Fantômas sentit une balle lui siffler aux oreilles.

Cependant, une voix, une voix lointaine et presque surnaturelle, avait proféré, comme dans un sanglot :

– Misérable.

Fantômas resta un instant immobile, comme frappé de stupeur, puis brusquement, il tourna les talons, prit la fuite.

Et alors Fantômas trébucha, tombant dans les massifs, se relevant pour aller se heurter dans les arbres et arrivait en titubant comme un homme ivre jusqu’à la grille de la propriété.

Il s’élança dans l’avenue déserte et courut, courut à perdre haleine, en proférant d’une voix surchargée d’épouvante :

– Mon Dieu, c’est elle et pourtant, non. C’est impossible, impossible, absolument !

22 – LA COPIE ET L’ORIGINAL

Un double coup de sonnette énergique et violent apprit à Juve l’arrivée de Fandor.

Le vieux domestique Jean alla ouvrir et, quelques instants après, le journaliste bondissait littéralement dans le cabinet de toilette où le policier achevait de se vêtir.

Il était à peine huit heures du matin, c’était le lendemain du jour où avait eu lieu la vente à l’hôtel Drouot des objets ayant appartenu au Danois Érick Sunds et au cours de laquelle le commissaire-priseur avait adjugé, à fort bon compte, d’ailleurs, la fameuse copie du tableau de Rembrandt que la mère Toulouche payait la modique somme de quinze francs.

Fandor arrivait chez Juve, ce matin-là, avec un visage chaviré qui détermina une question immédiate de la part de l’inspecteur de la Sûreté.

– Que se passe-t-il donc ? interrogea celui-ci. Mon pauvre Fandor, tu parais ravagé ?

Le journaliste se laissa tomber sur un fauteuil :

– Ouf, je ne tiens plus debout ! Il est vrai, ajoutait-il en se passant les mains sur le front, que j’ai couru toute la nuit. En vain, d’ailleurs. Je voulais à toute force retrouver Hélène qui se dérobe, qui me fuit sans que je puisse savoir pourquoi.

– Et l’as-tu rencontrée ?

– Non. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’elle en ce moment, j’ai des choses urgentes à vous dire et qui réclament toute votre attention. Au moment où j’allais, de guerre lasse, rentrer chez moi pour me reposer de cette nuit de démarches inutiles, figurez-vous, Juve, que j’ai rencontré Paquerett.

– Le commissaire de police de Clignancourt ?

– Lui-même ! Il m’a raconté des choses extraordinaires.

– Paquerett est un imaginatif, je t’en préviens d’avance.

– Imaginatif ou non, grommela Fandor, il y a les faits qui sont là. Ils vont vous faire bondir.

– Je t’écoute.

– Donc, commença Fandor, Paquerett a été saisi hier soir d’une plainte.

– Ce sont des choses, constata Juve, qui arrivent assez souvent aux commissaires de police.

– Si vous m’interrompez tout le temps, je n’en aurai jamais fini.

– Commence donc.

– Eh bien, dit Fandor, voilà : figurez-vous Juve, que, hier soir vers huit heures et demie environ, un mécanicien s’est présenté au commissariat, bouleversé. Il voulait à toute force parler au commissaire, celui-ci était précisément à son bureau. L’homme lui a déclaré : « Je suis propriétaire d’une automobile de grande remise [16] et, depuis ce matin, j’étais loué par une dame d’un certain âge. Nous avons fait diverses courses dans Paris, nous sommes retournés déjeuner chez elle en banlieue, puis revenus ensuite sur les boulevards, et enfin, vers sept heures du soir ma cliente m’a commandé d’aller rue Lepic, à Montmartre. Nous y chargeons un tableau d’assez grandes dimensions et la cliente, qui m’avait payé ma journée d’avance, me dit : « Allez porter cela chez moi, à Ville-d’Avray, où je vous retrouverai à dix heures ce soir. »

– C’est tout à fait intéressant ce que tu me racontes là. Ce mécanicien est sans doute venu dire que sa cliente lui avait refilé une pièce en plomb.

– Non. Au lieu de partir directement pour Ville-d’Avray, le mécanicien s’est arrêté à quelques mètres de la place du Tertre, chez un marchand de vin, pour y prendre l’apéritif. Il est resté cinq minutes à peine dans l’établissement ; lorsqu’il en est sorti, plus de voiture. L’automobile avait été volée.

– C’est bien fait, déclara Juve, il n’avait qu’à obéir aux ordres reçus.

– Le mécanicien affolé, désespéré comme bien vous le pensez, a fait du tapage dans le quartier, s’est renseigné auprès des voisins. Au bout d’une demi-heure, il a retrouvé sa voiture arrêtée dans une impasse à côté de la rue Lepic. Toutefois, le tableau qu’elle transportait n’y était plus. Le mécanicien est venu raconter cette histoire au commissaire, car il a eu peur d’avoir à encourir des responsabilités quelconques au sujet du tableau disparu.

– De plus en plus intéressant, déclara Juve dont la persistance d’ironie exaspérait Fandor.

– Ah sapristi, Juve, cria-t-il, soyez donc un peu sérieux ! Écoutez-moi bien maintenant, c’est ici que l’affaire se corse. Le commissaire entend donc la déclaration du mécanicien et il l’interroge d’abord sur la nature de ce tableau. « Qu’est-ce qu’il représentait ? » demanda-t-il. « Un pêcheur à la ligne », répond le mécanicien. Le commissaire sursaute. Il a entendu, comme tout le monde, parler de l’affaire de Bagatelle et il se demande naturellement si le tableau dérobé n’est pas celui qu’on recherche depuis si longtemps, si ce n’est pas le Rembrandt appartenant à M e Faramont. Il interroge minutieusement le chauffeur et lui demande l’adresse du bric-à-brac chez qui sa cliente a acheté ce tableau. « Rue Lepic, cent vingt-cinq », dit le chauffeur, et Paquerett en conclut, lui qui connaît son quartier, que le tableau provient du bric-à-brac de la mère Toulouche. Il est à ce moment dix heures du soir, le commissaire emmène le plaignant jusque chez la brocanteuse. On la réveille, elle commence par pousser des cris terrifiants, croit qu’on vient l’assassiner. Le commissaire lui montre son écharpe et la mère Toulouche, encore plus épouvantée, s’imagine qu’elle va être arrêtée. Elle jure qu’elle n’a rien fait, le commissaire affirme qu’il ne lui en veut pas. Enfin, après vingt minutes de quiproquos, on finit par se comprendre. Et la mère Toulouche déclare que le tableau dont le mécanicien avait constaté la disparition n’est autre que la copie du Pêcheur à la ligneque, dans l’après-midi même, elle avait acheté à l’hôtel des Ventes pour une somme modique, puis, revendu avant le dîner moyennant vingt-cinq louis, à la vieille dame venue chez elle dans l’automobile du plaignant. Voilà l’affaire.

– Et alors ?

Fandor leva les bras au ciel.

– Vraiment, vous êtes difficile, mon cher ami, fit-il, si vous trouvez que tout cela n’est pas extraordinaire ! Comment ? Ce tableau dont personne ne semblait vouloir à l’hôtel des Ventes, voici qu’on vient l’acheter le soir même à la brocanteuse un prix exorbitant, puis qu’on le fourre dans une voiture automobile, qu’on vole cette dernière, qu’on la restitue ensuite, mais avec le tableau en moins, et cela vous paraît très naturel ? Eh bien, non, pas à moi. Il y a quelque combinaison louche, quelque mystère que l’on pourrait élucider seulement si le voleur de l’automobile était connu. Or, non seulement le voleur est inconnu, mais encore je doute qu’on puisse l’arrêter jamais.

– On n’arrêtera pas en effet ce voleur. Je puis le garantir, Fandor, et, sur ce point, tu as raison. Quant à prétendre que le voleur est inconnu, certes, il l’est de beaucoup de gens, mais il est cependant quelqu’un, tout au moins, qui le connaît.

– Ah bah, auriez-vous donc, Juve, des renseignements précis à ce sujet ?

– J’en ai, très précis encore.

– Expliquez-vous ?

– T’expliquer les choses serait un peu long, j’aime mieux tout net te déclarer que le voleur m’est connu, pour cette bonne raison que le voleur, c’est moi.

Fandor, qui s’était levé, retomba de tout son poids sur le fauteuil qu’il venait de quitter.

– Vous en avez de bonnes, Juve !

– Je suis on ne peut plus sérieux.

– Allons, vous racontez des blagues ?

– Des blagues ? Décidément, Fandor, tu es comme saint Thomas, tu ne crois que ce que tu vois. Soit, je n’insiste plus, viens avec moi dans la pièce à côté et tu verras quelque chose qui te convaincra.

Les deux hommes passèrent dans le cabinet de travail de Juve et Fandor s’arrêta, poussa une exclamation de surprise.

– Ah, sapristi, eh bien, Juve, vous m’en bouchez un coin !

Fandor demeura abasourdi, immobile, les yeux arrondis. En face de lui, au beau milieu de la pièce, placé bien en vue sur un chevalet, se trouvait un tableau.

– Mon cher Fandor, déclara Juve, en regardant du coin de l’œil son ami, je vois que tu es littéralement ahuri en constatant la présence de ce tableau chez moi.

– Vous avouerez, Juve… ?

– Écoute et tu vas comprendre… Depuis que ce tableau a été si audacieusement subtilisé à l’Exposition de Bagatelle, j’ai fait enquête sur enquête et je suis arrivé à retrouver à peu près la filière exacte du vol et de la copie. Comme tu le sais, c’est Érick Sunds qui est le principal acteur dans cette comédie ingénieuse, puisque c’est lui qui s’est chargé de reproduire le célèbre chef-d’œuvre. Érick Sunds est mort, et je suis persuadé désormais que, non seulement il a été l’auteur de la copie, mais encore qu’il est un des voleurs du tableau de Rembrandt.

– Un des voleurs, Juve ?

– Oui, Fandor, un des voleurs, je répète, car – et de ceci je suis certain, désormais – il y a dans cette affaire plus qu’un Érick Sunds, il y a Fantômas.

– Et comment avez-vous fait ?

– Donc, Fandor, sachant que Fantômas était mêlé à cette affaire, je me suis armé pour la lutte, j’ai pris de grandes précautions. Lorsque j’ai été avec toi, hier après-midi, à l’hôtel des Ventes, je t’affirmais que l’enchère allait monter, je me suis trompé, en partie, puisque la copie d’Érick Sunds a été achetée seulement quinze francs, mais ce qui est intéressant, c’est que l’acheteuse était la mère Toulouche. Il y avait, tu t’en doutes, plus qu’une coïncidence à ce fait que l’affreuse mégère, que nous avons si souvent eu l’occasion de rencontrer sur notre route lorsque nous poursuivions Fantômas et sa bande, était l’acheteuse du faux tableau.

– En effet, reconnut Fandor. Alors, Juve, vous avez été prendre le tableau chez elle ? Mais je ne vois pas l’intérêt…

– Tais-toi, bavard, et écoute-moi cinq minutes, tu vas comprendre. Donc, j’ai été en effet chez la Toulouche, je lui ai déclaré que je désirais acheter ce faux Pêcheur à la ligne. Après quelques hésitations, provenant sans nul doute de la crainte que je lui inspirais, et aussi du fait que déjà elle connaissait l’acheteur, ou du moins le véritable personnage à qui elle réservait ce tableau, elle a fini par m’accorder, au prix de cinquante francs, la croûte d’Érick Sunds. Bien. Je me suis absenté, soi-disant pour aller chercher une voiture à bras, et pendant ce temps, tu ne devines pas, Fandor, ce que j’ai fait ?

– Mais non. Comment voulez-vous que je sache, Juve ?

– Tu es idiot, mon petit. Je me suis caché, j’ai guetté, et j’ai vu, non pas ce que je voulais, mais enfin… J’ai encore un atout dans mon jeu…

– Expliquez-vous, mon vieux Juve, je vous en prie ! Vous êtes assommant avec vos discours qui ne riment à rien.

– Merci, tu es aimable ! Enfin bref, je continue : donc j’ai vu quelqu’un entrer chez la Toulouche et emporter dans une automobile le fameux tableau que je venais d’acheter.

– Et alors, Juve, vous avez jugé bon de chiper ce pauvre Pêcheur à la lignedans l’auto que le chauffeur avait abandonnée provisoirement en face d’un bistro ?

– Tu as deviné, Fandor.

– Mais tout cela, mon vieux Juve, c’est bête, et je ne comprends pas du tout pourquoi vous n’avez pas, plus simplement, acheté ou fait acheter à l’hôtel Drouot, la croûte d’Érick Sunds. Tout cela, avouez-le, c’est toujours votre perpétuelle manie de faire des mystères.

– Je n’ai pu voir Fantômas venir prendre le tableau chez la mère Toulouche. C’est une femme qui est venue le chercher, c’est une femme aux cheveux blancs, mais tant pis, si Fantômas n’est pas venu lui-même – ce dont je me doutais un peu d’ailleurs – je suis arrivé à un résultat : j’ai repris le Rembrandt et c’est déjà quelque chose.

– Vous avez repris le Rembrandt ? Vous devenez fou, Juve ?

– Non, mon petit, regarde.

Fandor écarquilla les yeux et il regarda le chevalet où se trouvait le faux Pêcheur à la ligned’Érick Sunds.

– C’est la copie, s’écria-t-il, mais…

Juve l’interrompit :

– D’accord, j’ai donc la copie. Désormais, Fandor, reste à découvrir le tableau authentique.

– Ma foi, c’est vrai, conclut le journaliste qui, ne sachant pas où devait en venir le policier, interrogea :

– Mais comment allez-vous parvenir à ce résultat ?

– Par la logique et la déduction, déclara Juve. Tu verras que la chose n’est pas très difficile. Écoute-moi bien, petit.

– Le temps d’allumer une cigarette et je suis tout oreille.

– Il est prouvé, n’est-ce pas, que la grossière copie que l’on a découverte aux lieu et place du vrai tableau, lors de l’inauguration de l’Exposition de Bagatelle, a été effectuée par ce malheureux Érick Sunds, si lâchement assassiné par Fantômas. Or, j’imagine qu’il a dû faire ce travail à Bagatelle même, dans la nuit qui précéda l’inauguration de l’exposition.

– C’est certain, déclara Fandor, cela a été démontré par les enquêtes, que c’est bien le véritable tableau de Rembrandt qui a été apporté la veille au soir par Sunds et le bâtonnier au palais de Bagatelle.

– Oui, précisa Juve, le vrai tableau a été mis en place devant témoins. On ne peut élever le moindre doute à ce sujet. Mais il y a quelque chose de plus extraordinaire.

– Quoi donc ?

– Ce fait qu’il est démontré aussi que le véritable tableau n’a pas pu sortir de l’exposition.

– C’est impossible, observa Fandor, puisqu’il a été remplacé par la copie.

– Je ne dis pas le contraire, continua Juve, je veux simplement affirmer que si le tableau est sorti de Bagatelle – je parle du vrai – il n’en est pas sorti en cachette, mais bien au vu et au su de tout le monde.

– Je ne comprends pas.

– Cela n’a pas d’importance. Le tableau, le vrai, est sorti dis-je, devant tout le monde de l’exposition de Bagatelle, et personne ne s’en est aperçu, parce que nul ne savait le fond des choses, sauf deux personnes : l’auteur de la copie, c’est-à-dire Sunds et l’individu malfaisant qui lui a commandé cette copie, c’est-à-dire Fantômas, j’imagine.

– Fantômas ? Pourquoi ?

– Parce que c’est Fantômas qui a imaginé de voler le tableau du bâtonnier, c’est lui qui en a chargé Sunds, et c’est pour cela qu’il a tué ce malheureux, afin de faire disparaître un témoin gênant.

– J’admets encore votre théorie, mais cela ne nous dit pas ce qu’est devenu le vrai tableau.

– Crois-tu ? s’écria Juve en riant. Nous n’aurons pourtant pas besoin de chercher bien longtemps. Le vrai tableau est ici.

Et, d’un geste solennel, Juve montrait la toile qui se trouvait à côté d’eux, sur le chevalet.

Fandor, un instant interloqué, ne répondit rien. Puis, brusquement, il éclata de rire :

– Eh bien, Juve, fit-il, je m’attendais à mieux que cela de votre part. Vous prétendez que c’est le vrai tableau qui est là ! Moi, sans être connaisseur, je vous affirme que c’est le faux.

Juve hocha la tête en souriant :

– Tu as raison, Fandor, et moi je n’ai pas tort, car, en réalité, les deux tableaux sont là.

– Où ?

– Ne cherche pas midi à quatorze heures, déclarait le policier, je te dis que les deux tableaux sont là, devant nous, sur le chevalet. Malheureusement, nous avons l’un et l’autre des yeux si médiocrement construits qu’ils ne nous permettent de voir qu’un seul tableau à la fois.

– Juve, Juve, ou vous vous moquez de moi, ou vous avez juré de me rendre fou, ou alors vous êtes fou, absolument louftingue ! Ce que vous racontez là est incompréhensible et ça ne tient pas debout.

– Merci, fit Juve d’un air fâché, j’aime à t’entendre parler de la sorte alors que c’est toi qui déraisonne, Fandor, et je m’en vais te le prouver.

Le journaliste ne répondit point. Il serra les dents, ferma les lèvres, désormais résolu à ne plus prononcer une seule parole jusqu’à ce que Juve ait fait la lumière dans son esprit.

Le policier, toutefois, semblait se faire un malin plaisir de vouloir taquiner Fandor jusqu’au bout. Il le prit par la main, l’amena auprès du tableau et lui fit considérer la peinture.

– Tu le vois bien, dit-il, reconnais avec moi que ce Pêcheur à la ligneest une œuvre grossière, faite hâtivement, à peine vernie, et qu’en aucun cas, on ne saurait l’attribuer au maître Rembrandt sans insulter gravement à la mémoire de cet admirable artiste.

– D’accord, grogna Fandor.

Juve le prenait par la main encore, l’obligeait à contourner le chevalet et lui faisait observer désormais l’envers du tableau.

– Vois-tu cette toile, dit-il, remarque combien elle est noircie, vieillie, usée. C’est une toile qui ne date pas d’hier, et remonte assurément aux temps les plus lointains, c’est assurément la toile authentique sur laquelle l’illustre maître a peint son Pêcheur à la ligne, je veux dire le véritable.

– Vous vous foutez de moi, Juve, ça n’est pas possible, où voyez-vous ça ?

– Tu es un sot, Fandor, et, à la manière des ignorants, tu te fâches et tu deviens grossier, simplement parce que tu ne comprends pas. Regarde donc, aveugle, et comprends, imbécile ! Si d’un côté se trouve la toile authentique, de l’autre, la mauvaise copie, c’est qu’entre cette mauvaise copie et le dos de cette toile authentique se trouve le véritable tableau…

– Le véritable tableau, hurla Fandor, il serait donc sous la copie ?

– Enfin ! cria Juve. Enfin, t’y voilà ! Ce n’était pourtant pas sorcier à deviner, mais tu y as mis le temps. Parbleu, oui, mon petit Fandor, la copie grossière et maladroite de Sunds a été peinte sur l’original lui-même. Voilà toute la vérité. Le tableau n’a pas été retrouvé, parce qu’on a cherché partout ailleurs que dans son cadre, qu’il n’a jamais quitté.

– Ça, reconnut Fandor, c’est génial ! C’est digne de Fantômas !

Juve, brusquement, s’écarta de Fandor et alla prendre dans un placard une grande blouse blanche qu’il passa par-dessus ses vêtements, puis il gagna son cabinet de toilette et revint avec tout un attirail mystérieux qu’il apporta sur un plateau.

Il y avait là une cuvette, une bouteille d’alcool, une sorte de mixture délayée dans un bol, et deux gros pinceaux. Il y avait aussi un petit grattoir en écaille.

Fandor s’étonna :

– Qu’est-ce que vous allez faire ? demanda-t-il.

– Tenter une expérience, dit Juve.

– Qu’allez-vous faire ? demanda encore Fandor inquiet en voyant Juve prendre le tableau et l’étaler à plat sur une table.

– Je vais, dit le policier, nettoyer ou pour mieux dire, m’efforcer de faire disparaître les couches de peinture apposées sur cette toile par cet animal d’Érick Sunds. De deux choses l’une : ou nous verrons apparaître la toile elle-même, et alors je me serai fourré dedans, je ne serai qu’un imbécile, ou alors nous découvrirons sous la couleur fraîche, la peinture ancienne, le tableau véritable, et dans ce cas, je demande un petit bravo pour moi.

Juve ne dit plus un mot, et Fandor le regarda faire.

– Vous avez donc été de la partie autrefois ? demanda-t-il en voyant le policier manier avec dextérité les divers ingrédients dont il allait se servir.

– Pas tout à fait, déclara celui-ci, mais j’ai suivi jadis des procès intentés à des peintres truqueurs de Montparnasse qui fabriquaient de fausses œuvres du XVIII siècle. Il est en outre connu de tout le monde qu’à maintes reprises, on a superposé des peintures sur des tableaux existants. Est-ce là le cas, comme je le suppose ? Nous n’allons pas tarder à le savoir.

Désormais, dans un coin du tableau, sur une surface d’un centimètre carré environ, Juve, avec une brosse dure mettait ce qu’il appelait « son décapant ».

– C’est un composé, dit-il à Fandor, de potasse, d’essence et d’eau, cela nous sert à désagréger la peinture fraîche. Celle-ci est bien plus facile à délayer que la peinture ancienne, nous en aurons donc raison avant d’avoir attaqué l’œuvre de Rembrandt si, comme je l’espère, celle-ci existe en dessous.

Tout en parlant, Juve procédait fort habilement.

Son décapant avait fait rouler la peinture fraîche et désormais, Juve, prenant mille précautions pour ne pas appuyer trop fort, frottait légèrement la toile avec son petit grattoir.

– Ah, s’écriait-il, je crois que nous sommes bons !

Il se rejeta en arrière, son visage était illuminé de joie.

Juve alla prendre sur son bureau une grosse loupe et examina désormais longuement le petit coin de la toile qu’il venait de gratter.

– Victoire, cria-t-il enfin, ça y est, le voilà ! Je retrouve l’original de Rembrandt sous la copie d’Érick Sunds.

Et il passa la loupe au journaliste qui, vivement intéressé, regarda à son tour. Pas de doute.

Le verre grossissant permettait nettement de reconnaître la différence existant entre les deux couches de peinture. La première était brillante, vive, peu consistante aussi semblait-il. Quant à la seconde, elle présentait nettement cette teinte noircie que donne la patine du temps, on la sentait aussi plus résistante, plus robuste, plus desséchée.

Il y avait surtout, enfin, cette finesse de touche, cette puissance, qui caractérisait la qualité du maître.

Le raisonnement de Juve recevait sa consécration et sa logique n’était point prise en défaut, tout au contraire. C’était bien sous la grossière copie d’Érick Sunds que se dissimulait l’œuvre authentique du véritable Pêcheur à la lignede Rembrandt.

– Bravo, Juve ! s’écria Fandor qui chaleureusement alla serrer les mains de son ami.

Mais, à ce moment, la porte du cabinet de travail de Juve s’entrouvrit et Jean, le vieux domestique, apparut :

– C’est M. Paquerett, dit-il, qui veut vous parler.

– Ah, c’est vrai, s’écria Fandor, j’avais oublié de vous prévenir de sa visite qu’il m’avait annoncée. Je lui avais conseillé, cette nuit, de venir vous raconter l’affaire du mécanicien et du tableau volé.

– Qu’il entre donc, s’écria Juve, il arrive à point.

M. Paquerett en entrant dans la pièce, s’arrêta pétrifié sur le seuil.

Ce n’était pas de voir Juve revêtu d’une grande blouse blanche qui l’étonnait, car il savait que Juve avait l’habitude de perpétuels déguisements, mais ce qui ahurissait ce bon commissaire c’était de trouver chez l’inspecteur de la Sûreté ce fameux tableau dont tout Paris avait parlé quelques jours auparavant, et aux aventures duquel il avait été mêlé lui-même la nuit précédente.

– Ah par exemple, Juve, s’écria-t-il, c’est vous qui avez entre les mains…

Il s’arrêta, s’approcha du tableau puis, achevant sa pensée, il affirma :

– La copie du Rembrandt.

– Non, déclara Juve, avec un sourire railleur, ce n’est pas la copie, c’est l’original, ou pour mieux dire, si vous voulez, j’ai fait coup double, puisque je possède l’un et l’autre.

Le commissaire ouvrit des yeux perplexes, ce qui sembla amuser Juve infiniment.

Mais Fandor eut pitié de ce pauvre M. Paquerett et, en deux mots, lui expliqua l’extraordinaire découverte de Juve et l’habileté dont il avait fait preuve pour découvrir l’original sous la copie.

Juve, à son tour, s’excusa auprès du commissaire de la mauvaise nuit qu’il lui avait fait passer.

– Car, conclut-il, l’homme qui a momentanément dérobé l’automobile et définitivement volé le tableau, n’est autre que moi.

Et le policier conclut, affectant une attitude honteuse :

– J’ai avoué, monsieur le Commissaire, vous pouvez si vous le voulez, procéder à mon arrestation.

Mais M. Paquerett partit d’un gros éclat de rire :

– Ah, décidément, Juve, fit-il, vous serez toujours le plus extraordinaire bonhomme que j’aurai connu !

Puis il se leva.

– Je vous quitte, fit-il. Il importe que je rédige au plus tôt mon rapport sur cette affaire étonnante. Je tiens à ce que vous en preniez connaissance avant que je le fasse parvenir à la préfecture. Si vous ne sortez pas tout de suite, attendez mon secrétaire qui viendra vous le remettre.

***

Deux heures s’étaient écoulées et Juve et Fandor, joyeux, s’installaient dans la salle à manger du policier, lorsque le téléphone retentit.

Juve courut à l’appareil, eut une brève conversation.

Lorsqu’il revint trouver Fandor, il avait l’air navré.

– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda le journaliste.

– Il y a, grogna Juve, que cet imbécile de commissaire a bavardé, qu’il a téléphoné à M e Faramont et c’est ce dernier qui vient de m’appeler pour me féliciter d’avoir retrouvé son tableau et me demande aussi de le lui rendre au plus vite.

– Eh bien, cela se comprend.

Juve allait répondre, mais la sonnerie du téléphone tintait à nouveau. Le policier alla répondre en maugréant, et lorsqu’il revint, il avait l’air encore plus furieux.

– De mieux en mieux ! grommela-t-il. Ce commissaire est décidément une fichue bête, il va crier la chose à tous les coins de Paris, voilà qu’on l’a apprise à M. de Keyrolles et que cet excellent homme, qui a assuré et payé le tableau, me téléphone pour me le réclamer.

– Dame, c’est assez juste, somme toute. Le tableau lui appartient, puisqu’il en a payé la valeur.

– Sans doute, sans doute… Je n’en sais fichtre rien, moi. C’est affaire aux tribunaux de le décider.

Juve s’étranglait à moitié en buvant.

Après avoir toussé, craché, mouché, il dit à Fandor :

– Cette histoire-là, personne ne devait la connaître. Grâce au bavardage de Paquerett, tout le monde la sait.

– Tout le monde la sait ? s’écria Fandor qui, très joyeux malgré tout, se versait une rasade.

– Juve, s’écria-t-il.

– Quoi, Fandor ?

– Juve, poursuivit le journaliste en éclatant de rire, il ne manque plus que Fantômas, et je ne serais pas étonné de le voir arriver chez vous pour vous réclamer le tableau.

Le policier donna un violent coup de poing sur la table.


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