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La guêpe rouge (Красная оса)
  • Текст добавлен: 4 октября 2016, 03:51

Текст книги "La guêpe rouge (Красная оса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Il allait donc chercher une phrase équivoque, tâcher une fois encore de détourner la conversation et de forcer Fantômas à parler de son procès lorsqu’un coup discret fut frappé à la porte de la cellule. Un bruit de verrous retentit alors, un gardien apparut :

– Maître, disait le porte-clés, s’adressant au bâtonnier, voici l’heure de la promenade. Désirez-vous demeurer plus longtemps avec votre client ou dois-je le conduire au préau ?

L’intervention était opportune. M e Faramont se leva précipitamment.

– L’hygiène avant tout, déclara-t-il. Je ne voudrais pas vous priver d’une promenade.

– Mais j’aurai grand plaisir à demeurer encore quelques instants avec vous.

– Non, non, je reviendrai.

– Vous me le promettez ?

– Certes.

En vérité, les deux hommes se quittaient comme se fussent quittés deux amis.

Cependant, tandis que M e Faramont, absolument abasourdi par la façon dont l’avait reçu son extraordinaire client, s’éloignait le long des couloirs de la Santé, guidé par un porte-clés, un autre gardien poussait Fantômas vers les préaux où les prisonniers, maintenus en détention provisoire, pouvaient se promener par groupes de dix un quart d’heure chaque après-midi.

– Allons, dépêche-toi, ordonnait le gardien et ne fais pas l’imbécile comme hier. Tache de profiter du quart d’heure de liberté que tu as pour te dégourdir les jambes.

La veille, en effet, Fantômas avait refusé de sortir, prétextant qu’il était fatigué. Ce jour-là, au contraire, il ne devait faire aucune difficulté.

À peine Fantômas, en effet, était-il arrivé dans les préaux réservés à la promenade des prisonniers, qu’il commença sa promenade circulaire, marchant à grands pas et semblant très attentivement regarder les autres détenus qui, comme lui, marchaient silencieusement.

Or, Fantômas n’avait pas traversé dans toute sa largeur le préau que, soudain, un sourire s’esquissait sur ses lèvres. Il s’approcha sans affectation d’un homme qui portait le costume des détenus.

Très bas, sans que personne, même parmi ses voisins immédiats, eût pu entendre ses paroles, Fantômas interrogea cet homme.

– C’est toi, le Gréviste ?

– C’est moi, patron.

– Bien. As-tu fait ce que l’on t’a commandé ?

– Naturliche, patron. Mais je commençais à trouver le temps long.

– Pourquoi ?

– Vous m’étiez annoncé depuis quinze jours.

– Je n’ai pas pu venir plus tôt.

À ce moment, ils arrivaient tous deux à l’extrémité de la cour, et force leur était de passer tout près de l’un des, gardiens qui stationnait le long de la muraille, revolver au poing, surveillant la promenade des condamnés, prêt à réprimer la moindre tentative de révolte. Ils se turent, puis, ayant dépassé l’homme, Fantômas et son mystérieux interlocuteur recommencèrent à s’entretenir :

– Je n’ai pas pu venir plus tôt, continuait Fantômas, et précisément j’étais ennuyé en songeant que tu m’attendais. Mais me voici. Tu t’es fait arrêter sans peine ?

– Oui, patron. Sans peine aucune.

– Pour quel motif ?

– Injures aux flics.

– Très bien. Cela n’est pas trop grave. T’as ramassé combien ?

– Six mois.

– Très bien encore. Dans quel atelier es-tu ?

Mais celui que Fantômas avait appelé le Gréviste parce qu’il était ainsi surnommé dans le monde de la pègre en raison de l’ardeur avec laquelle il défendait toujours les grèves de tous les métiers possibles, et cela sans avoir jamais lui-même bien régulièrement travaillé, ne répondit point.

D’un imperceptible froncement de sourcil, il venait de renseigner Fantômas, l’invitant au silence. Il n’y avait pourtant près d’eux que d’autres condamnés, d’autres détenus du moins.

Fantômas cependant ne se trompait point à la recommandation qui lui était faite. Il demeura silencieux et, ce n’est qu’au bout de quelques minutes, qu’il reprit la parole.

– Il y avait un mouchard, le Gréviste ?

– Pis que cela, patron, un mouton [7].

– Montre-le-moi.

– Celui qui tourne là-bas, près de la fontaine.

– Bien, merci, je m’en méfierai.

Fantômas avait froncé les sourcils, il se reprit à sourire :

– Je te demandais à quel atelier tu étais ?

– Au cent treize.

– Je croyais que les détenus de ton espèce n’étaient pas occupés ?

– On a fait une exception pour moi, patron. Je me suis bien conduit et j’ai obtenu cette faveur sous le prétexte que je voulais grossir ma masse [8].

– Très bien encore, approuva Fantômas. Tu n’as pas oublié les recommandations que je t’ai données ?

– Non, patron.

– Alors, tu m’obéiras quand il le faudra ?

– Bien entendu. C’est pour bientôt ?

– Dans trois jours, je pense.

– Va pour dans trois jours. Seulement, il y a une chose que je voudrais te demander, Fantômas.

– Laquelle ? Parle.

– Vois-tu un inconvénient à ce que je profite du truc pour salir un gardien, le gardien de la relève ? Celui qui passe là-bas, une rosse.

Fantômas, à la demande qu’on lui faisait, demeurait quelque temps silencieux. Il semblait réfléchir, puis il interrogea :

– Que veux-tu faire à cet homme ?

– Cric et crac.

– Eh bien, je ne veux pas.

– Oh patron ?

– Non. C’est moi qui me charge de son affaire.

– Vous le tuerez, patron ?

– Que t’a-t-il fait ?

– Il m’a supprimé trois rations pour des blagues que je n’avais pas commises.

– Eh bien, Gréviste, je te défends de toucher à cet homme, je me charge de le punir.

– C’est que j’aimerais beaucoup mieux opérer moi-même.

Or, Fantômas à ces mots tapa du pied :

– Assez. Suis-je le Maître ?

Il allait ajouter d’autres paroles lorsqu’un roulement de tambour retentit dans les préaux. Il marquait la fin de la promenade des détenus.

Fantômas rapidement alors se rapprocha du Gréviste.

– Encore deux mots, dit-il. Ne fais rien sans un ordre de moi et fais en revanche tout ce que je t’ordonnerai. Si je suis content de toi, Gréviste, plus tard, je te récompenserai. À demain ici et à dans trois jours.

– À dans trois jours.

Les deux hommes se séparèrent. Docilement, Fantômas suivit les gardiens qui le reconduisirent vers sa cellule. Il avait si habilement entretenu le Gréviste et si habilement celui-ci lui avait répondu, que nul, parmi les gardes-chiourme, n’avait deviné leur conversation.

***

Ce même soir, tandis que Fantômas dans sa cellule réfléchissait profondément à l’entretien qu’il avait eu avec M e Faramont d’abord, avec le Gréviste ensuite, Juve recevait Fandor chez lui. C’était Juve qui avait ouvert la porte de son appartement et il secoua cordialement la main de Jérôme Fandor qui, de son côté, ayant grimpé quatre à quatre les étages du policier, haletait.

– Eh bien, Fandor, demandait Juve, quoi de neuf ?

– Ah non, ne recommencez pas vos manières, Juve. Ne vous amusez pas aujourd’hui encore à me faire languir. Ce n’est pas à moi qu’il faut demander ce qu’il y a de neuf, c’est à vous ! Pourquoi votre dépêche ? Qu’avez-vous appris ?

«  Viens d’urgence, avait télégraphié Juve, j’ai besoin de toi. »

Mais Juve, maintenant, paraissait ne plus du tout se rappeler qu’il y avait urgence à entretenir Fandor. Pourtant, comme le jeune homme lui répétait encore, véritablement furieux : « Pourquoi avez-vous besoin de moi, nom de Dieu ? », Juve finit par se départir de son calme.

– Lis cela, dit-il, et tâche de comprendre.

Il tendit à Fandor une lettre que le journaliste dévora des yeux en devenant très pâle.

Elle n’était pas longue, écrite d’une écriture que Jérôme Fandor reconnut immédiatement :

– Hélène, s’écria-t-il. Juve, c’est Hélène qui vient de vous écrire, et il lut à haute voix la seule phrase que la fille de Fantômas avait adressée au policier.

Juve, prenez garde, prenez grand-garde, prenez garde à vous, prenez garde à Fandor.

Elle n’avait point signé, elle n’avait rien ajouté.

– Mais qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi faut-il que nous prenions garde ? À quoi faut-il que nous prenions garde ?

Juve lentement avança un siège et s’assit en face de son ami :

– Ma foi, Fandor, tu devines bien, j’imagine, que si je t’ai fait venir, c’est précisément pour que tu m’aides à réfléchir là-dessus. Cette lettre est d’Hélène, cela c’est incontestable, et Hélène nous dit de prendre garde, mais prendre garde à quoi, à qui ? Ah, Fandor, tu ne peux pas savoir comme cela me préoccupe. Cela me fait d’autant plus peur même, que Fantômas est en prison, je ne peux donc pas comprendre l’avis extraordinaire que nous envoie sa fille.

– Pourquoi ?

– Mais triple imbécile, parce que plus je réfléchis, et plus il me semble qu’il n’y a qu’une seule chose à quoi nous puissions prendre garde, et c’est à l’évasion de Fantômas.

Juve se taisait, attendant une réponse de Fandor, mais Fandor à son tour demeurait silencieux.

Le jeune homme, au comble de l’émotion, ferma les yeux et fronçant les sourcils, plissant le front, médita en silence.

– Juve, déclara enfin Fandor ayant lu et relu plus de cent fois l’intrigante lettre d’Hélène, cette lettre en apparence inachevée que la fille de Fantômas avait écrite, Juve, il est inadmissible qu’Hélène nous avertisse si elle sait que son père médite de s’évader. Une évasion de la Santé est impossible, d’abord, et puis ensuite, je suis sûr qu’Hélène, et je le comprends et je l’approuve, quelque coupable que soit son père, ne voudrait jamais le trahir et l’empêcher de retrouver sa liberté. Non, Juve, c’est d’autre chose qu’il faut nous méfier. Il faut trouver un autre danger à éviter. Voyons, mon vieil ami, il n’est pas possible que toute votre habileté soit en défaut, puisque ce n’est pas à l’évasion de Fantômas qu’il faut prendre garde, c’est à autre chose. Vous ne devinez pas à quoi ?

Juve, à ces mots, se levait, il avait son air résolu des moments de grande bataille :

– Fandor, répondit-il, je devine bien un peu à quoi il faut prendre garde, mais c’est effrayant.

– À quoi donc ?

– À tout.

Et en disant cela le policier assenait un coup de poing furibond sur son malheureux bureau, qui n’en pouvait mais.

7 – UNE MYSTÉRIEUSE AGRESSION

En rentrant du Palais, le bâtonnier passa précipitamment chez lui, rue d’Amsterdam, vers sept heures moins vingt. M me Faramont n’était pas encore prête, elle s’habillait dans sa chambre.

Quant à Jacques, il était encore plongé dans l’étude d’un dossier et revêtu d’un vieux veston de travail, avec lequel certes, il n’aurait jamais osé faire un pas dans la rue.

Le bâtonnier cria à sa femme à travers la porte :

– Je pars prendre le train de sept heures, vous et Jacques vous viendrez par le suivant, nous nous retrouverons à huit heures et demie comme d’ordinaire, chez les Keyrolles pour dîner. Si je vais en avance, c’est que j’ai quelque chose à voir avec mon ami Sunds.

Le bâtonnier échangea son chapeau haut de forme contre un chapeau de paille, puis, confiant sa serviette bourrée de documents à son fils, il prit sa canne au vestibule, et descendit d’un pas tout guilleret à la gare Saint-Lazare.

Le train qui devait le conduire à Ville-d’Avray était déjà bondé de voyageurs, c’était l’heure où les banlieusards, travaillant à Paris, regagnent leurs habitations à la campagne.

Le bâtonnier finissait cependant par trouver en première classe une place disponible, et, posant son journal sur le coussin, il resta sur le trottoir, dévisageant les retardataires qui arrivaient en courant pour ne pas manquer le départ.

Le bâtonnier s’étonnait de ne pas voir Sunds. Il s’en consola cependant.

– Il y a tant de monde dans ce train, qu’il est fort possible que j’aie passé devant son wagon sans m’en apercevoir. Nous nous retrouverons à Ville-d’Avray.

Le moment du départ devenait imminent, des employés aux allures affairées couraient le long du train.

– En voiture, en voiture !

On entendit le claquement sec des portières. Le bâtonnier regagna son compartiment qui se trouvait au complet.

Au moment où le train s’ébranlait, Henri Faramont se plongea dans son journal, cependant qu’il songeait une dernière fois :

– Sunds doit être dans quelque autre voiture. Ou alors, il a pris un autre train. Ou encore, il a complètement oublié notre rendez-vous, mais cela m’étonnerait.

Cependant, à peine le train partait-il, qu’un homme essoufflé, haletant, courait à toute vitesse par derrière, pour s’efforcer de le rattraper, et il geignait et maugréait :

– Ah sapristi, pourvu que j’arrive !

Mais c’était en vain. Le convoi gagnait de vitesse sur le retardataire, et celui-ci voyait sans cesse s’augmenter la distance le séparant du dernier wagon qui disparut sous le pont de l’Europe.

Le voyageur arrivé en retard demeura immobile et penaud sur le trottoir quelques instants, il s’épongea le front.

– Dieu que c’est bête, grommela-t-il, de manquer un train.

Mais il n’y avait rien à faire, et haussant les épaules, furieux contre lui-même, le personnage interrogea un employé :

– À quelle heure le prochain départ pour Ville-d’Avray ?

– À huit heures deux, monsieur, dans une heure.

– Bon Dieu, s’écria le voyageur dont le visage prit un air désespéré, ce n’est pas possible, il doit y en avoir un auparavant.

Mais, impassible, son interlocuteur lui répondait :

– Non, monsieur, le prochain c’est à huit heures deux.

– Eh bien, je suis frais ! grommela l’homme, qui, prenant dès lors une résolution, quitta la gare et descendit cour de Rome.

Il avisa un taxi-auto :

– Dites donc vous, demanda-t-il, en s’adressant au mécanicien, êtes-vous le type qui va me conduire rapidement et pour pas trop cher jusqu’à Ville-d’Avray ?

Le conducteur du taxi hésita un instant, il expliqua :

– C’est rapport à mes pneus qui ne sont pas bien solides, mais enfin, ça n’est pas trop loin, montez.

Le voyageur qui avait manqué le train à la gare Saint-Lazare s’installa dans l’automobile, qui partit en direction de la porte Maillot.

Ce voyageur, ce retardataire, c’était Érick Sunds, le Danois qui, à toute force évidemment, voulait rattraper son client, le bâtonnier Henri Faramont.

***

Le train qui emmenait celui-ci venait de dépasser Asnières.

Il était bondé de voyageurs, mais les banquettes de l’impériale étaient à peu près désertes. On n’aime guère à s’y installer, eu égard à la poussière et aux escarbilles qui viennent atténuer considérablement le charme que pourrait procurer le plein air.

Au départ de la gare Saint-Lazare, un couple qui semblait rechercher la solitude, s’était pourtant installé sur l’une des impériales de seconde classe.

Étaient-ce des amoureux ? Ils en avaient l’air. L’homme, petit, trapu, très brun, s’était assis en effet tout à côté de sa compagne, une femme jeune, au visage énergique, aux traits accentués, mais jolis. Elle était brune elle aussi, tous deux s’exprimaient dans un français assez incorrect, teinté d’accent étranger.

Avant le départ du train, qu’ils étaient venus prendre de fort bonne heure, ils avaient, du haut de leur observatoire, minutieusement dévisagé tous les voyageurs.

Et il faut croire que cet examen leur avait donné satisfaction, car, désormais, la physionomie de l’un d’eux, tout au moins, celle du jeune homme, exprimait une parfaite satisfaction :

– Yo souis sûr, murmura-t-il, que le bâtonnier est monté dans le train. L’affaire s’annonce de façon souperbe, nous allons réoussir !

L’homme qui s’exprimait ainsi, c’était Mario Isolino, le suspect italien, héros de plusieurs aventures assez peu à son avantage, qui, depuis quelque temps, avait établi son quartier général sur les hauteurs de Montmartre.

Depuis une semaine environ, l’Italien Mario Isolino vivait maritalement avec Nadia la Circassienne, qui était devenue sa maîtresse le lendemain même du jour où elle avait abandonné Érick Sunds, le Danois, ce qui, d’ailleurs, n’avait guère déplu à ce dernier.

Sur l’impériale du train, Mario Isolino exaltait sa satisfaction en même temps que sa tendresse.

Il attira Nadia auprès de lui, l’embrassa dans le cou.

– Io vous adore, ma toute belle, murmura-t-il.

Et il ne cessait de la serrer sur son cœur.

La jeune femme, cependant, semblait émue, inquiète. Machinalement, elle répéta :

– Moi aussi, je t’aime, je t’adore.

Mais elle était tellement préoccupée que Mario Isolino se crut obligé de la rassurer, de la remonter :

– Il ne faut pas avoir peur, assurait-il. Quand les affaires s’engagent bien, comme celle-ci, on peut être sûr de les réussir.

Et comme la jeune femme hochait la tête, énigmatique, il continuait, cependant que, dans ses yeux, s’allumait une flamme cupide :

– Tu vas voir, ma zolie, comment nous serons heureux ensuite, car vois-tu, l’amour c’est très zoli, mais pour qu’il dure, il faut que l’on ait de l’arzent. C’est cela surtout qui nous manque pour le moment. Patience, Mario Isolino a plus d’un tour dans son sac. Il va certainement réussir le gros coup ce soir même.

La jeune femme soupira :

– Espérons-le.

Puis elle esquissa un pâle sourire, plus pour faire plaisir à son amant, que parce qu’il naissait spontanément sur ses lèvres. Car Nadia, en son for intérieur, était inquiète, très inquiète.

Ce n’était pas une mauvaise fille que Nadia la Circassienne. Depuis de longues années déjà, elle était à Paris, elle avait été amenée en France par une princesse russe dont elle était la suivante. Et d’abord, elle s’était attachée de toutes les forces de son âme orientale à cette grande dame qui, malgré son caractère altier et hautain, se montrait toujours excellente pour elle.

Nadia avait été la suivante de la princesse Sonia Danidoff dont les aventures avaient défrayé, à un moment donné, la chronique.

Puis Nadia, sur un coup de tête, s’était séparée de la princesse et, dès lors, elle avait vécu à Paris, dans les milieux les plus variés.

Peu à peu, sa fierté, sa conscience s’étaient émoussées et la jeune fille énergique, farouche, mais honnête et pure qu’elle était, s’était peu à peu transformée, avilie : Nadia était devenue, tant par le besoin que par la veulerie, une des innombrables petites femmes de Paris, sans cesse ballottées au gré de leurs amants, des établissements de plaisir aux chambres misérables des hôtels meublés, voire même au trottoir. Si Nadia, toutefois, perdait peu à peu sa fierté, les déboires qu’elle éprouvait aiguisaient de plus en plus sa haine contre la société, contre la race humaine. Et la Circassienne, la fille sauvage se réveillait en elle, au fur et à mesure qu’elle accumulait dans son cœur les rancœurs de toute sorte. Un instant, elle avait vécu une existence bohème, mais à peu près paisible, dans le milieu bizarre, pittoresque et nullement malveillant des trafiquants de Montmartre, des fabricants d’objets d’art, des « chineurs ».

C’est là qu’elle avait connu Érick Sunds et Mario Isolino, désormais son amant.

Assurément, la moralité de ce dernier était plus que douteuse. Et, après avoir applaudi à ses théories, à ses projets, Nadia se sentait un peu inquiète désormais, de se voir dépasser dans ses conceptions farouches par l’Italien. Celui-là n’était pas un révolté, mais un ambitieux, et un ambitieux très vulgaire, qui ne rêvait que de s’enrichir, et par n’importe quel moyen.

Nadia l’interrogeait :

– Alors, fit-elle, c’est l’avocat dont on va s’occuper que nous avons vu monter tout à l’heure dans ce wagon de première classe ?

– Oui.

– Que va-t-on faire ?

L’Italien éclata de rire :

– Ce qu’on va faire, mon oiseau bleu, déclara-t-il, oh c’est bien simple. Faire passer l’arzent qu’il a de sa poche dans la nôtre.

– Voleurs ? Nous allons être des voleurs ?

– Cela n’a aucune importance si l’on n’est pas pincé. Et nous ne le serons pas. Z’ai pris toutes mes précautions.

Nadia se rassurait, mais pratique, elle questionna :

– Ce n’est pas tout de voler quelqu’un, il faut encore que la chose en vaille la peine. Es-tu sûr qu’il aura de l’argent, cet homme ? On ne se promène pas d’ordinaire avec des grosses sommes sur soi, même quand on est riche.

Mario Isolino regarda narquoisement sa maîtresse.

– Pauvre petite innocente, fit-il, rassure-toi. Io me suis renseigné de la façon la plus sérieuse.

L’Italien expliquait alors à Nadia qu’il avait eu l’idée de dépouiller le bâtonnier, un certain soir, alors qu’au Cabaret des Raccourcisle Danois Sunds annonçait qu’il allait dans deux jours, avec ce client, voir, à Ville-d’Avray, une superbe occasion. Or, cette occasion, avait ajouté Sunds, il faut la payer comptant, car la personne qui veut s’en défaire a besoin d’argent :

– Tu peux être certaine, ma petite Nadia, que le bâtonnier, à l’heure actuelle, a sur lui au moins vingt-cinq ou trente mille francs.

– Par les Saintes Images, déclara-t-elle, c’est une fortune !

– Une petite, fit-il, mais une fortune tout de même.

Isolino se leva :

– Viens, fit-il précipitamment, nous sommes arrivés, voici Ville-d’Avray.

– Est-ce loin ? demanda Nadia.

– Cinq cents mètres environ, peut-être un peu plus. Dépêchons-nous !

Et tous deux coururent dans l’avenue déserte.

La nuit tombait. Quelques rares becs de gaz luttaient péniblement, et sans grande efficacité d’ailleurs, contre l’ombre.

– Mais où allons-nous le recevoir ?

Sans ralentir, Isolino répondit :

– Dans le jardin de la maison où il a rendez-vous.

– Dans le jardin ? balbutia Nadia. La propriété n’est donc pas habitée ?

– Il n’y a rien à craindre. Io te dis que nous nous tiendrons dans le parc, il est rempli de buissons très serrés, d’ailleurs, io connais l’endroit, tu penses bien que io suis venu déjà reconnaître les lieux où doivent se dérouler nos aventures.

Au bout d’une dizaine de minutes, le couple arrivait tout à l’extrémité de Ville-d’Avray, dans une avenue vide. Du doigt Isolino désigna une propriété, dont la grille apparaissait au loin.

– C’est là, dit-il.

Et malgré elle, Nadia sentit son cœur se serrer.

La propriété où se rendaient l’Italien et la Circassienne était voisine de celle appartenant à M. de Keyrolles, le beau-frère du bâtonnier.

C’était dans le jardin de cette propriété que, quelques jours auparavant, le fils du bâtonnier avait passé en compagnie de la jeune Brigitte, sa maîtresse, une soirée bizarre.

Comme toujours, la grille était entrebâillée.

Les deux personnages, étouffant le bruit de leurs pas, se glissèrent sans bruit dans le jardin. Mario Isolino connaissait évidemment les lieux. Il obliqua tout de suite à gauche, montrant le chemin à sa maîtresse, puis vint se tapir sous un buisson épais. Il la fit asseoir à côté de lui, tous deux soufflèrent un instant. De là, ils pouvaient voir sans être vus. À travers le feuillage, ils apercevaient au fond du parc, une masse sombre, la maison abandonnée. Mario Isolino fouilla la poche intérieure de son veston, tandis que Nadia s’épongeait le front.

– Ah mon Dieu, dit la jeune femme, qu’est-ce que’ c’est ?

Le visage de Mario Isolino s’illumina d’un sourire sinistre :

– C’est un couteau, déclara l’Italien, qui ajouta avec un air cruel : l’arme la plus sûre et la plus efficace. Elle tue aussi bien qu’un revolver, mieux même, et ne fait pas de bruit.

– Tu as donc l’intention de frapper ?

L’Italien haussa les épaules :

– Io ne sais pas. On ne sait jamais. Cela dépendra de la façon dont tu lui passeras ce foulard autour du cou.

– Mon Dieu, il faut donc que moi aussi…

– Parbleu, s’écria l’Italien.

Et dès lors, d’un ton sec, autoritaire, il expliqua à sa maîtresse le rôle qu’elle avait à remplir. Nadia tremblait, elle secoua la tête :

– Non, non, dit-elle, je n’oserai jamais, cela me fait trop peur.

Mais soudain, elle étouffa un cri de douleur. Son amant lui serra le poignet, lui tordit le bras :

– Tu m’obéiras, Nadia, d’abord, il est trop tard pour reculer, et ensuite io ne veux pas que la femme que io choisis soit indigne de moi. Io te le répète, cela dépend de toi, si tu ne veux pas qu’il meure, fais ce que io t’ai dit et fais-le bien.

Nadia allait répliquer. Un léger bruit la fit tressaillir et se taire. Isolino lui aussi prêta l’oreille, il était accroupi sous le buisson, son couteau ouvert tenu entre les dents, les deux poings crispés.

– Quand il arrivera, murmura-t-il, io vais bondir devant, tu le prendras par-derrière.

Mais soudain, il s’arrêta, et empêcha Nadia de s’élancer comme il semblait qu’elle en avait l’intention.

– Ce n’est pas lui, répétait Isolino.

Et, du doigt, il désignait à sa maîtresse, qui l’apercevait, s’esquissant vaguement dans le lointain, une silhouette humaine qui venait de se glisser dans le jardin et se dirigeait du côté opposé à celui où se trouvait le sinistre couple.

Inquiète, Nadia interrogea :

– C’est peut-être quelqu’un de la maison ?

– C’est une femme en tout cas, répliqua Isolino, qui paraissait surpris et il ajouta :

– Io croyais la maison abandonnée.

– Elle a l’air jeune, cette femme, elle marche vite.

– On ne peut pas savoir, à cette distance, et avec l’obscurité qu’il fait.

Quelques secondes après, d’ailleurs, tout retomba dans le silence, et l’on n’entendit plus le moindre bruit. Toutefois, une des fenêtres de la maison abandonnée s’éclaira. Une lueur rougeoyante traversa les vitres et vint éclairer d’un pinceau lumineux une des pelouses du jardin.

– La maison est habitée, murmura Nadia.

Mais Isolino lui serrait le poignet :

– Tais-toi donc bavarde, déclarait-il, cependant qu’il ajoutait :

– Cette fois, c’est lui !

Le pas d’un homme faisait craquer les graviers du jardin.

Il y avait un quart d’heure environ que le train amenant Isolino, Nadia et le bâtonnier, s’était arrêté à Ville-d’Avray, mais alors que le couple tragique se dépêchait de venir se tapir dans les buissons épais de la villa voisine de l’habitation des Keyrolles, le bâtonnier, que rien ne pressait, s’acheminait vers le même but, mais à petits pas lents.

M e Henri Faramont avait attendu la sortie des derniers voyageurs, espérant découvrir parmi eux le Danois Érick Sunds.

Il avait éprouvé une légère désillusion, en s’apercevant que le chineur n’était pas dans ce train, qui l’avait amené lui, comme c’était convenu.

– Ah ces artistes, avait pensé le bâtonnier, tous les mêmes ! On voit bien qu’ils n’ont pas comme nous des professions sérieuses et bien réglementées. On ne peut pas compter sur leur exactitude.

Le bâtonnier se demandait s’il devait aller tout seul voir cette potiche signalée par Érick Sunds. Il hésita quelques instants, mais son instinct d’amateur, son tempérament de collectionneur, l’incitaient à ne pas négliger d’aller voir cet objet au plus tôt, de ne jamais remettre au lendemain ce qu’il pouvait faire le jour même.

– Cela n’empêchera pas, se disait-il à lui-même, cet excellent M. Sunds de toucher sa commission au cas où…

Le bâtonnier savait, en effet, où s’adresser : Sunds lui avait dit que la propriétaire de la potiche chinoise habitait la maison placée à droite de celle occupée par son beau-frère.

– Je me présenterai moi-même, voilà tout, se dit le bâtonnier.

Le bâtonnier sonna à la grille, par discrétion, car celle-ci était ouverte. Il entendit le son d’une cloche grêle se répercuter au lointain et il attendit. Mais nul ne vint au-devant de lui, et le bâtonnier, impatient, las d’attendre, l’introduisit dans le jardin.

Il remarqua qu’à travers les allées poussaient de longues herbes.

– Maison délabrée, gens dans la misère, pensa-t-il, J’ai bien fait d’apporter de l’argent, j’obtiendrai la potiche à meilleur compte.

Le bâtonnier hésita quelques instants, mais il remarqua qu’au fond de la propriété se trouvait la maison. Au milieu de la tache sombre qu’elle formait, pointait une petite lumière qui tendait à prouver qu’il y avait là quelqu’un.

– Ma foi, pensa l’avocat, entrons. On verra bien.

Il avait à peine fait quelques pas dans la direction de la maison, que soudain il poussa un hurlement de surprise et de terreur. Puis, il s’écroula.

Mario Isolino, d’une part, et Nadia, de l’autre, avaient surgi en effet derrière leurs buissons, au moment où M e Faramont, qui ne se doutait de rien, passait à proximité.

L’agression avait été combinée de la façon suivante : c’était Nadia qui devait attaquer la première, elle était munie d’un solide foulard, elle devait s’élancer sur le bâtonnier et lui passer ce foulard autour du cou. Puis, tirer violemment afin de le faire tomber en arrière.

Mario Isolino devait se jeter sur l’homme à terre et lui fouiller les poches.

Malgré l’émotion, Nadia, qui était également terrorisée par l’attitude de son amant, avait réalisé sans trop de difficulté la première partie du programme. Et alors que le bâtonnier tombait par terre, la Circassienne se félicitait de son adresse, s’étonnait même de la facilité avec laquelle une faible femme pouvait renverser un homme, lorsque celui-ci ne s’y attendait pas. Une foule de pensées se pressait en même temps dans l’esprit de Nadia qui songeait aussitôt :

– Du moment que j’ai réussi à le renverser, Mario Isolino ne le tuera pas.

En précipitant à terre le bâtonnier, la Circassienne était tombée, elle aussi, mais à genoux, dans l’allée. Elle se releva. À ce moment, elle poussa un cri terrible et, de même, elle entendit deux autres cris. L’un poussé par le bâtonnier, l’autre par son amant : une effroyable douleur la prenait aux yeux, il lui semblait que du feu courait sous ses paupières, lui incendiait la pupille. Puis, soudain, elle se sentit entraînée par la main. Trébuchant, aveugle, et souffrant le martyre, elle se laissa emmener en gémissant. Quelques secondes après, elle se rendait compte qu’elle était hors de la propriété, dans l’avenue déserte. La personne qui l’entraînait, qui l’avait pour ainsi dire arrachée de l’allée, emportée, c’était son amant.

Et Mario Isolino, d’une voix contractée par l’angoisse, articulait cependant qu’il geignait, lui aussi :

– Sauvons-nous, sauvons-nous, c’est du sortilège.

***

– Eh bien, comment vous sentez-vous, mon pauvre Faramont ?

Le bâtonnier ouvrit les yeux, puis les referma aussitôt, il éprouvait aux paupières une intolérable cuisson. Il avait reconnu, cependant, la voix de son beau-frère.

Il se sentait immensément las, fatigué, brisé, comme après un violent effort ou une grande maladie. Il se rendit compte qu’il était étendu sur quelque chose de souple et de doux, une chaise longue ou un canapé. Puis, il éprouva une sensation réconfortante, deux lèvres s’appuyaient sur son front, cependant qu’il percevait la voix angoissée de sa femme qui murmurait :

– Mon pauvre Henri, que vous est-il donc arrivé ?

Le bâtonnier fit un nouvel effort, ouvrit encore les yeux, et regarda autour de lui. Il était dans la chambre de son beau-frère, sur le lit et, à son chevet, se trouvaient, indépendamment de M. de Keyrolles et de M me Faramont, son fils Jacques, sa sœur, M me de Keyrolles, et enfin un personnage qu’il ne connaissait pas, un homme en bras de chemise, qui prenait des compresses et les lui passait sur les tempes.


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