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Demain
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 16:57

Текст книги "Demain"


Автор книги: Guillaume Musso



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            – N’exagère pas, s’il te plaît.

            – Mais je n’exagère pas, Matt ! Réfléchis cinq minutes : cette jeune femme travaille dans l’un des restaurants les plus réputés de Manhattan. Ses clients sont des hommes d’affaires, des personnalités de l’art et de la mode, des gens élégants et raffinés, tirés à quatre épingles. Elle va te prendre pour un cul-terreux ou un étudiant attardé.

            – Mais je ne vais pas jouer à être quelqu’un d’autre !

            Elle refusa ce raisonnement.

            – Un premier rendez-vous, ça se prépare, c’est tout. Ça compte, les apparences : l’impression initiale est toujours celle qui restera gravée dans l’esprit des gens.

            Matthew s’exaspéra.

            – Aimer quelqu’un pour son apparence, c’est comme aimer un livre pour sa reliure1 !

            – C’est ça : gargarise-toi avec tes citations. N’empêche que tu feras moins le fier, ce soir…

            Il poussa un soupir et son visage se rembrunit. Il se roula une cigarette, résista à l’envie de l’allumer et, après quelques secondes de réflexion, finit par capituler :

            – Bon, peut-être que tu pourrais me donner deux, trois conseils…

            *

            New York

            13 heures

            – Lovenstein, vous avez perdu les pédales ! hurla Peter Benedict en poussant la porte translucide de la cave de l’Imperator.

            Le chef sommelier avança d’un pas rapide vers sa subordonnée qui rangeait des bouteilles dans un casier métallique.

            – En quel honneur avez-vous pris l’initiative d’acheter ces vins ? cria-t-il en brandissant une feuille imprimée sur du papier crème.

            Emma jeta un coup d’œil au document. C’était une facture à l’en-tête d’un site de vente en ligne spécialisé dans des crus d’exception. Elle mentionnait la commande de trois bouteilles :

            1. Domaine de la Romanée Conti, 1991

            1. Ermitage Cuvée Cathelin, J.L. Chave, 1991

            1. Graacher Himmelreich, Auslese, Domaine J.J. Prüm, 1982

            Un bourgogne mythique et somptueux, une syrah racée et généreuse, un riesling complexe à la bouche suave. Trois grands crus dans des millésimes parfaits. Les trois meilleurs vins qu’elle ait goûtés de sa vie. Pourtant, ce n’était pas elle qui avait commandé ces bouteilles.

            – Je vous assure que je ne suis pour rien dans cette histoire, Peter.

            – Ne vous foutez pas de moi, Lovenstein : le bon de commande porte votre signature et la facture a été réglée avec les références bancaires de l’Imperator.

            – C’est impossible !

            Blanc de colère, Benedict poursuivit sa litanie de reproches.

            – Je viens d’appeler l’expéditeur qui m’a bien confirmé la livraison des bouteilles au restaurant. Alors je voudrais savoir où elles sont et vite !

            – Écoutez, il s’agit manifestement d’une erreur. Ce n’est pas grave. Il faut juste…

            – Pas grave ? Il y en a pour plus de 10 000 dollars !

            – C’est une grosse somme en effet, mais…

            – Débrouillez-vous comme il vous plaira, Lovenstein, mais je veux que cette ardoise soit effacée avant la fin de la journée ! aboya-t-il avant de pointer son doigt vers elle et de menacer : Sinon, c’est la porte !

            Sans attendre de réponse, il fit volte-face et quitta la cave.

            Emma resta quelques secondes immobile, abasourdie par la violence de l’altercation. Benedict était un sommelier de la vieille école qui trouvait que les femmes n’avaient rien à faire dans une cave. Il avait raison de se sentir menacé par son adjointe : avant son départ précipité, Jonathan Lempereur avait attribué la place de chef sommelier à Emma. La jeune femme aurait dû remplacer Benedict au début de cette année, mais il avait réussi à faire annuler cette promotion auprès de la nouvelle direction. Depuis, Benedict n’avait qu’une idée en tête : pousser sa jeune collègue à la faute pour pouvoir s’en débarrasser définitivement.

            Emma regardait la facture en se grattant la tête. Peter Benedict était aigri et vindicatif, mais il n’était pas assez fou pour monter une telle combine.

            Qui alors ?

            Les trois vins commandés ne l’avaient pas été par hasard. C’étaient les trois références qu’elle avait mentionnées la semaine précédente lors d’une rencontre avec un journaliste de la revue Wine Spectatorqui dressait des portraits de la nouvelle génération des sommeliers. Elle essaya de se souvenir : l’entretien s’était déroulé dans les bureaux du service Presse et Communication du restaurant sous l’œil de…

            Romuald Leblanc !

            Très remontée, Emma sortit de la cave en pressant le pas et prit l’ascenseur jusqu’à l’accueil. Sans se faire annoncer, elle débarqua dans le local du service de presse et demanda à parler au jeune stagiaire que l’Imperator avait embauché pour s’occuper de la maintenance informatique. Elle se rua dans le bureau qu’on venait de lui indiquer et referma la porte derrière elle.

            – À nous deux, binoclard !

            Surpris par cette intrusion, Romuald Leblanc sursauta derrière l’écran de son ordinateur. C’était un adolescent un peu enrobé, aux cheveux gras coupés au bol et au visage pâlot encadré par de grosses lunettes carrées à montures épaisses. Pieds nus dans ses tongs, il était vêtu de jeans troués et d’un hoodie à la propreté douteuse ouvert sur un tee-shirt Marvel.

            – Bonjour, mademoiselle euh… Lovenstein, l’accueillit-il avec un accent franchouillard.

            – Je vois que tu me reconnais, c’est un bon début, fit-elle en avançant vers lui, menaçante.

            Elle jeta un coup d’œil à l’écran d’ordinateur.

            – C’est pour baver devant des photos de femmes nues que le restaurant te paie ?

            – Euh, non, madame, mais là… c’est… c’est ma pause.

            Mal à l’aise, le Français s’affaissa sur sa chaise et, pour tenter de se donner une contenance, croqua dans une barre chocolatée déjà entamée, qui traînait sur le bureau.

            – Arrête de bouffer, tête de blatte, lui ordonna-t-elle.

            Elle tira la facture de sa poche et la lui agita devant le nez.

            – C’est toi qui as passé cette commande ?

            Les épaules de l’adolescent se tassèrent et il baissa les yeux. Emma insista.

            – Tu m’as entendue lorsque je parlais au journaliste, n’est-ce pas ?

            Comme Romuald restait silencieux, la sommelière haussa le ton.

            – Écoute-moi bien, sombre crétin, je n’ai pas l’intention de perdre mon job. Alors, libre à toi de ne pas me répondre, mais, dans ce cas, je vais demander à la direction de prévenir les flics et tu t’expliqueras avec eux.

            Cette menace eut sur le gamin l’impact d’une décharge électrique.

            – Non, s’il vous plaît ! C’est… c’est vrai, j’ai été intrigué par votre façon de parler de ces vins et j’ai voulu les goûter.

            – Tu as voulu goûter des bouteilles à plus de 3 000 dollars, tête de flan ? Mais tu as du yaourt dans la tête ou quoi ? Et comment as-tu fait pour les commander ?

            D’un mouvement de tête, Romuald désigna son écran.

            – Rien de plus facile : vos bécanes et votre système ne sont pas sécurisés. Ça m’a pris vingt secondes pour pirater la comptabilité du restaurant.

            Emma sentit les battements de son cœur s’accélérer dans sa poitrine.

            – Et ces bouteilles, tu les as ouvertes ?

            – Non, elles sont là, répondit-il en se levant de sa chaise.

            Il traîna les pieds jusqu’à une armoire métallique d’où il tira une caissette en bois clair qui contenait les trois précieux millésimes.

            Dieu soit loué !

            Emma inspecta chacune des bouteilles avec attention ; elles étaient intactes.

            Sans attendre, elle appela son fournisseur pour lui expliquer que le compte client de l’Imperator avait été piraté. Elle proposa de renvoyer à ses frais l’intégralité de la commande contre une annulation de la facture. Elle ressentit un immense soulagement lorsqu’on lui annonça que son offre était acceptée.

            Pendant quelques secondes, elle resta immobile, soulagée d’avoir sauvé son emploi. Elle s’autorisa alors à repenser à son rendez-vous de ce soir et l’angoisse la saisit. Pour se rassurer, elle chercha des yeux son reflet dans la surface miroitée de la vitre, mais l’image qu’elle aperçut produisit l’effet contraire : elle était affreuse. Ses cheveux étaient abîmés, leur couleur, terne, sa coupe, informe. Ce n’est pas avec une tête pareille qu’elle parviendrait à plaire à Matthew Shapiro. Elle soupira et prit soudain conscience de la présence du stagiaire.

            – Écoute, je vais être obligée de signaler ta faute au chef du personnel. C’est très grave ce que tu as fait.

            – Non ! S’il vous plaît !

            Subitement, l’adolescent se liquéfia et fut pris d’une crise de larmes.

            – Pleure, tu pisseras moins, soupira-t-elle.

            Elle lui tendit néanmoins un mouchoir et patienta jusqu’à ce qu’il ait cessé ses gémissements.

            – Quel âge as-tu, Romuald ?

            – Seize ans et demi.

            – D’où viens-tu ?

            – De Beaune, au sud de Dijon, c’est…

            – Je sais où est Beaune. Certains des meilleurs vins français viennent de ta région. Depuis quand travailles-tu à l’Imperator ?

            – Quinze jours, dit-il en enlevant ses lunettes pour frotter ses paupières.

            – Et ça t’intéresse, ce boulot ?

            Il secoua la tête et pointa du menton l’écran de son PC.

            – La seule chose qui m’intéresse vraiment, c’est ça.

            – Les ordinateurs ? Qu’est-ce que tu fais dans un restaurant alors ?

            Il lui confia avoir suivi sa petite amie qui, après son bac, était partie travailler à New York comme fille au pair.

            – Et cette fille t’a laissé tomber ? devina Emma.

            Un peu honteux, il acquiesça en silence.

            – Tes parents savent que tu es aux États-Unis, au moins ?

            – Oui, mais en ce moment, ils ont d’autres chats à fouetter, affirma-t-il en restant évasif.

            – Mais comment as-tu réussi à te faire embaucher ici, à New York ? Tu n’as pas de papiers pour travailler, tu n’es pas majeur…

            – Je me suis bricolé un visa de travail temporaire en me vieillissant un peu.

            Bricoler un visa. Pas étonnant qu’il craigne la police et qu’il ne souhaite pas attirer sur lui l’attention de la DRH.

            Emma regarda l’adolescent avec un mélange de fascination et de compassion.

            – Où as-tu appris à faire ça, Romuald ?

            Il haussa les épaules.

            – On peut faire beaucoup de choses si on sait utiliser un ordinateur.

            Comme elle insistait, il lui raconta plusieurs anecdotes. À treize ans et demi, Romuald avait passé quelques heures en garde à vue pour avoir diffusé sur Internet une traduction pirate du dernier tome d’ Harry Potter. Un peu plus tard, c’est le site Internet de son lycée qu’il avait piraté, s’amusant à changer ses notes et à envoyer des messages loufoques sur les boîtes mail des parents d’élèves. En juin dernier, il avait déniché en quelques clics les sujets du bac scientifique pour offrir une mention à sa petite amie. Enfin, début juillet, il avait brièvement détourné le compte Facebook du président français, Nicolas Sarkozy. Une blague potache qui n’avait pas été du goût de l’Élysée. Les autorités étaient parvenues à remonter jusqu’à lui. Au vu de son dossier, il avait écopé d’une peine avec mise à l’épreuve, assortie du conseil très ferme de se tenir désormais éloigné d’un ordinateur.

            En l’écoutant parler, Emma eut une idée fulgurante.

            – Installe-toi devant ton écran, ordonna-t-elle.

            Il s’exécuta et tapa sur une touche du clavier pour mettre l’appareil sous tension.

            Elle tira une chaise pour s’asseoir à côté de lui.

            – Regarde-moi bien dans les yeux, Romuald.

            Nerveux, l’adolescent chaussa ses lunettes, mais ne soutint son regard que deux secondes.

            – Vous êtes… vous êtes très jolie, bredouilla-t-il.

            – Non, justement, je suis affreuse, mais tu vas m’aider à arranger ça, dit-elle en pointant le moniteur.

            Elle tapa l’adresse Web du site d’un salon de coiffure. À l’écran, des lettres scintillantes dansaient sur un fond clair et dépouillé.

            Akahiko Imamura

            Airstyle

            – Akahiko Imamura est un Japonais qui a révolutionné l’univers de la coiffure, expliqua-t-elle. À Manhattan, c’est LE coiffeur qui compte, le maître du ciseau et de la couleur. Angelina Jolie, Anne Hathaway, Cate Blanchett… les plus grandes stars se font coiffer chez lui. Et pendant la fashion week, tous les créateurs essaient de l’embaucher pour leur défilé. On dit que c’est un véritable magicien et j’ai au moins besoin de ça pour être présentable ce soir. Le problème, c’est qu’il y a une liste d’attente de deux mois pour prendre rendez-vous.

            Romuald avait compris ce qu’Emma attendait de lui. Déjà, il s’activait pour essayer de pénétrer dans le système de réservation.

            – Imamura a trois salons à New York, continua-t-elle pendant que le geek tapait sur son clavier avec une vitesse hallucinante. Un à Soho, le deuxième à Midtown et le dernier dans l’Upper East Side.

            – C’est là qu’il officie cet après-midi, annonça Romuald en affichant la liste des rendez-vous du coiffeur.

            Impressionnée, elle se pencha sur l’écran.

            – C’est le même principe que lorsque vous réservez en ligne une table pour un restaurant, expliqua le jeune Français.

            – Tu peux modifier les noms ?

            – Bien entendu, quel intérêt sinon ? À quelle heure voulez-vous y aller ?

            – Dix-sept heures, c’est possible ?

            – Un jeu d’enfant…

            Il inscrivit le nom d’Emma à la place de la cliente initialement prévue, sans oublier d’envoyer un message à cette dernière pour reporter son rendez-vous.

            La jeune sommelière n’en croyait pas ses yeux.

            – Bien joué, Callaghan ! s’enthousiasma-t-elle en l’embrassant sur la joue. Toi aussi, tu es un magicien !

            La bouille ronde de Romuald s’empourpra.

            – C’était facile, dit-il, modeste.

            – Tu n’as pas l’air, comme ça, mais tu es drôlement futé, dit-elle en ouvrant la porte pour rejoindre son poste. Bien entendu, tu gardes tout ça pour toi, capito ?

            *

            Boston

            Boutique Brooks Brothers

            15 h 30

            – Tu es vraiment très élégant, jura April. La coupe classique, c’est ce qui te va le mieux : des épaules bien dessinées, une taille étroite, mais le torse libéré. C’est chic et intemporel.

            Matthew regarda son reflet dans le miroir en pied de la boutique de luxe. Rasé de près, les cheveux courts, sanglé dans une veste ajustée au millimètre, il était méconnaissable.

            Depuis quand n’ai-je plus porté de costume ?

            La réponse claqua dans sa tête. Désagréable et perturbante.

            Depuis mon mariage.

             Pour un peu, j’en virerais ma cuti ! insista April en lui fermant un bouton.

            Il se força à sourire pour la remercier des efforts qu’elle faisait pour lui.

            – On va compléter ta tenue avec un manteau droit en laine et on file à l’aéroport, affirma-t-elle en regardant sa montre. Il y a toujours des embouteillages à cette heure-ci et il est hors de question que tu rates ton avion !

            Après avoir payé leurs achats, ils rejoignirent la Camaro et April mit le cap sur Logan Airport. Matthew fut silencieux pendant tout le trajet. Au fur et à mesure que la journée avançait, il avait perdu son entrain et sentait son enthousiasme s’étioler. À présent, cette rencontre avec Emma Lovenstein ne lui semblait plus une aussi bonne idée que la veille au soir. À bien y réfléchir, ce rendez-vous n’avait même aucun sens : il résultait d’une décision prise sur un coup de tête alors qu’il avait bu de l’alcool et pris des médicaments. Il ne connaissait pas cette femme, tous les deux s’étaient laissé griser par un bref échange épistolaire et une rencontre physique ne pourrait qu’entraîner une déception mutuelle.

            La Chevrolet s’engagea dans la bretelle menant au parking dépose-minute. April fit une courte halte devant le terminal pour laisser à son ami le temps de sortir de la voiture. Alors qu’ils se donnaient une accolade, la galeriste essaya de trouver des mots encourageants.

            – Je sais très bien à quoi tu penses, Matt. Je sais très bien que tu as peur et qu’à présent tu regrettes de t’être engagé, mais je t’en supplie, va à ce rendez-vous.

            Il acquiesça de la tête, claqua la portière derrière lui et récupéra son sac dans le coffre. Il adressa à son amie un dernier salut avant de pénétrer dans le bâtiment.

            Il traversa rapidement le hall. Comme il s’était enregistré en ligne, il passa les contrôles de sécurité et patienta dans la salle d’embarquement. Au moment de se lever pour monter dans l’avion, il fut saisi par le doute, puis par la peur. Il transpirait, d’innombrables pensées contradictoires s’entrechoquaient dans sa tête. Un bref instant, le visage de Kate lui apparut avec une netteté stupéfiante, mais il refusa de culpabiliser, cligna des yeux plusieurs fois pour chasser cette image et présenta son billet à l’hôtesse.

            *

            Magasin Bergdorf Goodman

            5 eAvenue

            16 h 15

            Un peu perdue, Emma déambulait parmi les stands du grand magasin new-yorkais. Ici, tout était intimidant, depuis le grand bâtiment en marbre blanc jusqu’à l’apparence sophistiquée des vendeuses – belles comme des mannequins – qui vous donnait l’air minable. Au fond d’elle, Emma pensait qu’un magasin « comme ça » – dans lequel on ne demandait pas les prix, dans lequel il fallait être beau, riche et sûr de soi ne serait-ce que pour essayerun vêtement – n’était pas fait pour elle, mais aujourd’hui, elle se sentait capable de surmonter son inhibition. C’était irrationnel, mais elle croyait beaucoup en ce rendez-vous. Cette nuit, elle n’avait presque pas dormi ; ce matin, impatiente, elle s’était levée tôt et était restée plus d’une heure à passer en revue sa garde-robe pour trouver une tenue qui la mette en valeur. Après de multiples essayages et doutes, elle avait fini par se décider pour un ensemble qui lui allait plutôt bien : un corsage chocolat brodé de fils cuivrés et une jupe crayon, taille haute, en soie noire qui faisait son effet. Pour compléter sa tenue, elle avait besoin d’un manteau digne de ce nom. Et le sien n’était qu’une vieille et horrible moquette informe. Depuis qu’elle était dans le magasin, ses pas la ramenaient toujours vers ce magnifique trois-quarts en brocart. Elle palpa l’étoffe de soie rehaussée de dessins brochés d’or et d’argent. C’était tellement beau qu’elle n’osait même pas l’enfiler.

            – Je peux vous aider, madame ? demanda une vendeuse qui avait repéré son manège.

            Emma demanda à essayer le manteau. Il lui allait à ravir, mais il coûtait 2 700 dollars. C’était une folie qu’elle n’avait absolument pas les moyens de s’offrir. À première vue, son salaire était correct, sauf qu’on était à Manhattan et que tout était hors de prix. Surtout, une bonne partie de ses économies passait dans les séances hebdomadaires de psychanalyse. Une dépense vitale. Margaret Wood, sa psychothérapeute, l’avait sauvée lorsqu’elle était au plus mal. Elle lui avait appris à se protéger, à ériger des barrages pour ne pas se laisser engloutir par la peur ou la folie.

            Et là, elle se mettait en danger.

            Emma se raisonna et ressortit de la cabine d’essayage.

            – Je ne vais pas le prendre, dit-elle.

            Satisfaite de ne pas avoir cédé à son impulsion, elle se dirigea vers la sortie du magasin. En jetant un dernier coup d’œil au rayon des chaussures, elle contempla avec admiration une paire d’escarpins Brian Atwood en cuir rose poudré. Le modèle d’exposition était à sa pointure. Elle glissa son pied dans la chaussure et se transforma en Cendrillon. En python vieilli, les escarpins avaient des reflets violets et des talons laqués vertigineux. Le genre de chaussures capables de sublimer n’importe quelle tenue. Oubliant ses bonnes résolutions, Emma sortit sa carte de crédit pour régler le prix du rêve : 1 500 dollars. Avant de passer à la caisse, elle revint impulsivement sur ses pas pour acheter le manteau en brocart. Bilan de cette escapade shopping : un mois et demi de salaire parti en fumée en quelques minutes.

            En sortant sur la 5 eAvenue, Emma fut saisie par le froid. Le corps transi, elle noua son écharpe et baissa la tête pour se protéger du vent, mais la morsure était trop vive. Un souffle glacial la congelait sur place, anesthésiant son visage, engourdissant ses membres. Ses yeux pleuraient, ses joues la brûlaient. Elle n’eut pas le courage de continuer à pied. Elle s’avança sur le bord du trottoir pour héler un taxi, donna au chauffeur l’adresse du salon de coiffure en lui demandant de faire d’abord un détour par le Rockefeller Center où elle laissa au portier de l’Imperator le sac contenant son vieux manteau et ses anciennes chaussures.

            Le salon de coiffure d’Akahiko Imamura était un espace vaste et lumineux en plein cœur de l’Upper East Side : murs beiges, étagères en bois blond, grands canapés en cuir, consoles transparentes ornées d’orchidées.

            Emma donna son nom à l’hôtesse d’accueil qui vérifia le rendez-vous sur sa tablette tactile. Tout était en ordre, la manipulation informatique de Romuald avait fonctionné. En attendant le maître, un assistant lui lava les cheveux, prenant le temps de masser délicatement son cuir chevelu. Sous l’effet des doigts agiles, Emma se détendit, oubliant ses dépenses, sa fébrilité et ses soucis pour s’abandonner voluptueusement au confort douillet et raffiné de l’endroit. Puis Imamura fit son entrée et la salua, le dos plat et le regard vers le bas. Emma sortit de son sac une photo de Kate Beckinsale qu’elle avait découpée dans un magazine.

            – Vous pouvez me faire quelque chose dans ce genre ?

            Imamura ne s’intéressa pas au cliché. À la place, il observa longuement le visage de sa cliente et murmura quelques mots en japonais à son collaborateur, spécialiste de la coloration. Puis il s’arma d’un ciseau et commença à couper quelques longueurs. Il travailla une vingtaine de minutes avant de passer la main au coloriste qui appliqua une audacieuse couleur auburn des racines jusqu’aux pointes. Une fois la teinture terminée, Imamura rinça lui-même les cheveux d’Emma et reprit l’initiative sur sa coupe. Mèche par mèche, il tortilla les longueurs sur de gros rouleaux et sécha l’ensemble avant de les délier pour retravailler la coiffure avec ses doigts.

            Le résultat était stupéfiant. Ses cheveux étaient relevés en un élégant chignon torsadé. Une coupe délicate et sophistiquée qui rendait son visage lumineux et faisait ressortir ses yeux clairs et sa féminité. Emma se rapprocha du miroir, fascinée par sa nouvelle image. Quelques mèches rebelles et ondulées s’échappaient du chignon et rendaient la coiffure plus naturelle. Quant à la couleur, elle était tout simplement parfaite. C’était mieux que Kate Beckinsale ! Jamais elle n’avait été aussi belle.

            C’est donc le cœur léger qu’elle prit son taxi pour se rendre dans l’East Village. Dans la voiture, elle sortit sa trousse de maquillage et compléta sa tenue d’un peu de blush rosé, d’un voile doré sur les paupières et d’une touche de rouge à lèvres corail.

            Il était 20 h 01 lorsqu’elle poussa la porte du Numéro 5, ce petit restaurant italien au sud de Tompkins Square Park…

            *

            Le vol Delta 1816 se posa à l’aéroport Kennedy avec quelques minutes de retard. À l’arrière de l’avion, Matthew regarda nerveusement sa montre. 19 h 18. À peine débarqué, il se rua sur la file des taxis et patienta une dizaine de minutes pour avoir une voiture. Il donna l’adresse du restaurant au chauffeur et, comme dans un film, lui promit un bon pourboire s’il arrivait à l’heure. À New York aussi, il faisait incroyablement doux pour un mois de décembre. Il y avait de la circulation, mais pas autant qu’il se l’était imaginé. Assez rapidement, le yellow cabparvint à s’extraire du Queens et à rejoindre le Williamsburg Bridge avant de se faufiler dans les petites rues de l’East Village. Il était 20 h 03 lorsque la voiture s’arrêta devant Le Numéro 5.

            Matthew inspira profondément. Il était à l’heure. Peut-être même arriverait-il le premier. Il régla sa course et sortit sur le trottoir. Il se sentait à la fois nerveux et excité. Il respira de nouveau pour retrouver son calme et poussa la porte du restaurant italien.

6

            Le hasard des rencontres

            Le temps est le maître absolu des hommes ; il est tout à la fois leur créateur et leur tombe, il leur donne ce qu’il lui plaît et non ce qu’ils demandent.

            William SHAKESPEARE

            Restaurant Le Numéro 5

            New York

            20 h 01

            Le cœur battant, Emma se présenta au comptoir du restaurant. Elle fut accueillie par une jolie jeune femme au sourire engageant.

            – Bonsoir, j’ai rendez-vous avec Matthew Shapiro. Il a réservé une table pour deux.

            – Vraiment, Matthew est à New York ? s’exclama la femme. C’est une excellente nouvelle !

            Elle regarda sa liste des réservations. Visiblement, le nom de Matthew n’y figurait pas.

            – Il a dû appeler directement le portable de mon mari, Vittorio. Cet étourdi a oublié de m’en parler, mais ce n’est pas grave, je vais vous trouver une belle place en mezzanine, promit-elle en quittant son comptoir.

            Emma remarqua qu’elle était enceinte. Dans un état de grossesse avancée, même.

            – Voulez-vous que je vous débarrasse de votre manteau ?

            – Je vais le garder.

            – Il est superbe.

            – Vu ce qu’il m’a coûté, je suis contente de voir qu’il fait son effet !

            Les deux femmes échangèrent un sourire.

            – Je m’appelle Connie.

            – Enchantée, moi, c’est Emma.

            – Suivez-moi.

            Elles montèrent les marches d’un escalier en bois qui menait à une mezzanine au plafond voûté.

            La restauratrice désigna à sa cliente une table en bordure qui surplombait la salle principale.

            – Je vous offre un apéritif ? Avec ce froid, ça vous dirait un verre de vin chaud ?

            – Je vais attendre Matthew.

            – Très bien, fit Connie en tendant un menu avant de s’éclipser.

            Emma regarda autour d’elle. Le restaurant était chaleureux, cosy et intime, dégageant de bonnes ondes. Sur le menu, un petit texte expliquait que l’endroit s’appelait « Le Numéro 5 » en l’honneur de Joe DiMaggio. Lorsqu’il jouait pour les Yankees, le mythique joueur de base-ball portait en effet un maillot floqué de ce numéro. Sur le mur en brique, une photo du champion et de Marilyn Monroe laissait penser que le couple avait autrefois partagé un dîner dans ce restaurant. C’était difficile à croire, mais l’idée était belle.

            Emma regarda sa montre : il était 20 h 04.

            *

            Restaurant Le Numéro 5

            New York

            20 h 04

            – Matthew ! Ça alors, c’est une sacrée surprise ! s’exclama Vittorio en voyant son ami franchir la porte du restaurant.

            – Vittorio, ça me fait plaisir !

            Les deux hommes s’étreignirent.

            – Pourquoi tu ne m’as pas prévenu que tu passais ?

            – J’ai appelé Connie, ce matin. Elle n’est pas là ?

            – Non, elle est restée à la maison. En ce moment, Paul nous fait des otites à répétition.

            – Ça lui fait quel âge déjà ?

            – Un an le mois prochain.

            – Tu as une photo ?

            – Oui, regarde comme il a grandi !

            Vittorio sortit son portefeuille de sa poche pour en extraire la photo d’un beau bébé joufflu.

            – C’est déjà un solide gaillard, sourit Matthew.

            – Oui, c’est grâce à la pizza que je lui mets dans ses biberons ! plaisanta le restaurateur en jetant un coup d’œil sur sa liste des réservations.

            – Ah, je vois que tu as demandé à Connie de te réserver notre « table des amoureux » ! Ça alors, j’espère qu’elle est jolie, ton invitée !

            – Ne t’emballe pas, tempéra-t-il, gêné. Elle n’est pas encore arrivée ?

            – Non, la table est vide. Viens, je t’installe. Je t’offre un apéritif ?

            – Non, merci, je vais attendre Emma.

            *

            Restaurant Le Numéro 5

            New York

            20 h 16

            Matthew Shapiro, vos parents ne vous ont visiblement pas appris que la ponctualité était la politesse des rois…reprocha Emma en regardant sa montre.

            De la mezzanine, elle pouvait observer la porte du restaurant. Chaque fois qu’elle s’ouvrait, elle s’attendait à voir entrer Matthew et chaque fois elle était déçue. Elle tourna la tête pour regarder à travers la fenêtre. Il venait de commencer à neiger. Quelques flocons argentés et cotonneux tourbillonnaient dans la lumière des réverbères. Elle poussa un léger soupir puis sortit son téléphone de son sac pour voir si elle avait un message.

            Rien.

            Après une hésitation, elle se décida à envoyer un courrier depuis son smartphone. Quelques phrases légères qui masquaient son impatience :

            Cher Matthew,

            Je suis arrivée au Numéro 5.

            Je vous attends à l’intérieur.

            La pizza aux artichauts, au parmesan et à la roquette a l’air divine !

            Venez vite, je meurs de faim !

            Emma


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