Текст книги "Demain"
Автор книги: Guillaume Musso
Жанр:
Ненаучная фантастика
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*
La salle de restaurant du St. Francis était un véritable écrin, meublé dans un style résolument moderne. Tous les éléments du décor déclinaient une palette de tonalités crème et argenté, depuis les paravents en satin, aux quatre coins de la pièce, jusqu’aux broderies métalliques qui pendaient aux tringles à rideaux. Même le lustre monumental, paré de cristaux taillés, avait des reflets ivoire.
– Bienvenue, madame, avez-vous une réservation ? s’enquit le maître d’hôtel.
– Je ne suis pas venue pour déjeuner. J’ai une communication urgente à adresser à votre sommelier, Mickaël Bouchard.
– Veuillez patienter, je vous prie.
Emma attendit moins d’une minute avant que le jeune sommelier vienne la rejoindre.
– Lovenstein ? Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda son collègue québécois.
Ils n’étaient pas amis, mais ils se rencontraient souvent au cours de séminaires, de dégustations ou de concours.
– Salut, Mickaël. J’ai besoin de ton aide.
– Je suis en plein service, là. Tu sais ce que c’est. On va prendre un verre après ? proposa-t-il.
Elle se rapprocha de lui et insista :
– Je suis désolée de te bousculer, mais c’est vraiment urgent.
– OK, fais vite.
– Peux-tu te renseigner pour connaître l’identité du client de la chambre 321 ?
– Tu plaisantes, je suppose ? Qu’est-ce que tu fais de la confidentialité envers nos clients ? C’est comme ça que vous traitez les vôtres à l’Imperator ?
– Je t’en prie, Mickaël, c’est très important. Appelle la réception ou le concierge.
– Mais je risque mon poste !
– N’exagère pas, je te demande juste son nom !
– Et qu’est-ce que je gagne, moi, dans l’affaire ?
– Je ne sais pas. Qu’est-ce que tu veux ? Une petite pipe, là, tout de suite, derrière la porte de la cuisine ?
Elle avait haussé volontairement la voix et quelques clients s’étaient retournés.
Le Canadien devint blême et entraîna Emma dans le hall.
– Tu fais chier, Lovenstein ! T’es une vraie malade !
– Va à la réception et trouve-moi le nom du type qui occupe la chambre 321. S’il te plaît !
Il s’exécuta de mauvaise grâce. La conversation fut brève. Moins de deux minutes plus tard, il revint vers Emma et lâcha :
– Le type est descendu sous le nom d’Oleg Tarassov. Ça te va ?
Elle sortit un stylo de la poche de son sac à dos.
– Merci pour ta coopération, cher collègue, dit-elle en inscrivant le nom sur son avant-bras.
– Va te faire foutre, Lovenstein, répondit Mickaël en tournant les talons.
*
Les yeux de Romuald brillaient d’une flamme intense derrière ses écrans. Il venait d’encoder l’enregistrement audio sur son ordinateur et s’apprêtait à le nettoyer en éliminant les parasites.
Il lança un logiciel approprié qui ouvrit une fenêtre reproduisant une configuration de table de montage. Il écouta l’enregistrement pour isoler un passage où le bruit de fond était continu et persistant. Il se servit de cet échantillon pour paramétrer le « profil » du bruit en identifiant précisément sa fréquence et ses décibels. Dans un deuxième temps, il sélectionna l’intégralité pour y appliquer la suppression du bruit.
L’adolescent réécouta le début du fichier sonore, mais ne fut pas convaincu par le résultat.
C’est plus facile dans les séries télé…
Sans se décourager, il tripatouilla les fréquences vocales pendant un bon quart d’heure, jouant avec leur amplitude pour parvenir à un résultat plus satisfaisant.
Puis il lança de nouveau l’enregistrement.
Et ce qu’il entendit lui fit froid dans le dos…
*
Emma s’installa au bar du St. Francis sur une banquette près de l’entrée qui lui permettait d’avoir une vue sur le hall au cas où Tarassov déciderait de ressortir. Elle commanda une caipiroska, puis sortit son ordinateur et se connecta au Wi-Fi de l’hôtel.
Son esprit était en alerte. À présent, elle était totalement plongée dans son enquête. Elle n’avait jamais ressenti cette sensation. L’adrénaline et l’excitation la poussaient dans ses retranchements, lui donnaient toutes les audaces.
Elle tapa « oleg tarassov » dans le moteur de recherche. Il y avait beaucoup d’occurrences : profils Facebook, LinkedIn, VK2… Elle bascula sur « Google images » et, divine surprise, tomba presque instantanément sur l’une des photos de l’Oleg Tarassov qu’elle cherchait. Sur le cliché, il était plus jeune d’une bonne dizaine d’années, mais avait déjà ce même visage impassible, comme coulé dans le marbre. L’image renvoyait à une fiche de la bible du cinéma en ligne : le site de l’ Internet Movie Database. À en croire IMDb, Oleg Tarassov était crédité comme « cascadeur » et « coordinateur de cascades » sur un nombre impressionnant de films d’action dans les années 1990. La plupart n’étaient pas des chefs-d’œuvre, loin de là : téléfilms, productions de série B, thrillers sans budget qui, même à l’époque, avaient dû sortir directement en VHS ou DVD. Il travaillait presque toujours avec son frère, Vassili, et la spécialité des frangins semblait être les cascades en moto. Leur carrière « artistique » avait pris fin une dizaine d’années plus tôt, mais, en quelques clics, Emma parvint à retrouver leur trace à Los Angeles où ils s’étaient apparemment recyclés dans la sécurité privée. D’après le site Web de leur agence, les Tarassov travaillaient désormais dans la surveillance et la protection de personnalités.
Elle allait sortir son téléphone pour prévenir Romuald de sa découverte, mais le geek la devança. Elle n’attendit même pas la fin de la première sonnerie pour décrocher.
– Tu as trouvé quelque chose, tête de blatte ?
– Oui, répondit-il d’une voix blanche.
– Tu as vu un fantôme ou quoi ?
– J’ai nettoyé la bande de l’enregistrement, commença-t-il.
– Bon, et alors ?
– Je vous laisse écouter. C’est… effrayant.
Emma fronça les sourcils. Elle plaqua le téléphone contre son oreille droite et se boucha la gauche pour ne rien perdre de la conversation.
Kate : L’argent est dans le sac. J’ai respecté mes engagements à la lettre : un autre versement de 500 000 dollars. Cinq cents liasses compactes de billets de 100 dollars.
Oleg : Et le reste ?
Kate : Vous l’aurez une fois que je serai certaine que le travail a été réalisé en suivantexactement mes instructions.
Oleg : Donc, c’est pour ce soir ?
Kate : Oui, mais vous devez absolument attendre mon appel pour entrer en action. Et ce ne sera pas avant 21 heures. Si je ne vous contacte pas, vous laissez tomber, c’est compris ?
Oleg : Et le lieu ?
Kate : Je vous ai fait un mémo sur cette clé USB. L’endroit s’appelle « la corniche ». C’est une rampe en béton, étroite, en sens unique, derrière la gare de Jackson Square à Jamaica Plain. Elle permet d’éviter le nœud de circulation et les feux, mais les gens hésitent à la prendre à cause des marginaux, des camés et d’une interdiction municipale.
Oleg : Vous êtes certaine qu’il n’y aura personne ?
Kate : On n’est jamais sûr de rien, mais avec ce froid, les dealers et les drogués resteront planqués chez eux. Je ne vous répète pas lemodus operandi ?
Oleg : Non, j’ai compris.
Kate : Vous avez noté l’adresse ?
Oleg : Oui, je l’ai.
Kate : Que l’on soit bien d’accord : si vous ne suivez pas exactement le processus, notre accord tombera à l’eau.
Oleg : J’ai saisi, je vous dis. Une dernière chose : quelle est l’identité de la personne que je dois tuer ?
Kate : Il s’agit de cet homme sur la photo. Il s’appelle Matthew Shapiro. C’est mon mari.
22
Le groupe Helsinki
La mort est une dette qu’on ne paie qu’une fois.
William SHAKESPEARE
Le cœur d’Emma bondit dans sa poitrine. Pendant plus d’une minute, elle resta sans voix, encaissant la nouvelle avec stupéfaction, incapable d’articuler la moindre phrase.
Kate avait engagé un tueur à gages pour supprimer Matt…
Mais pour quelle raison ? Parce qu’elle ne l’aimait plus et parce qu’elle voulait vivre avec Nick ? Impossible, on ne tue pas les gens pour ça. Il suffit de divorcer. Avoir la garde exclusive de sa fille ? Ça ne tenait pas debout non plus. L’argent ? D’après ce qu’elle avait compris, Matthew n’avait pas de fortune et Nick était l’un des hommes les plus riches du pays. Quoi, alors ? Une vengeance ?
Emma essaya de mettre en ordre ses pensées. De quoi était-elle certaine ? Kate n’avait jamais cessé d’aimer son grand amour de jeunesse, Nick Fitch. Après une longue période de séparation, elle avait manifestement renoué avec lui, mais elle avait aussi profité de cette promiscuité pour lui voler des informations confidentielles qu’elle avait vraisemblablement revendues à prix d’or pour pouvoir s’offrir les services d’un tueur à gages et éliminer son mari.
C’est une histoire de fous…
Il y avait forcément un lien entre tous ces événements, mais, pour le moment, il lui échappait. Emma se prit la tête entre les mains. Sa nuque était ankylosée, ses jambes et sa cage thoracique douloureuses.
Une autre question la taraudait. Pourquoi, en 2011, Matt était-il toujours en vie ? Pourquoi le cascadeur avait-il finalement échoué à l’éliminer ?
– Tu es toujours au bout du fil, Romuald ? Refais-moi écouter l’enregistrement, s’il te plaît.
L’adolescent s’exécuta. Emma s’arrêta sur cette phrase :
« (…) vous devez absolument attendre mon appel pour entrer en action. Et ce ne sera pas avant 21 heures. Si je ne vous contacte pas, vous laissez tomber, c’est compris ? »
Elle se souvint de ce que lui avait raconté Matthew. Le chauffeur du camion de farine qui avait percuté la voiture de sa femme, le fameux soir de sa mort, avait toujours prétendu qu’elle tenait son téléphone portable à la main. Et Matthew s’était imaginé que c’était lui que Kate était sur le point d’appeler pour le prévenir que la Mazda avait finalement réussi à redémarrer. Mais en réalité, Kate avait cherché à joindre le tueur à gages pour lui donner son feu vert. Un appel qui, grâce à l’accident, n’était heureusement jamais parvenu à son destinataire.
Matt n’avait eu la vie sauve que parce que sa femme était morte avant d’avoir pu passer son appel funeste.
Une vie pour une mort…
Tout en jetant de fréquents coups d’œil vers le hall de l’hôtel, elle fit part de son raisonnement à Romuald, qui l’écouta avec intérêt. Ils avaient à présent beaucoup d’éléments, d’indices, de preuves, mais l’essentiel leur échappait : les motivations de Kate. C’était le chaînon manquant, celui qui les éclairerait sur le sens de toute cette macabre affaire.
– Et Kate ? Ça donne quoi ? finit par demander Emma.
– Comme prévu, elle a repris sa voiture et elle vient d’arriver à l’hôpital pour enfants de Jamaica Plain.
– Rien d’autre ?
– Il y a bien eu un truc, peut-être sans importance… commença l’adolescent.
– Dis toujours.
– Lorsqu’elle est revenue du Whole Foods, Kate s’est empressée de consulter sa boîte mail professionnelle et le seul courrier qu’elle ait ouvert et imprimé, c’est celui qui concernait les analyses de sang de son mari.
– Celles que Matthew a faites ce matin dans le camion de la Croix-Rouge ?
– Oui. C’est étrange qu’on lui ait communiqué les résultats, non ?
– Je n’en sais rien. Je ne connais pas les procédures. Tu as eu accès à ce courrier ?
– J’ai accès à toutes les messageries de tous les membres du personnel, rappela-t-il avec une pointe de fierté.
– Alors, transfère-le-moi sur ma boîte mail.
*
Les résultats de l’analyse de sang de Matthew tenaient sur deux pages. Néophyte en la matière, Emma s’y plongea en essayant de rassembler ses maigres connaissances pour se repérer au milieu des noms barbares et des chiffres compliqués. En tête de liste, le bilan hématologique : globules rouges, hémoglobine, hématocrites, VGM, globules blancs, lymphocytes, plaquettes, vitesses de sédimentation, fer, ferritine…
La jeune femme passa d’une ligne à l’autre, espérant trouver un début de piste, comparant les taux de Matthew avec la fourchette des dosages qui accompagnait chaque recherche.
Elle poursuivit par le bilan biochimique : glycémie, créatinine, acide urique, les enzymes, les Gamma GT, les transaminases, la TSH, le bon cholestérol, le mauvais…
Foie, thyroïde, reins… Tout semble normal…
Elle relut l’ensemble sans rien remarquer de particulier… à l’exception d’un petit cadre dans le coin droit du document précisant :
Phénotype érythrocytaire rare
– Groupe Helsinki –
Emma se redressa sur sa banquette.
Le groupe Helsinki ? Qu’est-ce que cela signifie ?
Elle fixa l’écran, attendant un déclic qui ne vint pas. Ces derniers jours avaient été éprouvants, mais ils l’avaient libérée de sa peur et obligée à sortir de sa carapace pour faire preuve d’audace. Là pourtant, elle séchait. Elle aurait eu besoin de l’aide d’un biologiste ou d’un médecin, mais elle n’en connaissait aucun.
Elle tourna le visage vers la fenêtre en soupirant. Le soleil du début d’après-midi éclaboussait la rue, se reflétant dans les nombreux monticules de neige qui jonchaient les trottoirs.
Même si un début de migraine la tourmentait, elle avait l’esprit en alerte. En passant mentalement en revue tout son carnet d’adresses, elle se rappela que le mari de sa psychologue dirigeait un laboratoire d’analyses médicales dans l’Upper West Side. Son labo était dans le même immeuble que le cabinet de son épouse, mais Emma n’avait fait le rapprochement que lorsque le couple était venu dîner un soir à l’Imperator. Le problème, c’est que Margaret Wood était en vacances à Aspen. Emma avait bien son numéro de portable, mais la psychothérapeute ne répondait jamais directement aux appels de ses patients et encore moins sur son temps de repos. Elle essaya malgré tout, tomba sans surprise sur le répondeur et laissa un message la suppliant de la rappeler au plus vite : « une question de vie ou de mort », avait-elle précisé. La psy dut croire qu’elle était sur le point de sauter du haut du Brooklyn Bridge parce qu’elle la contacta dans la minute qui suivit. Emma s’excusa et lui expliqua qu’elle avait besoin dans l’urgence d’un renseignement capital que seul son mari était susceptible de lui fournir.
– Je suis au sommet d’Aspen Mountain, une paire de skis aux pieds, mais si vous tenez à joindre George, il est resté en bas des pistes à siroter des bourbons à l’Ajax Tavern. Je vous envoie son numéro de portable.
*
– Monsieur Wood ?
– Lui-même.
– Je suis confuse de vous déranger sur votre lieu de vacances, mais je vous appelle sur recommandation de votre femme.
– Hum, hum… grogna l’homme d’un ton peu engageant.
– Peut-être vous souvenez-vous de moi : Emma Lovenstein. J’étais votre sommelière lors d’un repas l’année dernière au restaurant l’Imperator.
À cette évocation, la voix de George Wood se fit plus enjouée.
– Je m’en souviens très bien. Une soirée délicieuse. En partie grâce à vous, d’ailleurs. Vous m’aviez conseillé un porto fabuleux pour accompagner mon roquefort.
– C’est exact.
– Un Quinta do Noval, si je ne m’abuse.
– Oui, un Quinta do Noval Nacional Vintage de 1987.
– Il paraît que leur millésime 1964 est encore meilleur.
– 1963 plus exactement, corrigea Emma. C’est un millésime légendaire, mais il n’en reste plus que quelques bouteilles. Si ça vous fait plaisir, j’essayerai de vous en trouver une. Monsieur Wood, j’aurais quelques questions à vous poser, si cela ne vous ennuie pas.
– Bien sûr, jeune fille, tout ce que vous voudrez.
Emma se pencha sur son écran pour ne pas faire de fautes de prononciation.
– Qu’appelle-t-on un « phénotype érythrocytaire rare » ?
– Ah, le sang, c’est tout de suite moins glamour que le vin, n’est-ce pas ? Encore que nos métiers ne soient pas si éloignés : « Buvez-en tous, car ceci est mon sang… » comme disait notre ami !
Ravi de son bon mot, il partit dans un grand éclat de rire.
– Donc, un « phénotype érythrocytaire rare » ? répéta Emma en tentant de masquer son impatience.
– C’est simplement le jargon utilisé par les biologistes pour parler d’un groupe sanguin rare.
– Rare comment ?
George Wood se racla la gorge.
– Hum, vous connaissez le principe des groupes sanguins, Emma ?
– Oui, enfin, comme tout le monde. Je connais les quatre grands groupes : A, B, AB et O. Ainsi que le principe des rhésus positif ou négatif.
– C’est un début, mais c’est en fait beaucoup plus complexe que cela. Peu de gens le savent, cependant il y a certains individus qui ne sont ni A, ni B, ni AB, ni O.
– Vraiment ?
– Oui, leur groupe sanguin est appelé « Bombay », du nom de la ville indienne où cette particularité est apparue aux scientifiques pour la première fois. D’autres personnes ne sont ni rhésus positif ni rhésus négatif. On parle alors de phénotype Rhnull. Et ce ne sont là que deux exemples parmi d’autres. Pour faire simple, un groupe sanguin rare se définit par l’absence d’un ou de plusieurs antigènes que l’on trouve habituellement dans les systèmes des autres groupes.
La voix du professeur Wood avait repris de la vitalité. Il prenait manifestement plaisir à dispenser son savoir.
– La spécificité de ces phénotypes les conduit à produire un certain type d’anticorps qui risquent par exemple de provoquer des réactions de rejet en cas de transfusion ou de greffe. Les « Bombay » notamment ne peuvent être transfusés qu’avec du sang présentant les mêmes caractéristiques que le leur.
La jeune femme posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres :
– Et le « groupe Helsinki », ça vous dit quelque chose ?
Le biologiste émit un gloussement de satisfaction.
– Ah, le groupe Helsinki, bien sûr ! Un groupe encore plus rare que vos bouteilles de porto de 1963 ! On classe sous ce vocable des individus qui combinent plusieurs phénotypes érythrocytaires extrêmement rares. À ma connaissance, seules une douzaine de personnes appartenant à ce groupe sont répertoriées sur le territoire américain.
Et Matthew est l’un d’entre eux…
Emma sentit l’excitation la gagner. Sa migraine avait disparu. Elle ne savait pas encore exactement comment, mais elle était certaine que la clé du mystère résidait dans ce groupe sanguin très rare que possédait Matthew.
– Une dernière question, professeur, et ensuite je vous laisse profiter de vos vacances : au cours de quelles circonstances découvre-t-on que l’on porte un phénotype rare ?
– Eh bien, ça peut survenir en de multiples occasions : le suivi d’une grossesse, un rejet lors d’une transfusion, un phénotypage un peu poussé chez un patient donneur de sang. Lorsqu’un laboratoire repère un groupe rare, il doit le signaler dans un fichier national.
– Je vous remercie beaucoup, professeur, vous m’avez été d’une grande aide.
– Je compte sur vous pour ma bouteille de porto, rappela-t-il mi-sérieux, mi-taquin.
– Je n’y manquerai pas !
*
Emma sentit de nouveau son cœur s’emballer. Elle avait trouvé l’information qu’elle recherchait depuis le début ! Si elle n’en comprenait pas encore toute la portée, elle avait la certitude que l’appartenance de Matthew au groupe Helsinki était l’épicentre du mystère qui planait autour de Kate.
Reste calme…
Pour mettre de l’ordre dans ses pensées, Emma concentra son attention sur les reflets de nacre et d’absinthe que le soleil faisait chatoyer au fond de son verre. Elle décida de faire le point sur ce qu’elle savait de Kate et Matthew. Elle commença par reconstituer la trajectoire de leur rencontre. Elle convoqua ses souvenirs, se rappela les paroles de Sarah, la première femme de Shapiro.
Automne 2006 : Matt se rend à l’hôpital après s’être coupé avec un sécateur en jardinant. Aux urgences, son chemin croise celui de Kate qui est de garde ce jour-là. Ils sympathisent, elle le soigne, lui fait quelques points de suture.
Et sans doute une prise de sang…
La jeune femme poussa plus loin son raisonnement : si Kate a bien effectué des tests sanguins, elle a alors découvert lors des résultats que Matthew appartenait à un groupe sanguin exceptionnellement rare : le groupe Helsinki. Quelques jours plus tard, elle sort avec lui et, quelques mois à peine après leur rencontre, elle l’épouse.
Mais pourquoi ?
Emma leva la tête et la vue du « cascadeur » la coupa dans ses pensées. Oleg Tarassov venait de rendre sa carte à la réception et se dirigeait vers la sortie.
Elle se tassa sur la banquette en espérant qu’il ne la remarque pas et le suivit du regard le plus longtemps possible.
Le téléphone collé à l’oreille, elle quitta le bar et sortit du St. Francis au pas de course.
– Romuald ? Tarassov est en train de se faire la malle. Je vais essayer de le suivre, reste en ligne. J’ai fait une découverte incroyable.
– Moi aussi, j’ai quelque chose à vous raconter.
– Plus tard, je… Bon sang !
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Je crois qu’il est en voiture !
Elle porta la main en visière pour se protéger de la réverbération. Contre toute attente, le voiturier de l’hôtel venait d’avancer un pick-up bordeaux aux formes massives et à l’imposante calandre en croix ornée d’un bélier argenté. Il tendit les clés de l’énorme camionnette à Tarassov qui se mit au volant immédiatement.
Prise de court, Emma chercha désespérément des yeux un taxi. Elle demanda au voiturier de l’aider, mais déjà le pick-up se fondait dans la circulation, disparaissant progressivement de son champ de vision.
Merde !
– Je l’ai perdu, Romuald ! Il a filé vers le parc.
– Sur Boylston Street ?
– Oui.
– Il roule dans quoi ?
– Un gros Dodge bordeaux, mais…
– Moi, je peux le prendre en filature !
– Non ! Qu’est-ce que tu racontes ? Ne fais pas de…
*
L’adolescent enfila sa grosse parka au col en fourrure et glissa son mobile dans sa poche. Il sortit de la chambre en hâte, dévalant les escaliers comme si sa vie en dépendait. En déboulant dans le hall de l’hôtel de luxe, il faillit faire tomber une vieille dame qui avançait péniblement, accrochée à son déambulateur, trébucha sur son bichon maltais et renversa un garçon d’étage qui portait des flûtes de champagne sur un plateau.
– Pardon, désolé, excusez-moi, je…
Il se rua sur le parvis du Four Seasons. Là, il repéra un portier, sanglé dans un uniforme sombre, orné de boutons dorés, qui aidait une famille à décharger ses valises.
Pour une fois, ne te pose pas de questions…
Le moteur du véhicule tournait encore. En une fraction de seconde, Romuald s’installa sur le siège conducteur et accéléra brutalement. La portière se referma tandis que le SUV abandonnait quelques traces de gomme dans un hurlement de pneus.
23
La ligne de cœur
Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse.
CHODERLOS DE LACLOS
Lorsqu’il déboucha sur l’avenue, Romuald avait le pick-up bordeaux dans son champ de vision. Dans sa poche, il entendait le grésillement des hurlements d’Emma, toujours en communication. Il replaça le téléphone à son oreille.
– Tu arrêtes cette voiture et tu reviens tout de suite à l’hôtel ! cria Emma.
Elle marchait à pas rapides, bousculant les passants de Boylston Street pour rejoindre l’hôtel.
– Tu comprends ce que je te dis ?
– C’est notre seule piste concrète !
– Tu roules dans un véhicule volé et tu ne sais pas conduire !
– Si, je sais !
– Tu vas provoquer un accident et te retrouver en taule !
– Pas question de laisser tomber.
Cette fois, Romuald lui raccrocha au nez.
Pour la première fois depuis leur rencontre, Emma prit vraiment conscience des dangers qu’elle faisait courir à l’adolescent. En l’entraînant sans réfléchir dans son enquête, elle n’avait pensé qu’à elle. À présent, elle était terrifiée par son inconscience, mais il était trop tard : elle avait perdu tout contrôle sur le jeune Français.
Elle pénétra dans le hall du Four Seasons et se dirigea vers les ascenseurs. Il fallait qu’elle se calme. Qu’elle se ressaisisse. Qu’elle renoue le dialogue avec l’adolescent. Elle composa de nouveau son numéro. Il décrocha.
– Tu es là, tête de blatte ? Bon, écoute, c’est d’accord. Suis ce type. Mais je t’ordonne de conduire prudemment et de ne pas te faire repérer, ni par lui ni par les flics. Tu ne prends aucun risque et tu ne descends de voiture sous aucun prétexte, c’est compris ?
– Oui, maman.
– Et tu ne me raccroches plus jamais au nez !
Le téléphone de Romuald émit un signal sonore strident. Le garçon regarda l’écran : le symbole signifiant l’état de charge de sa batterie affichait seulement 7 % d’autonomie.
Il eut envie de s’arracher les cheveux. Comment lui, qui passait sa vie entre téléphone et ordinateur, avait-il pu être si négligent ?
– Je n’ai plus beaucoup de batterie, se désola-t-il. Je vous rappelle dès qu’il y a du nouveau.
*
Emma entra dans la suite en rage contre elle-même, écrasée par la culpabilité et l’impuissance. À part prier, elle ne pouvait plus rien faire pour aider Romuald.
Elle lutta pour ne pas se laisser submerger par les émotions. Le geek avait quitté la chambre dans la précipitation, laissant ses écrans allumés et ses applications actives. Elle s’installa dans son fauteuil et regarda devant elle. Au moment de partir, Romuald était en train de fouiller dans les archives du Wall Street Journal. Il avait ouvert dans une fenêtre un des nombreux articles que le quotidien économique avait consacrés à Nick Fitch. Ce n’était pas un papier récent : daté de 2001, l’article avait tout juste la longueur d’une dépêche d’agence, mais son contenu était intéressant.
L’Affaire Nick Fitch
Alors que son produit vedette, Unicorn, vole de succès en succès, l’entreprise Fitch Inc. a-t-elle encore un capitaine à son bord ?
« Qu’arrive-t-il à Nick Fitch ? » La question est sur toutes les lèvres dans la Silicon Valley. L’absence prolongée du cofondateur et premier actionnaire au siège de la société commence en effet à intriguer.
Pire : depuis deux mois, comme un écolier paresseux, Fitch a en effet « séché » l’assemblée générale ainsi que la présentation des nouveaux produits aux développeurs.
Une absence inhabituelle pour ce bourreau de travail qui suscite l’inquiétude des investisseurs et fait plonger le cours du titre en Bourse.
Interrogé à ce sujet, l’attaché de presse du groupe a assuré dans un communiqué laconique que « tout allait bien » dans la vie de Nick Fitch, que ce dernier avait seulement souffert d’une mauvaise bronchite et qu’il serait de retour à son poste très prochainement.
Emma cliqua sur d’autres liens du site. Apparemment, Fitch était bien revenu à son poste les jours suivants. Les cours de Bourse de l’entreprise avaient repris leur envolée vertigineuse et l’information s’était peu à peu perdue dans les mémoires et dans les méandres d’Internet.
Emma relut la fin de l’article.
Une mauvaise bronchite ? Tu parles…
Elle secoua la tête et ferma les yeux pour se concentrer.
Et si Nick avait réellement été malade ?
Peu à peu, certains blancs se comblaient.
La maladie, le sang, la médecine, la santé…
Autant d’éléments qui, comme des perles, s’ajoutaient désormais au fil d’Ariane qui la menait progressivement à la résolution de son enquête.
Emma ouvrit les yeux et regarda les autres écrans.
L’Intranet de l’hôpital…
Elle s’approcha du clavier et s’empara de la souris. Il lui fallut cinq bonnes minutes et plusieurs manipulations pour comprendre comment accéder aux dossiers des patients et y faire une recherche par mot-clé.
Elle tapa d’abord « Nick Fitch ».
Aucune réponse.
Tu rêves, ma fille…
Elle tenta alors une nouvelle requête : « Groupe + Helsinki ».
Le dossier d’un patient s’afficha sur l’écran.
Elle sentit son cœur s’emballer. Jamais elle n’avait été aussi proche de la vérité.
Il s’agissait d’un certain P. Drake, actuellement hospitalisé en cardiologie dans l’antenne de Jamaica Plain.
Elle cliqua pour ouvrir le fichier. Dès qu’elle lut le prénom du malade, les pièces du puzzle se mirent en place dans son esprit.