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Demain
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 16:57

Текст книги "Demain"


Автор книги: Guillaume Musso



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            – Ça fait peur, hein, Clovis ? rigola-t-elle en se blottissant contre le shar-pei.

            Assis sur l’un des tabourets entourant l’îlot de la cuisine, Matthew était plongé dans la lecture de la notice du kit qu’il venait d’acheter dans l’un des drugstores de Charles Street. April le regardait d’un œil réprobateur et consterné.

            Rien n’était plus simple que de faire un test de paternité aux États-Unis. Pour la somme de 30 dollars, vous pouviez acheter un kit sans ordonnance dans l’une des vingt mille pharmacies du pays. Même certaines grandes surfaces les commercialisaient.

            La réalisation du test était à la portée de n’importe qui : il suffisait de fournir deux échantillons de cellules exfoliées prélevés sur l’intérieur de la joue grâce à des sortes de gros cotons-tiges. Le premier échantillon était celui du père et le second celui de l’enfant.

            Matthew se lança le premier. Il enfonça le bâtonnet de coton dans sa bouche et, pendant une trentaine de secondes, frotta l’intérieur de sa joue avant de glisser l’échantillon dans l’enveloppe prévue à cet effet, sur laquelle il avait auparavant complété le formulaire imprimé. Puis il sortit de la poche de sa veste le paquet de sucreries acheté à l’épicerie.

            – Chérie, tu veux des oursons à la guimauve ?

            – C’est vrai, tu m’en as acheté ? s’écria la petite fille en écarquillant les yeux.

            Elle se leva de son pouf pour se précipiter vers lui.

            – Merci, papa !

            – Mais d’abord, il y a un tout petit exercice à faire.

            – Ah bon ?

            – C’est trois fois rien, tu vas voir, ouvre la bouche.

            La petite fille s’exécuta et, délicatement, il renouvela l’opération pour lui prélever quelques cellules de peau.

            – Je compte jusqu’à trente et tu as tes nounours, d’accord ? 1, 2, 3…

            April lui lança un regard plein de colère et de mépris.

            – Tu es vraiment misérable, murmura-t-elle.

            Il ne prit même pas la peine de lui répondre.

            – … 28, 29 et 30. Bravo, ma puce, tu as bien mérité tes bonbons.

            – Je peux en donner à Clovis ?

            – Juste un petit bout pour lui faire goûter, toléra-t-il en glissant l’échantillon d’Emily dans la deuxième enveloppe.

            Puis il inséra le tout dans une troisième enveloppe à bulles en joignant son règlement (159 dollars pour le laboratoire ainsi qu’un surplus de 99 dollars pour que l’analyse ait lieu le jour même). Il termina l’opération en inscrivant le nom du laboratoire :

            InfinitGene

            425 Orchid Street

            West Cambridge, MA 02138

            En achetant le test, il avait volontairement choisi un laboratoire du Massachusetts pour que l’analyse puisse se faire le plus rapidement possible et qu’on lui communique les résultats dans la soirée, avant minuit, sur sa boîte mail. Il y avait cependant une deadline : le labo devait recevoir les échantillons avant 14 heures.

            Il regarda l’horloge murale.

            13 h 10.

            C’était bien sûr trop tard pour UPS ou pour FedEx, mais il pouvait toujours porter lui-même en voiture l’enveloppe au laboratoire. Même avec la circulation, il y serait en moins d’une demi-heure.

            – Tu peux me prêter la Camaro, April ?

            – Tu peux aller te faire foutre, Matthew ?

            À l’autre bout de la pièce, Emily réagit promptement :

            – Il ne faut pas dire des gros mots, April ! la gronda la petite fille en bouchant les oreilles du shar-pei.

            Matthew enfila son manteau et prit sa mallette.

            – Tant pis, j’attraperai un taxi sur Beacon Street, dit-il en mettant la grande enveloppe sous son bras.

            *

            Restée seule, April encaissa le choc. Il fallait absolument qu’elle empêche son ami de faire une connerie.

            Elle s’approcha du coussin capitonné où Emily et Clovis se prélassaient.

            – Je suis obligée de te laisser seule quelques minutes, mon cœur, alors tu vas me promettre de ne pas faire de bêtises, d’accord ?

            Un peu inquiète, la petite fille pinça les lèvres.

            – Je ne joue pas avec les allumettes, c’est ça ?

            – Tu restes sagement devant SOS Fantômeset tu attends l’arrivée du Bibendum Chamallow. C’est ton passage préféré, n’est-ce pas ?

            Elle acquiesça en silence.

            April pointa ensuite un index menaçant en direction du shar-pei.

            – Et toi, l’hippopotame, tu as intérêt à bien monter la garde !

            Elle passa son imperméable, cueillit ses clés de voiture et sortit sur Louisburg Square. La Camaro était garée de l’autre côté du parc. Elle mit le contact, fila tout droit pour attraper Charles Street et grilla allègrement le feu au croisement qui permettait de rejoindre Beacon Street.

            Si Matt avait pris un taxi sur l’avenue, il devait encore être dans les environs. April zigzagua entre les véhicules, dévisageant les passagers à l’arrière des taxis chaque fois qu’elle en croisait un.

            Rapidement, au bout de cinq cents mètres, elle repéra Matthew dans un CleanAir Cab, l’un de ces taxis hybrides qui se multipliaient en ville depuis deux ou trois ans. D’un coup d’accélérateur, elle se porta à son niveau et adressa un signe à son ami pour l’inciter à descendre. Mais Matthew n’était pas décidé à obtempérer. Au contraire, il se pencha vers le chauffeur pour lui demander de presser l’allure.

            April soupira et rétrograda pour se replacer dans la roue de la Toyota. Elle laissa le taxi s’engager sur la structure de fer du Harvard Bridge, puis accéléra. Sur quelques mètres, les deux véhicules roulèrent dangereusement côte à côte jusqu’à se frôler. Puis le chauffeur de taxi prit peur et décida de se ranger sur la file de droite.

            – Sortez de ma voiture ! ordonna-t-il à Matthew. Vous allez m’attirer des ennuis.

            À son tour, April s’était garée derrière le green cab.

            Matthew essaya de convaincre le chauffeur de reprendre sa course, mais il ne voulut rien savoir et démarra au quart de tour pour rejoindre le centre-ville.

            April mit ses feux de détresse et claqua la porte de la Camaro dans un concert d’avertisseurs sonores. Il était dangereux et strictement interdit de stationner sur l’une des quatre voies du pont.

            – Allez, Matt, rentrons à la maison, cria-t-elle en le rejoignant sur la rampe réservée aux promeneurs et aux joggeurs.

            – Il n’en est pas question ! De quoi tu te mêles, bon sang ?

            – À quoi ça va t’avancer de faire ce test de paternité ? demanda April en haussant la voix pour couvrir le bruit de la circulation. Est-ce que tu aimeras moins Emily si ce n’est pas ta fille biologique ?

            – Bien sûr que non, mais je ne veux pas vivre dans le mensonge.

            – Réfléchis bien, Matt, conseilla-t-elle en lui posant la main sur le bras.

            – C’est tout réfléchi. J’ai droit à la vérité. Je veux comprendre ce qui s’est passé avec Kate. Je veux savoir pourquoielle m’a trompé et avec qui.

            – Kate est morte, Matt. Il serait temps que tu l’acceptes. Tu as vécu des années heureuses avec elle et quoi qu’il ait pu arriver avant, c’est toi qu’elle a choisi pour être le père de son enfant.

            Matt écouta l’argument, mais sa peine était trop grande.

            – Tu ne comprends pas. Kate m’a trahi. J’avais mis toute ma confiance en elle. J’ai quitté ma femme pour elle, j’ai…

            – Tu n’aimais plus Sarah depuis longtemps, objecta-t-elle.

            – Peu importe. Pendant quatre ans, j’ai laissé entrer dans ma vie une étrangère, quelqu’un que je croyais connaître. Il faut que je sache qui elle était vraiment. Il faut que j’enquête sur elle.

            April empoigna Matthew par le col et le secoua sans ménagement.

            – Mais elle est morte, putain ! Réveille-toi ! Pourquoi perdre du temps à fouiller dans le passé des gens ?

            – Pour les connaître vraiment, répondit-il en se libérant de son emprise.

            – Et moi, tu me connais vraiment ? demanda-t-elle, changeant de façon inattendue l’angle de la conversation.

            Il fronça les sourcils.

            – Oui, je crois. Enfin, tu es ma meilleure amie et…

            – Qu’est-ce que tu connais réellementde moi, Matt ?

            – Eh bien, tu es née près de San Diego. Tes parents tenaient une boutique d’antiquités. Tu as étudié l’art à l’UCLA2, tu…

            – Ça, c’est ce que je t’ai raconté, mais ce n’est pas la vérité. Ma mère a dû coucher avec la moitié des hommes du Nevada et n’a jamais été capable de me dire qui était mon père. Elle n’était pas antiquaire : c’était une pocharde qui n’a jamais rien fait de sa vie à part escroquer les gens et se soûler la gueule. L’art ? Je ne l’ai pas étudié à l’université, mais à Chowchilla, dans la plus grande maison d’arrêt pour femmes de Californie. Eh oui, Matt, tu vois, j’ai fait de la prison.

            Déconcerté, Matthew regarda sa colocataire dans les yeux. Pendant quelques secondes, il pensa même qu’elle plaisantait, mais ce n’était pas le cas.

            – Je ne vais pas te peindre un tableau à la Dickens, poursuivit April, mais j’ai eu une adolescence et une jeunesse compliquées : de mauvaises fréquentations, des fugues précoces et de la dope. Beaucoup de dope. À une époque, j’étais prête à faire n’importe quoi pour m’en procurer. Vraiment n’importe quoi.

            Une larme coula soudain sur la joue de la jeune femme. Dans sa tête, des images douloureuses et humiliantes refirent surface comme par effraction, mais elle les repoussa.

            – Évidemment, ma descente aux enfers m’a conduite en prison. À vingt-deux ans, les flics m’ont arrêtée après un vol avec violence. J’en ai pris pour trois ans fermes à Chowchilla. Voilà qui je suis vraiment…

            Elle s’arrêta comme pour reprendre son souffle, chassa une mèche de cheveux que le vent faisait flotter devant ses yeux.

            – Mais je ne suis pas que ça, reprit-elle enfin. Je suis aussi cette femme qui s’est battue pour avoir une seconde chance, qui a refait sa vie à l’autre bout du pays, qui n’a plus touché à la came depuis dix ans et qui a monté avec succès sa propre galerie d’art.

            – Tu pouvais me faire confiance, affirma Matthew. Pourquoi ne m’as-tu pas dit cela dès le début ?

            – Parce qu’il faut aller de l’avant. Parce que le passé est le passé. Parce qu’il faut laisser les morts avec les morts…

            Matthew baissa la tête. April acheva de le convaincre.

            – Restes-en là. Ne prends pas le risque de tout remettre en question et de t’infliger encore plus de peine. Les apparences sont souvent trompeuses et Kate n’aura jamais la possibilité de te donner sa version des faits. Laisse-lui le bénéfice du doute. En faisant ce test de paternité, en fouillant la vie de Kate, tu ne vas faire que deux victimes : toi et ta petite fille. Tourne la page, Matt, je t’en supplie.

            Abasourdi, des larmes plein les yeux, Matthew abandonna sa mallette à April. Elle en sortit l’ordinateur portable et l’enveloppe destinée au laboratoire. Du haut de la rambarde, elle les précipita de toutes ses forces dans le fleuve. Puis elle aida Matthew, effondré, à s’installer sur le siège de la Camaro avant de le ramener chez lui.

            *

            L’enveloppe à bulles fut emportée par la force du courant de la Charles River et se retrouva rapidement noyée dans l’océan Atlantique. Quant à l’ordinateur, il s’enfonça dans les eaux froides d’où personne ne pourrait jamais le repêcher, empêchant définitivement toute nouvelle communication entre Matthew et Emma.

            *

            Sauf que les choses n’étaient pas si simples…

            1– Billets de 100 dollars.

            2– University of California, Los Angeles.


Quatrième partie

            La femme de nulle part


 16

            Le Prince Noir

            Gardez le mystère, il vous gardera.

            Odes de Salomon, 8

            Boston, 2010

            18 h 30

            Zen et lumineux, le restaurant japonais occupait un bel espace au rez-de-chaussée de l’hôtel. Emma et Romuald se frayèrent un passage jusqu’au bar à sushis et s’assirent côte à côte sur deux tabourets.

            Romuald sortit sa tablette tactile de son sac à dos et la tendit à Emma pour qu’elle puisse prendre connaissance des documents qu’il avait téléchargés.

            – Nick Fitch se situe quelque part entre Steve Jobs et Mark Zuckerberg, commença l’adolescent. Même s’il n’est pas très connu du grand public, c’est une véritable légende dans le milieu de l’informatique.

            Tout en écoutant le jeune Français, Emma commença à parcourir la notice biographique.

            Nicholas Patrickdit Nick Fitch, né le 9 mars 1968 à San Francisco, est un informaticien et chef d’entreprise américain, fondateur et P.-D.G. de l’entreprise Fitch Inc.

            Le pirate

            À dix-sept ans, suite à un pari avec un ami, il s’introduit à l’aide d’un ordinateur de son université dans les serveurs de la NASA, réputés comme les plus protégés au monde. Il se promène pendant de longues minutes sur le réseau de l’agence gouvernementale sans y dérober un seul fichier. Dans les jours qui suivent, la police l’interpelle sur le campus de Berkeley. Il sera jugé quelques mois plus tard pour intrusion illégale dans un système informatique. En raison de son âge et de l’absence de vol, il bénéficiera de la clémence du tribunal qui le condamnera à deux mois de détention en centre de redressement assortis d’une année de mise à l’épreuve.

            – Ce type a eu un peu la même jeunesse que toi, remarqua Emma.

            – Vous ne pouviez pas me faire de plus beau compliment ! s’exclama Romuald en souriant de toutes ses dents.

            Ravi, il attrapa un temaki à l’anguille et le fourra dans sa bouche.

            Le restaurant fonctionnait selon le principe du kaiten : les mets défilaient sur un tapis roulant qui serpentait à travers toute la salle, invitant les clients à se servir directement. Sous cloches transparentes, les spécialités étaient disposées dans de petites assiettes de couleurs différentes selon leur prix.

            Emma commanda un thé et poursuivit la fiche biographique de l’amant de Kate.

            Le créateur de jeux vidéo

            Au tout début des années 1990, Nick Fitch se fait connaître en créant Promised Land, un jeu de stratégie en temps réel situé dans un monde d’heroic-fantasy. Le joueur y incarne un chevalier, le Prince Noir, défenseur des Trois Terres, luttant pour repousser les assauts de créatures belliqueuses et les complots des ennemis du Royaume. La licence du jeu est vendue pour un montant record à l’éditeur DigitalSoft. Différentes versions seront déclinées jusqu’en 2001.

            Création du système d’exploitation

            Alors qu’il est encore étudiant, Nick Fitch développe un système d’exploitation original, Unicorn, dont il décide de publier le code source sur Internet, le rendant de facto libre, ouvert et gratuit.

            Des communautés de développeurs commencent alors à l’utiliser, le dupliquer et l’améliorer. Peu à peu, la plateforme acquiert une réputation de stabilité et de fiabilité, mais sa popularité reste limitée au petit monde informatique.

            La création de Fitch Inc.

            Pour développer le système Unicorn, Nick Fitch crée sa propre structure, Fitch Inc., une société qui se charge de rendre l’utilisation du système d’exploitation plus aisée et ludique pour les néophytes. Fitch Inc. devient le distributeur exclusif de Unicorn, commercialisant de nombreux services liés au logiciel, comme l’assistance technique, le conseil et la formation des salariés. Certains « Unicorniens » de la première heure reprochent alors à Fitch de vouloir transformer son système d’exploitation en un produit simple et standardisé. Cette logique plus commerciale porte néanmoins ses fruits puisque Unicorn devient peu à peu un logiciel capable de concurrencer Windows, le produit phare de Microsoft. S’il reste peu utilisé sur les ordinateurs personnels, c’est sur les serveurs d’entreprise, les systèmes de navigation GPS et surtout les smartphones que Unicorn va se tailler la part du lion.

            – Cette femme, c’est une bombe ! s’exclama Romuald.

            Emma leva la tête pour constater que l’adolescent s’était emparé de son ordinateur portable.

            – Ne te gêne pas, surtout. Fouille dans mes affaires !

            – Donc, c’est elle, Kate Shapiro ? demanda-t-il en tournant l’écran dans sa direction. La femme du type qui vous envoie des messages du futur ?

            – Oui, c’est elle.

            – On dirait… un ange, lâcha-t-il sans quitter des yeux la photo de Kate.

            La photo plus sensuelle. Celle où on la voyait seins nus, les mains croisées sur la poitrine.

            Emma lui lança un regard mauvais.

            – Les hommes… Quel que soit l’âge, vous êtes tous les mêmes, c’est désespérant.

            Romuald restait la bouche ouverte, scotché devant la beauté insolente de Kate. Emma s’énerva :

            – Arrête de baver devant cette fille, tu es ridicule. En plus, elle est refaite ! Regarde ! lui montra-t-elle en faisant défiler les autres clichés.

            – C’est vrai, admit-il, mais elle n’en est pas moins belle pour autant. Elle a un rapport avec Nick Fitch, n’est-ce pas ?

            Elle ouvrit de grands yeux.

            – Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

            – À cause du tatouage de licorne sur le bras gauche. Cet animal mythique a toujours été le symbole de Fitch. D’abord pour le jeu vidéo qu’il a créé à dix-huit ans, puis plus tard pour le nom de son système d’exploitation. C’est d’ailleurs aujourd’hui le logo de sa société.

            – Unicorn, murmura Emma.

            La licorne en anglais… Ce petit vicieux a raison…pensa-t-elle en poursuivant sa lecture.

            Le triomphe de Unicorn dans les entreprises, les administrations et les agences gouvernementales.

            Implanté massivement sur les serveurs des entreprises, le système Unicorn équipe également l’armée américaine. En très peu de temps, Fitch Inc. est devenu un partenaire privilégié et incontournable du département de la Défense. Depuis 2008, les centaines de smartphones et les tablettes des soldats américains accueillent une version modifiée de Unicorn. Le Pentagone a en effet jugé que le système d’exploitation était le plus sécurisé pour permettre à son personnel d’envoyer des documents sensibles et confidentiels depuis un appareil connecté.

            Le système d’exploitation équipe également les drones de combat de l’US Air Force ainsi que le système de gestion des destroyers, les lance-missiles de la Navy.

            Vie privée

            Surnommé le Prince Noir, en raison de son jeu vidéo et de sa tenue immuable (jean noir, pull à col roulé sombre et veste de cuir), Nick Fitch est une personnalité énigmatique et iconoclaste. Le chef d’entreprise est un homme secret qui n’a plus donné d’interviews à la presse depuis 1999 et qui a toujours protégé sa vie privée. « Avoir un nom connu, mais un visage inconnu, cela me va très bien », expliquait-il au magazine Wiredlors de son dernier entretien. Passionné de jazz et de musique contemporaine, il est connu pour posséder une grande collection d’œuvres surréalistes qu’il a rassemblées dans une exposition permanente au sein de l’UC Berkeley Art Museum.

            Selon le magazine Forbes, sa fortune est aujourd’hui estimée à plus de 17,5 milliards de dollars.

            Emma leva la tête de la tablette tactile et se massa les paupières. Dans quoi avait-elle mis les pieds ? Un génie de l’informatique devenu milliardaire, un empire bâti sur les nouvelles technologies, l’armée américaine… Son « enquête » sur Kate l’entraînait dans des méandres qu’elle n’avait pas soupçonnés.

            Tout cela a-t-il un sens ?se demanda-t-elle, soudain découragée. Quelle est ma légitimité pour enquêter sur cette femme ? Qu’est-ce que je fous ici, la veille du réveillon de Noël, enfermée dans un hôtel avec un adolescent grassouillet aussi paumé que moi ? C’est pathétique…

            Derrière le comptoir, elle observa un moment le geste minutieux du sushiman qui étalait le riz sur la feuille de nori avant de le garnir de surimi, d’avocat et de concombre pour le rouler en maki. Puis son regard se posa sur Romuald. Scotché devant son écran, le geek ne levait la tête que pour saisir les petites assiettes qui passaient devant lui : carpaccio de Saint-Jacques, sushi chaud, temaki à l’oursin, patte de king crabe…

            – Tu sais que tu n’es pas obligé de goûter toute la carte du restaurant…

            Absorbé par sa recherche, il mit quelques secondes à réagir.

            – Regardez ça, fit-il en tournant l’ordinateur vers Emma. C’est très intrigant…

            Sur l’écran, il avait ouvert une multitude de fenêtres : des photos du visage de Kate avant et après son opération de chirurgie esthétique. Romuald avait annoté les clichés, les marquant de plusieurs traits et de mesures diverses.

            – Qu’est-ce qui est intrigant ?

            – C’est quand même bizarre de se faire une opération de chirurgie esthétique lorsqu’on est si belle et si jeune, non ?

            – Oui, je m’étais fait la réflexion aussi. Surtout que les modifications sont minimes.

            – Oui et non. En fait, une fois refait, le visage de Kate respecte tous les canons de beauté.

            – Tu parles des proportions ?

            – Oui. Il y a eu des études mathématiques sur la « beauté parfaite ». Les scientifiques ont cherché à comprendre pourquoi certains visages inspiraient une attraction immédiate. Et ils sont arrivés à prouver que la beauté parfaite suivait un algorithme mathématique.

            – Un algorithme ?

            – Un ensemble de règles qui tiennent à la symétrie du visage et au respect de certaines proportions.

            – Comment sais-tu ça, toi ?

            – Je suis en terminale scientifique. Un prof nous a fait étudier un article de Sciences & Viesur le sujet et ça m’avait marqué. Mais ces théories ne sont pas nouvelles : elles reprennent des commandements déjà connus du temps de Léonard de Vinci.

            – À part la symétrie du visage, quelles sont les autres règles ?

            – Si je me souviens bien, dans un visage parfait, la distance entre les pupilles doit être légèrement inférieure à la moitié de la largeur totale du visage. Et l’écart entre les yeux et la bouche devra être légèrement supérieur au tiers de la distance séparant la racine des cheveux du menton.

            – C’est ce qui se passe ici ?

            – Oui. Le visage de Kate atteint une sorte de « ratio optimal de perfection ». C’est ce qui explique son attractivité. Kate était « presque parfaite » et elle est devenue « plus que parfaite ».

            Emma encaissa l’information.

            Toujours autant de questions, toujours aussi peu de réponses…

             À votre avis, pourquoi a-t-elle fait ça ? demanda l’adolescent en chipant sur le plateau une assiette de mangue.

            – Je n’en sais rien : pour plaire à un homme, pour avoir davantage confiance en elle…

            Il avala les morceaux de fruit à une telle vitesse qu’il faillit s’étrangler. Emma s’agaça :

            – Mais t’as peur de quoi, bordel ? Qu’on vienne te piquer ta bouffe ? Tiens-toi bien, tu n’as plus six ans !

            Vexé, il haussa les épaules.

            – Je vais aux toilettes, dit-il en descendant de son tabouret.

            – C’est ça, crie-le plus fort pour que tout le restaurant soit au courant. Tu ne veux pas mettre un message sur Facebook pour prévenir tes potes, non plus ?

            – Je n’ai pas de potes, rétorqua-t-il en baissant la tête et en s’éloignant.

            – Tu vas me faire pleurer, Calimero. Rejoins-moi au bar de l’hôtel. J’ai besoin de deux ou trois cocktails pour me donner la force de te supporter.

            Elle signa la note puis se leva à son tour, rangea l’ordinateur dans son sac et attrapa la parka du jeune homme.

            *

            Le bar du Four Seasons avait des airs de vieux club anglais : grande cheminée, panneaux de bois en séquoia, canapés en velours, bibliothèque, table de billard et lumière tamisée. Noël oblige, un grand saladier d’eggnog1 était posé près du comptoir. Emma se laissa tomber dans un fauteuil Chesterfield et commanda une caipiroska.

            L’air de rien, elle n’était pas mécontente de la présence inattendue de Romuald. Le geek était un extraterrestre, vif, plein d’idées. Il pouvait lui être d’une aide précieuse si elle parvenait à canaliser son intelligence.

            Voyant qu’il était décidé à s’incruster dans son enquête, elle avait laissé son amour-propre de côté pour tout lui raconter, depuis son coup de cœur pour Matthew à travers leur échange de mails jusqu’à sa fouille ce matin dans la maison des Shapiro, en passant par l’épisode du casino et la mise en évidence des infidélités de Kate. Elle ne lui avait rien caché, pas même l’épisode de son « suicide », ni la découverte du sac de sport planqué dans le faux plafond et contenant pas moins d’un demi-million de dollars.

            Elle profita de l’absence de l’adolescent pour fouiller les poches de sa parka. Au milieu des barres chocolatées, elle découvrit plusieurs choses intéressantes. D’abord, un billet de train aller-retour de New York à Scarsdale, une banlieue cossue de Manhattan. Le titre de transport avait été composté la veille. Aller à 10 h 04, retour à 13 h 14 presque dans la foulée. Sur un Post-it, elle trouva le nom et l’adresse de Michele Berkovic, la directrice générale de l’Imperator. Elle vivait bien à Scarsdale avec son mari, un financier de Wall Street, et ses deux enfants. Berkovic était une gestionnaire, hautaine et peu chaleureuse, qui avait été nommée à l’Imperator après le départ de Jonathan Lempereur. Qu’était donc allé faire Romuald un dimanche chez les Berkovic ?

            L’autre chose étonnante était un billet d’avion retour vers Paris CDG. Le voyage portait la date… d’aujourd’hui. Emma ferma les yeux pour réfléchir. Cela expliquait que l’adolescent ait débarqué à Boston aussi rapidement avec toutes ses affaires. Ses bagages étaient déjà faits parce qu’il s’apprêtait à repartir en France, mais il avait dû annuler son voyage lorsqu’elle l’avait appelé pour désactiver le système d’alarme des Shapiro. Elle ne sut pas comment interpréter ce geste et s’empressa de remettre tous les documents dans les poches du manteau.

            On lui apporta son cocktail qu’elle vida d’un trait. Le mélange de vodka et de citron lui brûla délicieusement l’œsophage. Elle était en train d’en commander un autre lorsqu’elle aperçut Romuald qui franchissait la porte du bar.

            Elle lui fit signe, mais il ne l’aperçut même pas. Dans sa bulle, les yeux baissés sur son téléphone portable, il pianotait sur son petit terminal.

            Quelle génération… En permanence derrière un écran, le téléphone ou la tablette tactile greffés comme un prolongement de leur corps… Mais suis-je très différente ?

            Romuald bouscula un serveur, marmonna de vagues excuses et aperçut enfin Emma.

            – Je peux goûter votre cocktail ? demanda-t-il en s’asseyant en face d’elle.

            – Non, tu es un enfant et les enfants ne boivent pas d’alcool. Prends une limonade ou un lait chaud…

            – Un enfant ? Pfff. Je suis certain que tout le monde nous prend pour un couple.

            – C’est ça, dans tes rêves…

            Il redevint sérieux.

            – Bon, j’ai réfléchi. Ce qui nous manque, c’est une source fiable sur la jeunesse de Kate. C’est là que se trouve la clé du mystère : on ne peut comprendre les gens qu’en connaissant leur passé. C’est une règle qui ne souffre pas d’exception, asséna-t-il solennellement.

            – On croirait entendre mon psy, souffla Emma. Mais vas-y, continue, je veux bien te suivre sur ce terrain.

            – Je parie que son idylle avec Nick Fitch ne date pas d’aujourd’hui. Je suis même certain que c’est lui qui a pris cette photo, affirma-t-il en montrant le cliché glamour en noir et blanc qu’il avait transféré sur son smartphone.

            Celui où Kate portait le tatouage de licorne.

            – C’est possible, admit Emma.

            – On devrait essayer de retrouver l’ancienne copine de Kate pour l’interroger.

            – Quelle ancienne copine ?

            – Souvenez-vous : parmi les trois questions pour désactiver l’alarme, il y en avait une concernant le nom de sa meilleure amie lorsqu’elle était étudiante.

            – Exact, dit-elle en retroussant sa manche pour relire les réponses qu’elle avait marquées sur son avant-bras.

            – Sympa, votre carnet, j’avais le même quand j’avais huit ans…

            – Ta gueule, tête de fouine, gronda Emma. La fille s’appelle Joyce Wilkinson. Mais ça va nous prendre des heures pour la retrouver. En plus, cette femme est sûrement mariée aujourd’hui et…

            – Ça va nous prendre trois minutes, la coupa Romuald.

            Il se connecta au site Web de Berkeley, mais l’accès aux données concernant les anciens élèves était protégé.

            – Tu ne peux pas le pirater ?

            – Pas d’un simple claquement de doigts, mais je vais la jouer classique.

            L’adolescent tapa simplement « Joyce Wilkinson + MD2 » sur un moteur de recherche qui délivra presque instantanément l’information demandée.

            – Il y a une Joyce Wilkinson, professeur de neurosciences, titulaire d’un Ph. D. délivré par l’université de Stanford. Elle a fait sa Medical School à Berkeley de 1993 à 1998.

            – C’est elle, c’est certain !

            – C’est une spécialiste de la maladie d’Alzheimer, compléta-t-il en parcourant les informations de la page. Cerise sur le gâteau : elle travaille au Brain and Memory Institute, un organisme dépendant du MIT spécialisé dans la recherche sur les maladies cérébrales.


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