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Demain
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 16:57

Текст книги "Demain"


Автор книги: Guillaume Musso



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            – Parce que c’est ma mère.

            Elle leva les yeux au ciel et s’énerva contre lui.

            – Qu’est-ce que tu me sors encore comme connerie ? J’ai parlé à ta mère, cette nuit ! Elle s’appelle Marie-Noëlle Leblanc. Elle travaille à… la Caisse primaire d’assurance maladie de Beaune, affirma-t-elle en lisant les notes qu’elle avait prises sur son avant-bras.

            Romuald tourna son regard vide vers la baie vitrée et plongea dans un étrange mutisme.

            Emma le secoua par l’épaule.

            – Oh, tête de lard ! Tu m’expliques ?

            Il poussa un long soupir et se frotta les yeux. Il aurait préféré être ailleurs, même si une partie de lui-même avait envie de se délester de son secret.

            – Il y a trois ans, commença-t-il, en fouillant dans les affaires de ma mère, j’ai découvert que j’avais été adopté à la naissance.

            Emma marqua un mouvement de surprise.

            – Tes parents ne te l’avaient jamais dit ?

            – Non, mais je l’avais deviné.

            – Comment ?

            – Des petites choses, des réflexions, des remarques, des silences qui m’ont mis la puce à l’oreille…

            Emma se doutait de ce qui avait suivi.

            – Tu as essayé de retrouver tes parents biologiques ?

            – Ça m’a pris deux ans. Je me suis d’abord débrouillé pour dérober le dossier à la maternité d’Auxerre, mais, comme je le craignais, il ne mentionnait pas l’identité de ma mère. Puis j’ai piraté le service de l’Aide sociale à l’enfance du Conseil général de la Côte-d’Or. Là encore, je n’ai rien trouvé. La situation s’est débloquée lorsque j’ai pu m’infiltrer dans le système du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles. J’ai intercepté des courriers qui m’ont appris que ma mère biologique avait accouché sous X en 1993. À cette époque, elle s’appelait Michèle Roussel. À force de recoupements, j’ai retrouvé sa trace. Elle a refait sa vie aux États-Unis. Elle s’est mariée à un banquier et a pris son nom, Berkovic. Elle a eu deux enfants avec lui. Lorsque j’ai vu qu’elle dirigeait les services administratifs de l’Imperator, j’ai décidé d’aller à New York en espérant renouer le contact. J’avais besoin de la voir, de lui parler. C’était plus fort que tout. Obsédant. Il fallait que je sache d’où je venais…

            – Bon, et que s’est-il passé ?

            – Rien, justement. Je suis parvenu à me faire embaucher. Je la croisais tous les matins au bureau, mais elle ne levait jamais la tête vers moi.

            – C’est normal. Comment voulais-tu que…

            – Au bout de quinze jours, j’ai décidé de lui avouer la vérité. J’ai repéré son adresse en accédant aux fiches de paie du restaurant. J’ai attendu le week-end et j’ai acheté un billet de train pour Scarsdale. Je suis arrivé un peu après onze heures. J’ai dû marcher une bonne demi-heure de la gare jusqu’à leur quartier. Il faisait froid, il pleuvait et j’étais trempé. Mes jambes tremblaient, mon cœur battait la chamade. Finalement, j’ai sonné à la porte et c’est elle qui m’a ouvert. Elle a eu un mouvement de recul, presque de répulsion. Je crois qu’elle m’a pris pour un SDF à cause de mes habits mouillés et de ma dégaine.

            – Et ensuite ?

            – Ensuite, je lui ai dit…

            *

            – Bonjour, madame Berkovic.

            – Bon… bonjour, qui êtes-vous ?

            – Je suis Romuald Leblanc. Je travaille au service presse et communication de l’Imperator. C’est vous qui m’avez engagé.

            – Ah oui, je me souviens, le stagiaire français. Qu’est-ce que vous voulez ?

            Elle avait laissé la porte ouverte. Dans l’entrebâillement, j’apercevais un salon confortable, un sapin de Noël. J’entendais de la musique, des exclamations joyeuses d’enfants. Je sentais l’odeur d’un bon plat en train de mijoter.

            Pendant près d’une minute, je n’ai pas cessé de la regarder dans les yeux. Jusqu’au dernier moment, j’étais persuadé qu’elle me reconnaîtrait. Qu’elle décèlerait une ressemblance dans mes traits ou dans ma voix.

            Mais rien. Elle était devant un étranger. Un importun.

            – Bon, ça suffit maintenant, s’énerva Michele Berkovic. Vous n’allez pas rester planté là avec votre air niais. Partez, ou je demande à mon mari d’appeler la police.

            J’ai hoché la tête. J’ai hésité et je lui ai dit :

            – Je suis votre fils.

            D’abord, ses traits se sont figés, puis son visage s’est décomposé.

            – Qu’est-ce que tu racontes ? s’alarma-t-elle.

            Elle a fermé la porte derrière elle, puis a fait quelques pas pour m’inciter à la suivre dans le jardin.

            – Écoute, je ne sais pas qui t’a raconté ces sornettes, mais ce n’est pas vrai.

            J’ai fouillé dans ma poche et je lui ai tendu les documents que j’avais eu tant de mal à rassembler, dont le dossier d’adoption de l’Aide à l’enfance qui mentionnait son nom.

            Elle a parcouru le papier et j’ai vu apparaître de la panique dans ses yeux. Elle ne cessait de se retourner de crainte que son mari ou un de ses enfants ne vienne la rejoindre. J’étais venu chercher de l’amour, elle ne m’offrait que de la peur.

            Elle m’a rendu le document et elle m’a raccompagné jusqu’à la rue. Elle m’a expliqué que cette naissance n’était qu’une « erreur de jeunesse ». Elle n’avait que dix-huit ans et elle ne s’était pas aperçue tout de suite qu’elle était enceinte. Apparemment, elle avait pris ses précautions, mais…

            *

            – Je présume que tu lui as demandé qui était ton père.

            – Elle ne le savait même pas elle-même. « Un type d’un soir », a-t-elle prétendu, un militaire rencontré dans un bar à Besançon. À l’époque, elle était seule, mais elle avait de l’ambition : elle voulait à tout prix quitter l’est de la France et partir étudier aux États-Unis. Et il était exclu de s’encombrer d’un enfant…

            – Elle t’a posé des questions sur toi ?

            – Aucune. J’ai bien compris qu’elle voulait en savoir le moins possible. Elle m’a expliqué que ni son mari ni ses enfants n’étaient au courant de cette période de sa vie et qu’il était très important qu’ils ne sachent jamais rien, car c’était le type de révélation qui pouvait briser une famille. Puis elle s’est éclipsée un court moment. Lorsqu’elle est revenue, elle tenait dans ses mains un carnet de chèques. Elle m’a demandé de ne pas revenir travailler au restaurant le lendemain et elle m’a fait un chèque de 5 000 dollars. Elle me l’a tendu comme si on était quittes et m’a ordonné de ne plus jamais chercher à la revoir. Elle est retournée dans la maison et a fermé la porte. Moi, je suis resté là, sonné, tout seul sous la pluie. Puis j’ai marché jusqu’à la gare, j’ai jeté le chèque dans une corbeille publique et j’ai décidé de rentrer en France. Vous m’avez appelé au moment où je bouclais mes bagages…

            – Je suis désolée que ça se soit passé comme ça, Romuald. Mais tu dois essayer d’y trouver des points positifs. Tes vrais parents, ce sont ceux qui t’ont élevé, tu le sais très bien. Et au moins, à présent, tu sais qui sont tes parents biologiques. Tu peux aller de l’avant et…

            La sonnerie du téléphone portable de l’adolescent interrompit Emma dans son discours.

            Romuald regarda l’écran et décida d’y répondre. C’était Jarod.

            Il décrocha, échangea quelques mots avec l’informaticien et écarquilla les yeux.

            – Il faut qu’on rentre à l’hôtel le plus vite possible, dit-il en enfilant sa parka.

            – Qu’est-ce qui se passe ?

            – Je sais comment Kate s’est procuré les 500 000 dollars.

 21

            A girl on the run

            On transforme sa main en la mettant dans une autre.

            Paul ELUARD

            Boston

            24 décembre 2010

            9 h 43

            – Ne touchez pas à cet ordinateur !

            Lorsqu’ils revinrent dans la chambre d’hôtel, la femme de ménage était en pleine discussion avec sa responsable à qui elle venait de signaler l’étrange installation informatique de Romuald.

            – Madame, je suis sincèrement désolée, mais les prises électriques de l’hôtel ne sont pas conçues pour supporter tout ce matériel, dit à Emma la gouvernante d’étage en désignant l’enchevêtrement de fils et de rallonges. Je vais être dans l’obligation de vous demander de bien vouloir…

            – Nous allons débrancher tout ça, promit Emma en mettant les deux femmes dehors.

            Elle referma la porte et appuya sur l’interrupteur pour activer le signal « Ne pas déranger ».

            – Bon, tu m’expliques ? demanda-t-elle en rejoignant l’adolescent derrière son mur d’écrans. Comment Kate a-t-elle pu se procurer autant d’argent ?

            Romuald se connecta à Internet pour afficher sa messagerie sur grand écran.

            – Vous vous souvenez du blog de Kate : Les Tribulations d’une Bostonienne ?

            – Évidemment.

            – Comme vous me l’aviez demandé, j’ai décortiqué le site, mais je n’ai rien trouvé de probant. À tout hasard, j’ai envoyé le lien à Jarod en lui demandant de se pencher sur le problème.

            – Ton copain informaticien ?

            – Oui. Je lui ai promis que vous lui donneriez 1 000 dollars s’il dénichait quelque chose…

            – Tu es prodigue avec l’argent des autres, dit-elle malicieusement. Mais tu as bien fait.

            – Il a d’abord observé que les photos semblaient un peu lourdes pour ce genre de blog.

            – Et après ?

            – Ça l’a incité à passer les fichiers dans différents logiciels de décryptage.

            – Pour décrypter quoi ? interrogea Emma en s’asseyant sur le rebord de la fenêtre.

            Romuald tourna sa chaise vers elle.

            – Vous avez déjà entendu parler de la stéganographie ?

            – Sténographie ?

            – Stéganographie. C’est une technique permettant de dissimuler une image dans une autre image numérique anodine.

            Emma plissa les yeux.

            – Attends, ça me dit vaguement quelque chose… On en a parlé aux infos récemment, non ?

            – Oui, c’était l’une des techniques utilisées par les dix espions russes qui ont été arrêtés aux États-Unis, l’été dernier. Grâce à Internet, ils faisaient parvenir des documents confidentiels à Moscou en les masquant derrière des photos de vacances. On a également évoqué la stéganographie au lendemain des attentats du 11 Septembre. Le FBI a toujours laissé entendre que les hommes de Ben Laden coordonnaient leurs attaques en s’échangeant des photos cryptées sur des forums de discussion en apparence anodins.

            – Tout ça est vraiment invisible à l’œil nu ?

            – Parfaitement indétectable.

            – Mais comment est-ce possible ? Comment peut-on insérer une image à l’intérieur d’une autre image ?

            – Ce n’est pas très compliqué. Il existe de nombreux logiciels qui permettent cette opération. En gros, la technique consiste à modifier imperceptiblement la valeur de chaque pixel de l’image.

            Emma attrapa une chaise et s’assit à côté de l’adolescent.

            – Je ne comprends rien. Sois plus clair.

            – Bon, vous savez ce qu’est un pixel ?

            – Les petits carrés qui composent les images ?

            Il approuva de la tête puis poursuivit son raisonnement.

            – Chaque pixel est constitué de trois octets : un octet pour la composante rouge, un octet pour la composante verte et un octet pour la composante bleue. Ces trois couleurs disposent chacune de 256 nuances. Ce qui nous fait donc au total 256 × 256 × 256, c’est-à-dire plus de seize millions de couleurs, vous suivez toujours ?

            Elle était un peu larguée, mais tenta de ne pas le montrer. Romuald continua :

            – Un octet est composé de 8 bits. L’astuce consiste donc à utiliser un bit à chaque octet qui compose chaque pixel de l’image. À ce niveau-là, en dégradant un bit, on altère très légèrement l’image sans que ce soit visible à l’œil nu…

            Emma rattrapa le fil du raisonnement.

            – Et on utilise l’espace dégagé pour stocker d’autres données.

            L’adolescent émit un sifflement d’admiration.

            – Pas mal, pour quelqu’un qui se sert de son avant-bras comme d’un bloc-notes ! fit-il en éclairant sa bonne bouille d’un sourire de satisfaction.

            Elle lui frappa l’épaule et enchaîna :

            – Mais quel rapport avec Kate ?

            – Kate utilisait son blog comme une boîte aux lettres morte1. Toutes les photos qu’elle postait sur son site étaient cryptées.

            – Mais pour cacher quoi ?

            – Vous allez voir, c’est stupéfiant.

            Romuald afficha une première image.

            – Vous voyez cette photo ? Kate l’a postée pour illustrer un article sur une pâtisserie du North End.

            Emma se souvenait de ce cliché représentant une devanture débordant de gâteaux multicolores.

            Romuald appuya sur une touche du clavier et une nouvelle fenêtre apparut sur le moniteur.

            – Voilà ce que ça donne une fois que l’on a extrait l’image dissimulée.

            S’afficha alors à l’écran non pas une photo à proprement parler, mais plutôt une sorte de plan agrémenté de formules mathématiques et de lignes de code informatique. Emma grimaça.

            – Qu’est-ce que c’est que ça ?

            – D’après moi, c’est un prototype. Le schéma d’une invention avant sa fabrication, si vous préférez. Peut-être d’un capteur de mouvement. Mais le plus intéressant, c’est ça.

            Il zooma sur la photo et accentua son contraste pour faire apparaître un logo représentant une licorne stylisée.

            – Ce document appartient à Fitch Inc.! s’exclama Emma. Tu penses que Kate fait de l’espionnage industriel ?

            Avec l’aide de Jarod, ils passèrent le reste de la matinée à décrypter les photos du blog. Les plus anciennes concernaient des ébauches d’ingénieurs de Fitch Inc. qui planchaient sur un capteur de mouvement révolutionnaire capable d’interagir avec l’écran de l’ordinateur par un simple mouvement des doigts.

            – Comme Tom Cruise dans Minority Report, s’amusa Romuald.

            D’autres fichiers concernaient une version bêta d’un logiciel capable de traduire instantanément tout type de document sonore. Mais le matériel le plus sensible se trouvait dissimulé dans les photos les plus récentes. Il s’agissait tout simplement de données parcellaires se rapportant au système de contrôle des drones de combat américains MQ1 Predator et MQ9 Reaper : les armes les plus sophistiquées de l’armée américaine. Celles qui étaient actuellement utilisées pour les frappes en Afghanistan.

            Des secrets technologiques et militaires…

            Emma sentit son estomac se contracter.

            Visiblement, Kate avait profité de sa proximité avec Nick Fitch pour lui dérober des secrets industriels qu’elle avait dû revendre à prix d’or à une entreprise concurrente ou à un État désireux de connaître certains secrets militaires des États-Unis.

            – C’est à ça que servaient les commentaires laissés sur le blog ! devina Romuald comme s’il lisait dans ses pensées. « Sans intérêt », « Intéressant, nous aimerions en savoir davantage »… Il s’agissait d’orienter la chirurgienne dans ses recherches. De lui dire quelles informations étaient utiles ou pas. De l’inciter à creuser certaines pistes en fournissant d’autres documents.

            Emma échangea un regard inquiet avec l’adolescent. Tous les deux sentaient l’adrénaline monter en même temps que le danger. Comme s’ils étaient les héros d’un film à suspense, leur « enquête » étendait ses ramifications dans des sphères inattendues. Des territoires sur lesquels ils n’auraient jamais dû s’aventurer.

            Putain…

            Envahie par la peur, elle ferma les yeux et joignit ses mains en triangle sous son menton.

            Comment en était-elle arrivée là ? Il y a cinq jours, elle avait simplement répondu au mail d’un professeur de philo dont elle était tombée sous le charme. Tout ce qu’elle voulait, c’était se trouver un mec ! Et cela l’avait conduite à mettre le doigt dans un engrenage dévastateur qui la dépassait complètement. Derrière les apparences de la vie bien rangée de Matthew et de Kate, elle avait découvert une réalité faite de mensonges et de dangereux secrets. Jusqu’à présent, elle avait eu de la chance, mais plus elle progressait dans ses investigations, plus elle devinait que le danger la guettait.

            – Tout ça ne nous avance pas vraiment, remarqua Romuald. Kate a dû prendre des risques énormes pour se procurer ces documents. Or tout ce que nous savons d’elle indique que ce n’est pas une femme vénale. Le fric n’est pas son moteur, c’est un moyen pour se procurer quelque chose d’autre.

            – Quelque chose qui coûte un demi-million de dollars… murmura Emma. Ce que nous devons trouver, c’est ce que Kate va faire de cet argent.

            Emma avait à peine terminé sa phrase que Romuald attrapait ses lunettes.

            – Je crois que nous allons le savoir tout de suite, s’exclama-t-il en pointant l’un des écrans.

            Il était près de treize heures. Kate avait terminé ses deux opérations.

            Leurs yeux passaient d’un écran à l’autre pour suivre la chirurgienne depuis la salle d’opération jusque dans les couloirs de l’hôpital. Ils la regardèrent s’arrêter devant son casier et prendre le sac de sport.

            – J’y vais ! s’écria Emma en enfilant son blouson.

            – Mais…

            Elle attrapa son sac à dos, son téléphone et bondit hors de la chambre.

            – Ne la quitte pas des yeux ! ordonna-t-elle à l’adresse de Romuald avant de claquer la porte.

            *

            Plus vite !

            Emma courait à grandes enjambées pour rejoindre l’hôpital à pied. En sortant de l’hôtel, elle avait pris à droite pour attraper Charles Street, l’une des grandes artères de la cité, qui séparait le Boston Common et le Public Garden, les deux espaces verts de la ville. Le froid l’avait saisie dès les premières secondes. Elle avançait face au vent, qui lui brûlait le visage. À chaque inspiration, ses narines, sa trachée, ses bronches lui donnaient l’impression de se remplir de glace.

            Elle continua sur plus de deux cents mètres en accélérant encore ses foulées. Dans l’espoir de gagner du temps, elle tourna à droite et s’enfonça dans le parc pour remonter en diagonale vers l’est. Elle était à la peine. Tous ses muscles lui faisaient mal. Ses poumons réclamaient un oxygène qu’elle ne parvenait plus à leur fournir. Pour ne rien arranger, les semelles de ses bottines étaient glissantes et son jean slim entravait sa course. Son sac à dos surtout était lourd et, à chaque mouvement, la coque de l’ordinateur venait lui percuter le bas des reins.

            Plus vite !

            En débouchant sur Joy Street, il lui fallut quelques secondes pour se repérer. Elle voulut repartir de plus belle, mais elle était à bout de souffle. La tête lui tournait, le froid lui piquait les yeux et sa poitrine était en feu. Chancelante, elle trébucha contre la bordure du trottoir.

            Ne t’arrête pas ! Pas maintenant…

            Au bord de la rupture, malgré la douleur aiguë qui irradiait sa cage thoracique, elle réussit à reprendre sa course. Elle savait que si elle faisait une halte ici, elle ne retrouverait pas Kate à temps.

            Les trois cents mètres qui la séparaient de l’entrée de l’hôpital furent les plus difficiles. En arrivant sur Cambridge Street, elle dégaina son téléphone. Elle avait envie de vomir. Un vertige troublait sa vue.

            – Où est-elle, Romuald ? cria-t-elle en collant le cellulaire à son oreille.

            Elle toussait. Elle aurait voulu s’allonger sur le trottoir.

            – Je l’ai perdue ! se désola l’adolescent. Kate a quitté l’enceinte de l’hôpital. Elle n’est plus dans le champ des caméras !

            – Merde ! Elle est sortie par où ?

            – Blossom Street, au niveau de l’Holiday Inn, il y a à peine deux minutes.

            Emma jeta un regard circulaire. Elle voyait le début de la rue, à même pas cent mètres. Kate était toute proche. Elle le sentait.

            – Elle est habillée comment ?

            – Elle a gardé sa blouse et elle a pris son imperméable.

            Hors d’haleine, les mains posées sur ses genoux, Emma reprenait sa respiration, tandis que des volutes de buée s’échappaient de ses lèvres.

            Une blouse, un imperméable mastic…

            Elle essaya de repérer ces vêtements parmi les piétons qui se bousculaient sur le trottoir, mais, à cette heure de la journée, une nuée de médecins, d’infirmières et d’aides-soignants prenaient leur pause-déjeuner dans les restaurants et les fast-foods des alentours.

            Blouses blanches, « pyjamas » verdâtres, uniformes saumon…

            Elle essuya les gouttelettes de sueur qui s’accumulaient devant ses yeux. Soudain, l’espace d’un battement de paupières, elle aperçut un point rouge cinquante mètres devant elle, dans la cohue qui convergeait vers le Whole Foods Market.

            Le sac de sport…

            L’excitation gomma presque instantanément la fatigue et Emma mobilisa ses dernières forces pour rejoindre l’hypermarché.

            – Reste en ligne, tête de blatte ! J’ai retrouvé Kate !

            *

            Emma fit irruption dans la grande surface et se dirigea vers la chirurgienne à grandes enjambées. Elle était seule et portait toujours le sac fourre-tout à l’épaule. Tout en maintenant Kate dans son champ de vision, Emma n’eut aucun mal à se fondre dans la foule. Avec son large choix de produits bio, le Whole Foods visait une clientèle plutôt aisée et écolo. À quelques heures du réveillon, des chants de Noël passaient en boucle et l’endroit était plein à craquer. À l’entrée du magasin, une vaste zone organisée comme une cafétéria permettait de prendre un rafraîchissement ou de déjeuner directement sur place en se servant dans les buffets et les stands qui proposaient plats chauds, sushis et bagels.

            Arrivée à quelques mètres de la chirurgienne, Emma cala ses pas dans ceux de Kate. Elle s’inséra dans la file du bar à salades, prit une barquette, se servit un assortiment de crudités et de graines germées, choisit une bouteille de kombucha et paya sa nourriture à l’une des caisses dédiées.

            Elle suivit ensuite Kate dans la longue salle de restauration rapide où les clients pouvaient déguster leur lunch tout en regardant l’animation de la rue à travers une grande baie vitrée.

            La pièce était bondée. On se bousculait et on jouait des coudes pour trouver une place assise sur l’une des tables collectives agrémentées de bancs en bois.

            L’ambiance était celle d’une cantine haut de gamme. Les gens se levaient et allaient eux-mêmes faire réchauffer leurs plats dans un des micro-ondes mis à leur disposition avec une convivialité un peu surjouée. Ici, néanmoins, le temps était précieux. On mangeait vite : un en-cas sur le pouce dans un brouhaha sympathique avant de retourner travailler à l’hôpital ou dans les bureaux du West End. L’endroit idéal pour passer inaperçu.

            En regardant Kate se faufiler entre les tables, Emma comprit qu’elle avait rendez-vous. La chirurgienne s’assit à l’extrémité d’une table, sur une chaise qu’un homme avait réservée en posant son manteau. Emma chercha à se rapprocher, mais la seule place disponible était située à environ six mètres. Deux longues tables les séparaient, et le bruit ambiant réduisait à néant tout espoir d’entendre leur conversation.

            La poisse !

            Elle s’installa et plissa les yeux pour mieux détailler le nouveau venu. Un homme d’une cinquantaine d’années, cheveux courts poivre et sel, vêtu d’un costume sombre cintré à rayures. Son regard, couleur bleu-gris, froid, translucide, s’accordait parfaitement avec son visage figé, comme taillé dans du marbre.

            – Tu m’entends, tête de blatte ?

            En quelques phrases, Emma mit Romuald au courant de la situation.

            – Bon sang ! C’est à lui qu’elle va remettre le sac ! Il faut absolument que j’entende ce qu’ils se disent !

            – Vous n’avez qu’à vous rapprocher, répondit Romuald à l’autre bout de la ligne.

            Elle s’énerva.

            – T’as pas la lumière à tous les étages, toi ! Je t’ai expliqué que je ne POUVAIS pas ! Et puis Kate m’a déjà croisée dimanche et hier matin. Elle va finir par me repérer.

            – OK, vous énervez pas… s’offusqua l’adolescent.

            – Romuald, ce n’est pas le moment de jouer les ados boudeurs, il faut que tu m’aides ! Ils se disent beaucoup de choses, là. Si tu as une idée, c’est maintenant !

            L’adolescent laissa passer trois secondes puis s’écria :

            – Votre téléphone ! Posez-le sur le sol et projetez-le dans leur direction. Je vais les enregistrer.

            Elle secoua la tête.

            – Il te manque vraiment une vis ! siffla-t-elle entre ses dents. Comment veux-tu que ça marche ?

            Anxieuse, elle se rongea un ongle. Mais, en désespoir de cause, elle suivit le conseil du geek. Elle déposa son portable sur le parquet en bois blond, faisant mine de renouer ses lacets et, avec son pied, le propulsa à la manière d’un palet.

            Le cellulaire glissa sur les planches vitrifiées, passa sous les bancs et les jambes pendantes, puis s’immobilisa sous la grande table où Kate déjeunait avec l’inconnu.

            La chance du débutant…

            Tendue et crispée sur sa chaise, Emma termina en deux gorgées sa bouteille de thé fermenté en adressant une prière muette pour que personne ne remarque le téléphone. Son supplice prit fin rapidement, puisque, moins de trois minutes plus tard, Kate et l’inconnu se levèrent dans un même mouvement.

            Elle se leva à son tour, récupéra discrètement son appareil sous les yeux interloqués des autres occupants de la table, et sortit dans leur sillage.

            *

            Emma quitta le supermarché en trombe.

            – Tu as compris ce qu’ils disaient, Romuald ?

            – Non, pas vraiment, s’excusa l’adolescent. Leur conversation se perdait dans le brouhaha de la foule. Il faut que je nettoie l’enregistrement.

            – Magne-toi, alors ! ordonna-t-elle en lui raccrochant au nez.

            Tandis que la chirurgienne repartait vers l’hôpital, l’inconnu prit le chemin inverse. Emma préféra mettre ses pas dans ceux de l’homme qui avait récupéré le sac rouge contenant les 500 000 dollars.

            Elle les avait observés, lui et Kate, pendant toute leur rencontre, et était certaine qu’il n’y avait pas eu d’échange : l’homme avait pris l’argent, sans rien donner en retour.

            Qui est ce type ? Qu’avait-il promis à Kate contre tout ce fric ?

            L’homme longea Cambridge Street sur plusieurs centaines de mètres. Emma ne le quitta pas d’une semelle, tout en restant à distance raisonnable. La foule était dense. Boston vibrait au rythme de Noël. La grande avenue était décorée de centaines de lanternes. Pas un arbre ou un lampadaire sans guirlandes, pas une façade de maison qui ne soit égayée par une couronne de houx ou une boule de gui. Les bras chargés, beaucoup de passants arboraient des mines réjouies et se laissaient gagner par l’excitation de la fête. Même le vent glacial, en charriant des odeurs de sapin, de cannelle et de marrons grillés, participait à sa façon à cette atmosphère joyeuse.

            En arrivant à la station Bowdoin, Emma crut que l’homme allait prendre le métro, mais, à la place, il traversa la rue et monta dans le bus n° 18. Emma réussit à grimper elle aussi in extremis, utilisant son « LinkPass », la carte de transport qu’elle avait achetée la veille en rentrant de son rendez-vous avec Joyce Wilkinson.

            Tandis que l’autobus démarrait, elle trouva une place isolée, trois sièges derrière l’homme qu’elle pistait. Il resta impassible pendant tout le trajet, regardant fixement à travers la vitre le paysage urbain qui défilait devant ses yeux.

            L’autocar effectua un grand arc de cercle pour rejoindre Park Street. Il longea le Boston Common et le Public Garden par le nord, puis fila vers l’ouest sur Commonwealth Avenue. Il avait effectué plus de un kilomètre sur la large artère plantée d’ormes et de châtaigniers, lorsque l’homme se leva et se dirigea vers la porte arrière du bus.

            À l’arrêt de Gloucester Street, Emma le vit descendre et profita du mouvement de foule pour quitter à son tour l’autobus sans être repérée. Elle lui emboîta le pas, marchant une centaine de mètres vers le sud pour rejoindre Boylston Street.

            La rue de Back Bay où se trouvent les hôtels de luxe…

            L’homme entra dans le hall du St. Francis, dont la façade de verre et de brique combinait le luxe branché et le charme victorien des constructions bostoniennes. Emma connaissait cet hôtel prestigieux. Son restaurant surtout, qui avait gagné l’année précédente une troisième étoile au Michelin. Elle suivit l’inconnu jusqu’à la batterie d’ascenseurs et s’engouffra au dernier moment avec lui dans la cabine. Elle le laissa insérer sa carte – pour débloquer la sécurité de la cabine vitrée – et appuyer sur le bouton du troisième étage.

            – Le même que le mien, dit-elle pour se justifier.

            Il la regarda sans lui répondre, mais en la détaillant des pieds à la tête.

            Cette fois, je suis grillée…

            La capsule de verre s’ouvrit sur un couloir feutré. L’homme n’eut même pas la galanterie de lui céder le passage. Il ne s’attarda pas et prit à droite. Emma fit quelques pas dans la direction opposée, et se retourna une demi-seconde avant que la porte de la chambre ne se referme. Elle en releva le numéro et prit l’ascenseur jusqu’au niveau du lobby.

            C’est au moment précis où les portes se fermèrent qu’elle eut l’idée d’un stratagème pour découvrir l’identité de « l’homme mystère ».


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