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Demain
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 16:57

Текст книги "Demain"


Автор книги: Guillaume Musso



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            Sauf que cette femme n’est sans doute pas l’icône qu’il idolâtre…

            Le doigt posé sur le pavé tactile de l’ordinateur, elle relut son message, hésita encore quelques secondes et appuya finalement sur ENVOI.

            *

            2011

            – Je l’adore, ce petit chien ! s’exclama Emily en déboulant dans la cuisine avec le shar-pei dans son sillage.

            Une bonne odeur de chocolat chaud flottait dans l’air. Tout en feuilletant le journal sur sa tablette tactile, April surveillait d’un œil la casserole qui chauffait sur la plaque à induction. Derrière son écran, l’œil mauvais, Matthew guettait depuis plusieurs heures une réponse d’Emma à son ultimatum de la veille.

            La petite fille grimpa sur le tabouret pour s’asseoir à côté de son père.

            – La gamelle de Clovis est vide. Je pourrai la remplir de croquettes ?

            Matthew émit un grognement d’approbation.

            – On le fera toutes les deux, promit April en versant le lait dans un mug. Mais en attendant, bois ton chocolat.

            Elle posa la tasse à côté de la petite fille.

            – Fais attention, c’est très chaud !

            – Tu m’as mis des petits marshmallows ! Miam ! Merci, April.

            Matthew leva un sourcil réprobateur à l’intention de sa colocataire.

            – On va se calmer avec les sucreries, d’accord ? Cette gamine va finir par ressembler au bonhomme Michelin !

            – C’est Noël, papa ! s’exclama la petite fille.

            – La bonne exc…

            Le tintement signalant l’arrivée d’un courrier électronique lui fit interrompre sa phrase. Son regard glissa sur son écran. Il parcourut le mail d’Emma au titre provocateur.

            De :Emma Lovenstein

            À :Matthew Shapiro

            Objet :Connaissez-vous réellement votre femme ?

            Cher Matthew,

            Je suis ravie de savoir que votre petite fille aime beaucoup mon Clovis. C’est un chien fidèle et affectueux. Cela va peut-être vous étonner, mais je suis très heureuse de le savoir chez vous. Pas une seule seconde je n’imagine que vous lui ferez du mal. Vous êtes un type bien, Matt, et je ne vous vois pas torturer ce pauvre animal innocent.

            J’ai beaucoup hésité avant de vous envoyer ce petit film en pièce jointe. J’espère qu’il ne vous heurtera pas trop. Veuillez me pardonner cette intrusion dans votre vie intime, mais savez-vous qui est l’homme en compagnie de votre femme ?

Emma

            De quoi parle-t-elle ?se demanda-t-il en copiant le fichier sur le bureau. Puis il cliqua pour lancer le film.

            Après quelques secondes, une image un peu floue apparut à l’écran.

            – Qu’est-ce que tu regardes, papa ? demanda Emily en se penchant vers l’écran.

            – Fais attention, ma puce, la mit en garde April, tu vas…

            Trop tard.

            Pleine à ras bord, la tasse de chocolat se renversa sur l’ordinateur, projetant sur le clavier près de 400 millilitres de liquide brûlant et gluant.

            L’image se figea, puis l’écran devint noir.

            Désespéré, Matthew dévisagea sa fille avec des yeux exorbités. Son cœur se serra dans sa poitrine, sa respiration se bloqua et des larmes de rage lui embuèrent le regard : il venait de perdre l’unique moyen de communiquer avec Emma.

            L’unique moyen de sauver sa femme.

 13

            La traversée du miroir

            La vie a besoin d’illusions, c’est-à-dire de non-vérités tenues pour des vérités.

            Friedrich NIETZSCHE

            Boston, 2010

            Bip, bip, bip…

            En entrant dans la maison, Emma avait déclenché un léger signal sonore qui ressemblait à un sonar.

            Elle ferma la porte et se tourna vers le boîtier de l’alarme. Impossible de rentrer le code pour désactiver le système : elle ne le connaissait pas.

            Bip, bip, bip…

            Encore combien de temps avant que le bruit discret du détecteur ne laisse la place à un signal plus intimidant ? Elle tenta d’avaler sa salive, sans succès. Elle avait la gorge sèche, le front couvert de sueur. Elle resta immobile quelques secondes, dans la peau du condamné attendant l’office du bourreau. Enfin, les bips de mise en garde s’interrompirent et le hurlement assourdissant d’une sirène fit vibrer les murs.

            Vloiiiiing ! Vloiiiiing ! Vloiiiiing !

            Elle avait beau s’attendre à ce déferlement, la violence de la sonnerie provoqua une coulée d’angoisse dans ses veines. Elle sentit un début de panique. Elle frissonna. Le sang battait dans ses tempes de plus en plus fort. À ce moment, son téléphone vibra dans sa poche. Elle décrocha et parla le plus fort possible pour couvrir le bruit de la sonnerie.

            – Allô.

            – Madame Kate Shapiro ?

            – Elle-même.

            – Société de surveillance Blue Watcher, nous venons de…

            – Mon alarme, oui, je suis désolée. Mon mari a dû changer le code sans m’en avertir. Pouvez-vous la faire cesser ?

            – Pas avant d’avoir procédé aux vérifications d’usage.

            Vloiiiiing ! Vloiiiiing ! Vloiiiiing !

            Si Romuald n’avait pu désactiver le système à distance, il avait néanmoins réussi à pénétrer dans le serveur de l’entreprise. Il avait subtilement modifié le numéro à contacter en cas de déclenchement de la sonnerie, remplaçant les portables de Kate et de Matthew par le seul numéro d’Emma. Il avait aussi réalisé une copie d’écran du dossier révélant les réponses aux trois questions secrètes nécessaires pour authentifier le correspondant et couper la sirène.

            – Dans quelle ville vos parents se sont-ils rencontrés ? demanda l’employé.

            Emma baissa les yeux pour lire les réponses que lui avait communiquées Romuald et qu’elle avait notées au stylo sur son poignet.

            – À Saint-Pétersbourg.

            – Quel était votre film préféré lorsque vous étiez enfant ?

            –  Les Aventures de Bernard et Bianca.

            – Comment s’appelait votre meilleure amie lorsque vous étiez étudiante ?

            – Joyce Wilkinson, répondit-elle sans hésiter.

            Instantanément, la sirène cessa de hurler.

            – Je vous remercie, madame Shapiro. À l’avenir, demandez à votre mari de vous prévenir en cas de changement de code.

            Emma raccrocha et essuya les perles de sueur sur son front. Elle s’avança vers la fenêtre, tout en restant dissimulée derrière le rideau. Aucun mouvement ne troublait Louisburg Park, mais cela risquait de ne pas durer.

            Que dirait-elle si un flic sonnait à la porte ? Ou si Matt ou Kate rentraient chez eux à l’improviste ? Elle refoula cette idée et décida de commencer son exploration.

            Sa colère envers Kate la motivait et avait eu comme premier bénéfice de la faire sortir de son état dépressif en lui donnant l’envie de se battre, pour elle, pour son avenir, pour Matthew…

            Emma ne savait pas très bien ce qu’elle cherchait. Une confirmation de l’infidélité de Kate ? Un indice qui pourrait la mettre sur la piste de l’identité du mystérieux inconnu ? En tout cas, elle devait aller au-delà des apparences. Fouiller dans l’inconscient de la maison : les placards, les armoires, les tiroirs, les ordinateurs, la cave…

            Le rez-de-chaussée était aménagé comme un loft avec un grand salon et une cuisine ouverte. Le chauffage diffusait une douce chaleur. La pièce était agréable, accueillante, familiale. Près du canapé, un beau sapin de Noël aux lumières clignotantes, sur le comptoir de la cuisine, des miettes de pain, un pot de confiture qu’on avait oublié de ranger, un dessin d’enfant à moitié colorié, le New York Timesdu jour ouvert au cahier Culture.

            Sur les murs et dans les cadres posés sur les étagères, on pouvait voir de nombreuses photos des membres de la famille dont des clichés en noir et blanc qui représentaient à coup sûr Kate enfant : une jolie petite fille blonde et sa mère autour d’un piano ou marchant main dans la main dans les rues d’une ville russe – sans doute Saint-Pétersbourg. Puis des clichés à la couleur passée : une frêle adolescente posant devant la Space Needle et plus tard une jeune étudiante presque diaphane en jean et sac à dos sur les pelouses qui s’étendaient devant le campanile de l’université de Berkeley. Un saut dans le temps faisait alors passer de l’étudiante timide à une jeune femme pleine d’assurance. C’était la Kate d’aujourd’hui, celle qu’elle avait aperçue, la chirurgienne sûre d’elle au physique avantageux, posant avec sa fille et son mari.

            Ces clichés soulevaient plusieurs questions, mais Emma réserva son analyse pour plus tard. Elle dégaina son téléphone et consacra trois minutes à fixer sur l’objectif toutes les photos affichées dans la pièce. Dans la cuisine, elle garda aussi une trace de l’emploi du temps hebdomadaire de Kate placardé sur un panneau de liège.

            Délaissant provisoirement le rez-de-chaussée jugé trop exposé, elle monta au premier étage.

            Il s’articulait autour d’une grande suite parentale à la décoration dépouillée, desservie par deux salles de bains et prolongée par un dressing, une chambre d’enfant et une pièce presque vide qui faisait office de bureau.

            La chambre du couple était envahie de livres posés à même le sol des deux côtés du lit. À gauche, des essais de philosophie ( Vie de saint Augustin, Lectures de Nietzsche…), à droite, des publications scientifiques ( Les Chirurgies de l’insuffisance cardiaque, Les Cardiopathies congénitales, Sang artificiel et cellules souches…). Pas difficile de deviner la place de chacun…

            Cette vision du lit conjugal raviva chez Emma les braises de la jalousie. Nerveuse, elle inspecta les étagères et fouilla les tiroirs de la commode. Dans l’un d’eux, elle trouva les passeports du couple. Elle ouvrit le premier : Matthew Shapiro, né le 3 juin 1968 à Bangor (Maine), puis le deuxième : Ekaterina Lyudmila Svatkovski, née le 6 mai 1975 à Saint-Pétersbourg (Russie).

            Kate est russe…

            Ça expliquait la blondeur, les yeux clairs, cette beauté froide et distante…

            Le bruit d’un moteur de voiture monta de la rue. Craignant un retour du couple, elle jeta un coup d’œil par la fenêtre – fausse alerte – avant de poursuivre ses investigations.

            Elle ne perdit pas de temps dans la salle de bains de Matthew, mais s’attarda dans celle de « madame ». Elle ouvrit les portes, les tiroirs et les compartiments de tous les meubles. L’élément principal – une étagère suspendue – débordait de produits de beauté : crèmes, lotions, maquillage. Dans la colonne en bois peint qui faisait office d’armoire à pharmacie, elle trouva des tubes en plastique dont elle parcourut les étiquettes (aspirine, paracétamol, ibuprofène), des flacons d’alcool à 70°, de sérum physiologique, d’eau oxygénée. Derrière les boîtes de pansements adhésifs et de compresses, elle fit une découverte plus inattendue. Des molécules aux noms complexes, mais familiers, qui étaient ceux d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et de somnifères. Emma n’en crut pas ses yeux : Kate et elle fréquentaient les mêmes sulfureux « amis ». Pendant quelques secondes, elle en éprouva un étrange réconfort.

            Malgré les apparences, Kate n’était pas la femme épanouie et sereine qu’elle s’était imaginée. Elle était sans doute comme elle : tourmentée, anxieuse, peut-être vulnérable. Son mari était-il au courant du contenu de l’armoire à pharmacie ? Probablement pas, sinon la chirurgienne n’aurait pas rangé si soigneusement les tubes. Et puis Matthew n’avait pas l’air d’être le genre d’homme à aller fouiller dans les affaires de sa femme.

            Elle poursuivit son exploration en pénétrant dans la salle-penderie.

            Mon rêve…

            C’était le dressing parfait : vaste, épuré, raffiné et fonctionnel. Des portes coulissantes en bois clair alternaient avec des panneaux de verre et des façades en miroir qui agrandissaient encore l’espace.

            Avec une curiosité assumée, elle ouvrit méthodiquement chaque penderie, fouilla chaque armoire, inspecta chaque tiroir, souleva des piles de vêtements, examina des dizaines de paires de chaussures et de pièces de lingerie. Posés contre le mur, une échelle en bois sombre et un marchepied permettaient d’accéder aux espaces les plus hauts. Elle s’y hissa pour passer au crible le contenu de cette partie du dressing. Assez vite, elle mit la main sur un blouson de cuir plié et posé à plat sur la plus haute des étagères. C’était une veste de motard usée avec un col en mouton retourné. Le même genre de veste que portait l’« amant » de Kate ce matin ! Emma l’examina avec attention. Elle palpa la doublure. Dans l’une des poches à rabat, elle trouva un cliché délavé. C’était une photo de Kate, seins nus, qui devait remonter à une quinzaine d’années. La pose sexy et provocante d’une jeune femme d’à peine vingt ans qui fixait l’objectif avec une intensité rare. Emma retourna la photo à la recherche d’une indication, mais rien n’était inscrit au verso.

            Son excitation monta de plusieurs crans. Comme elle l’avait fait précédemment, elle garda une trace du cliché sur son téléphone avant de le remettre dans la poche du blouson et de ranger ce dernier.

            Il faut partir à présent…

            Par acquit de conscience, elle alla jeter un œil au dernier étage. Cette partie de la maison n’était pas chauffée. Elle abritait ce qui devait être une chambre d’amis, une autre salle de bains et deux grandes pièces encore en travaux.

            Elle redescendit au rez-de-chaussée et effectua un dernier tour. Sur une petite table en bois marqueté se trouvait l’ordinateur familial. Elle l’avait déjà remarqué tout à l’heure, mais elle avait pensé qu’il était protégé par un mot de passe.

            Sait-on jamais…

            Elle fit bouger la souris pour mettre l’appareil sous tension. L’écran s’ouvrit sur la session de Kate. Pas de mot de passe, pas de protection.

            Donc pas d’infos intéressantes, pensa-t-elle.

            Elle fureta tout de même dans les différents dossiers. Kate n’utilisait apparemment cet ordinateur qu’à des fins professionnelles. Il regorgeait d’articles, de fichiers, de films se rapportant à la chirurgie et aux malformations cardiaques. Idem pour l’historique du navigateur Internet et le courrier électronique. Seule entorse à cet univers médical, Les Tribulations d’une Bostonienne, un blog « artisanal » sur les bonnes adresses de Boston (restaurants, cafés, magasins…) que la chirurgienne semblait tenir avec plus ou moins d’assiduité. Emma nota l’adresse du site sur son avant-bras et essaya d’ouvrir la session de Matthew. Celle-ci n’était pas plus protégée que celle de sa femme. Apparemment, la confiance régnait dans le couple, du moins sur ce point. Emma se livra à la même analyse et ne trouva rien de bien marquant. Il y avait néanmoins plusieurs centaines de photos, regroupées en désordre dans un dossier. Elle commença à les faire défiler, mais il y en avait trop pour les voir toutes. Elle fouilla dans la poche de son manteau pour y prendre son trousseau. Son porte-clés était une petite bouteille en métal représentant une bouteille de pinot noir californien. Un objet publicitaire qu’on lui avait donné lors de la visite d’un domaine viticole. En faisant coulisser la partie haute de la bouteille, l’embout d’une clé USB apparut. Emma la connecta à l’ordinateur pour y copier les photos, se laissant la possibilité de les regarder plus tard tout à son aise. La copie était en cours lorsqu’elle entendit la pétarade d’une moto. Elle retira la clé USB sans attendre et s’approcha de la fenêtre.

            Merde…

            Cette fois, c’étaient bien Matthew et Kate qui se garaient juste devant la porte d’entrée.

            Trop tard pour faire demi-tour !

            Une seule solution : battre en retraite.

            Elle empruntait les marches qui menaient aux chambres au moment où la porte d’entrée s’ouvrit.

            De l’étage, elle entendait distinctement les voix de Matthew et de Kate. Elle prit peur et se réfugia dans la chambre du couple. En essayant de faire le moins de bruit possible, elle souleva la fenêtre à guillotine. En jetant un dernier coup d’œil à la pièce, elle aperçut au loin, dans le dressing, quelque chose qui ne l’avait pas frappée la première fois, mais qui l’étonnait maintenant. Pourquoi y avait-il une échelle en bois posée contre le mur ? Le marchepied qu’elle avait utilisé suffisait largement pour accéder aux plus hautes étagères. Elle arrêta son mouvement et revint à pas de loup dans la salle-penderie.

            Et pourquoi l’échelle est-elle en bois sombre alors que tous les meubles de l’étage sont en bois clair ?

            Emma leva les yeux au plafond et, malgré les voix du couple qui montaient du salon, déploya l’échelle et grimpa sur les premiers barreaux.

            L’échelle n’est pas là pour accéder à la penderie, mais pour accéder… au plafond.

            Arrivée sur les derniers barreaux, Emma poussa la plaque de plâtre du faux plafond. En tendant la main, elle sentit quelque chose. Une lanière, la bandoulière d’un sac, plutôt. Elle tira et un gros sac en toile tomba. Par un réflexe désespéré, elle parvint à le rattraper.

            C’était un fourre-tout en toile rouge plastifiée avec un logo blanc représentant la « virgule » d’une célèbre marque de sport. Le sac était lourd, bourré à craquer. En équilibre sur l’escabeau, elle l’ouvrit d’un geste vif, regarda à l’intérieur, et sous le coup de la surprise faillit le lâcher.

            Le rythme de son cœur s’accéléra. Elle entendait des pas qui montaient dans l’escalier.

            Elle remit le sac dans sa cachette, replaça le faux plafond, descendit l’échelle et traversa la pièce en trombe. La fenêtre de la chambre était restée ouverte. Elle enjamba le cadre, dévala l’escalier de secours en fonte et s’enfuit à toutes jambes.

            *

            Boston, 2011

            9 h 45

            Le clavier de l’ordinateur baignait dans le chocolat chaud.

            – Pardon, papa, je suis désolée ! Pardon ! Pardon ! supplia Emily en constatant l’étendue de la catastrophe.

            D’un bond, Matthew se leva de son tabouret, débrancha l’appareil et le retourna à la verticale pour faire couler le liquide gluant.

            – J’ai pas fait exprès ! s’excusa la petite fille en se réfugiant dans les bras d’April.

            – Bien sûr, chérie, essaya-t-elle de la rassurer.

            Silencieux, Matthew épongeait l’ordinateur avec un torchon.

            Que faire ?

            Son cœur palpitait avec violence. Il fallait agir. Vite.

            April sortit de son sac à main plusieurs disques à démaquiller en coton et les tendit à Matthew pour terminer le nettoyage du clavier.

            – Tu crois que les circuits sont touchés ?

            – Je le crains.

            – Mais ce n’est pas certain, tempéra-t-elle. L’année dernière, j’ai laissé tomber mon téléphone portable allumé dans les toilettes. En le séchant et en enlevant la carte SIM, j’ai réussi à le rallumer et il marche toujours aujourd’hui !

            Matthew réfléchit. Inutile qu’il essaie de démonter l’ordinateur. Il ne connaissait pas grand-chose à l’informatique. Il eut la tentation d’essayer de rallumer la machine puis se ravisa.

            C’est le meilleur moyen de provoquer un court-circuit et de griller des composants…

             Je vais l’apporter chez un réparateur, décida-t-il en regardant sa montre. Tu peux garder Emily encore une heure ?

            Il appela un taxi, passa rapidement sous la douche, enfila un jean, un pull, un gros manteau et sortit dans la rue avec l’ordinateur dans une mallette en cuir.

            Débarquer dans un Apple Store à deux jours de Noël relevait de l’inconscience. Le MacBook n’était de toute façon plus sous garantie. Il demanda au chauffeur de le conduire chez un petit revendeur dans une rue derrière Harvard Square. Un magasin que fréquentaient certains de ses étudiants.

            La boutique venait à peine d’ouvrir et Matt était visiblement le premier client. Derrière le comptoir, un ancien hippie à la silhouette épaisse terminait son petit déjeuner.

            La soixantaine bien tassée, il arborait une crinière poivre et sel et portait un gilet en cuir ouvert sur un tee-shirt barré du drapeau cubain. Sa bedaine débordait d’un jean délavé orné d’un gros ceinturon.

            – J’peux vous aider, chef ? demanda-t-il en essuyant les paillettes de sucre glacé de son donut qui s’étaient collées dans les broussailles de sa barbe.

            Matthew sortit l’ordinateur de sa mallette, le posa sur le comptoir et raconta sa mésaventure.

            – Quelle idée aussi de laisser une boisson chaude à proximité d’un ordinateur ! s’exclama le vendeur.

            – C’est ma fille. Elle a quatre ans et demi et…

            Sentencieux, le vieux ne le laissa pas finir sa phrase.

            – J’crois que l’chocolat chaud, c’est l’pire substance à renverser sur du matos informatique.

            Matthew soupira. Il n’était pas venu ici pour qu’on lui fasse la leçon.

            – Bon, vous pouvez m’aider ou pas ?

            – Faut voir. Si la carte mère n’est pas bousillée, m’est d’avis qu’il faudra au moins changer le top case. Mais vu ce que ça va vous coûter, j’me d’mande si c’est rentable. L’est pas très récente, vot’ bécane.

            Ses yeux disparaissaient à moitié derrière de petites lunettes rondes cerclées de métal.

            – Elle a une grande valeur sentimentale. Vous pouvez l’ouvrir ?

            – C’est ce que j’vais faire. J’vous prépare un devis pour la semaine prochaine ?

            – La semaine prochaine ? Impossible ! J’ai besoin de cet ordinateur aujourd’hui.

            – Ah, ça va être difficile, chef.

            – Combien ?

            – …?

            – Combien pour vous y mettre tout de suite ?

            – Tu crois que l’argent peut tout acheter, chef ? Tu crois que ton pognon te donne tous les droits ?

            – Arrêtez de vous prendre pour Che Guevara et cessez de m’appeler « chef ».

            Le vendeur réfléchit un instant et finit par proposer :

            – Si t’es prêt à aligner cinq Benjamins1, on peut commencer à discuter. C’ton problème, après tout…

            – Très bien. Je vous donnerai cet argent, mais mettez-vous au boulot. Maintenant.

            Armé d’un tournevis, le vieux démonta l’habitacle en aluminium et entreprit de nettoyer les circuits avec une solution d’alcool isopropylique, éliminant consciencieusement toute trace de lait chocolaté, prenant garde de ne pas abîmer les connexions électroniques.

            – Faut à tout prix éviter qu’en rallumant l’ordinateur, la chaleur ne transforme en caramel l’sucre du chocolat, expliqua-t-il en marmonnant dans sa barbe.

            Une fois cette opération terminée, il brancha une sorte de vieille lampe radiateur munie d’un réflecteur de cuivre.

            – Pour faire sécher les composants, y a rien de mieux.

            – Il faut attendre combien de temps ? s’impatienta Matthew.

            – La patience est la vertu cardinale, chef. Va m’chercher mon fric et reviens d’ici trois quarts d’heure. Apparemment, le disque dur est intact. Pour 200 dollars supplémentaires, j’peux t’en faire une copie pour que tu puisses au moins récupérer tes données.

            Le type profitait honteusement de la situation, mais Matthew ne chercha même pas à marchander tout en se désolant que la vie de sa femme dépende désormais des manipulations de ce margoulin sans scrupules.

            – OK, à tout à l’heure.

            Il sortit dans la rue, s’arrêta au premier distributeur pour retirer 700 dollars et fit quelques pas pour rejoindre l’un des nombreux cafés de Harvard Square. Il se laissa tomber sur un siège, démoralisé.

            Qu’allait-il se passer à présent ? Même si l’ordinateur redémarrait, rien ne garantissait à Matthew qu’il pourrait reprendre contact avec Emma. Leur dialogue à travers le temps ne tenait qu’à un fil, fragile, irrationnel, presque magique… mais qui risquait de se dissoudre dans du chocolat chaud ! Il repensa au dernier mail d’Emma. Ses dernières phrases s’étaient incrustées dans sa mémoire :

            J’ai beaucoup hésité avant de vous envoyer ce petit film en pièce jointe. J’espère qu’il ne vous heurtera pas trop. Veuillez me pardonner cette intrusion dans votre vie intime, mais savez-vous qui est l’homme en compagnie de votre femme ?

            Ce ton lui déplaisait. Que sous-entendait-elle ? Que Kate le trompait ? Que le film en question compromettait son honneur ? Non, c’était impossible. Il n’avait jamais douté de l’amour de sa femme et rien n’avait jamais fissuré cette confiance, ni avant ni après sa mort.

            Matthew prit une gorgée de café et essaya de se faire l’avocat du diable.

            Peut-être que leur vie sexuelle était un peu plus terne qu’aux premières heures de leur relation. Elle avait été torride, puis la naissance d’Emily était arrivée très vite. Mais les choses avaient repris leur cours. Peut-être moins intensément qu’au début, mais n’était-ce pas le lot commun de la plupart des couples ?

            Il continua de se faire mal. Et si Kate avait eu un amant ? Il secoua la tête. Aurait-elle eu envie d’en prendre un qu’elle n’aurait pas trouvé le temps ! Kate travaillait nuit et jour, tout le temps. Des horaires infernaux à l’hôpital qu’elle prolongeait par la lecture et l’écriture d’articles et d’ouvrages médicaux. Son peu de temps libre, elle le passait auprès de lui et d’Emily.

            Pensif, il se frotta le menton. Après la mort de sa femme, il s’était débarrassé de tous ses vêtements. Un camion de l’Armée du Salut avait emporté toutes ses affaires sans qu’il fasse le moindre tri pour ne pas s’infliger de douleur supplémentaire. Par la force des choses, il avait classé les papiers de Kate après son décès. Du côté financier, ils avaient un compte commun et il n’avait remarqué aucune dépense surprenante. Rien de suspect non plus dans les dossiers de son ordinateur. La seule chose qui l’ait stupéfié était les antidépresseurs qu’il avait trouvés dans sa salle de bains. Pourquoi Kate ne lui en avait-elle jamais parlé ? Il avait mis ça sur le compte de la surcharge de travail. Peut-être aurait-il dû creuser davantage…

            *

            – T’as mon oseille, chef ?

            Matthew tendit les sept billets de 100 dollars au vieux hippie qui les fit disparaître dans la poche de son jean.

            – C’est bon ? demanda-t-il en désignant les composants qui continuaient de sécher sous le réflecteur de la lampe.

            – Ouais, on va pouvoir r’monter tout ça, dit-il en joignant le geste à la parole.

            L’opération dura encore un bon quart d’heure, au terme duquel le vendeur prit un ton solennel :

            – C’est le moment d’croiser les doigts, chef.

            Il appuya sur le bouton de mise sous tension et le miracle se produisit. L’ordinateur se mit en marche, ronronna puis invita à rentrer le mot de passe de la session.

            Alléluia !

            Le clavier tactile fonctionnait parfaitement. Soulagé, Matthew tapa le code qui fut validé par le système.

            – Peut dire que vous avez une veine de cocu ! s’exclama le hippie.

            Matthew ignora la remarque. Il ouvrit un dossier, puis une application. Il allait se connecter à Internet lorsque brutalement l’écran se figea avant de devenir noir.

            Plus rien.

            Il essaya de le rallumer.

            Rien à faire.

            – L’est grillé, affirma le vendeur. C’était trop beau pour être vrai.

            – Mais il doit bien y avoir quelque chose à faire. Remplacer des composants ou bien…

            – Ça sera sans moi, chef. Ta machine est morte. C’est la vie.

            Il lui tendit un disque dur externe.

            – J’ai extrait de ta bécane tout c’qui était récupérable. C’est l’essentiel, non ?

            Non.

            Ce n’était pas l’essentiel…

 14

            Ekaterina Svatkovski

            Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain.

            Exode, 20.17

            Boston, 2010

            11 heures du matin

            Le ciel s’était couvert à une vitesse stupéfiante. Le soleil radieux du début de matinée avait cédé la place à un épais voile nacré d’où n’avaient pas tardé à tomber les premiers flocons. À présent, une neige fine et serrée tourbillonnait dans les rues du South End.

            Emma chassa les cristaux neigeux qui s’accrochaient à ses cheveux et resserra sa capuche. Elle déambulait depuis une vingtaine de minutes. En sortant de la maison des Shapiro, elle était repassée par son hôtel, mais sa chambre n’était pas encore prête. Elle avait alors décidé de faire quelques pas pour réfléchir au grand air. Malheureusement, le froid était si vif qu’elle avait l’impression qu’il anesthésiait son cerveau.

            Elle arriva à l’angle de Copley Square et de Boylston Street, là où s’élevait le bâtiment solennel de la bibliothèque publique de la ville. Sans hésiter, elle grimpa les marches du perron et pénétra dans un hall somptueux décoré de fresques et de statues.

            On se serait cru dans un palais de la Renaissance italienne. Elle fit quelques pas au hasard, dépassant le comptoir d’accueil et la billetterie – qui vendait les tickets d’une exposition temporaire – pour arriver dans une petite cour intérieure qui ressemblait au cloître d’une abbaye. En suivant les indications d’un gardien, elle passa les portiques de sécurité et emprunta le grand escalier de marbre qui montait jusqu’à la salle de lecture.

            Le Bates Hall était une pièce monumentale qui s’étendait sur près de soixante-dix mètres de longueur sous un immense plafond voûté. De part et d’autre de la salle s’étiraient des dizaines de tables en bois sombre équipées de lampes en laiton aux abat-jour d’opaline.


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