355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Жюльетта Бенцони » Belle Catherine » Текст книги (страница 20)
Belle Catherine
  • Текст добавлен: 3 октября 2016, 21:26

Текст книги "Belle Catherine"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



сообщить о нарушении

Текущая страница: 20 (всего у книги 29 страниц)

Maintenant, Arnaud sanglotait, la figure enfouie dans l'herbe, et Catherine, bouleversée, tenta encore de le redresser pour lui donner le refuge de ses bras, de son épaule.

– Mon amour !... suppliait-elle au bord des larmes... Mon amour... Je t'en prie !

– Laissez-le, dame Catherine, fit tout près d'elle la voix rude de Gauthier. Il ne vous entend pas ! La masse de douleur qui s'est abattue sur lui l'a rendu sourd et aveugle au monde extérieur. Mais les larmes sont bonnes pour lui...

La main ferme du Normand l'aida à se relever. Serrant toujours entre ses doigts le parchemin, elle se retrouva dans les bras de Sara qui avait confié le bébé à Fortunat. La bohémienne tremblait comme une feuille, mais son étreinte était chaude et sa voix assurée.

– Sois ferme, mon petit, souffla-t-elle à l'oreille de Catherine. Il faut que tu sois forte afin de l'aider, lui. Il va en avoir besoin.

Elle fit oui de la tête, voulut retourner à Arnaud, mais Gauthier la retint.

– Non... laissez-moi faire !

Peu à peu, les sanglots convulsifs qui secouaient Arnaud se calmèrent. Ce fut le moment que choisit le Normand. Il prit le petit Michel des mains précautionneuses de Fortunat et, à son tour, alla s'agenouiller auprès du jeune homme.

– Messire, dit-il d'une voix que l'émotion étouffait, une antique saga de mon peuple dit : « Tout fardeau qui te sera lourd, rejette-le et sache t'aider toi– même. » Il vous reste la vengeance... et ceci !

Michel, réveillé, se mit à hurler. Catherine se dégagea des bras de Sara. Son cœur battait à se rompre et ses mains se tendaient instinctivement vers l'homme prostré. D'un seul coup Arnaud se redressa. Il regarda tour à tour Gauthier puis le bébé. Son visage, décomposé par le chagrin, se crispa. Il prit, entre ses mains, le petit paquet hurlant qui se calma comme par enchantement. Il serra l'enfant contre lui avec emportement, puis son regard revint au Normand. Une farouche résolution y brillait.

– Tu as raison, dit-il d'une voix rauque. Il me reste un fils, une femme... et la haine ! Maudit soit le Roi qui me paie ainsi de ma fidélité et du sang versé sans compter ! Maudit soit Charles de Valois qui a livré les miens à son valet, détruit ma maison, tué ma mère ! Je lui dénie, à partir de cet instant, mon serment d'allégeance et je n'aurai ni trêve ni repos tant que...

– Non ! cria Catherine épouvantée par cette voix qui s'enflait comme un ouragan, par cette colère formidable qu'elle sentait monter dans les veines d'Arnaud comme le flot de lave qui trace son chemin vers le cratère du volcan.

Elle s'abattit sur lui, arracha l'enfant de ses mains et enferma le petit dans ses bras.

– Non, répéta-t-elle plus bas. Je ne veux pas de malédiction autour de mon enfant ! Tu ne dois pas, Arnaud, tu ne dois pas dire de telles choses !

Pour la première fois, il tourna vers elle son visage noir de fureur.

– Ma mère gît, sans doute, sous les décombres de notre maison, je suis proscrit... (Il saisit le parchemin qu'elle n'avait pas lâché et l'agita au bout de son poing.) Tu sais lire ? Traître et félon ! Moi ? Traître et félon comme Jehanne était hérétique et sorcière ! La honte, le désespoir et le bourreau ! Voilà comment le roi Charles récompense ses serviteurs !

– Ce n'est pas lui, fit Catherine d'un ton las, et tu le sais bien...

– Il est le Roi ! Si c'est ainsi qu'il prétend exercer la royauté, mieux vaudrait, pour lui, le couvent, la tonsure, et pour le royaume le duc de Bourgogne sur le trône !

Une vague de désespoir envahit Catherine. Fallait-il qu'Arnaud en fût arrivé aux extrêmes limites de la colère et de la douleur pour qu'il en fût venu à souhaiter pour suzerain l'homme que, toute sa vie, il avait haï et combattu ! Allait-il donc, maintenant, se tourner vers l'ennemi, vers l'homme auquel Catherine s'était arrachée à si grande peine pour le rejoindre, lui ? Elle secoua la tête. De grosses larmes roulèrent de ses yeux jusque sur la joue du petit Michel. Elle posa, avec passion, ses lèvres sur le petit visage, ramena sur ses épaules le manteau qui en avait glissé pour mieux en envelopper l'enfant. Le vent des hauteurs soufflait plus fort, venu du trou noir qu'étaient devenues les vallées envahies par la nuit. La torche que Fortunat avait allumée depuis un instant semblait s'effilocher dans les rafales humides. Catherine frissonna, regarda tour à tour les personnages figés de cette scène pénible. Ses yeux s'arrêtèrent sur son époux. Il était toujours debout devant les décombres, droit comme une lance, ses yeux farouches rivés à ces ruines fraîches que la lueur du feu faisait plus sinistres encore... Une vague de découragement saisit la jeune femme. Une fois encore il lui échappait et elle ne savait comment le rejoindre au-delà de ce mur de fureur dans lequel il s'enfermait. Il ne pouvait rien comprendre de ses paroles d'apaisement car, pour l'heure présente, il n'était que révolte.

Pensant qu'en sa faiblesse de femme résidait sans doute sa meilleure arme, elle s'approcha, s'appuya contre lui.

– Arnaud, murmura-t-elle, ne pouvons-nous essayer de trouver un abri ? Le vent se lève et je suis transie. Et puis, j'ai peur pour Michel.

Quand il baissa les yeux vers elle, Catherine vit que la colère les avait quittés, mais qu'ils étaient pleins d'une poignante tristesse. Le bras du jeune homme entoura ses épaules et la serra contre lui.

– Pauvrette ! Tu es lasse et tu as froid ! L'enfant aussi a besoin qu'on s'occupe de lui. Viens ! Pour le moment, nous n'avons plus rien à faire ici.

Le contact rassurant des muscles durs rendit courage à Catherine. Elle leva vers son mari son visage confiant.

– Les ruines se relèvent, Arnaud, et le temps efface "les larmes !

– Mais il ne ressuscite pas les morts ! Et ma pauvre mère... (Il y eut une brisure dans sa voix et Catherine sentit ses doigts se crisper sur son épaule, mais il se maîtrisa, reprit d'un ton morne) Je devine qu'elle a dû défendre sa maison jusqu'au bout ! Demain, il faudra bien que les gens du village m'aident à fouiller ces ruines pour retrouver son corps et lui donner la sépulture qui convient. Pour le moment, allons au monastère ! Nous n'avons pas été toujours d'accord, l'abbé et nous, mais il ne pourra nous refuser l'asile.

On remonta à cheval, puis la troupe morne fit demi– tour et, à la suite de Montsalvy, s'engagea dans le tunnel d'arbres parcouru si joyeusement une heure plus tôt. Les ruines de Montsalvy demeurèrent livrées à leur solitude et au vent gémissant qui semblait venir des grands causses tout exprès pour pleurer sur elles.

Le point de lumière, d'un jaune rougeâtre, que l'on avait vu paraître dans le sentier avait grandi rapidement. Catherine comprit que c'était une lanterne balancée au bout du bras de quelqu'un marchant à leur rencontre. Bientôt, la torche que portait Fortunat et la lanterne furent sur le même plan et s'arrêtèrent. A demi caché par le dos d'Arnaud, la jeune femme vit un paysan si tanné et si brun, en même temps que si vigoureux, que le sarrau et les chausses de laine dont il était vêtu semblaient habiller un vieil arbre noueux. Des cheveux gris et raides dépassaient de son bonnet brun, enfoncé jusqu'aux oreilles, mais les yeux, enfouis sous une broussaille de sourcils gris, avaient un éclat joyeux dans leurs prunelles noisette.

Le visage était rude : des lèvres serrées qui ne devaient pas s'ouvrir aisément, un menton en galoche, un nez en lame de couteau, mais les plis creusés autour de la bouche s'accusaient davantage à droite donnant à la physionomie une expression de malice et d'astuce.

Pour le moment, le paysan, dédaignant Fortunat et sa torche, avait marché droit sur Arnaud et s'arrêtait, le nez levé, juste sous la tête du cheval. Il éleva sa lanterne pour que sa figure fût bien dans la lumière puis tira son bonnet.

– Not’ seigneur ! dit-il, m'avait bien semblé vous reconnaître tout à l'heure, sur la lande, quand vous galopiez comme si l'diable vous courait après ! L'bon Dieu soit béni qui vous ramène au pays !

La bouche mince s'étirait en un large sourire qui montrait des gencives dénudées par endroits. Tout le vieux visage rayonnait d'une joie si grande qu'elle effaçait la nuit. Catherine vit deux larmes briller au coin des paupières tandis que le bonhomme s'agenouillait dans la boue sans cesser de regarder Arnaud comme il eût regardé un archange. Celui-ci, d'ailleurs, sautait à bas de son cheval, empoignait le paysan aux épaules et l'embrassait sur les deux joues.

– Saturnin ! Mon vieux Saturnin ! Sangdieu ! Quel bien cela me fait de te revoir ! Toi, au moins, tu pourras me dire...

Cette fois, sous l'étreinte d'Arnaud, le vieil homme pleurait pour de bon et riait tout à la fois.

– Ah ! maintenant qu'vous êtes là, messire Arnaud, tout va aller mieux ! Vous en viendrez à bout, vous, de ces faillis chiens qui sont tombés sur not’ pays comme des corbeaux.

Tout en parlant, les yeux vifs de Saturnin avaient découvert Catherine sur Morgane qui encensait et Sara, tassée sur Rustaud, le bébé dans les bras.

– Oh ! fit-il avec une naïve admiration, la belle dame ! Vrai, not’ seigneur, jamais j'n'en ai vu de si belle... C'est-y que...

C'est ma femme, Saturnin, répondit Arnaud avec une nuance de fierté qui fit sourire Catherine. Et voici mon fils ! Tu peux baiser sa main... Ma chère, Saturnin est le bailli de Montsalvy et notre plus fidèle serviteur. Il a l'air, comme cela, d'un paysan, mais il a pignon sur rue. Il nous a élevés, Michel et moi... presque autant que notre mère...

De nouveau la voix d'Arnaud se brisa en évoquant sa mère, mais, déjà, Saturnin, qui venait de baiser la main de Catherine, se retournait vers lui en s'écriant :

– Vieille bête que je suis à vous t'nir là au lieu d'vous emmener bien vite la trouver ! Elle va être si heureuse notre pauvre maîtresse !

– Ma mère ? Tu sais où elle est ? Elle n'est pas...

Le vieux se mit à rire de bon cœur.

– Morte ? Vous voudriez pas ! Si j'n'avais pas réussi à lui faire quitter le château quand ces sauvages ont mis l'feu, vous n'auriez jamais revu le vieux Saturnin. J'aurais jamais pu vous regarder en face.

Et, comme Arnaud, de nouveau, le prenait aux épaules en criant :

– Vivante ! Elle est vivante ! Et où est-elle ? Au monastère ?

Saturnin cracha par terre et haussa les épaules.

– Au monastère, il y a Valette et ses hommes... ceux qui ont brûlé vot'maison. Mme la comtesse, où voulez-vous qu'elle soit ? Chez moi, bien sûr ! Mais à la métairie parce qu'en ville les hommes de Valette tiennent les meilleures maisons. Venez, maintenant, on s'est trop attardés. Même la nuit, voyez-vous, les chemins sont dangereux...

Tout en parlant, Saturnin avait pris la bride de Morgane et faisait tourner la petite jument. Avant de remettre son bonnet, il s'inclina devant Catherine avec une inconsciente dignité.

Notre dame, fit-il avec un grand respect, ça va être un honneur pour le vieux Saturnin de vous conduire à sa maison bien qu'elle ne soit pas digne du tout de vous recevoir. Mais vous y serez chez vous et aussi maîtresse que si les murs de Montsalvy étaient encore debout !

Elle le remercia d'un sourire. Un monde de sentiments contradictoires agitait la jeune femme. Ce paysan si fier et si simple qu'Arnaud traitait en ami lui ouvrait de nouveaux horizons sur le caractère de son mari. Elle entrevoyait vaguement l'enfant qu'il avait pu être et aussi le côté intensément humain qui se cachait sous son orgueil. Elle était heureuse à l'idée qu'elle et les siens auraient bientôt l'abri d'un toit, mais, sous ce toit, il y avait tout de même cette femme qu'elle redoutait tellement : la mère d'Arnaud ! À mesure que leur rencontre se faisait plus proche, Catherine sentait l'angoisse l'étreindre. La grande dame que devait être Isabelle de Montsalvy saurait– elle accueillir une belle-fille sortie du peuple ou bien les jeunes époux allaient-ils au-devant de reproches et d'une scène amère ? La jeune femme avait honte de s'avouer que, tout à l'heure, devant les décombres de la maison seigneuriale, elle avait eu, l'espace d'un instant, la pensée coupable que ce désastre lui évitait une épreuve. Malgré ses craintes, elle se reprochait cette pensée comme un crime. Elle était trop courageuse, elle avait trop l'habitude de l'adversité pour ne pas savoir regarder les choses en face.

« L'épreuve va venir, ma fille, se dit-elle tandis que Morgane retraçait ses pas vers le puy de l'Arbre, et c'est justice.

Une punition bien méritée pour ce que tu as osé penser ! »

Mais, malgré cette mercuriale intérieure, les alarmes de Catherine grandissaient chaque fois que Morgane posait un sabot à terre.

La métairie de Saturnin abritait son grand toit de lauzes sous un boqueteau de sapins, au flanc du puy. L'étroit chemin à peine tracé qui la desservait aboutissait un peu plus bas que les ruines, mais un escarpement rocheux la dissimulait aux regards de qui ne descendait pas assez bas vers la vallée. En l'approchant, Catherine la devina plus qu'elle ne la vit vraiment : une boursouflure plus sombre contre le fond noir du roc. Dans la façade s'ouvraient, comme des yeux rouges et ternes, deux étroites fenêtres que la jeune femme regarda avec méfiance. La maison, tapie dans l'ombre, avait l'air de la guetter...

Le pas sonore des chevaux fit apparaître la silhouette courte et noire d'une paysanne en bonnet blanc élevant une torche au-dessus de sa tête.

– Qui va là ? demanda la femme rudement.

– C'est moi, Donatienne, fit Saturnin.

– Mais, tu n'es pas seul...

La paysanne avait fait quelques pas et, brusquement, elle s'arrêta. La torche trembla dans sa main et, lentement, elle se laissa tomber à genoux, le regard illuminé de joie.

– Ô doux Jésus ! Messire Arnaud !...

Il était déjà à terre et, tandis que Saturnin aidait Catherine à descendre, relevait la vieille Donatienne, l'embrassait sur les deux joues.

– C'est bien moi... Ma mère ?

– Elle est là ! Oh, seigneur, elle va être si heureuse !...

Arnaud, déjà, ne l'écoutait plus. Il avait saisi Catherine par la main et l'entraînait vers la maisonnette si rapidement que le cœur de la jeune femme n'eut pas le temps de battre plus vite. Elle se retrouva dans une salle basse, au sol de terre battue, dont elle ne vit rien si ce n'est une femme en noir assise sur la pierre de l'âtre et qui se levait en poussant un cri.

– Toi !

« Mon Dieu ! songea Catherine, comme elle lui ressemble ! »

En effet, la mince et haute femme brune qui, chancelante, s'appuyait au manteau de la cheminée offrait, sous une forme adoucie, une fidèle réplique des traits d'Arnaud : même front haut, même pureté presque agressive des traits, même teint mat et mêmes yeux noirs, mais, dépassant la guimpe de toile où s'encadrait le visage de façon presque monastique, les épais cheveux noirs se striaient de blanc, les paupières violacées se fripaient et la bouche fine avait un pli las que n'avaient pas les lèvres fermes de l'homme.

Déjà, Arnaud, lâchant Catherine, s'était jeté aux pieds de sa mère et couvrait de baisers ses mains tremblantes.

– Mère chérie !

Appuyée au chambranle de la porte contre lequel elle s'était reculée, Catherine contemplait le groupe formé par la mère et le fils, sans même oser respirer. De lourdes larmes glissaient sur les joues d'Isabelle de Montsalvy tandis qu'elle enfermait dans ses deux mains le visage de son fils pour l'élever jusqu'à ses lèvres. Un moment, qui parut à Catherine durer un siècle, ils demeurèrent étroitement enlacés. Les larmes de la mère semblaient ne devoir jamais tarir.

Derrière elle, Catherine percevait les souffles retenus de ceux que le respect maintenait dehors. Elle entendit soudain Michel vagir et, se retournant brusquement, elle arracha presque l'enfant des bras de Sara, le tint serré contre sa poitrine comme pour lui demander protection contre cette inconnue dont elle attendait avec tant de crainte le premier mot. La chaleur du petit corps niché dans ses bras lui rendit courage. Elle avala sa salive, redressa la tête. Le moment tant redouté était arrivé.

Par-dessus l'épaule d'Arnaud, Catherine vit s'ouvrir les yeux que Mme de Montsalvy avait clos pour mieux savourer sa joie. Elle les vit se poser sur elle, surpris. La question vint aussitôt tandis que la mère d'Arnaud | le repoussait doucement.

– Qui est avec toi ?

Catherine fit deux pas, mais déjà Arnaud était revenu près d'elle. Son bras entoura les épaules de la jeune femme.

– Mère, dit-il gravement, voici ma femme, Catherine...

Une de ces impulsions soudaines dont elle n'avait jamais été maîtresse jeta Catherine en avant. Elle se retrouva agenouillée à son tour devant la mère de son époux, élevant comme une offrande l'enfant sur ses deux mains.

– Et voici notre fils, murmura-t-elle d'une voix que l'émotion enrouait. Nous l'avons nommé Michel !

Son regard violet s'accrochait à celui de sa belle– mère, implorant qu'on voulût bien l'accepter. Son cœur cognait à grands coups dans sa poitrine et elle luttait désespérément contre une terrible envie de pleurer. Isabelle de Montsalvy regarda la jeune femme à ses pieds avec une sorte d'incrédulité. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Elle se pencha cependant, scrutant le minuscule visage du bébé.

– Michel... balbutia-t-elle... vous me rendez Michel ?

Elle prit l'enfant des mains de Catherine, s'approcha du feu pour mieux le regarder. Catherine pouvait voir trembler ses lèvres et ses yeux s'emplir de nouvelles larmes. Elle s'attendait à la voir éclater en sanglots, mais ce fut un sourire qui vint, si clair et si jeune, le sourire même d'Arnaud. La grand-mère caressa d'un doigt précautionneux la petite crête de cheveux dorés qui se dressait sur la tête de Michel.

– Il est blond ! fit-elle d'un ton extasié, il est blond comme l'était mon pauvre enfant.

Catherine sentit que les mains d'Arnaud glissaient à sa taille et la remettaient debout. Sans la lâcher, il dit:

– Nous sommes heureux de votre joie, Mère, mais à celle-ci, mon épouse et la mère de votre petit-fils, ne direz-vous rien ?

La dame de Montsalvy se retourna vers eux, enveloppa du regard le couple qu'ils formaient. Lentement, elle s'approcha d'eux et sourit de nouveau.

Pardonnez-moi, ma fille. Ce trop grand bonheur après notre désastre m'a fait un peu perdre la tête. Venez ici, que je vous voie...

Elle tendait à Catherine sa main gauche, gardant Michel au creux du bras droit. Docilement, la jeune femme s'approcha du feu, rejetant le capuchon qui couvrait sa tête. Les flammes firent étinceler sa chevelure, mirent des paillettes d'or dans ses yeux. Elle resta là, bien droite, sa petite tête fine dressée par un orgueil inconscient, attendant le verdict qui ne tarda guère.

– Comme vous êtes belle ! soupira Isabelle de Montsalvy... Presque trop !

– La plus belle dame du royaume, fit Arnaud tendrement,... et la plus aimée !

Sa mère sourit de la chaleur qu'il avait mise dans ces quelques mots.

– Tu ne pouvais choisir qu'une femme très belle, dit-elle, tu as toujours été si difficile ! Venez m'embrasser, mon enfant.

Le cœur serré de Catherine se dilata. Elle se courba un peu pour offrir son front au baiser de sa belle-mère avant d'effleurer de ses lèvres la joue mate qu'on lui offrait. Puis les deux femmes se penchèrent d'un même mouvement sur Michel qui s'agitait.

– Il est beau, lui aussi, exulta la grand-mère. Comme nous allons l'aimer !

Un cri venu de la porte lui coupa la parole. Une jeune fille brune venait d'apparaître, bousculant Saturnin, Donatienne, Gauthier, Sara et Fortunat avec une force irrésistible.

– Arnaud ! Arnaud !... Tu es revenu ! Enfin...

Comme dans un songe, Catherine vit la jeune fille

courir à son époux, l'envelopper de ses bras et, se haussant sur la pointe des pieds, coller ses lèvres à celles du jeune homme avec une passion qui ne laissait aucun doute sur ses sentiments profonds. Arnaud avait été tellement surpris qu'il n'avait pas réagi immédiatement, mais Catherine sentit une brusque colère l'envahir. « D'où sortait-elle, celle-là, et de quel droit

embrassait-elle son époux avec cette ardeur ? » Vivement, elle alla rejoindre Arnaud qui, d'ailleurs, avait repris ses esprits et repoussait vivement l'assaillante.

– Marie ! dit-il, tu devrais apprendre à contrôler tes impulsions. Je ne savais pas que tu étais ici.

– Son frère me l'avait confiée, dit sa mère. Elle s'ennuyait tellement à Comborn !

– Tandis qu'ici, c'est infiniment plus gai, fit Arnaud. Tiens-toi tranquille, coupa-t-il avec impatience en rabattant les bras qui allaient se nouer encore à son cou, tu es trop grande pour te comporter comme une gamine ! Ma mie, ajouta-t-il en se tournant vers sa femme, cette jeune chèvre est notre cousine, Marie de Comborn.

Catherine, mal remise de la désagréable impression éprouvée, s'obligea au sourire. Elle reçut en plein visage le regard de deux yeux vert foncé, chargés de fureur. Marie de Comborn offrait, en effet, une certaine ressemblance avec une chèvre. Petite, nerveuse, on sentait sous sa robe de drap noir en mauvais état un corps musclé, tendu comme une corde d'arc. Le visage triangulaire était étrange, pointu, s'élargissant aux pommettes pour laisser place à de vastes yeux sombres.

Les cheveux noirs, frisés comme ceux d'une bohémienne, avaient du mal à rester nattés sur les oreilles et des mèches folles s'échappaient. La bouche était très rouge, bien ourlée, sensuelle même, et s'entrouvrait sur des dents aiguës mais très blanches. « Une chèvre ? songea Catherine. Peut-être... mais peut-être aussi une vipère ! ce visage en triangle, ces yeux bizarres !... » Elle garda pour elle ses réflexions, sourit de nouveau.

– Bonsoir, Marie, dit-elle gentiment. Je suis heureuse de vous connaître.

– Qui êtes-vous ? demanda la jeune fille sèchement.

Ce fut Mme de Montsalvy qui se chargea de la renseigner. Sa voix grave et musicale à la fois se fit entendre, empreinte de sévérité.

– Elle se nomme Catherine de Montsalvy, Marie... et elle est la femme d'Arnaud. Embrasse-la !

Catherine crut que Marie allait s'évanouir à ses pieds. Son visage brun devint gris tandis que ses narines se pinçaient.

Ses prunelles vertes allèrent d'Arnaud à Catherine, de Catherine à Arnaud, s'affolant. Une sorte de rictus déforma sa bouche fraîche, montrant les dents comme un chien prêt à mordre.

– Sa femme ! gronda-t-elle... Vous êtes sa femme et vous osez m'adresser la parole ? Depuis que je suis née, je lui suis destinée... je l'ai aimé dès que j'ai pu éprouver un sentiment et il vous a épousée... vous !

– Marie ! cria Mme de Montsalvy. En voilà assez !

Catherine était partagée entre l'envie de pleurer et le désir de laisser la colère l'envahir. Mais, avec un haussement d'épaules, Arnaud se détournait.

– Cette fois, je crois bien qu'elle est tout à fait folle !

Marie se tourna vers lui, son visage maigre et ardent se tendit.

– Folle ? Oui, je suis folle, Arnaud, folle de toi ! Je l'ai toujours été ! Et ce n'est pas à cause de cette femme que je renoncerai à toi. Je n'aurai ni trêve ni repos que je ne t'aie arraché à elle !

Le bras de Marie, tendu vers Catherine de façon menaçante, retomba. La jeune fille jeta autour d'elle un regard égaré puis, éclatant en sanglots, elle franchit la porte en courant et se fondit dans la nuit. Arnaud fit un mouvement pour la suivre mais Catherine l'arrêta net, d'une main posée sur son bras.

– Si tu la suis, je pars sur l'heure ! dit-elle froidement. En vérité, voilà qui nous promet des jours agréables !

Il la regarda, vit que ses grands yeux étincelaient à la fois de colère et de larmes. Un bref sourire détendit ses traits. Il attira la jeune femme dans ses bras et la serra à lui faire mal.

Tu ne vas pas être jalouse de cette gamine exaltée, toi, mon incomparable ? Je ne suis nullement responsable des rêves qu'elle a nourris et, sur mon honneur, jamais n'y ai participé ni les ai encouragés.

Il ferma d'un baiser les paupières humides puis, se détournant légèrement, rencontra le regard de Gauthier, étrangement inexpressif.

– Va la chercher ! ordonna-t-il. Cette petite sotte est capable de tomber dans le torrent avec cette obscurité.

– Ça m'étonnerait, bougonna Donatienne qui, les mains jointes devant le bébé, paraissait en extase. Elle a des yeux de chat... elle y voit la nuit !

Gauthier disparut sans un mot, suivi de Fortunat. Saturnin, qui avait conduit les chevaux à l'écurie, renterait dans la salle. Catherine alla s'asseoir sur la pierre de l'âtre. Elle se sentait affreusement lasse et désorientée. Auprès d'elle, la grand-mère berçait toujours Michel en lui chuchotant ces petits mots tendres, un peu bêtes mais touchants, qui constituent la langue mystérieuse usitée entre les gens âgés et les tout-petits. L'air accablé de Catherine, ses épaules soudain voûtées alarmèrent Arnaud. Il vint s'agenouiller près d'elle, prit ses deux mains et les couvrit de baisers.

– Pourquoi si triste, Catherine ? Notre demeure est détruite, mais la famille est intacte, nous sommes à l'abri... et je t'aime ! Souris-moi, mon cœur ! Quand tu es triste il n'y a plus de lumière dans le monde.

Le beau visage dur, tendu vers elle, implorait et exigeait à la fois. La conscience lui revint, aiguë et presque douloureuse, de son amour pour lui, balayant le décor rude, les murs de pierre nue, les solives noires, les meubles rudimentaires et l'écœurante odeur de fumée. Saurait-elle jamais lui résister ou même lui refuser quelque chose ? Mais quand il disait « je t'aime », tout s'effaçait de ce qui n'était pas leur trop grand amour. Avec une infinie tendresse, elle lui offrit, un peu tremblant encore, le sourire qu'il réclamait.

– Tu ne sauras sans doute jamais, chuchota-t-elle, à quel point, moi, je t'aime.

Tout près d'eux, impassible et sourde en apparence, Isabelle de Montsalvy continuait de bercer Michel.

De cette première soirée à Montsalvy, Catherine devait garder une impression d'étrangeté et d'absurdité. Tout avait été tellement différent de ce qu'elle avait espéré, attendu... Non qu'elle regrettât vraiment le château seigneurial où elle eût dû régner, ou bien qu'elle éprouvât une répugnance quelconque à accepter l'hospitalité généreuse de Saturnin et de Donatienne, mais elle avait le sentiment d'avoir atteint un monde bizarre et peuplé de gens qu'elle pourrait difficilement comprendre, ou même atteindre... un monde qui était celui de son époux. Elle s'avouait qu'Isabelle de Montsalvy était à peu près telle qu'elle l'imaginait, fière et grande dame jusqu'au bout des ongles, trop semblable à Arnaud dont Catherine connaissait si bien le caractère ardent mais difficile. La jeune femme sentait que sa belle-mère ne l'avait pas acceptée, pas encore... L'accepterait-elle même un jour ?

Quand Gauthier était revenu, ramenant Marie de Comborn, Mme de Montsalvy, Catherine et Arnaud étaient à dîner, servis par Donatienne. Ni la brave femme ni son époux ne se fussent permis de s'asseoir à table en même temps que les seigneurs auxquels ils offraient un abri. Catherine avait senti toutes ses préventions revenir lorsque la jeune fille, après un regard vers Arnaud, s'était assise en face d'elle. La fureur qui l'avait soulevée semblait l'avoir quittée et, à la grande surprise de Catherine, c'était elle qui lui avait adressé la parole.

– Je connais toutes les familles d'Auvergne et des environs, dit Marie, pourtant je ne vous ai jamais vue... ma cousine.

Vous n'êtes pas de nos régions car j'imagine que, si je vous eusse rencontrée, je m'en fusse souvenue.

– Je suis parisienne, répondit Catherine... mais j'ai passé ma jeunesse en Bourgogne...

Elle regretta le mot imprudent aussitôt. Mme de Montsalvy avait pâli.

– De Bourgogne... Comment ?

Arnaud ne laissa pas sa mère finir sa phrase. Avec une hâte qui trahissait un peu de gêne, il lança :

– Le premier époux de Catherine, Garin de Brazey, a été pendu par ordre du duc Philippe pour haute trahison... Cela doit te suffire, Marie, et Catherine n'aime pas qu'on lui rappelle d'aussi mauvais souvenirs.

– Marie ignorait, intervint sa mère qui tenait les yeux fixés sur son écuelle de potage. Au surplus, elle ne pensait pas à mal en s'enquérant de l'origine de sa nouvelle cousine. Sa question était naturelle. Moi– même...

– Ma mère, si vous le voulez bien, nous entamerons plus tard ce sujet, coupa Arnaud sèchement. Pour ce soir, nous sommes las, encore accablés par la surprise qui nous attendait ici. Ma femme est épuisée et je ne souhaite aussi que le repos.

Catherine avait alors surpris le froncement de sourcils de sa belle-mère et l'éclair moqueur dans les yeux de Marie, mais personne n'avait plus rien dit et le souper frugal s'était terminé en silence. Elle avait la sensation physique d'un épaississement progressif de l'atmosphère. Et elle ne voyait pas comment elle pourrait dissiper le malaise. Comment réagirait la mère d'Arnaud quand elle saurait que sa belle-fille était née sur le Pont-au-Change, dans la modeste maison d'un orfèvre ? Mal sans doute puisque Arnaud n'avait pas osé, dès le premier instant, dire la vérité. La présence de cette Marie, jamais soupçonnée, mais dont il faudrait bien mesurer la haine, n'arrangerait rien. Catherine s'était attendue à combattre une ennemie et elle en trouvait deux !

Elle parvint cependant à faire bonne contenance durant la fin de cette soirée, s'occupa de son fils avec l'aide de Sara dont les yeux inquiets allaient sans cesse de la jeune femme à la vieille châtelaine, alla tendre calmement son front à Isabelle et adressa un bref salut à Marie. Mais, une fois dans le grenier à foin où Dona– tienne avait arrangé de son mieux un lit pour le jeune couple, elle laissa éclater à la fois sa colère et son désappointement.

– Tu as honte de moi, n'est-ce pas ? dit-elle à son mari qui, assis au bord de la paillasse, rêvait, les mains nouées autour de ses genoux. Comment diras-tu à ta mère qui je suis alors que, tout à l'heure, tu as eu peur ?

Il leva les yeux vers elle et la regarda un instant sans rien dire, à travers ses cils rapprochés. Puis, calmement, déclara :

– Je n'ai pas eu peur. Simplement, je préfère confier cela seul à seul à ma mère et non pas au milieu d'une salle de ferme et devant des étrangers.

– Si tu parles de Sara, de Gauthier, ils me connaissent et n'ont rien à apprendre. Mais si c'est de ta précieuse cousine, je conçois que...


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю