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Belle Catherine
  • Текст добавлен: 3 октября 2016, 21:26

Текст книги "Belle Catherine"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Vous aviez été dénoncé, n'est-ce pas ?

Jacques Cœur hocha la tête.

– Oui. La tendre amie de messire de Xaintrailles est sensible à l'or à ce qu'il paraît et il a eu tort de lui rendre une dernière visite avant de venir à l'église. On l'a suivi. J'ai réussi à persuader le chef des archers de ma bonne foi, mais sait-on jamais pour combien de temps. Au surplus, c'est sans importance, tout est prêt pour votre départ.

– Quand partons-nous ? demanda Catherine.

– Tout à l'heure.

– En plein jour ?

Le pelletier se mit à rire.

– Le jour ni la nuit ne feront rien à l'affaire. Cette cave où vous êtes a plus de prolongements que vous ne supposez.

Ces deux salles communiquent avec l'ancienne chapelle des Chevaliers du Temple qui se trouve au-delà de la porte Ornoise, mais elles ne sont qu'une infime partie, reconstruite et consolidée par les Templiers pour les besoins de leur ordre, d'un important réseau souterrain jadis construit par les Romains et que j'ai pu retrouver. Certains couloirs, reliant d'anciennes carrières ou des chambres sépulcrales comme celle que vous avez vue, sont à moitié éboulés et dangereux, mais il en existe encore de praticables. L'un notamment qui prend sous les anciennes arènes et suit l'antique canalisation d'eau reliée à l'un des quatre aqueducs. C'est par là que vous allez partir car le souterrain passe sous la rue d'Auron et sous ma maison. Il vous mènera hors de la ville, assez loin, à la tour des Bruyères, une vieille ruine sur le chemin de Dun-le-Roi. C'est là que vous trouverez aussi les j hommes de messire de Xaintrailles.

Il tendit la main, courtoisement, pour aider Catherine à se relever, mais la jeune femme, pas plus que les autres, ne bougeait.

Une ville bâtie sur des souterrains... On croit rêver !

Jacques Cœur eut un mince sourire.

Là où sont passés les Romains, les traces qu'ils ont laissées font, en effet, rêver. On ne conquiert pas un monde sans génie ! Mais un génie qui peut se révéler fort utile à un modeste marchand comme moi.

En regardant Arnaud sauter en selle, à l'aube du lendemain, sous les murs vétustés de la tour des Bruyères, Catherine éprouva une bizarre impression : celle qu'il venait, une fois encore, de lui échapper. D'un seul coup, par le simple fait de serrer de nouveau les flancs d'un cheval entre ses genoux, Arnaud dépouillait l'homme parvenu aux extrêmes limites de ses ressources qu'il avait été dans la maison de Jacques Cœur. Vêtu de daim noir sous une légère armure d'acier bleu que lui avait trouvée le maître pelletier, il portait, sur le tout, un ample manteau de cheval, également noir, dont le capuchon, rejeté en arrière, découvrait sa tête brune aux cheveux coupés court en une ronde calotte retrouvant ainsi la taille obligée par le port du heaume. Droit sur ses étriers, la tête fièrement redressée, il n'avait plus rien du prisonnier misérable du château de Sully, rien du proscrit, de la bête de chasse pour limiers d'un quelconque lieutenant criminel. Il était redevenu semblable à l'image hautaine que Catherine avait toujours gardée de lui. Il était de nouveau le seigneur de Montsalvy, et la jeune femme, le cœur un peu serré, se demandait si elle devait vrai ment s'en réjouir. Jamais il ne lui avait été si proche que dans ces jours de faiblesse physique et d'incertitude morale.

Les dix hommes d'armes envoyés par Xaintrailles, qui les avaient rejoints à la nuit tombante, ne s'étaient pas trompés, eux non plus, sur la qualité profonde de cet homme. Ils avaient instantanément reconnu en lui le guerrier et le chef et, d'un accord tacite, s'étaient pliés aussitôt à ses ordres. Pourtant, à voir leur mine arrogante et les nombreuses cicatrices qui décoraient leur figure tannée, on ne pouvait douter qu'ils n'appartinssent à l'élite militaire de l'époque, ou à la pire espèce de soudards, ce qui revenait à peu près au même. Et elle n'avait pas beaucoup aimé les regards, assez équivoques il est vrai dont elle avait été l'objet.

C'étaient tous des Gascons et tous, à la seule exception de leur chef, le gigantesque sergent Escornebœuf, de petits hommes noirauds, nerveux, avec des moustaches aiguës et des yeux de charbon. Mais c'étaient de terribles soldats, le contact perpétuel avec les terres anglaises de Guyenne ayant fait de la lutte contre l'envahisseur leur occupation quotidienne depuis qu'ils étaient capables de soulever une arme. En arrivant à la tour des Bruyères avec les chevaux destinés aux quatre fugitifs, le sergent Escornebœuf avait remis à Arnaud un pli scellé. Avec une stupeur amusée, celui-ci avait vu qu'il s'agissait d'un laissez-passer en bonne et due forme, signé et scellé par le Grand Chancelier de France, et enjoignant à tout un chacun de faciliter le voyage du baron de Ladinhac, se rendant avec sa femme, ses serviteurs et une troupe de dix hommes d'armes à Lectoure pour y joindre son souverain naturel le comte Jean V d'Armagnac.

Apparemment, Xaintrailles avait fait de la bonne besogne et n'avait rien laissé au hasard. Le Grand Sceau de France pendu à ce faux caractéristique faisait grand honneur à la fois à son sens de l'amitié, à ses relations et à son astuce.

Mentalement, Catherine avait adressé un remerciement ému à ce grand garçon roux et moqueur dont la brutalité joyeuse n'avait d'égal que le dévouement. Un regret aussi ! Dieu seul savait quand les Montsalvy reverraient leur ami !

Maintenant, la petite troupe chevauchait paisiblement sur l'antique voie romaine, encore distincte, qui, de l'ancienne Avaricum1, piquait droit vers les monts d'Auvergne à travers le Berry et le Limousin. Arnaud marchait en tête. Il montait un grand destrier noir et luttait contre l'ardent désir de lancer sa monture au galop. Il y avait si longtemps qu'il n'avait galopé ainsi dans le vent avec, derrière lui, le claquement joyeux des plis de son manteau. Mais l'état de Catherine exigeait une allure plus modérée et il lui fallait bien freiner son impétuosité naturelle. Derrière lui, Catherine venait, encadrée de Sara et de Gauthier. Elle avait retrouvé Morgane avec joie. Une joie que la petite jument semblait partager entièrement. Les oreilles bien droites, elle trottait allègrement, faisant danser sa queue dont le panache blanc luttait d'éclat avec la neige. Sara, elle, avait reconquis son Rustaud avec une entière satisfaction. Le poids, déjà considérable de la bohémienne, s'accommodait parfaitement des habitudes paisibles de l'animal et, pour le moment, indifférente au froid, elle sommeillait. Mais Gauthier, lui, ne dormait pas. De temps en temps, il jetait un regard en arrière vers l'énorme Escornebœuf qui fermait la marche avec ses Gascons. Entre les deux hommes, qui devaient être de force sensiblement égale, l'antipathie avait été immédiate. Il avait suffi pour cela d'un coup d'œil échangé, un coup d'œil que Catherine avait surpris et dont elle avait saisi le sens. Habitués à dominer les autres par le seul prestige de leur force, le Normand et le Gascon brûlaient d'envie de se mesurer l'un contre l'autre. Elle avait fait part de ses craintes à son époux.

1 Bourges.

– Tôt ou tard ils se battront, avait-elle chuchoté en regardant Escornebœuf qui s'essuyait le nez sur sa manche en contemplant d'un air rêveur Gauthier en train de seller Morgane.

– Si c'est une lutte courtoise, ce sera amusant de voir s'empoigner ces deux géants. Mais si c'est une vraie bagarre, je saurai bien les séparer. C'est au fouet que l'on dresse les fauves et j'en ai depuis longtemps l'habitude.

Cette réponse, bien dans la manière d'Arnaud, n'avait fait qu'augmenter les craintes de Catherine. Elle se promit de veiller au grain, mais elle ne put s'empêcher de penser que la vie serait infiniment plus simple si l'on pouvait débarrasser les hommes de ce goût immodéré qu'ils avaient de s'entretuer. Instinctivement, elle porta une main à son ventre. Celui qui, déjà, vivait là, serait-il, lui aussi, l'une de ces machines de guerre lucides et implacables ? Le sang ardent des Montsalvy étoufferait-il tout à fait celui, infiniment plus paisible, de sa mère et de son grand-père, le bon Gaucher Legoix, pendu parce qu'il aimait avant tout la paix ? Pour la première fois, Catherine eut peur de ce mystère vivant qu'elle portait au creux de sa chair.

À cette inquiétude, une autre s'enchaîna, tout naturellement : celle de l'inconnu qui s'ouvrait devant elle. Qu'allait-elle trouver au bout de cette route ? Qu'est-ce qui l'attendait dans ce pays d'Auvergne dont elle n'avait pas la moindre idée ?

Des montagnes, c'est-à-dire un aspect inédit de la nature pour la fille des plaines qu'elle était... des visages étrangers, une demeure nouvelle, une belle-mère... Au fond, c'était cette dernière image qui était la plus angoissante : la mère d'Arnaud !

D'elle, Catherine savait peu de chose, sinon que ses fils l'adoraient. Jadis, dans la cave des Legoix, avant d'être massacré par la populace parisienne, Michel de Montsalvy avait évoqué sa mère pour la fillette attentive qu'elle était ; une grande dame demeurée veuve de bonne heure avec deux garçons à élever, une lourde maisonnée, des terres. Il lui semblait encore entendre la voix de Michel : « Ma mère demeurera seule, avait-il dit, lorsque mon frère entrera, à son tour, dans la carrière des armes. Elle en souffrira sans doute, mais elle n'en dira rien. Elle est trop haute et trop fière pour une plainte. »

« Comment, songeait alors Catherine, la haute et fière châtelaine accueillerait-elle cette belle-fille inconnue, roturière de surcroît ? Et, s'il leur fallait vivre côte à côte, comment se déroulerait cette vie ? »

– À quoi penses-tu ? demanda Arnaud qu'elle n'avait pas vu revenir vers elle, absorbée qu'elle était dans sa songerie.

Elle sourit à son expression anxieuse et, comme il ajoutait :

– Tu n'es pas bien ? Tu es lasse peut-être ?

– Non, répondit-elle, je réfléchissais seulement.

– À quoi ?

– A ce qui nous attend... à ton pays... ta famille.

Un brusque sourire fit briller les dents d'Arnaud, il se pencha sur sa selle, entoura d'un bras les épaules de Catherine et appuya vivement ses lèvres sur sa tempe.

– À moi tu peux bien l'avouer, chuchota-t-il. Tout cela te fait peur, non ?

– Un peu... oui.

– Tu as tort. Si tu aimes l'Auvergne, elle te le rendra au centuple. Quant à ma mère, puisqu'elle est à elle seule toute la famille directe, je crois que tu lui plairas. Elle aime avant tout le courage...

Réglant le pas de son cheval sur celui de Morgane qui faisait des grâces au grand étalon noir, Arnaud, longtemps, parla de son pays à sa femme. Peu à peu, elle oublia le paysage mollement vallonné sous sa couche de neige pour imaginer un haut plateau venté, s'écroulant en pentes rocheuses et boisées sur une vallée profonde où coulait une rivière, des monts bleus dans les brumes du matin, violets quand le soleil se couche, des rochers noirs et des eaux blanches. Elle avait hâte, tout à coup, d'atteindre cet étrange pays où, peut-être, le bonheur l'attendait, embusqué derrière les murs adoucis de lierre d'un vieux château qui n'avait plus besoin d'être forteresse. Elle en oubliait même la menace redoutable que faisait peser sur le pays l'ombre maléfique du routier espagnol. Mais Arnaud, lui, ne l'oubliait pas... Après un moment de silence, il dit, la voix assombrie :

– Et tout cela maintenant est menacé, en danger, parce que l'insatiable rapacité d'un La Trémoille a décidé de s'approprier un fief au mépris de tout droit féodal ! Le temps me dure d'arriver là-bas... oui, le temps me dure !

Tant que l'on fut en terre berrichonne, relativement protégée encore par le séjour permanent du Roi et demeurée à peu près cultivée, le voyage fut sans histoire. La nourriture était rare et chère, mais l'or prêté par Jacques Cœur si généreusement – Arnaud n'avait pu lui faire accepter la moindre reconnaissance de dette faisait entrouvrir bien des huches et bien des poulaillers dans les auberges où l'on s'arrêtait. Mais le décor changea et tout devint singulièrement difficile quand on aborda le rude et sauvage pays de Limousin. C'était le pays des vastes solitudes, des monts courts, coupés de vais creux que l'hiver faisait sinistres, des marécages figés par le gel dont les glaces troubles étreignaient encore des roseaux morts. Les rares villages s'enfouissaient dans les bas-fonds broussailleux comme s'ils cherchaient à se cacher du ciel lui-même, si pauvres que les petites églises grises, naïves et pures n'y étaient couvertes que de chaume. Jadis, les paysans cultivaient le seigle, les raves, les choux et un peu de blé, la vigne aussi dans le bas pays, plus sec. Mais tant de troupes avaient passé et repassé, Anglais, Armagnacs, Bourguignons, routiers et brigands, l'allié aussi rapace que l'adversaire, que la terre limousine, découragée, était retournée à la sauvagerie primitive.

Les hommes d'armes avaient raflé le bétail que la maladie n'avait pas décimé et, sous la griffe noire de la faim, tout le pays agonisait lentement.

Le bonheur qu'avait procuré à Catherine le départ de Bourges, au début de cette longue route qui allait la conduire vers son nouveau foyer, s'était éteint peu à peu depuis que l'on était entré dans cette terre de misère. Chaque pas de Morgane augmentait le poids qui s'accumulait sur sa poitrine. L'oppressant silence de ces campagnes désertes, de ces pitons hérissés de forteresses noires et muettes agissait lentement sur elle. Quand, d'aventure, on apercevait un être humain, il fuyait aussitôt devant cette troupe armée et quand un regard croisait le sien Catherine n'y voyait jamais rien d'humain. Les hommes étaient devenus autant de loups. Mais, parmi ces loups, la jeune femme n'allait pas tarder à s'apercevoir que les Gascons d'Escornebœuf étaient les pires.

Quand furent épuisées les quelques provisions que l'on avait pu garder, la nourriture quotidienne devint une aventure. Il fallait chercher de quoi manger sur le chemin et le voyage s'en trouvait ralenti d'autant. Les jours étaient courts, la nuit venait tôt, obligeant à la halte, car les marais et les fondrières tendaient autant de pièges aux voyageurs nocturnes.

De plus, Catherine était inquiète pour elle-même. Ce voyage, à la fois lent et pénible, la fatiguait au-delà de toute imagination. Des douleurs la traversaient souvent et la nuit, quand elle reposait entre les bras d'Arnaud, dans l'un ou l'autre des abris de fortune qu'ils trouvaient, elle avait de plus en plus de peine à trouver le sommeil. Sa nervosité montait en proportion. Un soir, entre Catherine et Arnaud, le premier drame éclata.

On s'était arrêté pour la nuit dans une chapelle à ; demi ruinée au cœur de l'épaisse forêt de Chabrières et, comme il avait coutume de le faire chaque soir, Gauthier s'était enfoncé dans la forêt, sa fidèle hache à la main, pour tenter de chasser.

Les Gascons avaient allumé un feu auprès duquel Catherine et Sara s'étaient réfugiées, puis, laissant trois hommes d'armes de garde, s'étaient éloignés, eux aussi, à la recherche de quelque chose à manger. On n'avait absorbé, depuis la veille, qu'une bouillie faite de châtaignes trouvées dans une grange isolée dont les soldats avaient enfoncé la porte. Les dents étaient longues et la mauvaise humeur régnait. Dans l'enclos de pierres sèches où l'on avait parqué les chevaux, Arnaud s'occupait à soigner Rustaud qui boitait à cause d'une pierre entrée dans un sabot. Catherine tendait les mains vers le feu que Sara attisait en essayant d'oublier sa faim.

Soudain, le silence éclata en imprécations et en cris de douleur. Deux des Gascons sortirent d'un fourré, traînant un paysan qui se débattait de toutes ses forces. À l'épaule de leur prisonnier pendaient deux lièvres pris au collet. L'homme hurlait, implorait qu'on lui laissât le produit de sa chasse, jurant que, dans sa cabane, une femme et quatre enfants mouraient de faim, mais les autres ne l'écoutaient pas. Leurs rires féroces couvraient la voix du malheureux. Catherine bondit sur ses pieds, voulut courir vers le groupe, mais, déjà, Escornebœuf l'avait devancée. Ce fut rapide. Le poing énorme du Gascon se leva et s'abattit. Il y eut un craquement sec, semblable à celui d'une noix qu'on casse, et le paysan s'abattit, le crâne fendu, sans une plainte, juste aux pieds de Catherine. Elle vacilla, révulsée d'horreur, mais une brutale colère la maintint debout et la jeta, furieuse, sur l'un des hommes qui, penché sur le cadavre, lui enlevait les lièvres. D'un geste brusque, elle lui arracha les animaux puis tourna sa rage vers le meurtrier.

– Espèce de brute ! De quel droit avez-vous frappé cet homme ? Qui vous en a donné l'ordre ? Vous l'avez tué... tué un innocent alors qu'il ne vous avait rien fait...

Folle d'une colère qui avait du moins le mérite de la libérer de son écœurante peur physique, elle allait sauter au visage du Gascon, toutes griffes dehors, quand Arnaud, qui accourait, la saisit par les bras et la retint fermement.

– Catherine ! Es-tu folle ? Qu'est-ce qu'il te prend ?

Des larmes brûlantes jaillirent des yeux de la jeune femme et elle tourna vers son mari son visage noyé de pleurs.

– Ce qu'il me prend ? Est-ce que tu n'as pas vu ? Est-ce que tu ne vois pas ce cadavre devant toi ? Cet homme a tué un malheureux paysan pour rien, pour ça...

Du pied, elle repoussait les dépouilles des lièvres comme elle eût fait d'un serpent mort.

– Il criait trop ! Sang de Dious ! coupa le Gascon. Je n'aime pas qu'on crie !

– Et moi, coupa Arnaud doucement, je n'aime pas qu'on tue sans raison, l'ami ! Tu voudras bien te souvenir d'attendre mes ordres, à l'avenir, pour frapper, sinon je saurai t'apprendre l'obéissance. Maintenant, fais emporter le cadavre. Deux de tes hommes creuseront une tombe dans l'enclos. C'est une terre chrétienne. Pendant ce temps, Sara dépouillera et fera rôtir ce gibier.

Tout en parlant, il avait gardé un bras autour des épaules de Catherine qui pleurait doucement contre sa poitrine, mais elle s'écarta brusquement de lui et le regarda avec des yeux agrandis où, déjà, la colère revenue séchait les larmes.

– Hé quoi ? C'est là toute la punition que tu infliges à cet assassin ? Et c'est toute l'oraison funèbre que tu adresses à ce pauvre homme ? Qu'on l'enterre et qu'on n'en parle plus ?

– Que puis-je faire de plus ? Je regrette que cet homme ait été tué, mais, puisqu'il est mort, il n'y a rien d'autre à faire qu'à l'enterrer. C'est plus que n'en reçoivent bien des hommes qui n'ont pour sépulture que l'estomac des loups ou celui des corbeaux...

Peut-être parce que Escornebœuf avait eu vers lui, en s'éloignant avec le cadavre, un regard ironique, Arnaud avait répondu avec une certaine raideur qui augmenta l'indignation de Catherine.

– Je n'ai jamais confondu un soldat et un meurtrier ! s'écria-t-elle. Cet homme a tué froidement, sans raison. Il doit être puni selon la loi des autres hommes.

– Ne dis pas de sottises, Catherine, répondit Arnaud d'un ton las. Nous n'avons pas trop d'hommes et Dieu sait ce qui nous attend en Auvergne. Après tout, il s'agit seulement d'un manant...

Le mot souffleta Catherine. Elle sentit une profonde tristesse l'envahir, mais, cabrée, elle se redressa, fit face fièrement.

– Un manant ? fit-elle amèrement. Peu de chose en effet... aux yeux de tes pareils, du moins, car, aux yeux des miens, un manant c'est tout de même un homme !

– Mes pareils ? Tu leur appartiens, il me semble... Elle haussa les épaules, prise d'un total découragement. Leur vie commune serait-elle toujours basée sur une incompréhension profonde et l'amour passionné qui les unissait saurait-il combler le fossé originel qui séparait toujours le seigneur héréditaire de Montsalvy de la fille de l'orfèvre du Pont-au-Change ? Mais pouvait-elle lui dire qu'à cet instant elle se sentait infiniment plus proche de ce paysan massacré que de lui– même dont, cependant, elle portait le nom ?

–~ Je me le demande ! murmura-t-elle en se détournant. Oui, en vérité, je me le demande ! Fais à ta guise... mais je ne mangerai pas de ce gibier. Il coûte trop cher pour moi !

Les yeux noirs d'Arnaud lancèrent un éclair. Il ouvrit la bouche pour répliquer, peut-être sur le mode agressif, mais, à cet instant précis, Gauthier Malencontre sortit du bois. En travers de ses épaules, il portait un sanglier que, les yeux fixés sur Arnaud, il vint jeter devant Catherine.

– Vous aurez tout de même un bon repas, dame Catherine...

Les deux hommes, le chevalier et le Normand, demeurèrent un moment face à face, le regard noir planté dans le regard gris. La main d'Arnaud s'abaissa jusqu'à la garde de son épée puis retomba. Avec un haussement d'épaules, il tourna les talons.

– Agis comme tu voudras !... jeta-t-il à Catherine avant de disparaître derrière la chapelle.

Elle le regarda s'éloigner en silence, inquiète de cette blessure que Gauthier venait d'infliger à son orgueil, mais elle n'osa pas le suivre. A cet instant, ils ne pouvaient se comprendre. Mais, quand il revint, un long moment après, elle s'était assise à l'écart, enveloppée dans son grand manteau, regardant Sara qui tournait, au-dessus du feu, un cuissot de sanglier sur une broche improvisée. Il vint droit à elle, se laissa glisser à terre et posa sa tête sur les genoux de la jeune femme.

– Pardonne-moi, murmura-t-il... Je crois qu'il te faudra beaucoup de patience, mais j'essayerai de comprendre... de te comprendre !

Pour toute réponse, elle se pencha et posa ses lèvres dans les rudes cheveux noirs. Un moment, ils oublièrent le froid, la nuit, la guerre et goûtèrent un peu de paix. Doucement, il l'enleva dans ses bras, l'emporta à l'écart, là où les regards des autres ne pourraient les atteindre. L'ombre de la petite chapelle s'étendit sur eux, les retranchant du monde. Arnaud enveloppa soigneusement Catherine dans plusieurs couvertures puis s'étendit près d'elle, refermant sur eux deux son propre manteau.

– Tu es bien ? demanda-t-il.

– Très bien... mais Arnaud, j'ai peur. Je voudrais tant être arrivée, à cause de l'enfant. Il bouge beaucoup, tu sais...

– Nous essayerons de forcer l'allure. Tâche de dormir, mon amour. Tu as besoin de paix et de calme.

Il baisa passionnément ses lèvres froides et elle finit par s'endormir. Longtemps, il la contempla, n'osant bouger pour ne pas l'éveiller, remué par une émotion profonde. Chaque jour qui passait la lui rendait plus chère et plus précieuse.

Plus loin, les Gascons s'étaient installés autour d'un autre feu où rôtissaient les lièvres. Eux aussi semblaient en paix car, pour eux, la vie et la mort s'enchaînaient, logiquement, en une chaîne sans fin...

Mais quand, dans le jour blême et pauvre du matin suivant, on se remit en route à travers les taillis dénudés et le vent aigre venu du nord, Catherine constata que le physique d'Escornebœuf avait subi quelques modifications. Le colosse tentait vainement de cacher entre son chapeau de fer et son manteau de cheval un visage qui, visiblement, en avait vu de cruelles. Un œil magistralement poché, des égratignures encore fraîches et tout un assortiment de bleus, allant de l'azur au violet foncé, lui composaient une bien étrange physionomie. Cherchant le regard d'Arnaud, la jeune femme vit qu'il était également fixé sur le sergent et qu'il étincelait d'une gaieté qui n'atteignait cependant pas les lèvres. Il sourit, pourtant, tendrement à sa femme, puis se tourna vers Gauthier. Le Normand, les yeux mi-clos, chevauchait paisiblement, les mains nouées sur le ventre, avec la mine satisfaite d'un gros chat qui vient de laper un bol de lait. 11 avait vraiment l'air trop bonasse pour ne pas être à l'origine du bariolage matinal d'Escornebœuf... Un dernier regard acheva de convaincre Catherine : celui, meurtrier, brûlant de haine que le Gascon adressa au géant. Apparemment, il avait reçu, dans la nuit, une sévère correction qu'il n'était pas près d'oublier, mais, si Catherine s'en réjouissait, elle n'aimait guère traîner ainsi après elle des rancunes en puissance qui menaceraient la sécurité du groupe et risquaient d'engendrer de graves conflits.

Le plateau granitique s'affaissa soudain et le chemin dévala à flanc de coteau vers un étroit village où ne se montrait pas le moindre signe de vie. Aucune cheminée ne fumait, rien ne bougeait... hormis, un peu en dehors, près d'un calvaire, un groupe confus qui s'agitait bizarrement. Plusieurs hommes se penchaient sur quelqu'un qui bougeait frénétiquement.

Catherine vit qu'Arnaud, toujours en avant, s'était arrêté au bord de la descente et, debout sur ses étriers, regardait. Elle poussa Morgane pour le rejoindre, mais déjà, piquant des deux, il fonçait à tombeau ouvert dans le chemin raide. Les derniers rayons d'un soleil pâle allumaient des reflets sur l'acier de l'épée qu'il avait tirée.

– Des malandrins, fit Gauthier auprès de Catherine. Ils attaquent quelqu'un. Je vais l'aider.

– Non, reste !... Il n'aimerait pas que tu lui prennes cela...

En effet, au bas de la sente, Arnaud, dédaignant l'avantage que lui donnait son cheval, avait sauté à terre et, l'épée haute, tombait comme la foudre sur les malandrins. Ce fut vite et bien fait. Le premier tomba sans un cri, la gorge traversée, le second avait tiré un long couteau et fit face, mais, comme il attaquait, le poing gauche du chevalier, armé d'une dague, se leva et frappa. L'homme poussa un cri affreux. L'épée atteignit le troisième comme il essayait de voler le cheval pour s'enfuir avec. Alors seulement Catherine vit qu'un homme était couché sur les marches du calvaire, blessé sans doute. Arnaud, fichant en terre son épée sanglante, s'agenouillait près de lui.

– Vite ! dit Catherine. Cette fois, il a besoin de nous...

Ses talons pressèrent le flanc de Morgane et toute la troupe, derrière elle, dévala le coteau au grand trot. Devant le calvaire, Catherine et Sara mirent pied à terre, rejoignirent Arnaud.

– C'est un pèlerin, dit-il... et qui semble bien misérable ! Comment peut-on attaquer quelqu'un de si dépourvu !

Bah ! fit derrière lui la voix goguenarde d'Escornebœuf. Ces pèlerins cachent souvent sous leurs haillons plus d'or qu'on ne pense. J'en ai connu qui étaient de bonne prise et...

– Assez ! coupa Arnaud brutalement. Les errants de Dieu sont sacrés ou devraient l'être... Va voir s'il est possible de rester dans ce hameau. Il semble vide mais on ne sait jamais. Et souviens-toi de mes ordres : ne moleste personne !

– Oui, seigneur ! grogna le Gascon de mauvaise grâce. Pied à terre, vous autres !

Tandis que Sara ouvrait le coffre de cuir qui contenait des remèdes et des pansements, Catherine avait pris sur ses genoux la tête du pèlerin évanoui. C'était un vieillard si maigre que sa peau parcheminée semblait collée à son squelette.

Des broussailles grises de sa longue barbe et de ses cheveux jaillissaient un grand nez courbe et les globes proéminents de ses yeux sous les paupières fripées. En vérité, son équipement n'inspirait guère la convoitise. Le long manteau qu'il portait sur un pourpoint et des chausses rapiécées était effiloché par les ronces du chemin, roussi par des soleils innombrables, verdi par les pluies. Des paquets de chiffons où des taches rousses disaient les plaies enveloppaient ses pieds. Un vieux chapeau de feutre dont le bord retroussé était timbré d'une coquille avait roulé un peu plus loin, dans la boue épaisse du carrefour.

Avec émotion, tandis que Sara étanchait le sang qui coulait du front du vieillard, Catherine passait un doigt tremblant sur les coquilles cousues sur la vieille houppelande. L'homme lui rappelait son vieil ami Barnabé. Ce manteau, si semblable à celui dont le Coquillard s'habillait, aussi effiloché, aussi minable, portait cependant sur lui le poids de pénitence et de renoncements qui n'avaient jamais été le fait de Barnabé.

– Il vient de Compostelle, dit-elle d'une voix enrouée en passant d'une coquille à une petite effigie de saint Jacques, en étain, cousue au revers du pèlerin.

– Il vient de plus loin encore, ma mie, fit la voix grave d'Arnaud. Regarde...

Il désignait, pendues à une ficelle au cou du vieillard, une petite palme de plomb et une croix. Et Catherine, étonnée, le vit s'agenouiller dans la boue et baiser respectueusement les loques sanieuses des pieds de l'homme.

– Que fais-tu ?

– Je lui rends l'hommage dû à ses pareils. Il vient de Jérusalem, Catherine. C'est un pèlerin de Terre Sainte, un Grand Pèlerin, et les pieds que je baise ont foulé le sol qui porta le Seigneur.

Saisies, Catherine et Sara demeurèrent immobiles. Le vieillard semblait, tout à coup, avoir grandi jusqu'à des dimensions surnaturelles et un profond sentiment de vénération s'emparait d'elles. Les pèlerins de Terre Sainte étaient rares si les grands sanctuaires chrétiens drainaient toujours des foules ferventes. Il fallait être un bien grand saint... ou avoir commis un bien grand crime pour s'en aller si loin, à travers tant de dangers, demander grâce et pardon !

Mais le pèlerin revenait à lui. Ses paupières se soulevaient, découvrant dans le jour déclinant des prunelles bleues comme un ciel d'été. Il essaya de se relever, y parvint avec l'aide du bras de Sara et regarda le couple agenouillé à ses pieds avec beaucoup de gentillesse.

– Loué soit Jésus-Christ ! dit-il, et grâces vous soient rendues à vous qui m'avez porté votre aide. Sans vous, je crois bien que...

Il s'interrompit. Son regard était tombé sur les cadavres des trois bandits et des larmes y montèrent.

– Fallait-il qu'ils mourussent à cause de moi ?... et en état de péché ?

– C'étaient eux ou vous, dit Arnaud doucement. Ceux qui attaquent les errants de Dieu ne méritent ni pitié ni merci.

– Ils avaient faim, sans doute, dit le pèlerin doucement. Je prierai pour eux quand je serai au terme de mon voyage.

Le temps du repos n'est donc pas encore venu pour vous ? Pourtant, vous venez de bien loin, il me semble.

Les yeux clairs du pèlerin se firent si lumineux que Catherine eut l'impression que l'hiver s'effaçait et qu'un rayon de soleil l'enveloppait.

– Oui... de bien loin, dit-il. J'ai vu le tombeau du Maître et, toute la nuit, j'ai prié sous les oliviers de l'Agonie. J'avais voulu cela parce que moi, indigne et misérable, j'avais reçu une insigne faveur. J'étais un simple maçon qui, de tout son cœur, travaillait aux cathédrales quand Dieu permit que je perde la vue. Le désespoir m'entraîna alors bien loin, plus loin encore que vous n'imaginez, car je blasphémai et doutai de Dieu. De honte, je voulus par mortification m'en aller implorer mon pardon au tombeau de saint Jacques qui a reçu pouvoir de guérir les âmes amères. Je rejoignis, au Puy, une caravane et je fis le long chemin qui mène en Galice. Et là... pouvez-vous concevoir la joie qui fut la mienne ?... là, soudainement, la vue me fut rendue. Je vis le ciel violet et l'énorme cathédrale, la ville blanche et le tombeau flamboyant sous les cierges. Pour tant de grâce, il fallait un grand remerciement. Alors, j'ai voulu m'en aller jusqu'en Terre Sainte.


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