Текст книги "Belle Catherine"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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– Messire... des hommes approchent à la faveur de la nuit. J'entends des pas aux alentours, des pas que l'on essaie d'étouffer !
– Nombreux ?
– Je ne saurais évaluer, Messire... mais certainement plus de vingt hommes.
Instinctivement, Catherine s'agrippa à la main de son mari. De l'autre elle serra l'enfant contre elle, reprise par la peur.
Il sentit son angoisse car il serra doucement les doigts tremblants et sa voix mordante ne trahit aucun trouble.
– Eh bien mais... qu'ils approchent. Escornebœuf !... Tu vas te poster à l'entrée avec tes hommes ! Toi aussi, Gauthier
! Personne, je pense, ne passera. Quant à moi, je suffirai à venir à bout de Monsieur que voilà dont la vie ne vaudra plus un maravédis... C'est bien ainsi que l'on dit en Castille ? ajouta-t-il avec un sourire menaçant à l'égard de son prisonnier...
si ses hommes se montrent trop menaçants !
Villa-Andrado haussa les épaules d'un air excédé.
– Ils n'approcheront pas ! Chapelle, mon lieutenant, est loin d'être stupide. Il sait la manière de débusquer un sanglier de sa bauge... Quant à me tuer froidement, comme tu m'en fais menace, je n'en crois rien. Tu n'as jamais égorgé un homme désarmé, Montsalvy, je te connais... et Chapelle aussi ! Le plus mauvais caractère de toute l'armée française, mais la plus parfaite expression de la chevalerie.
Le ton railleur de l'Espagnol ôtait beaucoup de poids à ce compliment qu'Arnaud, d'ailleurs, dédaigna.
– J'ai peut-être changé... d'autant plus que j'ai femme et enfant !
Non... Les hommes comme toi ne changent pas ! Madame, ajouta-t-il à l'adresse de Catherine, dont les yeux inquiets allaient de l'un à l'autre des deux adversaires, dites à votre époux qu'il va commettre une sottise. Depuis que je sais votre présence, je ne suis plus votre ennemi ! Je connais, moi aussi, les règles de la chevalerie et ce qu'un noble Castillan doit à une dame de votre rang... et de votre beauté !
– Messire, répondit Catherine d'une voix tremblante, ce que fait mon époux est, pour moi, bien et sagement fait. C'est à lui qu'il appartient de décider et s'il choisit de mourir ici, je mourrai sans regrets avec lui.
– N'avez-vous mis un fils au monde que pour l'en retirer si tôt ?
La jeune femme n'eut pas le loisir de répondre. Sara s'était dressée avec un cri de terreur, écho du hurlement de douleur de l'un des Gascons. A l'entrée de la grotte, une grêle de flèches s'abattit. L'une d'elles était entrée dans la poitrine du soldat. Mais ces flèches avaient ceci de particulier qu'elles portaient toutes, en guise d'empennage, un paquet d'étoupe enflammé. Bien que Gauthier et Escornebœuf se fussent précipités pour les éteindre, elles étaient si nombreuses qu'en un instant la grotte s'illumina jusqu'aux arêtes vives de sa voûte et s'emplit d'une épaisse fumée. Catherine serra convulsivement son fils contre son cœur.
– Ils veulent nous enfumer, ou même nous brûler vifs ! gronda Gauthier.
Mais Arnaud avait bondi, si rapide que Villa– Andrado n'eut pas le loisir de parer l'attaque. L'Espagnol se retrouva, les deux bras paralysés par la poigne de fer du chevalier tandis que, sur sa gorge, se faisait sentir le désagréable contact d'une lame nue.
– Crie-leur d'arrêter ! gronda Montsalvy, ou, foi d'Auvergnat, je te saigne comme un poulet, chevalerie ou non ! On ne prend pas tant de précautions avec les bêtes puantes.
Malgré le danger, Villa-Andrado parvint à sourire.
– Je veux bien... mais cela ne servira à rien, je le crains. Tant que je ne l'aurai pas rejoint, Chapelle continuera son attaque. Après tout... il estime depuis longtemps qu'il saurait, aussi bien que moi-même, mener mes hommes. Ma mort lui donnerait de l'avancement.
La dague s'approcha encore, mordit légèrement la peau où parut un filet de sang. Catherine, les yeux piqués par la fumée, se mit à tousser, portant à son comble l'exaspération d'Arnaud.
– Fais quelque chose, alors, ou tu es mort !
– Je ne crains pas la mort si elle présente une quelconque utilité, mais j'ai horreur des choses vaines ! Allons dehors, toi et moi. En me voyant, Chapelle cessera son tir de peur de m'atteindre. Il accepterait, sans doute, que tu me tues, mais ne prendrait pas le risque de le faire lui-même.
Sans répondre et sans déplacer sa dague, Montsalvy poussa l'Espagnol au-dehors. Catherine tendit une main pour le retenir, mais ils étaient déjà à la sortie, éclairés par les flammes des dernières torches volantes. Les flèches cessèrent de tomber.
– Porte-moi dehors, cria Catherine à Gauthier, je veux rester avec mon époux !
La jeune femme étouffait. Elle était à deux doigts de s'évanouir, mais le Normand hésitait. Les deux hommes étaient hors de vue. Elle entendit cependant la voix de l'Espagnol qui criait :
– Arrête, Chapelle ! C'est un ordre ! Cesse de tirer !
Puis une autre voix, grossière et éraillée par trop d'ordres hurlés au cours d'une vie entière.
– Pas plus d'un quart d'heure, Messire ! Ensuite, j'attaquerai de nouveau, dussiez-vous y laisser la vie ! Je sais qu'il y a des femmes. Dites à ces gens que, s'ils ne vous lâchent pas, je ne leur ferai ni grâce ni quartier. Les hommes seront écorchés vifs, les femmes éventrées après avoir distrait les soldats. Et puis... je dirai un De Profundispour votre âme.
Une quinte de toux si violente secoua Catherine que Gauthier n'hésita plus. Il confia l'enfant à Sara, puis, enlevant la jeune femme dans ses bras avec les manteaux, les couvertures et même une bonne partie de la paille, il la transporta à l'air libre, hors de la grotte. Elle aspira avidement l'air froid de la nuit. Le Normand la déposa sur une roche plate où Sara vint la rejoindre avec le bébé. D'où elle était, elle pouvait entrevoir le torrent écumant et, entre les arbres, des silhouettes imprécises qui jetaient parfois un éclair d'acier. La lune se levait derrière les croupes montagneuses, précisant de plus en plus le paysage. Elle vit aussi Arnaud, maîtrisant toujours l'Espagnol, debout tous deux à quelques pas. La voix pressante de Villa– Andrado lui parvint :
– Me tuer serait pour toi une faible satisfaction, Montsalvy, et un mince réconfort au moment où mes hommes violeront ta femme sous tes yeux. Ce sont des Navarrais et des Basques, des montagnards à demi sauvages qui n'aiment que le sang et ignorent la pitié. Tu es dans une impasse dont, seul, je peux te tirer.
– Comment ?
La voix d'Arnaud était toujours aussi inflexible et, d'où elle était, Catherine pouvait maintenant voir clairement son profil net, découpé par le rayon de lune. Le groupe étrange qu'il formait avec VillaAndrado se détachait sur le fond plus sombre des bois en pente et, brusquement, elle eut peur, pour elle et pour l'enfant, de l'orgueil d'Arnaud. Il ne céderait pas
! même au prix de leurs vies.
– Rends-moi la liberté ! Bientôt il sera trop tard. Ils flairent le sang et rien ne les arrêtera, pas même moi, si Chapelle les lance.
Comme pour lui donner raison, la voix rugueuse du lieutenant leur parvint et l'angoisse mordit Catherine si violemment qu'elle faillit crier.
– Le temps passe, Messire ! Il n'en reste plus beaucoup ! dit Chapelle.
L'Espagnol reprit, plus pressant :
– Je te l'ai dit, à cause de ta femme, de ton fils, je renonce à faire acte d'ennemi. J'en donne ma parole de Castillan et de chevalier. Je me souviendrai seulement que nous avons, jadis, combattu côte à côte...
La dague quitta enfin le cou de Villa-Andrado, mais ne s'abaissa que faiblement.
– Tu le jures sur la croix ?
– Je le jure sur la croix et sur le nom sacré de Notre-Seigneur qui est mort pour tous les hommes !
Alors seulement le bras de Montsalvy retomba. Sa main gauche libéra les poignets qu'il avait tenus serrés tout ce temps. Un grand soupir allégea la poitrine oppressée de Catherine.
– C'est bien. Tu es libre, mais puisses-tu brûler une éternité en enfer si tu m'as trompé, dit Arnaud.
– Je ne t'ai pas trompé...
L'Espagnol fit quelques pas vers les soldats qui, insensiblement, s'étaient rapprochés. Leur cercle de fer enfermait maintenant l'espèce de plate-forme étroite où s'ouvrait la grotte et Catherine, à demi morte d'épuisement et de terreur, pouvait voir luire les fauchards de guerre, les guisarmes et les haches dans les poings d'hommes à l'aspect barbare. Tout ce sauvage appareil guerrier qui menaçait la vie fragile d'un enfant, de son enfant à elle !
La voix de Villa-Andrado s'éleva, vigoureuse, répercutée par l'écho, semblable dans son ampleur à quelque trompette de jugement dernier.
– Je suis libre et la paix est faite ! dit-il. Merci à toi, Chapelle !
– Nous n'attaquerons pas ? fit un petit homme mince et fluet qui s'était détaché des rangs et que Rodrigue de VillaAndrado dominait de toute la tête.
C'était très certainement le fameux Chapelle et Catherine sentit l'inquiétude lui revenir en décelant un regret dans sa voix.
– Non. Nous n'attaquerons pas.
– Et si... pourtant, nous préférions attaquer, moi et mes hommes ? Avez-vous oublié que le seigneur de Montsalvy est recherché comme traître et criminel d'État ?
Le coup partit avant que quiconque n'eût pu le pré voir. Le poing de l'Espagnol se leva et Chapelle alla rouler jusqu'au torrent.
– Je pendrai de mes mains quiconque discutera mes ordres !
Et mes ordres sont les suivants. Que l'on aille au château chercher une litière et que l'on fasse préparer une chambre.
Toi, Pedrito...
La suite du discours, en espagnol, fut incompréhensible pour Catherine, mais déjà Arnaud s'interposait.
– Un instant ! Nous ne nous battrons pas, mais je refuse ton hospitalité. Je ne franchirai l'enceinte de Ventadour que lorsque son légitime propriétaire m'y attendra.
– Ta femme a besoin de repos, de nourriture !...
– Cesse de te préoccuper de ma femme ! Nous partirons quand le jour se lèvera. Rentre dans ton repaire et quittons-nous ici... Accepte cependant mes remerciements.
Le visage sombre de Villa-Andrado se détourna. Son regard accrocha au passage celui de Catherine, puis se détourna, envahi d'une sorte de gêne.
– Non. Tu ne me dois aucun remerciement... Tu comprendras plus tard pourquoi je ne veux pas être remercié. Adieu donc, puisque tu le veux... Nul ne t'inquiétera sur les terres de Ventadour.
Il fit quelques pas et plia le genou devant Catherine, l'enveloppant d'un regard brûlant sous lequel, à son tour, elle rougit.
– J'avais espéré vous recevoir en reine, belle dame. Pardonnez-moi de vous laisser ici. Un jour, peut-être, aurai-je la joie...
– Cela suffit ! coupa Arnaud durement. Va-t'en !
Avec un haussement d'épaules, Villa-Andrado se releva, mit la main sur son cœur pour saluer Catherine et se détourna.
La jeune femme vit la grande silhouette rouge s'éloigner entre les arbres, dans la lumière argentée. Cet homme étrange l'intriguait, mais ne lui inspirait aucune aversion. Il avait agi en gentilhomme et elle en voulait un peu à Arnaud d'avoir refusé son hospitalité. Elle eût tant aimé un bon lit, un grand feu flambant, quelque chose de chaud à boire et aussi plus de sécurité pour le bébé qui dormait dans les bras de Sara. Le froid de la nuit la saisit et elle frissonna. Mais le léger soupir qu'elle avait poussé n'avait pas échappé à Sara.
– En vérité, voilà de bien beaux sentiments ! fit– elle avec humeur en s'adressant à Montsalvy, mais avec quoi pensez-vous nourrir votre épouse, dans l'état de faiblesse où elle se trouve ? C'est fort bien de jouer les difficiles et de trancher en dédaigneux, mais il faut que Catherine mange, sinon l'enfant n'aura pas de lait et...
– La paix, femme ! coupa le jeune homme avec lassitude. J'ai fait ce que mon honneur commandait. Que peux-tu comprendre ?
– Ceci : il faudra donc que Catherine et l'enfant dépérissent à cause de votre honneur ? En vérité, Messire, vous avez une étrange façon d'aimer.
Le reproche le cingla. Il se détourna de Sara, se pencha vers Catherine, à son tour, l'enleva dans ses bras.
– Penses-tu aussi que je ne t'aime pas, mon amour ? Peut-être Sara a-t-elle raison et suis-je trop dur, trop fier !... Mais il m'était si pénible d'accepter l'hospitalité de cet homme. Je n'aime pas sa manière de te regarder...
– Je ne te reproche rien, dit-elle en nouant ses bras autour du cou de son mari et en posant sa tête contre son épaule...
Je suis forte, tu le sais... Mais j'ai froid. Ramène-moi dans la grotte. Peut-être la fumée est-elle dissipée. J'ai si peur que le petit ne prenne mal !
La fumée était dissipée. Il ne restait plus qu'une vague odeur, insuffisante pour incommoder. Tandis qu'Arnaud réinstallait Catherine, Sara s'occupa de rallumer du feu à l'entrée. Gauthier s'était esquivé pour voir si les cadavres des chevaux, qui avaient été tués durant le combat, étaient demeurés sur place. Il voulait en dépecer un pour en faire rôtir quelques quartiers. Mais à peine était-il parti que trois hommes apparurent. Deux d'entre eux portaient une grande corbeille couverte d'un linge blanc, le troisième une petite aiguière d'argent. Tous étaient vêtus du tabard armorié, timbré des barres et du croissant de l'Espagnol. Ils saluèrent d'un même mouvement, posèrent leur charge à l'entrée de la grotte. Le plus grand vint à Catherine, tira un parchemin roulé de sous sa tunique et, genou en terre, le tendit à la jeune femme. Puis, sans attendre de réponse, il salua, fit demi-tour et disparut avec ses camarades avant qu'Arnaud, Sara ou Catherine médusés eussent fait un geste. Mais la surprise ne dura pas. Sara courut à la corbeille, souleva le linge.
– Des vivres ! s'écria-t-elle joyeusement. Des pâtés, des volailles rôties, du pain blanc ! Doux Jésus ! Voilà combien de temps que nous n'avons goûté de telles merveilles ! Et là, dans l'aiguière d'argent, il y a du lait pour le petit ! Dieu soit béni !
– Un instant ! coupa Arnaud sèchement.
Il prit le parchemin que Catherine n'avait pas encore songé à dérouler, le lut. Son beau visage devint pourpre.
– Par le diable ! s'écria-t-il, ce damné Castillan se moque de moi... Comment ose-t-il...
– Laisse-moi lire, pria Catherine.
Il lui tendit le parchemin avec une visible mauvaise grâce. Il y avait peu de mots écrits.
« Trop belle dame,écrivait Villa-Andrado, même un homme aussi intransigeant que votre époux ne peut vouloir que vous mouriez de faim... Agréez ces modestes offrandes, non comme un secours mais comme un hommage rendu à une beauté que la faim ne doit pas altérer et que j'espère ardemment avoir l'immense faveur de contempler encore dans les temps à venir... »
Elle ne put s'empêcher de rougir, laissa le parchemin se rouler de lui-même. Arnaud s'en empara et le jeta dans le feu.
– Croit-il pouvoir courtiser mon épouse à mon nez, à ma barbe, ce chien puant ? Et, quant à ses présents...
Il marchait d'un air résolu vers la corbeille, mais trouva sur son chemin Sara qui, les bras étendus, un air de défi sur son visage, lui barrait le passage.
– Ah non ! Par exemple ! Vous ne toucherez pas à ces victuailles qui nous tombent du ciel ! Messire, il vous faudra me passer sur le corps avant d'y atteindre ! A-t-on jamais vu pareille folie ! Je vous jure bien que Catherine mangera, que cela vous plaise ou non.
Elle défiait le jeune homme, les yeux furieux, prête à lui sauter à la figure. Emporté par la colère, il leva la main. Il allait frapper. Un cri de Catherine l'arrêta.
– Arnaud ! Non !... Tu es fou !...
La main retomba, sans force, le long de la cuisse du jeune homme. Peu à peu, son visage perdit la teinte pourpre qu'il avait prise. Finalement, il haussa les épaules.
– Après tout, c'est toi qui as raison, Sara... Il faut que Catherine et le bébé prennent des forces. Donnes en aussi aux hommes, ils en ont besoin.
– Et toi ? pria Catherine désolée.
– Moi ? Je partagerai le quartier de cheval que rapportera Gauthier.
Le Normand, comme Montsalvy, refusa de toucher au contenu de la corbeille, mais Escornebœuf et le seul Gascon qui lui restait, un petit bonhomme dont le visage simiesque était secoué de tics continuels et que l'on nommait Fortunat, dévorèrent en hommes qui n'ont pas mangé à leur faim depuis longtemps. On fit ; donc bombance dans la grotte des fossés de Ventadour. Puis Arnaud organisa les tours de garde et prit le premier. Il alla s'installer auprès du feu, ses longues jambes repliées, les bras noués autour des genoux. Niché sur le sein opulent de Sara qui somnolait assise contre la paroi rocheuse, le bébé dormait de toutes ses forces. Catherine, la dernière bouchée avalée, avait enfin sombré dans un sommeil sans rêves. Les hommes dormaient aussi, lourdement, couchés à même la terre nue, comme des bêtes harassées. Dans la campagne, tout était silence. L'alerte était passée. Le voyage, maintenant, ne serait plus long. Quand pointerait le jour, Arnaud reprendrait Catherine sur son cheval pour lui épargner le froid et les secousses les plus rudes. Bientôt, les toits et les créneaux de Montsalvy apparaîtraient au bout du grand plateau où les vents avaient leur royaume. La vieille demeure seigneuriale, riche d'un passé glorieux et de chauds souvenirs, refermerait ses murs autour de cette nouvelle famille que le maître lui rapportait comme une offrande...
Oubliant pour un temps sa haine et ses désirs de vengeance, Arnaud de Montsalvy sourit tendrement au feu qui défendait du froid ces deux êtres, maintenant toute sa vie, puis son regard alla chercher le ciel noir dans la déchirure des rochers.
« Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu par qui tu illumines la nuit ! Il est beau et joyeux, indomptable et fortLoué sois-tu, mon Seigneur, pour l'épouse et pour le fils que tu m'as donnés... »
I . Le Cantique du Soleil,de saint François d'Assise.
Six jours après avoir quitté Ventadour, la petite troupe réduite à six cavaliers parcourait sous d'incessantes rafales de vent le haut plateau de la Châtaigneraie, au sud d'Aurillac. Cette fois, le plein cœur de l'Auvergne était atteint et les yeux de Catherine s'ouvraient sur ces vieilles montagnes noires et rudes, si austères en hiver, mais où l'inaltérable et sombre verdure des sapins mettait une douceur. Elle avait vu des torrents dévalant les côtes, des lacs bleu nuit, inquiétants par leur silence et leur eau sombre, et des forêts qui semblaient ne devoir jamais finir.
Grâce à l'air vif, grâce aussi aux provisions fournies par l'Espagnol et dont on avait pu emporter une certaine quantité, grâce enfin à sa robuste constitution, elle avait repris ses forces avec une étonnante rapidité. Deux jours après avoir mis son fils au monde, elle reprenait place sur Morgane, malgré les objurgations inquiètes d'Arnaud.
– Je me sens forte ! lui disait-elle en riant. Et puis, nous avons assez traîné comme cela à cause de moi. J'ai hâte d'arriver.
On avait fait halte une journée à l'abbaye bénédictine de Saint-Géraud qui commandait Aurillac et dont le seigneur-abbé était un parent d'Arnaud. Là, le jeune Montsalvy avait reçu le baptême des mains de l'abbé d'Estaing. D'un commun accord, ses parents lui avaient donné le nom de Michel, en souvenir du frère d'Arnaud, jadis massacré par la populace parisienne et que Catherine avait follement tenté de sauver.
– Il lui ressemblera, affirmait Arnaud en examinant son fils, comme il prenait plaisir à le faire bien souvent.
D'ailleurs, il est blond, comme lui... et comme toi, ajoutait-il avec un regard à sa femme.
Avoir donné le jour à ce qu'Arnaud jurait devoir être une copie conforme de Michel de Montsalvy, qu'elle avait adoré au premier regard, emplissait la jeune femme d'une joie profonde et grave. L'enfant lui devenait plus cher encore.
Pour un bébé âgé d'une semaine à peine, le petit Michel faisait preuve d'une belle vitalité. Le voyage, malgré le froid et les chutes de neige, ne semblait pas l'incommoder. Continuellement niché dans le vaste giron d'une Sara rayonnante pour qui l'hiver n'existait plus qu'en fonction de ses effets possibles sur le poupon, chaudement enveloppé, un voile léger sur sa minuscule figure, il dormait à poings fermés les trois quarts du temps, ne s'éveillant que pour réclamer son repas d'une voix perçante. Les voyageurs, alors, faisaient halte dans quelque coin abrité et l'enfant passait des bras de Sara à ceux de Catherine. Ces moments-là étaient pour la jeune mère des instants merveilleux. Elle avait le sentiment profond qu'il était bien à elle, fait de sa chair et de son sang. Lés doigts minuscules s'agrippaient au sein gonflé qu'on lui offrait et la petite bouche ronde tétait avec une ardeur qui inquiétait Arnaud.
– Jeune drôle ! grommelait-il, une fois au château on te trouvera une vigoureuse nourrice ! Si on te laisse faire, tu dévoreras ta mère.
– Rien ne vaut pour un bébé le lait maternel ! objectait Sara doctorale.
– Ouais ! Chez nous, les garçons ont toujours eu des nourrices. Nous sommes de grands dévoreurs dans la famille et nos mères peuvent rarement suffire. Moi, j'avais deux nourrices ! concluait-il triomphalement.
Ces petites escarmouches amusaient Catherine qui connaissait bien la raison profonde qu'avait son époux de prôner les nourrices. Arnaud avait bien de la peine à respecter le temps rituel des couches qui oblige un mari à observer l'abstinence charnelle jusqu'aux relevailles. La nuit venue il laissait, bien à contrecœur, Catherine dormir auprès de Sara et du bébé. Quant à lui, malgré la fatigue de la chevauchée, il s'en allait arpenter les environs, ne rentrant qu'au bout d'une heure ou deux. Catherine, d'ailleurs, connaissait bien l'expression affamée qu'il avait, en la regardant et, lorsqu'elle faisait boire Michel, il demeurait planté devant elle, le regard rivé à sa gorge découverte, cachant ses mains derrière son dos pour qu'elle ne les vît pas trembler.
Le matin même de ce jour qui ne devait pas s'achever sans que l'on fût enfin au but, Arnaud avait à moitié assommé Escornebœuf qu'il avait surpris, embusqué derrière une porte, tandis que Catherine allaitait Michel. Le colosse n'avait pas entendu venir j Montsalvy. Le visage apoplectique, il se tenait ; accroupi, l'œil au trou de la serrure au-delà de laquelle la jeune femme, se croyant seule avec Sara, dans sa cellule de l'abbaye, ouvrait largement son corsage en souriant à la bohémienne qui berçait le bébé. Le sang devait cogner si fort aux oreilles d'Escornebœuf qu'il n'avait pas prêté attention aux pas rapides d'Arnaud sous les arcades du cloître. L'instant suivant, le gros ; sergent roulait dans la poussière en hurlant. D'un magistral coup de poing, Montsalvy lui avait écrasé le nez. Puis il l'avait relevé d'un coup de pied au bas du j dos en grondant.
– File d'ici !... Et souviens-toi que, la prochaine ! fois, je te tuerai !
L'autre avait filé, l'échiné basse, comme un dogue fouetté, mâchonnant des injures entre ses dents. Arnaud n'y avait pas prêté attention, mais Catherine s'était inquiétée.
– L'homme est mauvais ! Il faut se méfier de lui...
– Il ne bronchera pas ! Je connais cette engeance. D'ailleurs, une fois à Montsalvy, rien ne sera plus facile que de le mettre au cachot pour le calmer.
Au moment du départ, pourtant, il avait été impossible de retrouver Escornebœuf. Malgré sa taille gigantesque, il semblait s'être soudain volatilisé. Personne, dans le couvent, ne l'avait vu. Mais, une fois de plus, Arnaud refusa de s'en soucier.
– Bon débarras ! Après tout, nous n'avions plus besoin de lui ! dit-il.
Mais il avait tout de même recommandé à l'abbé d'Estaing de faire jeter le Gascon aux fers si jamais le prévôt de la ville remettait la main dessus. Il ne lui restait plus, des hommes donnés par Xaintrailles, que le seul et fluet Fortunat, mais, pas plus que les autres, Fortunat ne semblait regretter son chef. Depuis l'incident de la forêt de Chabrières, il s'était pris pour Gauthier d'une ardente admiration qu'il partageait équitablement avec Catherine en laquelle Fortunat voyait une créature surnaturelle. C'était une nature simple, sauvage, cruelle par habitude plus que par vocation et, désormais, Fortunat suivait le Normand comme son ombre.
Le soir allait tomber et les quelque huit lieues séparant Aurillac de Montsalvy s'épuisaient sous les sabots rapides des chevaux. Arnaud ne pouvait plus retenir son impatience et le grand étalon noir, quand son maître avait vu surgir de l'horizon brumeux, imprécise comme un mirage, la tour romane d'une église au– dessus de murs sombres, avait pris le galop. Derrière lui, Morgane volait littéralement, le panache éclatant de sa queue flottant joyeusement tandis que les pierres du chemin sautaient sous ses sabots. Gauthier et Fortunat étaient demeurés en arrière, auprès de Sara. Chargée de Michel, l'excellente femme ne pouvait s'offrir d'autre allure qu'un trot paisible.
Emportée par la griserie de la course, Catherine talonna Morgane. La jument tendit le cou, fonça et remonta le cheval noir à la hauteur duquel elle se maintint. Arnaud adressa à sa femme, rouge de joie et d'excitation, un sourire rayonnant.
– Tu ne me battras pas, ma belle cavalière ! D'ailleurs, tu ne connais pas le chemin, cria-t-il dans le vent.
– C'est le château, là-bas ?
– Non... C'est l'abbaye ! Les maisons du village sont massées entre elles et le puy de l'Arbre où est notre maison. Il faut prendre un chemin, à gauche, sous les murs du monastère, s'enfoncer dans le bois. Le château est au flanc du puy et, des tours, on domine un immense paysage. Tu verras... tu auras l'impression d'avoir l'univers à tes pieds.
Il s'interrompit parce que la rapidité de la course lui coupait le souffle. Sans répondre, Catherine sourit, poussa encore sa jument. Morgane donna tout ce qu'elle pouvait, dépassa le cheval. Catherine éclata de rire. Distancé, Arnaud jura comme un templier. Férocement éperonné, l'étalon bondit, passa comme un boulet de canon... Les murs de l'abbaye se rapprochaient. Catherine pouvait distinguer les toits des maisonnettes de lave du petit bourg. Brusquement, Arnaud obliqua vers la gauche, délaissant le grand chemin pour un étroit sentier qui se perdait dans les arbres. Elle se retourna, vit que les autres étaient encore loin.
– Attends-nous ! cria-t-elle.
Mais il ne l'entendait plus. L'air du pays natal qu'il n'avait pas respiré depuis plus de deux ans l'enivrait comme un vin trop riche... Catherine hésita un instant : allait-elle le suivre ou bien attendre les autres ? Le désir d'être avec lui l'emporta.
D'ailleurs, d'où ils étaient, Gauthier, Sara et Fortunat ne pouvaient pas du chemin sautaient sous ses sabots. Gauthier et Fortunat étaient demeurés en arrière, auprès de Sara. Chargée de Michel, l'excellente femme ne pouvait s'offrir d'autre allure qu'un trot paisible.
Emportée par la griserie de la course, Catherine talonna Morgane. La jument tendit le cou, fonça et remonta le cheval noir à la hauteur duquel elle se maintint. Arnaud adressa à sa femme, rouge de joie et d'excitation, un sourire rayonnant.
– Tu ne me battras pas, ma belle cavalière ! D'ailleurs, tu ne connais pas le chemin, cria-t-il dans le vent.
– C'est le château, là-bas ?
– Non... C'est l'abbaye ! Les maisons du village sont massées entre elles et le puy de l'Arbre où est notre maison. Il faut prendre un chemin, à gauche, sous les murs du monastère, s'enfoncer dans le bois. Le château est au flanc du puy et, des tours, on domine un immense paysage. Tu verras... tu auras l'impression d'avoir l'univers à tes pieds.
Il s'interrompit parce que la rapidité de la course lui coupait le souffle. Sans répondre, Catherine sourit, poussa encore sa jument. Morgane donna tout ce qu'elle pouvait, dépassa le cheval. Catherine éclata de rire. Distancé, Arnaud jura comme un templier. Férocement éperonné, l'étalon bondit, passa comme un boulet de canon... Les murs de l'abbaye se rapprochaient. Catherine pouvait distinguer les toits des maisonnettes de lave du petit bourg. Brusquement, Arnaud obliqua vers la gauche, délaissant le grand chemin pour un étroit sentier qui se perdait dans les arbres. Elle se retourna, vit que les autres étaient encore loin.
– Attends-nous ! cria-t-elle.
Mais il ne l'entendait plus. L'air du pays natal qu'il n'avait pas respiré depuis plus de deux ans l'enivrait comme un vin trop riche... Catherine hésita un instant : allait-elle le suivre ou bien attendre les autres ? Le désir d'être avec lui l'emporta.
D'ailleurs, d'où ils étaient, Gauthier, Sara et Fortunat ne pouvaient pas pont-levis. C'était tout ce qui restait du château de Montsalvy...
Le cri funèbre d'un corbeau, tournoyant dans le ciel pâle, tira Catherine de l'espèce d'hébétude où ce spectacle l'avait jetée. Elle regarda son mari. Arnaud, toujours en selle, semblait frappé par la foudre. Aucun trait ne bougeait dans son visage blême aux prunelles dilatées. Seules les mèches noires de ses cheveux que le vent faisait voltiger lui prêtaient encore quelque chose d'humain. Pour le reste, c'était une statue de pierre, sans regard et sans voix.
Épouvantée, elle s'approcha de lui, toucha son bras.
– Arnaud !... murmura-t-elle... mon doux seigneur !
Mais il ne l'entendait ni ne la voyait. Le regard fixe, il descendit de son cheval. Comme dans un cauchemar, Catherine le vit s'approcher des ruines d'un pas saccadé d'automate. Il se dirigeait vers quelque chose que, dans sa stupeur, elle n'avait pas remarqué immédiatement : un grand parchemin d'où un sceau rouge coulait, comme d'une blessure, au bout d'un cordon, et que quatre flèches crucifiaient sur les décombres. Le cœur de la jeune femme manqua un battement et elle retint sa respiration... Elle vit Arnaud escalader quelques pierres, arracher le parchemin, le parcourir des yeux. Puis, comme un chêne déraciné par le vent, il s'abattit, face contre terre, avec une rauque clameur qui retentit jusqu'au fond de l'âme de Catherine.
Le gémissement de la femme fit écho à celui de l'homme. Elle sauta à bas de sa monture, courut à son époux, se laissa tomber à genoux auprès de lui, essayant de détacher les mains crispées qui s'étaient agrippées à deux touffes d'herbe sèche et s'y cramponnaient. Peine perdue ! Tout le corps d'Arnaud était tendu en un spasme nerveux que les forces de la jeune femme ne pouvaient vaincre. Avec des gestes d'aveugle, elle tâtonna machinalement pour arrêter le parchemin que le vent allait déjà éloigner, le saisit, essaya de lire, mais la nuit venait maintenant et elle ne put déchiffrer que la première ligne écrite en gros caractères « De par le Roy... »